Montpellier Théâtre. Avec la complicité des habitants et du Théâtre Jean Vilar, la Cie Primesautier nous invite à découvrir une parole profonde ancrée dans un quotidien fragile
À la manière du sociologue anglais Richard Hoggart, donnant un aperçu de la vie dans les quartiers populaires de la ville de Leeds, la compagnie Primesautier théâtre a tenté de dresser, in situ, avec les habitants de la Mosson, des « acteurs du réel », un portrait actuel d’un quartier populaire de Montpellier.
La création a pris la forme d’une expérimentation pluridisciplinaire, immersive et déambulatoire, investissant pour deux jours différents lieux de la Mosson et en dresse une « cartographie artistique » dans l’instant.
Un projet mené sur un an
En 2015, le Primesautier théâtre a proposé au théâtre Jean Vilar de mener avec les associations et les habitants du quartier de la Mosson une création partagée. Véritable projet singulier et ambitieux et qui a nécessité de la part de la Cie une immersion dans ce quartier durant un an, d’octobre 2015 à octobre 2016. Proposition en cohérence avec la dernière création professionnelle de la Cie Mais il faut bien vivre ! autour du sociologue Richard Hoggart.
Avec le principe du truc, la Cie Primesautier poursuit son travail d’investigation sur le réel via une approche sociologique et artistique inspirée des travaux de l’École de Chicago, faisant de ce quartier un laboratoire artistique. À la manière de R.Hoggart, la Cie a tenté de dresser, in situ, avec des « acteurs du réel » un portrait actuel d’un quartier populaire de Montpellier. Loin des clichés d’usages, avec humour, poésie, réalisme et fantaisie, il s’agit en premier lieu de donner la parole à ceux qui le font, y vivent ou y travaillent.
Aujourd’hui et demain, départ au Théâtre Jean Vilar à 16h gratuit
Foi, amour, espérance, Collectif La carte blanche en mars au Théâtre Jean Vilar
Politique de la ville. Frantz Delplanque, le directeur du théâtre Jean-Vilar, définit les axes de son projet culturel et artistique au cœur duquel il développe la citoyenneté à la Paillade à Montpellier.
Le théâtre Jean-Vilar change en même temps qu’il poursuit sur sa lancée toujours éclectique et ouverte aux compagnies régionales. Le passage en régie municipale directe en 2011 et la nomination de Frantz Delplanque ont marqué une transition dans la destinée du lieu, implanté à Montpellier dans le quartier de la Paillade. En ce début 2016, le directeur entreprend sa seconde saison avec détermination et lucidité. Comme si les inondations de l’automne 2014, ayant conduit à une interruption temporaire de la saison, avaient été mises à profit pour mûrir le projet. « Ce théâtre est un outil de développement culturel formidable. Nous sommes pleinement soutenus par la Ville mais nous avons les coudées franches, et gardons une entière autonomie artistique », indique le directeur.
Si l’implantation dans un quartier en difficulté a toujours été une donnée assumée par le théâtre à travers une approche volontaire de l’action culturelle notamment en direction des scolaires, l’environnement semble aujourd’hui véritablement au coeur du projet de Frantz Delplanque. Le contexte social économique et culturel hexagonal et le positionnement du maire Philippe Saurel en faveur d’une citoyenneté renouvelée balise plus que jamais la destinée d’un projet qui doit faire sens auprès des habitants du quartier.
« Je suis à la recherche d’une pertinence artistique et parallèlement, notre projet met en oeuvre une série d’actions pilotes qui consolide le lien avec le quartier. Parce que le seul fait d’être un lieu de diffusion ne suffit pas, assure Frantz Delplanque. Le théâtre mène depuis deux ans des projets participatifs favorisant une approche de la culture par les pratiques artistiques et les rencontres avec les artistes. »
Le directeur Frantz Delplanque.
Le bar rénové du théâtre propose une alternative à la grande salle de spectacle dont le taux d’occupation ne descend pas en dessous de 85%. Cette année, l’association Condamnés à réussir y programme des soirées rap. Des « boeufs?» géants entre habitants musiciens s’y déroulent autour d’un repas organisé par l’association Musiques sans frontières, Les goûteurs de texte associent, en partenariat avec La Baignoire, 10 habitants (pas nécessairement des lecteurs) lors d’un repas, au choix de 3 lectures spectacles ensuite programmées au bar.
« Quand il y a une déchirure ce n’est pas l’afflux de moyens qui permet de réparer mais une série de petits points solides aux bons endroits. Je continue à penser que l’on peut réparer, faire reculer le racisme qui n’a pas les racines qu’on lui prête », soutient Frantz Delplanque.
Au fur et à mesure de ces rendez-vous progresse la connaissance mutuelle. L’importance sociale de la culture qui passe aussi par les échanges oraux s’affirme, comme le fait que les textes peuvent être décodés à plusieurs niveaux de signification, y compris celui des implications inconscientes. Cette réflexion sur le sens aboutit à l’élaboration d’une méthode placée sous le signe de l’action culturelle, qui tient compte aussi bien de la forme que du contenu et du contexte.
Par ailleurs, le théâtre poursuit sa programmation diversifiée largement axée sur la création. « Là aussi, la prise en compte de l’environnement particulièrement rude pour les compagnies impose que le théâtre de la ville maintienne son attention aux artistes qui font de la région un territoire de production, porteur d’identité et de diversité », souligne le directeur qui leur consacre 50% de sa programmation en maintenant une exigence de qualité.
Le théâtre Jean-Vilar devient un fédérateur de talents artistiques, qui donne sens à la politique culturelle publique. Il a besoin de moyens et de temps.
JMDH
Repère
Implanté dans l’ancien domaine viticole du Mas de la Paillade, Jean-Vilar a ouvert ses portes en 1994 sous l’impulsion de Georges Frêche qui dote le quartier Mosson d’un vrai théâtre en confiant le projet à Luc Braemer. Le maire de Montpellier de l’époque donne le la?: « Je ne veux pas un théâtre vide et occupez-vous des compagnies de Montpellier.» Issu de l’éducation populaire, le directeur gardera ce cap durant vingt ans. Théâtre, cirque, chanson, danse, jeune public, l’éclectisme devient la marque de fabrique de Jean-Vilar qui laisse ses portes largement ouvertes aux artistes locaux qui composent 50% de la programmation. Après vingt ans d’existence, le théâtre affiche un taux de remplissage de plus de 80%. Le discret Luc Braemer part à le retraite serein. Mission accomplie.
Le producteur radiophonique Stéphane Bonnefoi, évoque son reportage sur La Paillade à l’IRTS.
Le documentaire trouve de moins en moins de place sur les ondes de Radio France. Mais sur France Culture on peut encore prendre le temps de l’écoute. Au début de la campagne des régionales 2009, le journaliste Stéphane Bonnefoi passe deux mois hébergé chez les habitants de la Paillade. Suite à son immersion dans le quartier, il réalise quatre documentaires d’une heure diffusés dans l’émission Sur les docks. Il est revenu à Montpellier pour évoquer son travail devant les étudiants de l’IRTS.
Un beau sujet de réflexion pour les futurs travailleurs sociaux que celui du traitement médiatique des quartiers populaires… Faut-il considérer que la durée consacrée au travail pour prendre le pouls d’un quartier populaire relève d’une forme d’engagement ? Dans le nouveau mode de production des rédactions force est de reconnaître que cet exercice figure au rayon des pratiques révolues. Creuser son sujet, s’oppose à la thèse qui définit la dépolitisation des esprits comme le mode achevé de la modernité .
« France Culture ne m’a pas payé deux mois pour 4 heures d’émission. Outre les implications financières, cela m’a demandé une énergie incroyable, précise le producteur. Mais au final le travail a eu un bon retentissement ». Il se distingue en effet du traitement médiatique habituel des banlieues qui privilégie les raccourcis sans s’assurer des correspondances avec le sens.
« La plupart du temps, les représentations que l’on a de ces quartiers nous viennent des médias ou de personnes victimes d’un vol ou d’une agression. Ce ne sont pas des représentations personnelles. Je voulais m’inscrire dans les pas de l’écrivain prolétarien Marc Bernard* prix Goncourt en 1942, auteur d’un reportage au long cours sur la ville nouvelle de Sarcelle (en 1963). » Un demi siècle plus tard, Stéphane Bonnefoi choisit le quartier de La Paillade pour reconduire cette expérience. « J’aurais pu faire de la poésie, mais je suis resté dans un esprit d’investigation. Je ne voulais pas réinventer. »
Territoire, religions, singularités marocaines et gitanes, situation sociale, le journaliste pousse les portes et ouvre des dialogues qui révèlent un mode de vie propre en marge de la ville centre. « Je ne prétends pas rendre compte de La Paillade telle qu’elle est en quatre heures. Et d’ailleurs qu’est-ce que La Paillade si ce n’est la multitude des gens qui y vivent ? La manière dont les médias évoquent ce qui s’y passe, n’est pas à la hauteur de la richesse de ces quartiers. » Un constat qui n’élude pas les problématiques. L’auteur évoque toutes les questions : mixité sociale, pressions religieuses et politiques, précarité grandissante, réseaux économiques opportunistes… « Le changement radical avec les années 70 et 80, c’est le recul de la vie politique,intellectuelle et sociale, faute d’acteurs et de moyens au profit des politiques clientélistes, et des associations communautaires.» La richesse vient de la multitude des voix recueillies. Des habitants et des acteurs sociaux témoignent de la difficulté à préserver leurs valeurs face à l’instrumentalisation. De quoi donner du grain à moudre…
Jean-Marie Dinh
* Stéphane Bonnefoi a préfacé le livre de Marc Bernard Sarcellopolis réédité aux éditions Finitude.
Dans le sillage de la chorégraphe Mathilde Monnier, d’Alain Plombat, le Pdg du Midi-Libre et du préfet Claude Baland, c’est Edwy Plenel qui était mardi l’invité de l’émission « Viens chez moi j’habite à la Paillade. » On pourra bientôt la visionner sur le site de Kaïna-tv, la web TV créée par Akli Alliouat qui valorise les initiatives locales et l’expression des habitants de la Paillade.
Centre commercial Saint-Paul au cœur de la cité pailladine, le studio s’improvise au café-resto Le Mirador. « Vous avez mené une enquête fouillée sur moi », plaisante le directeur de Médiapart à l’adresse des jeunes avec lesquels il s’apprête à débattre.
Ca tourne ! Les animateurs précisent d’entrée qu’ils ne sont pas journalistes, se situant avant tout, comme des habitants du quartier. Ce à quoi la fine plume répond que notre époque impose aux pros de descendre de leur estrade pour se mêler aux amateurs. A la différence de la majorité de ses confrères, il affirme croire au journalisme citoyen ce qui justifie sa présence dans le quartier.
La question de la ségrégation dont les habitants sont ici victimes est évidemment soulevée. Elle permet à Edwy Plenel d’enfourcher l’un de ses chevaux de bataille favori : la critique du pouvoir et la restauration de la démocratie. « Je n’hésite jamais à dire, y compris à ceux pour qui c’est difficile à entendre, qu’historiquement notre France est d’origine étrangère.Sous l’occupation, la majorité des gens qui étaient avec De Gaule n’auraient pas de papier aujourd’hui.»
Ses interlocuteurs le lancent sur le déjà très piteux bilan du quinquennat Sarkozy. « Ma critique ne porte pas sur l’homme, précise Plenel, mais sur le système présidentiel qui permet au chef de l’Etat de faire absolument ce qu’il veut. Au point de nous faire oublier que c’est à nous de faire vivre la démocratie. La démocratie ne doit pas être dictée par l’agenda présidentiel. C’est très concret la démocratie, cela concerne le partage qui se situe au cœur de la question sociale. »
L’orateur est maintenant lancé, il devance les questions. Il est passé au débat sur l’identité nationale. « Une diversion du gouvernement pour échapper à la question sociale. Une façon de ramener chacun à son identité et un moyen pour oublier les conditions que l’on a en commun. » Le rôle des médias, Montaigne, La Boétie, l’esprit des fondateurs de la loi de 1905 sur la laïcité, la nature profonde du racisme… Les sujets s’enchaînent dans la bouche de l’invité. On boit ses paroles, on admire l’intelligence des propos.
« Je ne porte pas un regard aussi pessimiste que vous sur la situation », réplique avec sympathie l’homme de médias aux jeunes qui s’inquiètent du formatage des esprits et du peu d’issues qui s’offrent à eux. « La peur est brandie par le pouvoir pour dire à la population ayez peur, nous nous occupons du reste. Il faut dire nous n’avons pas peur, ne pas rester coller au mur, la République n’est pas figée, elle est en mouvement. » La soirée s’achève. Edwy a un autre rendez-vous, il est parti avant l’heure du couvre-feu.