Ministre de la Culture deux ans durant au cours du quinquennat de François Hollande, Aurélie Filippetti a rejoint les frondeurs socialistes.
La loi Travail doit-elle être retirée ou vous satisfaites-vous des gages donnés par le gouvernement ?
Ce projet de loi procède d’une philosophie que je conteste. S’il devait être adopté, cela mettrait les salariés en concurrence et, ce faisant, cela permettrait un chantage à l’emploi. Tel qu’il est, ce projet de loi revient, en fait, à donner un permis de délocaliser aux grandes entreprises multinationales. Je déplore que ce soit un gouvernement de gauche qui propose une loi sur le travail qui est, en fait, une loi contre les travailleurs.
Le phénomène « Nuit debout » est-il une manière de faire de la politique autrement ? N’est-ce pas dangereux pour les corps intermédiaires, et, d’abord, pour les élus ?
Je ne trouve pas cela dangereux. C’est, au contraire, un mouvement salutaire. Si ce mouvement surgit, c’est parce que la nature a horreur du vide, et que les partis sont discrédités. Il y a, aujourd’hui, de moins en moins de gens qui ont envie d’adhérer à des partis politiques. Il est donc bien que des mouvements se créent pour assurer ce relais citoyen.
Quel est aujourd’hui l’avenir de la gauche de la gauche, à commencer par celui des frondeurs socialistes ?
Je n’aime pas l’expression de la gauche de la gauche. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui n’est plus de gauche. Je ne me considère pas comme quelqu’un appartenant à la gauche de la gauche, mais simplement comme quelqu’un de gauche.
Cela veut-il dire que vous n’appartenez pas à la majorité ?
J’appartiens à la majorité des Français qui ont élu François Hollande en 2012, mais qui ne se reconnaissent plus dans la politique qui est menée. C’est le gouvernement qui s’est lui-même mis en minorité par rapport à ceux qui l’ont porté au pouvoir en 2012.
Souhaitez-vous une primaire à gauche ?
Je suis favorable à une primaire afin que nous réglions de manière démocratique la question de la désignation du candidat, ou de la candidate, à la prochaine élection présidentielle. On ne peut pas se satisfaire d’une reconduction automatique du président sortant quand il est contesté comme il l’est aujourd’hui.
Plusieurs milliers de personnes ont lancé une occupation de la place de la République, à Paris, à l’issue de la manifestation contre la loi travail.
Un cercle s’est formé sous une bâche qui prend le vent. Une centaine de personnes détrempées font circuler un mégaphone, qui peine à percer le brouhaha ambiant. « Des tours de parole de 2 minutes et la priorité à ceux qui n’ont pas encore parlé ! », cadre un organisateur.
Dans l’assemblée, ni drapeaux ni mots d’ordre, à l’exception de quelques brassards blancs barrés d’une inscription au marqueur noir, « Nuit debout ». L’auditoire se tient en rangs serrés et utilise une gestuelle empruntée aux « Indignés » espagnols, pour voter ou marquer son approbation sans perturber l’écoute.
À l’ordre du jour, beaucoup de questions : « Comment fait-on pour rester ici ce soir ? Comment gagne-t-on cette bataille ? » Les échanges tournent autour des moyens d’action et des stratégies à mettre en place, pour amplifier le mouvement social né depuis un mois de la contestation contre la loi travail.
« Nous devons aller à la rencontre des gens moins politisés, dans le métro », lance une intervenante. « Il faut faire de nos manifs des moments festifs et animés, pour que les gens ne viennent plus seulement pour dire leur colère », ajoute un autre.
« Après la manif, on ne rentre pas chez nous »
La pluie, qui n’a laissé aucun répit aux manifestants durant l’après-midi, se calme peu après 18 heures et la place se noircit de monde au fil des minutes. Des distributions de nourriture, une infirmerie et des stands s’organisent sous une dizaine de tente et les débats commencent, par grappes, autour d’un mégaphone ou d’une sono.
Un camion-scène hurlant du hard rock déboule du boulevard Voltaire, pendant qu’une fanfare déambule dans la foule en chantant « Merci patron ! », en référence au film de François Ruffin et de l’équipe du journal Fakir. Ces derniers étaient à l’origine d’une assemblée, le 23 février, destinée à réfléchir collectivement à « comment les faire chier » et donner une suite à l’engouement rencontré par le film. Réunion d’où est venu le mot d’ordre « Nuit debout » et cette idée simple : « Après la manif, on ne rentre pas chez nous. »
Le premier bilan est positif. L’ambiance est détendue, plusieurs centaines de personnes ont répondu à l’appel et la parole circule dans un climat d’écoute réciproque.
Ce qui nous uni, c’est qu’on en a marre de ce système, lance un jeune homme au milieu d’une petite assemblée. Nous en avons marre des patrons qui nous exploitent, du système bancaire qui nous saigne jusqu’à la moelle et de ce système qui détruit notre environnement.
Un grand brun rasé de frais, qui domine d’une tête l’assemblée, tente un recadrage : « Nous ne devons pas perdre de vue la principale raison de notre présence ici. Pour des raisons stratégiques, nous ne devons pas trop nous éloigner de la loi travail qui a été un déclencheur pour nous tous. »
Il est suivi par un jeune, « chargé de communication » dans le civil, qui souhaite lui aussi parler « stratégie », et avertit de la nécessité « d’avoir une pensée critique sur notre propre communication » :
Il y a un prisme médiatique avec lequel nous sommes obligés de composer, dit-il. Nous devons faire attention à ne pas rebuter certaines personnes avec un folklore trop important.
Sortir du « syndicalisme couché »
La fanfare s’interrompt pour laisser place à la seule intervention de ce début de soirée, depuis la scène installée sous la grande statue de la place de la République.
Un brin gêné, l’économiste et philosophe Frédéric Lordon s’avance. Il tient une feuille jaune d’une main tremblante de froid. A moins que ce ne soit le stress. Il s’excuse presque, avoue avoir hésité à accepter cette charge de porte-parole qui ne l’attire en rien, puis commence un discours incisif, avec le verbe vif qui lui vaut une notoriété grandissante. Il remercie Myriam El Khomri «d’avoir poussé si loin l’ignominie que nous n’avons plus que le choix de sortir de notre sommeil politique ».
Extraits :
Il est possible que l’on soit en train de faire quelque chose. Le pouvoir tolère nos luttes lorsqu’elles sont locales, sectorielles, dispersées et revendicatives. Pas de bol pour lui, aujourd’hui nous changeons les règles du jeu. En donnant au capital des marges de manœuvre sans précédent, cette loi est génératrice de la violence néolibérale qui frappe désormais indistinctement toutes les catégories du salariat et, par là, les pousse à redécouvrir ce qu’elles ont en commun : la condition salariale même. Et ceci par-delà les différences qui les tenaient séparées. Oui, il y a bien quelque chose de profondément commun entre les Goodyears, les Contis, les cheminots en luttes, Henri, l’ingénieur super qualifié d’un sous-traitant de Renaud qui est licenciable pour avoir un peu trop parlé de « Merci patron! » sur son lieu de travail, avec Raja, salarié précarisé de la société de nettoyage Onet licencié et renvoyé à la misère pour une faute ridicule, et avec tous les étudiants qui contemplent à travers eux ce qui les attend. Je pourrais allonger cette liste indéfiniment, car la réalité, c’est qu’à l’époque que nous vivons, elle est interminable. (…) Merci El Khomri, Valls et Hollande, pour nous avoir enfin ouvert les yeux et fait apparaître qu’au point où nous en sommes, il n’y a plus rien à négocier, il n’y a plus rien à revendiquer. Que toutes ces pratiques rituelles et codifiées sont en train de tomber dans un grotesque rédhibitoire. Nous laissons donc un certain syndicalisme couché à ses reptations habituelles. Et pour notre part, nous sommes maintenant bien décidés à emprunter une autre voie. La voie qui révoque les cadres, les rôles et les assignations. La voie du désir politique qui pose et qui affirme.
L’occupation de la place de la République doit durer jusqu’à samedi, en vertu d’une autorisation en préfecture qui la protège théoriquement d’une intervention de la police. Des appels similaires circulent déjà pour que cette action soit reproduite mardi 5 avril, à l’issue de la manifestation, et mercredi devant le ministère du Travail. Sur internet, le site convergence-des-luttes.org et le mot-dièse #NuitDebout servent à centraliser les informations sur ce mouvement destiné à s’amplifier dans les prochaines semaines.
L’ancien porte-parole du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), la Française Florence Hartmann, arrêtée jeudi à La Haye lors du jugement de Radovan Karadzic, doit être libérée « immédiatement », a réclamé vendredi son avocat, Me William Bourdon.
« Nous demandons à ceux qui sont en responsabilité de mettre un terme à cette détention immédiatement », a déclaré l’avocat à l’AFP.
Florence Hartmann a été arrêtée par les gardes du tribunal alors qu’elle était venue assister au jugement prononcé contre l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic.
Porte-parole du procureur du TPIY Carla Del Ponte de 2000 à 2006, elle avait été condamnée pour outrage à la cour en 2009 pour avoir publié dans un livre deux décisions confidentielles du tribunal.
La condamnation prononcée par le TPIY avait été confirmée en appel en 2011, mais Florence Hartmann, ancienne correspondante du journal français Le Monde dans les Balkans, avait refusé de payer une amende de 7.000 euros.
Les juges avaient alors décidé d’une condamnation à sept jours de prison et demandé aux autorités françaises d’arrêter et de transférer l’ancienne journaliste à La Haye, ce que Paris avait refusé.
« Cette contrainte par corps est une institution totalement archaïque, elle n’avait pas sa place dans une juridiction supposée respecter les meilleurs standards internationaux », a protesté l’avocat.
« Sa mise à exécution, en forme de règlement de compte, est d’autant plus paradoxale qu’elle jette une tache inutile sur l’image du TPIY au moment où il rend une décision historique », a ajouté William Bourdon.
Radovan Karadzic a été condamné jeudi par un tribunal international à 40 ans de détention pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis pendant la guerre de Bosnie, un verdict historique rendu plus de 20 ans après les faits.
Dans son livre « Paix et Châtiment », publié en 2007, Florence Hartmann mentionnait deux décisions confidentielles rendues par la cour d?appel du TPIY dans le cadre du procès de Slobodan Milosevic, qui auraient permis, selon elle, de prouver l’implication de l’Etat serbe dans le massacre de Srebrenica, qui a coûté la vie à près de 8.000 Bosniaques en 1995.
Sa condamnation par le TPIY avait scandalisé de nombreux journalistes et organisations actives dans les pays de l’ex-Yougoslavie, qui s’étaient rassemblés au sein d’un comité de soutien.
L’ancien procureur général du TPIY, Carla del Ponte, a jugé cette arrestation « inacceptable ».
Le verdict rendu par le Tribunal pénal des Nations unies établi à La Haye contre l’ancien dirigeant bosno-serbe Radovan Karadžic, reconnu coupable de génocide et d’autres crimes de droit international, représente un grand pas vers la justice pour les victimes du conflit armé en Bosnie-Herzégovine, a déclaré Amnesty International.
La Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a déclaré Radovan Karadžic coupable du chef de génocide, de cinq chefs de crimes contre l’humanité et de quatre chefs de crimes de guerre en raison du rôle qu’il a joué dans le conflit armé, à la fois pour sa responsabilité individuelle et pour sa participation à une entreprise criminelle conjointe.
Il a été condamné à 40 ans d’emprisonnement. Ses avocats ont déclaré qu’ils vont faire appel de ce jugement.
« Ce jugement confirme que Radovan Karadžic a joué un rôle de commandement en ce qui concerne les crimes de droit international les plus graves perpétrés en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », a déclaré John Dalhuisen, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
Ce jugement confirme que Radovan Karadžic a joué un rôle de commandement en ce qui concerne les crimes de droit international les plus graves perpétrés en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le Tribunal a reconnu Radovan Karadžic coupable de génocide pour le massacre de Srebrenica, lors duquel plus de 7 000 hommes et garçons bosniaques ont été tués. Il l’a également déclaré coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris de tortures, de viols et de l’homicide de milliers détenus, perpétrés dans le but d’éliminer systématiquement en Bosnie les populations musulmanes et croates dans les territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie.
Le Tribunal a estimé que le rôle de Radovan Karadžic dans le siège de Sarajevo a été tellement important que sans lui il n’aurait pas eu lieu. Il a souligné que la population entière de Sarajevo était terrorisée et vivait dans un état de peu extrême notamment en raison des attaques menées sans discrimination entre 1992 et 1995.
Radovan Karadžic a été acquitté d’un chef de génocide lié à des crimes commis contre des Musulmans et des Croates de Bosnie dans sept communes en 1992.
Il a occupé plusieurs des plus hauts postes de commandement des Serbes de Bosnie durant les trois années de guerre entre ses forces et celles des Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie, et a dirigé des opérations menées tant contre des forces militaires que contre la population civile.
« C’est un jour très important pour la justice internationale et pour les victimes qui ont attendu pendant 13 ans l’arrestation de Radovan Karadžic et pendant huit ans supplémentaires le verdict rendu aujourd’hui, a déclaré John Dalhuisen.
« Nous ne devons toutefois pas oublier que plus de 20 ans après la guerre de Bosnie, des milliers de cas de disparition forcée restent non résolus, et qu’en raison d’un manque de volonté politique très troublant, les victimes ne peuvent toujours pas avoir accès à la justice, à la vérité et à des réparations. »
La guerre de Bosnie a fait près de 100 000 morts, dont quelque 38 000 civils, mais moins de 1 000 cas de crimes de guerre ont fait l’objet d’une enquête et donné lieu à des poursuites judiciaires au niveau national.
On ignore toujours tout du sort de milliers de personnes. Amnesty International exhorte les autorités de Bosnie-Herzégovine à s’engager réellement à résoudre les plus de 8 000 cas de disparition forcée survenus pendant la guerre et non résolus à ce jour, et à permettre aux familles de connaître la vérité et d’obtenir justice ainsi que des réparations.
Depuis sa création en 1993, le TPIY a mis en accusation 161 personnes pour des crimes de droit international perpétrés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.
La procédure judiciaire a été menée à terme pour les cas de 149 accusés, parmi lesquels figurent sept personnes reconnues coupables du génocide de Srebrenica. Des procédures sont encore en cours contre 12 personnes, notamment contre l’ancien chef militaire bosno-serbe Ratko Mladic.