La mosquée de Lunel a élu son nouveau président après des mois de tensions

 La mosquée de Lunel, . PASCAL GUYOT / AFP

La mosquée de Lunel (Hérault) a un nouveau président. Après des mois de vives tensions avec un groupe de jeunes radicalisés, l’équipe dirigeante de l’Union des musulmans de Lunel ? association gestionnaire de la mosquée de cette ville de 26 000 habitants ? avait été contrainte de démissionner. Les hostilités avaient été attisées par le départ d’une vingtaine de jeunes Lunellois pour le djihad en Syrie, où au moins huit d’entre eux ont été tués.

Le scrutin, initialement prévu dimanche 25 octobre, avait dû être interrompu, en raison de discussions qui avaient viré à la bagarre entre une poignée de jeunes intégristes et d’autres fidèles à l’intérieur même du lieu de culte.

Le nouveau président, Benaissa Abdelkaoui, est un habitué de la mosquée, bien connu de toute la communauté. Il a travaillé dans le maraîchage en Petite Camargue avant de devenir chauffeur routier. Il a dit après son élection ne souhaiter qu’une chose : « Que nous puissions vivre notre religion dans la tranquillité. »

« Que tout rentre dans la normale »

Benaissa Abdelkaoui bénéficiait du soutien d’une figure incontournable de la communauté musulmane régionale, Driss El Moudni, président depuis 2008 du Comité régional du culte musulman (CRCM). Pour ce dernier, « le nouveau président et le nouveau bureau vont tout faire pour que tout rentre dans la normale. Nous allons faire très vite une journée portes ouvertes pour bien montrer ce qui est fait à la mosquée ». L’une des premières tâches de l’association sera de chercher un imam. « Ce n’est pas simple. Il faut trouver quelqu’un de bien formé et de bilingue. On va les aider », a assuré M. El Moudni.

L’imam précédent, Elhaj Benasseur, a lui aussi démissionné en raison des tensions avec un groupe de jeunes radicalisés. La communauté musulmane est particulièrement importante à Lunel. Le chômage également. Certains jeunes de la communauté, en mal d’avenir, se sont laissés séduire par les discours des mouvances djihadistes et sont partis en Syrie, en 2014, sous la bannière de l’Etat islamique.

À l’époque, l’Etat s’alarme, le préfet multiplie les déplacements dans la ville et cherche à voir s’il y a à Lunel « une filière de recrutement de djihadistes ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, fait le déplacement en février pour bien affirmer qu’il fait la différence entre « l’islam de tolérance » souhaitée par la très grande majorité de la communauté musulmane, à Lunel comme ailleurs, et une poignée de jeunes à la dérive et radicalisés.

A la mosquée, les tensions s’aggravent quand l’imam essaie de dissuader les jeunes de partir en déclarant dans un prêche qu’aller faire le djihad en Syrie ou en Irak n’est en rien un précepte de l’islam. Des jeunes radicaux s’en prennent à lui, et professent des menaces de mort contre lui et sa famille.

L’imam porte plainte et gagne son procès en septembre 2015 : deux jeunes d’une trentaine d’années sont condamnés en correctionnelle à 18 mois avec sursis et interdiction de retourner à la mosquée. Mais ils font appel du jugement et, en attendant un nouveau procès, reviennent à la mosquée. L’imam préfère alors jeter l’éponge. Le 18 octobre, le président de l’association, Rachid Belhaj, lui emboîte le pas et démissionne à son tour, après seulement dix mois de mandat.

Le nombre de fidèles a baissé de moitié

Deux semaines plus tard, c’est dans un climat apaisé que la communauté s’est retrouvée dimanche pour voter, sous le regard de quelques policiers restés de l’autre côté de la route, « au cas où ». Quatre-vingt-treize personnes ont voté (sur 800 adhérents), soit un nombre dans la norme des élections précédentes. « Notre système de vote est simple, explique un fidèle, un papier d’une couleur par candidat. Comme il n’y avait qu’un candidat, on n’avait cette fois-ci qu’un papier à mettre si on souhaitait voter ! ».

La plupart des musulmans qui avaient fait le déplacement refusaient néanmoins d’échanger avec les journalistes et préféraient partir discrètement… « Je n’ai rien à dire », « Je ne parle pas français », « Je ne suis pas le responsable, je ne peux pas vous parler »… Les traces des tensions précédentes sont aussi visibles à la prière du vendredi : en un an, le nombre de fidèles a diminué de moitié, de nombreux musulmans ayant fini par déserter le lieu de culte pour prier chez eux. D’après la préfecture, aucun jeune Lunellois n’est parti pour la Syrie cette année.

Anne Devailly

Source Le Monde.fr 01/11/2015

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Le pape contre le « fumier du diable »

 

 Le Pape François à l’aéroport de Quito dimanche 5 juillet. Photo Afp

En septembre, le chef de l’Eglise catholique doit visiter Cuba, puis les Etats-Unis, après avoir œuvré au rapprochement de ces deux pays. Ces deux dernières années, François, premier pape non européen depuis treize siècles, a décentré le regard de l’Eglise sur le monde. Promoteur d’une écologie « intégrale » socialement responsable, ce pasteur jésuite argentin vient aussi chatouiller les consciences aux Nations unies.

Devant un auditoire dense réuni au parc des expositions de Santa Cruz, la capitale économique de la Bolivie, un homme en blanc fustige « l’économie qui tue », « le capital érigé en idole », « l’ambition sans retenue de l’argent qui commande ». Ce 9 juillet, le chef de l’Eglise catholique s’adresse non seulement aux représentants de mouvements populaires et à l’Amérique latine, qui l’a vu naître, mais au monde, qu’il veut mobiliser pour mettre fin à cette « dictature subtile » aux relents de « fumier du diable » (1).

« Nous avons besoin d’un changement », proclame le pape François, avant d’inciter les jeunes, trois jours plus tard au Paraguay, à « mettre le bazar ». Dès 2013, au Brésil, il leur avait demandé « d’être des révolutionnaires, d’aller à contre-courant ». Au fil de ses voyages, l’évêque de Rome diffuse un discours de plus en plus musclé sur l’état du monde, sur sa dégradation environnementale et sociale, avec des mots très forts contre le néolibéralisme, le technocentrisme, bref, contre un système aux effets délétères : uniformisation des cultures et « mondialisation de l’indifférence ».

En juin, dans la même veine, François adressait à la communauté internationale une « invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète ». Dans cette encyclique sur l’écologie, Laudato si’ Loué sois-tu »), il appelle chacun, croyant ou non, à une révolution des comportements et dénonce un « système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers ». Un texte « à la fois caustique et tendre », qui « devrait ébranler tous les lecteurs non pauvres », estime la New York Review of Books (2). En France, 100 000 exemplaires de ce petit manuel se sont envolés en six semaines (3).

Voici donc un pontife qui assure qu’un autre monde est possible, non pas au jour du Jugement dernier, mais ici-bas et maintenant. Ce pape superstar, dans la lignée médiatique de Jean Paul II (1978-2005), tranche et divise : canonisé par des figures écologistes et altermondialistes (Naomi Klein, Nicolas Hulot, Edgar Morin) pour avoir « sacralisé l’enjeu écologique » dans un « désert de la pensée » (4) ; diabolisé par les ultralibéraux et les climato-sceptiques, capables de faire de lui « la personne la plus dangereuse sur la planète », comme l’a caricaturé un polémiste de la chaîne ultraconservatrice américaine Fox News.

Les droites chrétiennes s’inquiètent de voir un pape au discours gauchisant et si peu disert sur l’avortement. Et les éditorialistes de la gauche laïque s’interrogent sur la profondeur révolutionnaire de cet homme du Sud, premier pape non européen depuis le Syrien Grégoire III (731-741), qui crie au scandale face au trafic des migrants, appelle à soutenir les Grecs en rejetant les plans d’austérité, nomme « génocide » un génocide (celui des Arméniens), signe un quasi-concordat avec l’Etat de Palestine, appuie son front, façon prière au mur des Lamentations, sur la barrière de séparation que les Israéliens imposent aux Palestiniens (lire « La cérémonie de l’humiliation ») et se rapproche de M. Vladimir Poutine sur la question syrienne quand l’heure, chez les Occidentaux, est aux sanctions contre la Russie en raison du conflit ukrainien.

« Il a remis l’Eglise dans le jeu international », estime Pierre de Charentenay, ancien rédacteur en chef de la revue Etudes, aujourd’hui spécialiste des relations internationales à la revue jésuite romaine La Civiltà Cattolica. « Il a aussi changé son visage. Il est le champion de l’altermondialisme ! A côté de lui, Benoît XVI est un gentil garçon. » Le prédécesseur, en effet, tout en introversion théologique, toujours enclin à condamner, fait figure de rabat-joie à côté du miséricordieux Argentin, plutôt prêt à pardonner. Mais, sur le fond, « sa force est surtout d’interroger l’ensemble d’un système », estime le père de Charentenay.

Voici ce que dit précisément ce premier pape jésuite et américain : l’humanité porte la responsabilité de la dégradation généralisée et laisse le système capitaliste néolibéral détruire la planète, « notre maison commune », en semant les inégalités. Elle doit donc rompre avec une économie de laquelle, comme le dit l’économiste — et jésuite lui aussi — Gaël Giraud, « depuis Adam Smith et David Ricardo, la question éthique est exclue par la fiction de la main invisible » censée réguler le marché (5). Elle a besoin désormais d’une « autorité mondiale », de normes contraignantes et, surtout, de l’intelligence des peuples, au service desquels il convient d’urgence de replacer l’économie. Car la solution, politique, se trouve entre leurs mains, et non entre celles des élites, égarées par la « myopie des logiques du pouvoir ».

Pour le pape, la crise environnementale est d’abord morale, fruit d’une économie déliée de l’humain, où les dettes s’accumulent : entre riches et pauvres, entre Nord et Sud, entre jeunes et vieux. Où « tout est lié » : pauvreté-exclusion et culture du déchet, dictature du court-termisme et aliénation consumériste, réchauffement climatique et glaciation des cœurs. De sorte qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale ». Appelée à se ressaisir, l’humanité doit donc se doter d’une « nouvelle éthique des relations internationales » et d’une « solidarité universelle » — ce que plaidera François à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) le 25 septembre, à l’occasion du lancement des Objectifs du millénaire pour le développement.

Certes, arguera-t-on, tout cela n’est pas totalement neuf. « François s’inscrit avec une assez belle continuité dans la ligne du concile Vatican II [qui s’est tenu entre 1962 et 1965 et dont le but était d’ouvrir l’Eglise au monde moderne] », constate par exemple à Rome M. Michel Roy, secrétaire général du réseau humanitaire Caritas Internationalis. De fait, le pontife renvoie à l’Evangile, revisite la doctrine sociale de l’Eglise élaborée à l’ère industrielle et, surtout, arrime ses convictions à celles de Paul VI (1963-1978), en qui le père de Charentenay voit son « maître intellectuel et spirituel (6) ».

Premier pape de la mondialisation et des grands voyages intercontinentaux, Paul VI, à la suite du réformateur Jean XXIII (1958-1963), est celui qui a physiquement sorti la papauté de l’Italie, internationalisé le collège des cardinaux, multiplié les nonciatures (ambassades du Saint-Siège) et les relations bilatérales avec les Etats (7). Celui, aussi, qui a amené l’Eglise à outrepasser ses compétences restreintes de gendarme des libertés religieuses pour la rendre « solidaire des angoisses et des peines de l’humanité tout entière (8) ». Pour Paul VI, le développement était le nouveau nom de la paix ; une paix appréhendée non pas comme un état de fait, mais comme le processus dynamique d’une société plus humaine, ouvrant sur une richesse partagée.

Cependant, s’il y a là de la continuité, et même, pour certains, comme un aboutissement du grand chambardement catholique entamé dans les années 1960, il est difficile d’ignorer que le pontife argentin tranche sur ses prédécesseurs. Même s’ils n’étaient pas, eux non plus, avares de discours antilibéraux, les pontificats du Polonais Jean Paul II et de l’Allemand Benoît XVI, ces Saints-Pères la rigueur, ont été marqués par leur ancrage doctrinal. Le dernier a en outre été éclaboussé par quelques « affaires » que l’administration vaticane a eu un certain mal à gérer, tel le scandale VatiLeaks : la diffusion de documents confidentiels accusant l’administration du Saint-Siège de corruption et de favoritisme, notamment pour des contrats signés avec des entreprises italiennes.

Deux types de causes peuvent être avancés au renouveau actuel : les unes tiennent au contexte ; les autres sont inhérentes à l’homme. « Sur un plan éthico-politique, François comble un vide au niveau international », constate François Mabille, professeur de sciences politiques à la Fédération universitaire et polytechnique de Lille et spécialiste de la diplomatie pontificale. Il est le pape de l’après-crise financière de 2008, comme Jean Paul II avait été celui de la fin du communisme. « En procédant à un aggiornamento de la doctrine sociale, François introduit une pensée systémique, c’est-à-dire où tout fait système, et il occupe avec succès le créneau de la sollicitude contestataire. » Il y avait urgence, ajoute Mabille : « Le temps de l’Eglise n’était plus celui du monde. Tout allait bien trop vite pour Benoît XVI. Il y avait une nécessité d’être dans l’anticipation et non plus dans la réaction. »

Avant d’aller secouer le monde, le nouveau pape a donc bousculé sa maison. Adepte d’une sobriété qu’il partage avec François d’Assise, dont il a emprunté le nom, il a instauré, si l’on peut dire, une papauté « normale », qu’il veut exemplaire. Il a remisé au placard les derniers attributs vestimentaires honorifiques de sa fonction et pris demeure dans un deux-pièces de 70 mètres carrés qu’il a préféré aux luxueux appartements pontificaux. Le pape aime le symbole et joint souvent le geste à la parole, ce qui paie dans une société de l’image.

Ainsi, avec une bonhomie qui semble faire de lui le curé du monde, il apparaît direct, spontané, et appelle un chat un chat — au risque de quelques écarts diplomatiques, qu’ensuite porte-parole et nonces parviennent (ou pas) à rattraper. Désigné par ses pairs pour réformer en profondeur la curie, c’est-à-dire l’appareil d’Etat du Saint-Siège, il a listé sans prendre de gants quinze maux frappant l’institution, marquée par un clientélisme à l’italienne. Parmi ces fléaux : l’« Alzheimer spirituel » et, en première place, l’habitude de « se croire indispensable » (9)…

Théologie de la libération non marxiste

Pour gouverner, François s’est entouré d’une garde rapprochée de huit prélats de terrain. Il a lancé des commissions pour réformer les finances et la communication ; multiplié les installations d’experts laïcs pour conseiller son administration ; créé un tribunal au Vatican pour juger les évêques ayant couvert des prêtres pédophiles ; nommé un premier jet d’une quinzaine de nouveaux cardinaux, futurs électeurs de son successeur. Le prochain pape sera choisi a priori de son vivant, comme l’avait voulu Benoît XVI pour lui-même. François l’a répété avant d’aller voir M. Evo Morales en Bolivie et M. Rafael Correa en Equateur : il est, lui, contre les « leaders à vie »…

Ses nouveaux hussards pourpres, le pape les choisit parmi ceux qui sont allés au charbon, là où les plaies sociales sont vives, comme à Agrigente, au diocèse de laquelle appartient Lampedusa, l’île des migrations clandestines. Il va les chercher en Asie, au fin fond de l’Océanie, en Afrique, en Amérique latine, s’affranchissant ainsi de règles non écrites : fini les archidiocèses qui poussaient mécaniquement leurs titulaires vers la haute hiérarchie romaine en augmentant le poids de l’Europe au conclave et, en son sein, celui de l’Italie (10).

« Ce pape brise les tabous, donne des coups de pied dans la fourmilière, sans trop prendre de précautions, constate un diplomate français, observateur de l’action pontificale. Il a compris qu’il était chef d’Etat. La fonction le rattrape. Il est pragmatique et très politique. » Tout cela déteint sur l’Eglise, puisque François « est » l’Eglise, comme il l’a lui-même rappelé, non sans une onction maligne de jésuite « un peu rusé » (c’est ainsi qu’il se définit), à ceux qui s’inquiétaient de savoir si l’institution le suivait.

« On se presse pour le voir ! », se délecte à l’autre bord, côté nonciatures, un conseiller pontifical. En deux ans, plus de cent chefs d’Etat ont été reçus au Vatican. Certains recherchent sa médiation : les Etats-Unis et Cuba, dont il a facilité le rapprochement ; la Bolivie et le Chili, en bisbille quant à l’accès de la première à l’océan (lire « La Bolivie les yeux vers les flots) ; et jusqu’à la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), qui, lorsqu’il passera à Cuba, demande à bénéficier de son intercession… Ainsi soient les désirs du pape, qui fait rouvrir à Rome un bureau de médiation pontificale. Sans succès garanti : en juin 2014, faire prier ensemble, très médiatiquement, le président palestinien Mahmoud Abbas et le président israélien Shimon Pérès dans les jardins du Vatican n’a pas empêché les meurtrières attaques israéliennes sur Gaza un mois plus tard.

Né en Argentine Jorge Mario Bergoglio, François « est le premier pape qui comprend véritablement les échanges Sud-Sud, que ce soit en matière de biens matériels ou de biens symboliques, religieux, estime Sébastien Fath, membre du Groupe sociétés, religions, laïcités (GSRL) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il sait que des prédicateurs africains sont en lien avec des Eglises brésiliennes, que les jésuites indiens partent en mission en Afrique. » C’est un « Latino parfait… qui ne parle pas anglais », complète M. Roy chez Caritas. Petit-fils d’immigrés piémontais, « il fait penser à un pape européen qui aurait quitté l’Europe : une Europe no future  ! », reprend notre diplomate français. « Il n’a pas une vision à proprement parler géopolitique du monde », précise M. Roy. Un monde qu’il connaît d’ailleurs peu : François n’a quasiment pas voyagé avant la papauté. « Il pointe d’abord du doigt un système, matérialiste, basé sur la promotion de l’individu, qui détruit les solidarités traditionnelles et plonge les plus fragiles dans la pauvreté. » Pour le conseiller pontifical, « c’est un lanceur d’alerte ! ».

Jadis gamin des faubourgs de Buenos Aires, Bergoglio a cependant sa propre géographie de l’espace : moins une opposition entre Sud et Nord qu’entre un centre et des « périphéries », qu’elles soient spatiales (pays pauvres, banlieues, bidonvilles) ou existentielles (populations précaires, exclus, détenus, etc.). Il y a, dans cette vision, bien des périphéries au Nord et des visages colonialistes dans les circuits globalisés ; et c’est là qu’il veut que son Eglise prioritairement travaille.

Bergoglio a choisi son camp : celui de « l’option préférentielle pour les pauvres » et les « petits », que, dans ses discours, comme à Santa Cruz, il accroche personnellement : « chiffonnier », « ramasseur d’ordures », « vendeur ambulant », « transporteur », « travailleur exclu », « paysan menacé », « indigène opprimé », « migrant persécuté », « pêcheur qui peut à peine résister à l’asservissement des grandes corporations »… C’est un pasteur avec des élans missionnaires très forts, dit-on. Pas un diplomate. Est-ce un problème ? Pour cela, il y a… des diplomates, pilotés par l’expérimenté secrétaire d’Etat du Vatican Pietro Parolin, jadis l’homme de missions délicates au Venezuela, en Corée du Nord, au Vietnam ou en Israël.

Le synode sur la famille bientôt achevé

« Le pape est convaincu que l’avenir repose sur ceux qui sont sur le terrain », reconnaît M. Roy. Il se méfie des organisations (à commencer par la sienne !), dont les dérives mènent, selon lui, à la stérilité des discours autoréférentiels éloignés des réalités. Cela fait de lui un dirigeant à l’approche humaine et managériale très ascendante, constatent les diplomates, alors que ses prédécesseurs étaient totalement vectorisés du sommet vers la base par la transcendance. « Je vous demande votre prière qui est la bénédiction du peuple pour son évêque », a dit François aux fidèles place Saint-Pierre, en inversant les rôles, le jour de son élection.

Cet attachement aux populations, qui lui confère des accents populistes (il a été proche d’un groupe de la Jeunesse péroniste (11)), il l’ancre conceptuellement dans la théologie du peuple, une branche argentine non marxiste de la théologie de la libération (12). La théologie du peuple ? « Une théologie pour le peuple et non par le peuple, résume Pierre de Charentenay pour marquer la différence. Le pape opère une sorte de reprise populaire et culturelle de la théologie de la libération. » Mezza voce, ce n’en est pas moins une réhabilitation. Issue de l’appropriation latino-américaine de Vatican II dans les années 1970, la théologie de la libération était honnie par Benoît XVI et Jean Paul II pour son approche marxisante. En septembre 2013, François recevait en audience privée, à Rome, l’un de ses illustres fondateurs, le père péruvien Gustavo Gutierrez. En mai 2015, il béatifiait Mgr Oscar Romero, l’archevêque de San Salvador assassiné en 1980 en pleine messe par des militants d’extrême droite. Ses prédécesseurs ne s’étaient guère empressés d’instruire la procédure. Selon M. Leonardo Boff, l’un des chefs de file brésiliens du mouvement, la vision de François s’inscrit « dans le grand héritage de la théologie de la libération ». Son règne pourrait même ouvrir sur une « dynastie de papes du tiers-monde » (13).

Mais Bergoglio détonne aussi car il est un vrai chef d’Eglise, un pape manager, le premier à avoir concrètement exercé des responsabilités territoriales, extra-diocésaines, à un niveau national. De 2005 à 2011, il fut président de la Conférence épiscopale argentine (14). Du coup, « les troupes [au Vatican] sont bien mieux organisées, constate un observateur romain, et sa personnalité, son implication personnelle, ont redynamisé la diplomatie du Saint-Siège ».

En dirigeant, François a défini un cap pour sa multinationale. Habilement, il a découplé l’attaque en fonction de la cible. Au grand monde, il donne à son projet l’air connu de l’« internationalisme catholique » (15) : participer à la pacification des relations entre Etats, promouvoir la démocratie, insister sur les structures de dialogue international, sur la justice pour les peuples, le désarmement, le bien commun international ; tous thèmes qui confèrent parfois à l’Eglise catholique des airs de pure organisation non gouvernementale (ONG). Et en interne, à ses collègues cardinaux sur le point de l’élire, le jésuite argentin rappelle l’essentiel : évangéliser, bien sûr. Mais aussi sortir l’Eglise d’elle-même, de son « narcissisme théologique », pour aller sans attendre vers les « périphéries » (16).

Certains semblent n’avoir pas mesuré à qui ils confiaient les clés. Car pour évangéliser, François ne brandit pas sa croix comme Jean Paul II, qui, dès son premier sermon, passait à l’offensive : « N’ayez pas peur ! Ouvrez toutes grandes les portes au Christ (…), ouvrez les frontières des Etats, des systèmes politiques et économiques (17)…  » Le pape argentin a un autre sens politique. Il ne rechigne pas à faire travailler l’Eglise avec les mouvements populaires, qui sont bien loin de partager sa foi. Il a compris que si l’Eglise restait universelle, elle n’était plus le centre du monde — tout au plus une « experte en humanité », comme la présentait Paul VI.

Ces nouvelles inclinations ne cachent pas les difficultés. Au Proche-Orient, où François, en 2013, lançait le retour de la diplomatie vaticane en appelant à la paix en Syrie quand la France et les Etats-Unis voulaient en découdre avec le régime de M. Bachar Al-Assad, le Saint-Siège a finalement dû en rabattre face à l’urgence : un an plus tard, il demandait aux Nations unies de « tout faire » pour contrer les violences de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), responsable d’« une espèce de génocide en marche » qui contraignait les chrétiens à l’exode. Les fondamentalismes n’ont que faire du dialogue interreligieux.

De même, en Asie, région perçue comme un gisement de développement, la diplomatie vaticane patine. Si les relations avec le Vietnam sont en cours de réchauffement, en Chine, tout un courant catholique, contrôlé par l’Association patriotique des catholiques chinois, une structure étatique, continue d’échapper à l’évêque de Rome. Certes, François a fait des pas de deux pour amadouer le président Xi Jinping — en évitant notamment une rencontre avec le dalaï-lama — et a reconnu une ordination d’évêque intervenue en juillet à Anyang (province du Henan), ce qui n’était pas arrivé depuis trois ans. Mais la réalité est bien loin des rêves missionnaires : ces derniers mois, rapporte l’agence Eglises d’Asie, les autorités chinoises ont fait détruire par dizaines les croix sur les églises, trop ostensibles, notamment dans la province du Zhejiang. Enfin, en Inde, l’infime minorité catholique (2,3 % de la population) subit régulièrement des atteintes aux biens et aux personnes.

Les obstacles, pour François, ne sont pas qu’en terres lointaines non christianisées. Aux Etats-Unis, où il s’exprimera le 24 septembre devant le Congrès, sa cote de popularité a pris du plomb dans l’aile : de 76 % d’opinions favorables en février, elle a chuté à 59 % en juillet, après l’encyclique et le discours de Santa Cruz, surtout chez les républicains (45 %) (18). Le ton, tout autant que le fond, passe mal. On lui reproche son tropisme latino-américain, son peu de considération pour ce que le capitalisme a pu apporter aux pays pauvres ou ses sermons qui ne proposent pas de solutions (19). A gauche, on suspecte une offensive de charme pour faire passer des pilules plus amères. On remarque qu’il maintient l’opposition doctrinale à la contraception et ne fait pas évoluer celle relative à l’usage du préservatif en matière de lutte contre le sida. Qu’il élude les conséquences de la démographie galopante, aussi problématique que le consumérisme. « La croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire », assure-t-il au contraire. Les conservateurs, eux, le renvoient sèchement à ses attributions théologiques et morales. « Je ne tiens pas ma politique économique de mes évêques, de mon cardinal ou de mon pape », a déclaré M. Jeb Bush, candidat républicain à la Maison Blanche converti au catholicisme il y a vingt ans (20). Le pape ne s’en formalise pas : « N’attendez pas de ce pape une recette » ; « L’Eglise n’a pas la prétention (…) de se substituer à la politique. »

Plus généralement, François est attendu sur les questions de société, au sujet desquelles les orgues vaticanes jouent depuis deux ans en sourdine. En 2014, il a ouvert une boîte de Pandore en demandant aux évêques, réunis en synode, de plancher sur la famille. Les travaux se termineront cette année, en octobre. A plusieurs reprises, il a semblé plaider pour une évolution, sur la question, très sensible dans l’institution, des divorcés remariés privés de communion, ou encore sur l’homosexualité — son retentissant « Qui suis-je pour juger ? », qui ne l’a cependant pas empêché de geler, au printemps, la procédure de nomination auprès du Saint-Siège d’un nouvel ambassadeur de France dont l’orientation sexuelle était stigmatisée, notamment par la curie.

En interne, plus d’un l’attend au tournant. Il veut rompre avec le centralisme romain, développer la collégialité, rendre aux conférences épiscopales leur part d’autorité doctrinale, promouvoir l’inculturation de la liturgie… De quoi chahuter l’unité de son Eglise. Or il a déjà 78 ans… Et la curie, un univers qui lui était inconnu, oppose de belles résistances. « Il s’y casse les dents, observe Pierre de Charentenay. La charrue s’est bloquée dans une terre difficile. » Pour la famille, François appelle « un miracle ». Et pour le reste, rien ne dit pour l’instant que ce pape qui dérange réussira.

Jean-Michel Dumay

Source : Le Monde Diplomatique Septembre 2015
Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Vatican, VatiLeaks, rubrique Politique, Politique Internationale, rubrique  Société, Religion

Boualem Sansal : du totalitarisme de Big Brother à l’islamisme radical

 Boualem Sansal


Boualem Sansal Photo DR


Dans son nouveau livre, 2084, La fin du monde, Boualem Sansal imagine l’avènement d’un empire planétaire intégriste. L’auteur redoute la montée en puissance de l’islamisme dans une version «totalitaire et conquérante».

Boualem Sansal est un écrivain algérien censuré dans son pays d’origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place. Son dernier livre 2084, la fin du monde vient de paraître au éditions Gallimard.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

Votre nouveau livre s’intitule 2084 en référence au 1984 de George Orwell. De Jean-Claude Michéa à Laurent Obertone, de Alain Finkielkraut à Christophe Guilluy en passant par un comité de journaliste emmené par Natacha Polony, l’écrivain britannique est partout. En quoi son œuvre fait-elle écho à notre réalité?

Boualem Sansal: L’œuvre de George Orwell fait écho à notre besoin d’éclairer l’avenir, d’indiquer des caps, d’avoir une vision large et longue. Face à l’urgence de la crise, la dictature de l’immédiateté est en train d’écraser toute réflexion profonde et stratégique. Celle-ci se fait notamment dans les universités, mais ces dernières sont coupées du grand public et des acteurs politiques. La littérature est un moyen efficace de porter cette réflexion longue sur la place publique et de mobiliser les opinions. Dans 1984, Orwell avait prédit que le monde serait divisé en trois gigantesques empires Océania, Estasia et Eurasia, qui se feraient la guerre en permanence pour dominer la planète. Aujourd’hui, les Etats-Unis, l’Europe occidentale et la Chine se disputent le pouvoir mondial. Mais un quatrième concurrent décidé et intelligent émerge et progresse de manière spectaculaire. Il s’agit du totalitarisme islamique.

Pour imaginer l’empire intégriste de 2084, vous êtes-vous inspiré de l’actualité en particulier de la progression de l’Etat islamique?

Mon livre dépasse l’actualité et notamment la question de Daech car l’islamisme se répand dans le monde autrement que par la voie de cette organisation qui, comme dans l’évolution des espèces, est une branche condamnée. Cet «État» sème la terreur et le chaos, mais est appelé à disparaître. En revanche, l’islamisme, dans sa version totalitaire et conquérante, s’inscrit dans un processus lent et complexe. Sa montée en puissance passe par la violence, mais pas seulement. Elle se fait également à travers l’enrichissement des pays musulmans, la création d’une finance islamique, l’investissement dans l’enseignement, les médias ou les activités caritatives. L’Abistan est le résultat de cette stratégie de long terme.

L’Abistan, l’empire que vous décrivez, fait beaucoup penser à l’Iran …

L’Abistan est contrôlé par un guide suprême et un appareil qui sont omniprésents, mais invisibles, tandis que le peuple a été ramené à l’état domestique. Entre les deux, une oligarchie qui dirige. Un peu comme en Iran où on ne voit pratiquement pas l’ayatollah Khamenei, guide suprême de la Révolution. L’Iran est un grand pays, qui a planifié un véritable projet politique tandis que Daech est davantage dans l’improvisation et le banditisme. L’État islamique est trop faible intellectuellement pour tenir sur la durée. L’Iran a l’habileté de se servir du terrorisme pour détourner l’attention et obtenir des concessions des pays occidentaux comme l’accord sur le nucléaire qui vient d’être signé avec les Etats-Unis. L’Iran chiite pourrait détruire Daech et ainsi passé pour un sauveur auprès des sunnites majoritaires qui lui feraient allégeance. Selon moi, l’État islamique est une diversion. La Turquie, dernier califat, est aussi dans un processus mental très profond de reconstitution de l’empire Ottoman. Il y aura probablement une compétition entre Ankara et Téhéran pour le leadership du futur empire. Cependant la position géographique de l’Iran est un atout. L’Iran est situé en Asie, entre l’Irak, à l’ouest, et l’Afghanistan et le Pakistan, à l’est. Il a également des frontières communes, au nord, avec l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Ces pays riches en matières premières pourraient être les satellites de l’Abistan à partir desquels il poursuivra son expansion.

Vous écrivez: «La religion peut faire aimer Dieu mais elle fait détester l’homme et haïr l’humanité.» Toutes les religions ont-elles un potentiel totalitaire ou l’islam est-il spécifiquement incompatible avec la démocratie?

Toute religion qui sort de sa vocation de nourrir le dialogue entre l’homme et son créateur et s’aventure dans le champ politique recèle un potentiel totalitaire. Par le passé, l’Église catholique a fait et défait des royaumes, marié les princes et éradiqué des populations entières comme en Amérique du Sud. Dans le cas de la religion catholique, il s’agissait d’une dérive. Contrairement à l’islam qui se situe par essence dans le champ politique. Le prophète Mahomet est un chef d’Etat et un chef de guerre qui a utilisé sa religion à des fins tactiques et politiques. Par ailleurs, les textes eux-mêmes ont une dimension totalitaire puisque la charia (loi islamique), qui se fonde sur les textes sacrés de l’islam que sont le Coran, les hadiths et la Sunna, légifère sur absolument tous les aspects de la vie: les interactions avec les autres, l’héritage, le statut social, celui de la femme, celui des esclaves. Il n’y a rien qui ne soit pas encadré et défini dans le détail y compris la manière dont le croyant doit aller faire pipi! Un robot a plus de degré de liberté qu’un musulman qui appliquerait sa religion radicalement. Malheureusement, l’islam ne laisse théoriquement aucune place à l’interprétation des textes. Au XIIe siècle, il a été décidé que le Coran était la parole incréée de Dieu et qu’aucun humain ne pouvait le discuter. Il s’agissait d’une décision purement politique prise par les califes de l’époque qui voyaient leur légitimité contestée. Le prophète lui-même prônait le débat contradictoire autour des textes. La perte de cette tradition dialectique après le XIIe siècle a coïncidé avec le déclin de civilisation orientale.

Dans Le village de l’Allemand (Gallimard, 2008) vous faites le parallèle entre nazisme et islamisme radical. Quel est le point commun entre ces deux idéologies?

Nazisme et islamisme sont deux totalitarismes fondés sur le culte du chef charismatique, l’idéologie érigée en religion, l’extinction de toute opposition et la militarisation de la société. Historiquement, les frères musulmans, qui sont les premiers théoriciens de l’islamisme, se sont ouvertement inspirés de l’idéologie nazie à travers leur chef de l’époque, le grand mufti de Jérusalem, Haj Mohammad Amin al-Husseini. Celui-ci a noué une alliance avec Hitler et a participé activement à la guerre et à la Shoah en créant notamment des bataillons arabes nazis. Lors de sa rencontre avec le chancelier allemand, le 28 novembre 1941, et dans ses émissions de radio, Hadj Amin al-Husseini affirme que les juifs sont les ennemis communs de l’islam et de l’Allemagne nazie. Depuis cette période, l’extermination des juifs, qui ne figure pas dans le Coran, est devenu un leitmotiv de l’islamisme aggravé par le conflit israélo-palestinien.

Le totalitarisme décrit par Orwell est matérialiste et laïque. Plus encore que l’islamisme, le danger qui guette l’Occident n’est-il pas celui d’un totalitarisme soft du marché, de la technique et des normes qui transformerait petit à petit l’individu libre en un consommateur docile et passif?

Oui, c’est le monde que décrit Orwell dans 1984, très proche de celui que nous connaissons aujourd’hui où les individus sont domestiqués par la consommation, par l’argent, mais aussi par le droit. Ce dernier domine désormais les politiques, mais aussi le bon sens populaire. Le but est de conditionner l’individu. Cependant, ce système fondé sur l’alliance entre Wall Street et les élites technocratiques arrive à épuisement en même temps que les ressources naturelles. Dans cinquante ans, il n’y aura plus de pétrole et le problème de la répartition des richesses sera encore accru. Il faudra mettre en place un système encore plus coercitif. Une dictature planétaire, non plus laïque mais religieuse, pourrait alors de substituer au système actuel qui devient trop compliqué à cause de la raréfaction des ressources.

En quoi l’islamisme se nourrit-il du désert des valeurs occidentales?

Plus que la perte des valeurs, c’est la peur qui mène vers la religion et plus encore vers l’extrémisme. Depuis la naissance de l’humanité, la peur est à la source de tout: des meilleures inventions mais aussi des comportements les plus irrationnels. Face à la peur, des individus éduqués et intelligents perdent tout sens critique. La situation de désarroi dans laquelle se trouve l’Occident tient à la peur: peur du terrorisme, peur de l’immigration, du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources. Devant l’impuissance de la démocratie face à ces crises, la machine s’emballe. Il faut noter que le basculement dans l’islamisme ne touche plus seulement des personnes de culture musulmane. D’anciens laïcs ou d’anciens chrétiens sont de plus en plus nombreux à se convertir puis à se radicaliser.

Existe-t-il un chemin à trouver entre ce que Régis Debray appelle le «progressisme des imbéciles» et l’archaïsme des ayatollahs?

Dans l’histoire, l’humanité a toujours trouvé des solutions à ses problèmes, même ceux qui paraissaient les plus insolubles. Dans certains cas, la peur provoque des éclairs de génie. Hitler semblait avoir gagné la Seconde guerre mondiale, mais la peur que l’hitlérisme se répande partout dans le monde a provoqué un réveil salvateur. C’est l’intelligence qui a vaincu l’hitlérisme. Quand les Américains sont entrés en guerre, ils devaient fournir aux combattants européens armes et ravitaillements. Les cinq-cents premiers navires ont tous été coulés par les sous-marins allemands. L’Europe paraissait fichue et les Américains ont compris que sans celle-ci, ils étaient eux-mêmes morts. Alors, ils ont accéléré la recherche sur la bombe atomique et surtout ils ont inventé la recherche opérationnelle en mathématique qui a permis aux bateaux d’arriver à destination. Dans 1984, le héros d’Orwell, Winston Smith, meurt. Dans 2084, j’ai choisi une fin plus optimiste. J’offre la possibilité à mon héros, Ati, de s’en sortir en échappant à son univers. En traversant la frontière, qu’elle soit réelle ou symbolique, un nouveau champ des possibles s’ouvre à lui.

Dans Le Village de l’Allemand, Malrich, le personnage principal, prophétise: «A ce train, la cité sera bientôt une République islamique parfaitement constituée. Vous devrez alors lui faire la guerre si vous voulez seulement la contenir dans ses frontières actuelles.» La France a-t-elle fait preuve de naïveté à l’égard de l’islam radical?

Tout le monde a fait preuve de naïveté à l’égard de l’islamisme, y compris les pays musulmans. Dans Gouverner au nom d’Allah, je raconte la montée de l’islamisme en Algérie dans les années 80. Les premiers jeunes qui portaient des tenues afghanes nous faisaient sourire. Puis le phénomène a pris une ampleur inimaginable notamment dans les banlieues dans lesquelles nous ne pouvions plus entrer, pas même les policiers ou les militaires. Nous sommes le premier pays au monde à avoir interdit le voile islamique dans les lieux publics en 1991. Celui-ci «poussait» dans tous les sens et était devenu un signe symbolique de reconnaissance. J’ai été auditionné lors du vote de la loi sur le port de signes religieux à l’école en 2004. J’ai apporté aux députés français les coupures de la presse algérienne de 1991. Le débat était le même aux mots près.

Vous avez vécu le traumatisme de la guerre civile en Algérie. Peut-on vraiment comparer la situation de l’Algérie et celle de la France comme vous le faite?Notre héritage historique est totalement différent …

Si l’on regarde de près la situation française, l’islamisme s’est d’abord développé dans des banlieues majoritairement peuplée de musulmans: des «little Algérie» comme il y a un little Italy à New-York. Quand je suis allé dans certaines banlieues françaises pour les besoin de l’écriture du Village de l’Allemand, j’étais en Algérie: les mêmes cafés, les mêmes commerces, les mêmes tissus, la même langue. Dans un contexte de mondialisation et de pression migratoire, les équilibres nationaux sont bouleversés. Il y a un siècle ou deux l’Algérie était un horizon lointain. Aujourd’hui Alger est à deux heures d’avion de Paris. L’Algérie est devenue la banlieue de la France. Enfin, le web et les chaînes satellitaires ont accéléré le processus. Plus besoin de prédicateur pour répandre «la bonne parole», il suffit d’une connexion internet. L’islamisme gagne du terrain à une vitesse spectaculaire.

Source : Le Figaro Vox 04/09/2015

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature, Littérature Arabe,

Est-ce Dieu qui guide cette main?

Retour de Donato Carrisi en librairie le 16 septembre. dr

Retour de Donato Carrisi en librairie le 16 septembre. dr

Les noirs de l’été. Malefico de Donato Carrisi éditions Calmann-lévy.

Malefico ! dans la série thriller mystique, cherchez le père. C’est une invitation dans Rome l’éternelle et les coulisses de l’Etat autonome du Vatican à laquelle nous convie Donato Carrisi dont l’oeuvre connaît un succès international. On retrouve dans Malefico, le héros Marcus du Tribunal des âmes, personnage amnésique attachant en quête de sa propre existence, qui dispose d’un don particulier pour déceler le mal.

« Une fois, un ami m’a dit que pour capturer quelqu’un de mauvais il fallait comprendre comment il peut aimer. »

Employé d’un ministère, mais ignorant l’identité de ses supérieurs, Marcus est un Pénitencier : il appartient à une confrérie secrète et redoutée qui vit dans l’ombre des crimes depuis la nuit des temps et suit à la trace les plus grands criminels de l’histoire. Une sorte de flic du Vatican.

Marcus s’apprête à reprendre ses fonctions, lorsque se déclenche à Rome une psychose généralisée : de jeunes amants sont retrouvés assassinés avec le même modus operandi à chaque fois : l’homme est abattu d’une balle dans la nuque, alors que la femme a été longuement torturée avant sa mise à mort. Sur les scènes de crime, Marcus retrouve Sandra, l’enquêtrice photo pour la police scientifique.

« Vous croyez au diable, agent Vega ?

– Pas vraiment. Je devrais ?  »

Le retour du prodige italien du thriller, nous confirme en somme que le dessein du seigneur reste vraiment impénétrable, et celui de l’Eglise demeure d’alimenter la foi dans le coeur des hommes. On s’en doutait un peu, mais il n’est pas déplaisant de se perdre dans les méandres gothiques obscurs de Donato Carrisi. Il affirme que son livre se fonde sur des faits réels. Les archives des péchés seraient selon ses dires conservés au Vatican. Et la confrérie des Pénitenciers toujours prête à filer un coup de main entre la lumière et les ténèbres…

JMDH

Malefico éditions Calmann-lèvy  21,90 euros.

Source : La Marseillaise 27/08/2015

Voir aussi : Rubrique LivreRoman noir,

 

WikiLeaks. Comment l’Arabie Saoudite promeut l’islamisme à l’échelle planétaire

For Courrier InternationalThe New York Times a trié et vérifié 60 000 câbles diplomatiques saoudiens révélés par WikiLeaks. Conclusion : le royaume wahhabite a mis en place un redoutable système de prosélytisme à échelle planétaire pour faire la promotion d’un islamisme rigoriste.

Depuis des dizaines d’années, l’Arabie Saoudite injecte “des milliards de pétrodollars dans des organisations islamiques à travers le monde, pratiquant une diplomatie du chéquier”, révèle le journal américain New York Times.

Pour arriver à cette conclusion, le journal a trié et analysé 60 000 documents diplomatiques saoudiens dont les fuites ont été orchestrées par le site WikiLeaks. Le SaoudiLeaks ne fait que commencer. D’autres informations pourraient être bientôt révélées : WikiLeaks a révélé que quelque 400 000 autres documents étaient en attente de publication.

On sait que l’une des priorités de Riyad est de répandre une vision rigoriste de l’islam sunnite. Ce que l’on sait moins, c’est que l’Arabie Saoudite investit également énormément d’argent pour combattre son principal ennemi : l’Iran chiite.

“[Les Saoudiens] craignaient que la levée des sanctions internationales contre l’Iran après la signature de l’accord nucléaire [le 16 juillet] donne davantage de moyens à Téhéran pour soutenir des groupes [chiites et pro-iraniens]. Mais les documents révèlent une compétition qui va bien au-delà, avec de profondes racines idéologico-religieuses”, écrit le quotidien américain.

Un soft power efficace

C’est tout un système d’influence que les autorités saoudiennes ont mis en place et financé par l’argent des pétrodollars, montre l’enquête du quotidien américain. Riyad a notamment accordé des moyens financiers à des prédicateurs à l’étranger, construit des mosquées, des écoles, des centres et soutenu des campagnes pour “contrer des responsables et des médias à l’étranger qui étaient susceptibles de s’opposer à l’agenda du Royaume”.

“Dans la seule région du Kerala [en Inde], les Saoudiens ont donné 4,5 millions de riyals [1,1 million d’euros] à différents organismes”, rapporte par exemple le site India TV en réaction aux informations révélées par Wikileaks.

De même, le quotidien de Toronto The Globe and Mail a relevé un “don de 211 000 dollars canadiens [150 000 euros] à une école d’Ottawa et un autre de 134 000 dollars [96 000 euros] à une école de Mississauga” gérée par la Muslim Association of Canada, qui gère également des mosquées et d’autres écoles.

Si les sommes peuvent paraître relativement modestes pour chacun des cas pris isolément, elles deviennent énormes une fois additionnées les unes aux autres. Tout le mérite du New York Times est précisément d’avoir fait cette addition. “Il s’agit de milliers et de milliers d’organisations militantes et religieuses (…) directement ou indirectement financées par eux”, explique Usama Hasan, chercheur en études islamiques à la fondation Quilliam à Londres, cité par le journal.

L’organisation mise en place consistait globalement à identifier les personnalités et les associations étrangères à aider ou financer. “Le ministère des Affaires étrangères transmettait les demandes de financement à des officiels de Riyad, parfois les services de renseignements donnaient leur accord après examen des bénéficiaires potentiels et la Ligue islamique mondiale contribuait à avoir une stratégie coordonnée, tandis que les diplomates saoudiens supervisaient le projet à travers le monde”, explique encore le New York Times.

Les pays concernés ne sont pas seulement ceux du Moyen-Orient où la lutte fait rage entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour l’influence régionale, mais aussi les pays africains, notamment le Mali, où des acteurs locaux ont fait référence à la “menace du chiisme iranien” pour appuyer leurs demandes de fonds auprès des Saoudiens. “La peur de l’influence chiite allait jusqu’à englober des pays dotés de minorités musulmanes aussi réduites qu’en Chine. Aux Philippines, où seulement 5 % de la population est musulmane, des documents présentent également des propositions pour ‘restreindre l’influence iranienne’.”

Source : Le Courrier International 17/07/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Arabie Saoudite, Politique, Politique Internationale, Société, Religion,