Etat d’urgence dans la Constitution : « Une opération d’enfumage absolument incroyable ! »

Image: Le hollandais volant

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Difficile de s’y retrouver dans l’enchaînement des décisions et annonces autour de l’état d’urgence. Et difficile aussi d’en prendre la mesure, du point de vue du droit et des conséquences sur nos vies. Le point avec Bastien François, prof de sciences politiques et juriste.

Pour les fêtes de fin d’année, attendez-vous à une révision de la Constitution. Annoncé devant le Congrès par François Hollande, présenté le 1er décembre au Conseil d’Etat, le texte est pressenti au menu du Conseil des ministres du 23 décembre.

Très courte, cette modification permettrait d’intégrer l’état d’urgence et la déchéance de nationalité dans le texte fondateur du droit français. Elle prévoirait, en outre, un régime transitoire au sortir de l’état d’urgence, afin de revenir progressivement à la normale. Régime qui devrait être défini par deux nouvelles lois

Dans cette tempête normative et législative, nous avons demandé à Bastien François, professeur de sciences politiques, auteur de nombreux ouvrages sur la VIe République, et par ailleurs conseiller régional Europe écologie-Les Verts en Ile-de-France, de nous éclairer.

Et à l’en croire, l’enjeu n’est pas la révision constitutionnelle en elle-même, qui s’apparente, en l’état, à une « opération d’enfumage ». Mais bien l’instauration d’un état d’urgence quasi-permanent qui forme, avec les autres dispositif déjà votés, un ensemble répressif conséquent.

Rue89 : Que vous inspirent les récentes décisions de François Hollande et du Parlement sur l’état d’urgence et la révision de la Constitution ?

Bastien François, en février 2010 à Paris – JACQUES DEMARTHON/AFP

Bastien François  : Sur la décision elle-même d’engager l’état d’urgence, je n’ai pas de commentaire particulier. Je pense que c’était adapté à la situation.

Sur la prolongation de l’état d’urgence, je regrette un peu que cela soit trois mois. On aurait pu imaginer un mois renouvelable avec un vote du Parlement –-ça aurait peut-être été plus sain.

Sur la modification de la loi de 1955 sur l’état d’urgence en revanche, je suis beaucoup plus dubitatif. Il y a des choses positives, comme le contrôle du juge administratif. Mais il y a des choses plutôt négatives, qui empêchent d’ailleurs en grande partie le contrôle du juge. Par exemple, les conditions qui permettent de placer quelqu’un en résidence surveillée : se fonder sur les comportements plutôt que sur les actes, ça ouvre la porte à beaucoup de choses… Et ça rend difficile, ensuite, le contrôle du juge.

Donc, je pense que cette réforme de la loi de 1955 y va un petit peu fort dans les atteintes possibles aux droits fondamentaux. Et j’ajoute, quand on regarde ce que rapporte la presse sur l’usage de ces pouvoirs exceptionnels par les forces de police et administrative, qu’on constate un certain débordement. Le filet de pêche de la police est extrêmement large. Sans doute trop large.

Il y a d’autre mesures qui vous laissent dubitatif dans la loi de 1955 ?

L’essentiel, c’est quand même la résidence surveillée. Sur le reste, grosso modo, ça ne change pas énormément et reste sous le contrôle du juge.

Le plus ennuyeux, ce sont les mesures privatives de liberté, que je trouve là extrêmement larges. Sinon, dans la loi de 1955, on pouvait déjà interdire les manifestations, réduire la circulation des individus, etc.

Ce qui change en revanche, c’est que cette modification s’articule avec d’autres lois déjà votées, en particulier la loi sur le renseignement. Ça fait un ensemble très répressif au final. Mais la modification en elle-même de la loi ne nous fait pas rentrer dans un état policier : il serait très exagéré de dire cela.

Par ailleurs, il y a peut-être un risque d’inconstitutionnalité pour cette loi : le Premier ministre le disait lui-même ! Cela veut dire qu’il y a une certaine fragilité dans cette loi du point de vue des droits fondamentaux des individus.

On dit que c’est précisément ce risque d’inconstitutionnalité qui a motivé le Président à intégrer l’état d’urgence dans la Constitution…

C’est totalement faux ! Le fait d’inscrire le principe de l’état d’urgence dans la Constitution ne constitutionnalise pas la loi de 1955 !

Dans le projet du gouvernement transmis au Conseil d’Etat, il est simplement indiqué qu’il y a la possibilité d’un état d’urgence, mis en œuvre par un décret du président de la République et qu’au bout de douze jours, il faut une autorisation du Parlement pour continuer.

Ce n’est pas du tout un régime juridique mais la définition d’une compétence qui appartient au Pprésident. Ça sécurise un principe (l’existence d’un régime d’exception qui s’appelle « état d’urgence »), ça sécurise des compétences du Président et du Parlement, mais ça ne sécurise pas la loi de 1955. Ça ne lui enlève pas sa fragilité et n’empêche pas, après la révision de la Constitution, qu’il y ait une QPC [question prioritaire de constitutionnalité : quand un citoyen, engagé dans une action juridique, demande au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité d’une loi avec les principes de la Constitution, ndlr] contre la loi de 1955 et ses applications. Et que des éléments de cette loi soient contestés, y compris devant des juridictions européennes.

Une QPC a d’ailleurs été déposée il y a quelques jours, dans le cadre d’un recours qui a suivi une assignation à résidence. On verra donc ce qu’en dira le Conseil constitutionnel.

Mais l’argument de l’inscription dans la Constitution, c’est vraiment du bluff.

Il n’y a donc aucun argument en faveur de cette inscription dans la constitution ?

Si, il en existe de très bons. Par exemple, celui de Pierre Rosanvallon qui consiste à imaginer une inscription de l’état d’urgence dans la Constitution pour éviter les débordements.

Je suis d’accord avec ça. Mais le texte actuel n’encadre rien ! On pourrait très bien dire, je ne sais pas, que le Parlement peut prolonger la situation d’un mois, avant de devoir revoter. Qu’au bout de deux mois, par exemple, le juge judiciaire remplace l’autorité administrative dans le suivi des opérations. Que le Conseil constitutionnel rende un rapport tous les mois pour attester que les circonstances qui ont justifié la mise en place de l’état d’urgence sont toujours remplies. On pourrait imaginer plein de garde-fous. Là, il n’y en a pas du tout. Ce n’est visiblement pas l’objectif.

Qu’est-ce qui change alors ?

Ce qui change, c’est qu’on rajoute la possibilité d’un régime particulier dans les six mois qui suivent l’état d’urgence.

On ne sait pas très bien ce qu’il y aura dans ce régime transitoire ; d’après les informations du Monde, il y a un système d’écoutes généralisées, la possibilité de mettre des micros, de suivre les gens par GPS, d’aspirer les communications téléphoniques dans une zone [avec les Imsi-catchers, ndlr]… Donc ça va très loin.

Et comme il n’y a pas de durée prévue pour l’état d’urgence, cela veut dire que le Parlement peut le voter pour trois mois, six mois, un an… mais aussi peut revoter l’état d’urgence ! Donc on peut avoir un état d’urgence quasi permanent avec en plus, une période transitoire de sortie. C’est ça, le vrai changement et l’enjeu dans la réforme constitutionnelle ! Et non de constitutionnaliser.

Le Conseil constitutionnel avait déjà remarqué en 1985 que la Constitution n’avait pas aboli la loi de 1955 ; le Conseil d’Etat a été saisi plusieurs fois sur la question de l’état d’urgence… Franchement, c’est un problème de juriste, ça. Parce que les juristes aiment bien que les choses soient bien ordonnées et cohérentes. Quand vous avez une loi qui déroge au droit commun, ce qui est le cas ici, le juriste préfère qu’il y ait une norme supérieure qui autorise cette dérogation. Ce sera le cas ici.

Mais le contenu lui-même de cette dérogation – comment on fait des perquisitions, les conditions pour mettre quelqu’un en résidence surveillée, la durée des gardes à vue, à quel moment intervient le juge… – ça, ce n’est pas inscrit dans la Constitution, mais dans la loi. Et cette loi, dans tous les cas, elle peut être contestée parce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’aller et venir, à la vie privée…

Pourquoi alors introduire cet état d’urgence dans la Constitution ?

Je ne comprends pas très bien. Je ne vois pas pourquoi ils ont besoin de mettre ce régime dérogatoire dans la Constitution : il suffirait de le mettre dans la loi !

Je ne vois pas l’intérêt ; je pense que tout ça, c’est très largement de la communication. Il n’y a aucune urgence à modifier les dispositions sur l’urgence. La preuve : on est bien en état d’urgence, là et il n’y a aucun obstacle constitutionnel.

Donc quand le gouvernement dit que cette démarche est protectrice des libertés, parce qu’elle grave dans le marbre l’état d’urgence, qui pourrait ainsi ne plus être changé – notamment si le Front national arrive au pouvoir –, c’est faux ! C’est stupide !  Ils pourront toujours modifier la loi !

Ce n’est donc selon moi pas un enjeu, mais quelque chose de très électoral, dans le contexte des régionales.

C’est quand même une opération d’enfumage absolument incroyable !

Certains observateurs affirment aussi que cette révision constitutionnelle pourrait poser problème si elle ne respecte pas les traités internationaux auxquels la France est associée. C’est aussi de l’enfumage ?

Pour la partie état d’urgence, stricto sensu, il n’y a pas de souci. Encore une fois, éventuellement, la loi qui applique cet état d’urgence peut faire l’objet d’une QPC, ou d’une action devant la Cour européenne des droits de l’homme voire la Cour de justice de l’Union européenne.

La question va surtout se poser sur la déchéance de nationalité. Sur ce point, je ne ferai pas trop de commentaires car je n’ai pas l’impression que cette mesure est faite afin d’être adoptée à la fin… J’attends donc de voir l’avis consultatif du Conseil d’Etat.

Par ailleurs, franchement, autant je vois sur l’état d’urgence une majorité possible, autant sur le droit de la nationalité, je ne la vois pas.

En plus, n’importe quelle personne un peu censée voit que les terroristes s’en foutent. Enfin, comme l’a rappelé le spécialiste français de la nationalité qui est Patrick Weil, dans une tribune dans Le Monde, cette possibilité existe déjà dans le code civil !

Là encore, on ne voit pas l’intérêt de le mettre dans la Constitution. Juridiquement, c’est inutile et politiquement, c’est très maladroit. Parce qu’il n’y a rien dans la Constitution, aujourd’hui, sur la nationalité ! Tout d’un coup, on ferait apparaître quelque chose qui permettrait d’enlever la nationalité alors qu’il n’y a rien dessus ? C’est un peu bizarre : une Constitution c’est fait pour rassembler un peuple.

Quand on doit toucher à quelque chose d’aussi dangereux qu’un état d’exception, il ne vaut mieux pas le faire sous le coup de l’émotion. Ce n’est pas n’importe quoi, une Constitution. Il faut manier cela avec des pincettes.

Le Parlement, et en particulier l’Assemblée nationale, ont mis en place un contrôle de l’état d’urgence inédit : la commission des Lois s’est exceptionnellement arrogée les pouvoirs d’une commission d’enquête parlementaire. Votre avis ?

Je n’ai pas eu le temps de regarder le fondement juridique du dispositif en détail. Ce qui est certain, c’est qu’il a été ajouté par un amendement de Jean-Jacques Urvoas [président de la commission des Lois, ndlr] dans la révision de la loi sur l’état d’urgence.

Un dispositif de type commission d’enquête, c’est quelque chose d’assez lourd, pas forcément adapté à la situation. Et par ailleurs, c’est un choix assez politique. Là, c’est un processus presque de suivi en direct d’informations, qui me semble plutôt malin, en plus d’être assez neutre, politiquement.

En même temps, c’est une espèce de pis-aller : c’est de la compilation d’informations. Ce n’est pas du tout la même chose que l’intervention d’un juge pour contrôler la légalité de ce qu’il s’est passé.

Là, l’information dont va disposer la commission est plutôt de type quantitatif : combien d’interpellations ? De perquisitions ?

Jean-Jacques Urvoas déclare qu’il veut dépasser ce côté quantitatif, en obtenant des détails sur ces informations chiffrées…

Je ne mets pas en doute la sincérité et l’intelligence du dispositif de Jean-Jacques Urvoas, qui a fait partie de ceux, selon moi, qui ont été très attentifs aux risques de la situation actuelle.

Il a fait comme d’habitude : il a appelé beaucoup d’universitaires – en étant lui-même un – et a recueilli beaucoup de conseils. C’est très rare pour un parlementaire. Il a une vraie démarche pro-active, ce qui est bien.

C’est bien aussi que le Parlement contrôle, je pense qu’il faut le dire. En particulier, aussi, pour l’avenir : pour avoir une base sur laquelle se prononcer s’il faut prolonger l’état d’urgence.

Mais ça ne remplacera jamais le contrôle des dérapages possibles de la police et des autorités administratives par le juge. Et le contrôle du juge administratif a posteriori ne sera lui jamais de la même nature que le contrôle a priori du juge judiciaire. Ça ne remplace pas le rôle du juge en tant que défenseur des libertés.

Par ailleurs, l’information viendra de sources policières. Certes, dans le dispositif, le Défenseur des droits et des associations sont mobilisés mais, à la base, le contrôle de l’information est administratif et policier. Donc il y a des limites.

Quand Jean-Jacques Urvoas dit que la commission pourra se servir des prérogatives particulières d’une commission d’enquête, ça veut dire quoi ? Il pourra se rendre sur le lieu des perquisitions ?

A priori, les parlementaires ont le droit, dans ce cadre précis, d’enquêter « sur place et sur pièces », comme on dit dans le vocabulaire juridique. Ils peuvent se faire remettre l’ensemble des pièces, sauf celles couvertes par le secret-défense – encore que certains parlementaires sont habilités.

C’est donc des pouvoirs d’investigation très larges que les parlementaires utilisent rarement, dans la limite où une information judiciaire n’a pas été ouverte sur le sujet. Sinon, il y a atteinte à la séparation des pouvoirs.

Donc en théorie, Jean-Jacques Urvoas ou l’un des membres de la commission pourront se rendre dans une préfecture, dans un commissariat, assister à une garde à vue. Après, de là à ce qu’il le fasse, c’est autre chose…

C’est toute la question : ce contrôle sera-t-il effectif ?

En effet, car il faut être informé en temps réel : s’il y a une perquisition à Chambéry, ils ne vont pas prendre un train pour y aller… Il y a aussi la réalité du travail policier.

Andréa Fradin Journaliste.

Source Rue 89 

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Société, Petit guide de survie en état d’urgence, rubrique Politique, La France dérogera à la convention européenne des Droits de l’Homme, rubrique Economie, Du pacte budgétaire au pacte sécuritaire, On Line, Le Recensement,

La résistible dérive oligarchique

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A quoi servent les formations politiques ?

Plus d’un siècle s’est écoulé depuis la publication de l’essai classique de Robert Michels, « Les Partis politiques ». Mais la question qu’il soulevait conserve son actualité : nos sociétés démocratiques seraient-elles condamnées à la domination des élus sur les électeurs ?

Dès le début de son essai Les Partis politiques (1), Robert Michels écarte à la fois l’hypothèse d’un gouvernement direct du peuple et tout projet reposant sur les capacités de mobilisation spontanée des masses. Dans les pays modernes, le peuple participe à la vie publique par le biais d’institutions représentatives. Et la classe ouvrière, si elle veut défendre ses intérêts, doit s’organiser par le biais de partis et de syndicats. Paradoxe : bien que l’organisation constitue une nécessité, elle divise néanmoins « tout parti ou tout syndicat professionnel en une minorité dirigeante et une majorité dirigée ». En d’autres termes, « qui dit organisation dit tendance à l’oligarchie ». Tel est le problème qui constitue le fil conducteur de l’ouvrage et dont l’auteur tente de comprendre tant les causes que les conséquences.

L’analyse proposée a pour particularité d’être directement nourrie par l’expérience et les observations de Michels. Né à Cologne en 1876 dans un milieu favorisé, il s’est très tôt engagé au sein du puissant Parti social-démocrate allemand, le SPD, avant de mener une carrière d’écrivain politique et d’universitaire en Suisse, puis en Italie. Jeune intellectuel cosmopolite, il a fréquenté les milieux socialistes de Belgique et de France, et cette connaissance du mouvement ouvrier européen imprègne tout son propos.

Le regard se veut sans jugement moral ni pathos : Michels n’ignore pas que le fonctionnement quasi militaire des organisations ouvrières résulte de la nécessité impérieuse de constituer des structures de combat à même d’affronter la répression féroce de la bourgeoisie. Toutefois, observe-t-il, lorsqu’elles se développent et s’insèrent davantage dans la société, à l’exemple du SPD, leurs méthodes autoritaires ne disparaissent pas.

L’explication première avancée par l’auteur renvoie à la spécialisation des tâches induite par la division du travail : plus l’organisation s’étend, plus son administration s’avère complexe, et moins le contrôle démocratique est à même de s’exercer véritablement. Le travail de mobilisation politique, et partant le fonctionnement quotidien, requiert un personnel dévoué à l’exercice des activités administratives ou de direction. Inévitablement, ce personnel manifeste des connaissances spécifiques (en droit ou en économie, par exemple) et un savoir-faire (concevoir des discours, rédiger des textes…) que tout un chacun ne possède pas spontanément. D’où le rôle essentiel joué par les intellectuels au sein des mouvements ouvriers : « Seul le socialiste d’origine bourgeoise possède ce qui manque encore totalement au prolétariat : le temps et les moyens de faire son éducation politique, la liberté physique de se transporter d’un endroit à un autre et l’indépendance matérielle sans laquelle l’exercice d’une action politique au sens vrai et propre du mot est inconcevable. »

Michels teinte son analyse de considérations psychologiques sur le besoin des masses d’être guidées par des chefs ou sur la propension des représentants à considérer leur mandat comme une charge à vie. Mais le substrat de son analyse relève d’abord de la sociologie. Les conceptions et les goûts politiques des individus sont déterminés par leurs origines sociales et leurs conditions de vie. Le journaliste, même dévoué au prolétariat, n’a pas la même expérience du monde que l’ouvrier métallurgiste.

Certes, le prolétariat a besoin de transfuges de la bourgeoisie ; mais il a tout autant besoin de former et de promouvoir à la direction des partis qui le représentent des éléments issus de la classe ouvrière (lire « Comment un appareil s’éloigne de sa base »). Même d’extraction populaire, cependant, les cadres des partis peuvent s’éloigner du monde du travail et des préoccupations de la base des adhérents. Lorsqu’il décrit une bureaucratie encline à adopter un mode de vie petit-bourgeois et à défendre des positions trop timorées à son goût, Michels songe directement au SPD.

Pour ces bureaucrates qui doivent tout à l’organisation, le parti cesse d’être un moyen pour devenir une fin en soi. Toute la stratégie se trouve alors soumise à la conquête de trophées électoraux et de postes de pouvoir au sein des institutions établies. La critique de Michels est sans ambages : « A mesure qu’augmente son besoin de tranquillité, ses griffes révolutionnaires s’atrophient, il devient un parti bravement conservateur qui continue (l’effet survivant à la cause) à se servir de sa terminologie révolutionnaire, mais qui dans la pratique ne remplit pas d’autre fonction que celle d’un parti d’opposition. » D’un côté, les chefs en appellent chaque jour à la révolution ; de l’autre, leur tactique politique orchestre routine et compromis.

A la fin de l’ouvrage, Michels généralise son propos et le teinte d’une note plus pessimiste. Influencé par des auteurs conservateurs comme Gaetano Mosca (2), il énonce une « loi d’airain de l’oligarchie » rendant inévitable la domination des élus sur les électeurs, des délégués sur les mandants, de l’élite sur la masse. « Le gouvernement, ou si l’on préfère l’Etat, ne saurait être autre chose que l’organisation d’une minorité » qui impose au reste de la société un ordre correspondant à ses intérêts. Tandis que les groupes dirigeants s’affrontent entre eux pour l’exercice de l’autorité, les classes populaires demeurent spectatrices de cet affrontement, appelées seulement à trancher épisodiquement, par les urnes ou par la rue, cette lutte pour l’accession au pouvoir.

Une telle vision, qui paraît condamner tout projet émancipateur, se prête aisément à des lectures conservatrices. L’économiste américain Albert Hirschman cite d’ailleurs l’ouvrage pour décrire le versant réactionnaire d’une rhétorique affirmant la vacuité de toute action visant à changer le monde — ce qu’il appelle l’« effet d’inanité (3) ». D’autres n’ont pas manqué de remarquer que Michels, décédé en 1936, proposait une analyse quasi prophétique du fonctionnement des partis communistes et des démocraties populaires constituées dans le giron de l’Union soviétique. L’homme peut aussi aisément être perçu comme un simple déçu de la démocratie parlementaire — en 1924, Michels adhéra au régime fasciste de Benito Mussolini.

Cependant, à l’époque de la rédaction de l’ouvrage — avant la première guerre mondiale —, il est encore proche du syndicalisme révolutionnaire, qui entend remédier à l’attentisme des partis politiques et revitaliser le socialisme plutôt que le condamner. Cette sensibilité critique anime sa réflexion.

Michels précise clairement qu’il serait erroné de conclure qu’il faudrait renoncer à limiter les tendances autoritaires des organisations. S’il a écrit son essai avec « l’intention de démolir quelques-unes des faciles et superficielles illusions démocratiques », c’est pour mieux aborder cette question de front. Contrairement, selon lui, aux dirigeants des partis ou des syndicats ouvriers qui traitent l’autoritarisme bureaucratique à la manière d’un « léger atavisme » dont ils prétendent pouvoir se débarrasser une fois parvenus au pouvoir.

S’il n’existe pas de solution toute faite à ce problème, l’histoire du mouvement ouvrier est riche des combats menés pour impliquer les classes populaires et contester la centralisation de l’autorité politique. Michels croit ainsi à l’éducation politique, qui permet de « fortifier chez l’individu l’aptitude intellectuelle à la critique et au contrôle ».

Antoine Schwartz

Coauteur avec François Denord de L’Europe sociale n’aura pas lieu, Raisons d’agir, Paris, 2009.

(1) Robert Michels, Zur Soziologie des Parteiwesens in der modernen Demokratie. Untersuchungen über die oligarchischen Tendenzen des Gruppenlebens, éd. Werner Klinkhardt, Leipzig, 1911. Traduction française : Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Flammarion, Paris, 1914.

(2) Politiste italien (1858-1941), considéré comme le « père » de la théorie élitiste selon laquelle le pouvoir est toujours exercé par une minorité organisée (y compris au sein des démocraties).

(3) Albert Hirschman, Deux Siècles de rhétorique réactionnaire, Fayard, Paris, 1991.

Source : Le Monde diplomatique Janvier 2015

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État d’urgence : La France dérogera à la convention européenne des Droits de l’Homme

arton33192-d8f50La France a informé le Conseil de l’Europe « de sa décision de déroger à la convention européenne des droits de l’homme », du fait de l’adoption de l’état d’urgence après les attentats de Paris, a annoncé l’organisation paneuropéenne dans un communiqué.

Les autorités françaises ont informé le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, « d’un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence instauré à la suite des attentats terroristes de grande ampleur perpétrés à Paris ». Ces mesures « sont susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la convention européenne des droits de l’homme ».

Le gouvernement n’a pas précisé quels droits pourraient ne pas être respectés.

Certains droits ne peuvent tolérer de dérogation, a prévenu le Conseil de l’Europe, notamment le droit à la vie et l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ainsi que l’interdiction de l’esclavage et le principe affirmé à l’article 7, pas de peine sans loi.

Une telle dérogation à la convention européenne des Droits de l’Homme est rendue possible par l’article 15 de cette dernière, selon lequel en « cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation », un État signataire « peut prendre des mesures dérogeant aux obligations » de la convention, sous réserve d’en informer le Conseil de l’Europe.

Il ne revient pas pour l’instant à l’organisation paneuropéenne de se prononcer sur le bien-fondé de cette démarche de la part de la France. En revanche, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), garante de la convention, pourra se prononcer sur la validité de cette dérogation, lorsqu’elle sera saisie de requêtes précises, alléguant d’éventuelles atteintes, par la France, aux droits fondamentaux.

Source AFP 27/11/2015

Voir aussi :Actualité Nationale , Rubrique UE, rubrique Société, Justice, rubrique Politique, Société civile, rubrique Société, Citoyenneté,

Un manifeste pour que la « génération de la crise » ne soit pas « celle de la guerre »

4821684_6_0282_des-jeunes-gens-chantent-le-15-novembre-2015_c9a4929f521ad884f354c34f4a1045e0« La génération de la crise ne sera pas celle de la guerre ! » : dans un manifeste lancé mardi 1er décembre, douze organisations de jeunes appellent à une autre réponse aux attentats du 13 novembre. Refusant un « état d’urgence permanent » et la rhétorique guerrière, ils entendent « renforcer la démocratie » pour lutter contre le fanatisme et la violence.

 

« L’Etat de droit n’est pas désarmé face au terrorisme. Il est indispensable de revoir les moyens humains et les missions des services de renseignement, de police et de justice. Mais ces mesures ne nécessitent en aucune façon de remettre en cause les libertés individuelles et collectives. Elles doivent s’accompagner, au contraire, de plus de libertés, de démocratie et de solidarité. Pour lutter contre le terrorisme, la responsabilité de notre génération est de construire la paix et la justice en France et partout dans le monde », font valoir les signataires.

Inquiets des risques de dérapage

Bien que d’horizons divers, ceux-ci sont tous marqués à gauche : le syndicat étudiant UNEF, l’organisation lycéenne UNL, les Jeunes CGT, des associations comme la Maison des potes, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), le DIDF-jeunes (travailleurs jeunes issus de l’immigration turque et kurde), tout comme les jeunes radicaux de gauche (JRG), les jeunes écologistes, communistes (JC), le Parti de gauche ou le mouvement Ensemble.

Réunis mardi dans un café parisien, les représentants de ces mouvements s’inquiètent de la révision programmée de la Constitution, des risques de dérapages liés à la surcharge d’activité policière alors que les moyens manquent, et de l’usage non contrôlé des procédures dérogatoires que permet l’état d’urgence. Et de citer la mise en garde à vue, dimanche, de manifestants pacifiques ayant participé à la chaîne humaine place de la République pour le climat, alors qu’ils « ne feraient pas de mal à une mouche ».

« Peur de la paranoïa ambiante »

« Nous réfutons l’alternative fermée : soit une société sécuritaire et du repli sur soi, soit le terrorisme », martèle le président de l’UNEF, William Martinet, qui a dénoncé dans une récente tribune la logique de la « guerre contre le terrorisme ». « Beaucoup de jeunes sont morts dans ces attentats, mais les politiques n’écoutent pas la jeunesse. Nous proposons un pacte de cohésion sociale, fondé sur nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité », poursuit le président du premier syndicat étudiant : ne pas seulement investir dans la sécurité, mais aussi dans les services publics éducatifs, et dans la politique de l’emploi ; lutter contre les discriminations, notamment par l’instauration du « récépissé de contrôle d’identité », évitant la répétition stigmatisante de ces demandes policières.

« Les jeunes n’ont pas peur du prochain attentat, mais de la paranoïa ambiante, des jugements dans la société. Il faut mener le débat avec eux pour comprendre et agir, et trouver des réponses ensemble », soutient Samya Mokhtar, présidente de l’UNL.

Leur texte met aussi en garde contre une politique étrangère qui reproduirait « les interventions militaires américaines désastreuses de l’après-11-Septembre ». « Nous défendons la diplomatie et non pas les bombardements aléatoires : une action de la communauté internationale et une coalition avec tous ceux qui peuvent agir en faveur d’une solution politique et de reconstruction avec les peuples concernés », précise Nordine Idir, secrétaire général des Jeunesses communistes.

Adrien de Tricornot

Source : Le Monde.fr  01/12/2015

Voir aussi : Actualité France, Rubrique SociétéMouvement sociaux, Jeunesse, rubrique Politique, La France dérogera à la convention européenne des Droits de l’Homme, rubrique Education,

Petit guide de survie en état d’urgence

Descente de police et de gendarmerie au Pré-Saint-Gervais (93), le 27 novembre 2015, dans un squat où était soupçonnée la présence de personnes pouvant « perturber l’ordre public » pendant la COP21 - AFP Photo  Laurent Emmanuel

Descente de police et de gendarmerie au Pré-Saint-Gervais (93), le 27 novembre 2015, dans un squat où était soupçonnée la présence de personnes pouvant « perturber l’ordre public » pendant la COP21 – AFP Photo Laurent Emmanuel

Depuis les attaques de Paris, la France est en état d’urgence. Plusieurs médias se sont fait l’écho de bavures liées à ce régime particulier, dont beaucoup craignent qu’il ne soit attentatoire aux libertés. Nous vous proposons ici un petit guide pratique de l’état d’urgence pour savoir quoi faire en cas de problème.

L’essentiel de ce qui suit a été développé par l’avocat pénaliste Emmanuel Daoud, du cabinet Vigo, dont vous pouvez retrouver les analyses sur le blog qu’il tient sur Rue89  « Oh my code ! ». Nous y avons ajouté quelques exemples tirés de l’actualité récente.

En quoi puis-je être concerné(e) par l’état d’urgence ?

Tous les citoyens français comme les étrangers peuvent être concernés et sur tout le territoire français (y compris, depuis le 18 novembre, les départements et collectivités d’outre-mer). La loi du 20 novembre 2015 a prolongé l’état d’urgence pendant trois mois jusqu’au 26 février. On parle beaucoup des perquisitions administratives et des assignations à résidence, mais ce ne sont pas les seules dispositions de l’état d’urgence.

Puisque manifestement, l’état d’urgence ne concerne pas seulement les personnes soupçonnées de terrorisme, quelques choses à savoir sur les perquisitions administratives, les assignations à résidence et autres mesures qui font désormais partie de notre quotidien.

Le gouvernement a décidé – semble-t-il – de ne pas cantonner l’état d’urgence à la lutte contre le terrorisme puisque des militants écologistes ont été assignés à résidence et des perquisitions opérées dans la perspective de la COP21.

Ainsi, le site Bastamag rapporte qu’une perquisition a été menée chez des maraîchers bios, qui avaient participé à une action contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres, recensés par La Quadrature du Net.

Comment se déroule une perquisition administrative ?

Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions à domicile « de jour et de nuit ». Pour les forces de l’ordre, l’intérêt de cette procédure administrative est qu’elle permet de se passer de juges : la police et la gendarmerie peuvent ainsi intervenir sans mandat de l’autorité judiciaire (le procureur de la République compétent doit être simplement informé mais ne doit pas délivrer d’autorisation a priori).

Celà dit, elles ne peuvent pas cibler les lieux où travaillent parlementaires, avocats, magistrats ou journalistes. Leur domicile, en revanche, n’est pas exclu du dispositif.

Les forces de l’ordre accompagnées d’équipes techniques peuvent visiter notre domicile à la recherche de tous éléments susceptibles d’intéresser les autorités judiciaires aux fins de constatation d’une infraction. Avec la nouvelle loi sur l’état d’urgence, elles peuvent désormais saisir, en plus, tout équipement informatique – mais pas obliger à donner son mot de passe.

C’est l’officier de police judiciaire obligatoirement présent qui dresse le procès verbal d’infractions éventuelles et le transmet sans délai au procureur de la république compétent pour engager le cas échéant des poursuites pénales.

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Quels sont mes droits ?

A l’issue de la perquisition, un procès-verbal doit être dressé et signé par l’occupant des lieux et s’il est absent par deux témoins requis à cet effet. Vous pouvez réclamer aux forces de l’ordre la décision du préfet autorisant la perquisition aux termes de laquelle sont énoncées les raisons de la perquisition, mais il y a de bonnes chances que vous tombiez sur la phrase type :

« Il existe des raisons sérieuses de penser que se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités à caractère terroriste. »

 

Puis-je me faire indemniser en cas de dégâts ?

En cas de dégradations, l’occupant ou propriétaire des lieux peut demander la condamnation de l’Etat à la réparation de son préjudice devant le tribunal administratif selon la procédure de droit commun ; il devra attendre deux à trois ans pour obtenir un jugement.

Si l’exécution de la mesure a eu des conséquences manifestement disproportionnées et si celle-ci est manifestement abusive, des dommages-intérêts seront alloués.

Comment se déroule une assignation à résidence ?

Sans procès, sans examen préalable du juge, le ministre de l’Intérieur peut interdire à un individu de quitter son domicile ou bien le forcer à demeurer en un autre lieu au motif qu’il serait dangereux pour l’ordre public.

Cette mesure est accompagnée le plus souvent d’un pointage au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche plusieurs fois par jour, tous les jours.

Par exemple, le 17 novembre le ministère de l’Intérieur a notifié à M. A son assignation à résidence. Il lui faut pointer quatre fois par jour au commissariat (8 h 30, 12 h 30, 16 h 30 et 19 h 30) et il ne peut quitter son domicile entre 21 h 30 et 7 h 30. L’administration fait état d’une note des services de renseignement selon laquelle M. A a suivi a été « impliqué dans une filière d’acheminement en Syrie de membres d’une cellule d’Al Qaeda ».

Il va sans dire que ce type de mesure n’est pas sans conséquences au regard de l’activité professionnelle de la personne concernée.

Quels sont mes droits ?

Si vous êtes assigné à résidence, vous pouvez réclamer la décision imposant cette mesure pour connaître les motifs avancés par le ministre de l’Intérieur.

Quels sont les recours possibles ?

Toute personne peut contester en référé devant le juge administratif les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence. Si le juge administratif est saisi sous la forme d’un référé-liberté, il doit statuer dans les 48 heures pour déterminer si les mesures administratives critiquées portent « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

Le juge peut aussi examiner « en cas de doute sérieux » la légalité d’une décision administrative à l’occasion d’un référé-suspension et doit rendre son ordonnance dans les quinze jours.

Pourquoi la presse parle-t-elle de « bavures » ?

Il semble que des perquisitions aient été opérées dans des domiciles qui se sont avérés être ceux de voisins de suspects et non des suspects eux-mêmes. Évidemment, si vous êtes le voisin concerné et que vous dormez tranquillement, le réveil peut-être brutal.

Ce type de mésaventures peut arriver à n’importe lequel d’entre nous. Les forces de l’ordre étant à cran (les terroristes sont lourdement armés et n’hésitent pas à tirer pour tuer ou à se faire sauter) les interventions sont rapides et brutales et la proportionnalité n’est pas toujours respecté. Un vieil homme a été menotté, une petite fille blessé par des éclats de verre et de bois. Il est à craindre que ce type de bévues critiquables se reproduiront et sont inévitables, en espérant qu’elles n’auront pas de conséquences funestes ou graves.

Une circulaire de Bernard Cazeneuve, envoyée à tous les préfets, recadre un peu les perquisitions en insistant, par exemple, sur le fait « dans toute la mesure du possible, l’ouverture volontaire de la porte devra être recherchée ». Le ministre a peut-être vu les images de vidéosurveillance du restaurant Pepper Grill, à Saint-Ouen-l’Aumône, dans laquelle les forces de l’ordre ont tout saccagé alors que le patron leur tendait les clefs.

Que faire lorsqu’on est témoin et que le comportement des forces de l’ordre ne semble pas adéquat ?

Rien n’interdit à une personne qui assiste à un comportement inadéquat des forces de l’ordre d’apporter son témoignage oral et écrit à la personne victime de celui-ci. Ce témoignage pourra même être très utile par exemple dans le cadre d’un recours en indemnisation. Il en est de même d’un film vidéo.

Néanmoins, l’utilisation d’un smartphone ou de tout autre appareil vidéo doit s’opérer avec la plus grande circonspection et sans provocation, car il est à craindre que les forces de l’ordre réagiront vertement et n’hésiteront pas à saisir ce matériel en vertu de l’état d’urgence – même si une telle saisie semble dépourvue de base légale.

Les interpositions physiques sont bien sûr déconseillées, surtout la nuit. On ne peut exiger des forces de l’ordre intervenant dans l’urgence et en pleine nuit d’exclure toute forme de violence si elles se sentent menacées. Quant à l’interposition verbale, pourquoi pas, mais là encore attention : la mesure et la modération doivent être privilégiées.

En pratique, est-il possible de protester contre ces décisions avec des chances de gagner ?

Il faut bien l’avouer, l’état d’urgence, mesure exceptionnelle par nature, conduira le juge administratif à apprécier avec moins de bienveillance qu’à l’accoutumée la pertinence de telles réclamations.

Les forces de l’ordre ne bénéficient pas d’un blanc-seing mais elles ont une grande latitude quant à l’emploi de la force pour pénétrer en des lieux fermés à l’occasion de perquisitions ordonnées… En clair, les chances de gagner son procès seront minimes.

D’ailleurs, le juge des référés a rejeté, le 27 novembre, des recours déposés par deux personnes assignées à résidence.

Quelles sont les autres dispositions prévues par l’état d’urgence ?

  • Une restriction de la liberté d’aller et venir.

C’est le fameux « couvre-feu » : dans tous les départements, les préfets peuvent interdire « la circulation des personnes ou des véhicules » dans des lieux et à des heures fixes par arrêté ; instituer « des zones de protection » où le séjour est réglementé ; interdire de séjour « toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics ».

A Sens, le préfet de l’Yonne a ainsi décidé d’instaurer un couvre-feu en interdisant la circulation dans un quartier de la ville, pendant trois nuits. La préfecture de police de Paris a aussi prolongé l’interdiction de manifester dans les départements de la zone de défense et de sécurité de la capitale. Et ce jusqu’à ce 30 novembre. Les manifestations en marge de la COP21 qui ont eu lieu à Paris ce dimanche étaient donc interdites.

  • Une assignation à résidence renforcée

La loi de 1955 s’appliquait à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse », elle s’applique désormais plus largement à toute personne lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace » – les suspects donc, qui ont par exemple des fréquentations ou des propos douteux.

L’assignation à résidence est prononcée par le ministre de l’Intérieur, dans un lieu qui n’est pas forcément le domicile de celui-ci ; le suspect y est conduit manu militari. Il doit obligatoirement y demeurer.

  • Le blocage des sites web

Le blocage administratif des sites était déjà présent dans la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » mais il a été renforcé dans la loi qui modernise l’état d’urgence, adopté le 20 novembre dernier.

La procédure est désormais moins encadrée et plus immédiate. Ainsi, plus besoin de s’adresser à l’hébergeur du site problématique : les autorités peuvent directement demander à Orange, Free, SFR et compagnie de le bloquer. Exit aussi la personnalité qualifiée de la Commission informatique et libertés (Cnil), qui garde un œil sur la liste de sites bloqués en France.

  • La dissolution d’associations

La dissolution d’association était déjà prévue dans le code de la sécurité intérieure (article L212-1). C’est ce qui a permis d’interdire le groupe islamiste radical Forsane Alizza, mais aussi divers mouvements d’extrême droite, tels que L’Œuvre française. La nouvelle formulation élargit les possibilités de dissolution. Cette disposition ne semble pas avoir été mis en place depuis le 13 novembre.

Comme le rappelle La Croix, la fermeture des mosquées passerait par la dissolution de l’association gestionnaire, ce qui s’avère très compliqué.

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