Burkina Faso : l’opposition ne veut pas d’homme politique pour mener la transition

Le nouvel homme fort du Burkina, Isaac Zida (au centre) arrive à Ouagadougou pour rencontrer Mogho Naba, le «roi» de la tribu Mossi le 4 novembre. (Photo Issouf Sanogo. AFP)

Plusieurs présidents africains sont arrivés mercredi à Ouagadougou pour rencontrer les acteurs de la crise politique, après la chute de Blaise Compaoré.

Assimi Kouanda, le chef du parti du président burkinabè déchu Blaise Compaoré, a été arrêté mardi soir, selon des sources sécuritaires. Assimi Kouanda, secrétaire exécutif national du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), a été «convoqué» par la gendarmerie «suite à des propos pouvant troubler l’ordre public et appelant à des manifestations», a déclaré à l’AFP un officier de gendarmerie. Il a ensuite été arrêté, a indiqué une autre source sécuritaire.

Par ailleurs des leaders de l’opposition a plaidé plus tôt mercredi pour que le futur chef de la transition au Burkina Faso ne soit pas un homme politique, laissant entendre sa préférence pour un représentant de la société civile. «Il est évident qu’on doit trouver quelqu’un qui n’a pas des engagements politiques affichés, pour ne pas créer un aspect biaisé sur les questions de transition», a déclaré Roch Marc Christian Kaboré, précisant qu’il devait s’agir d’un candidat «civil».

Roch Marc Christian Kaboré, président du Mouvement du peuple pour le progrès, est un ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, qui était passé dans l’opposition à Blaise Compaoré en janvier. Il s’exprimait à l’issue d’une rencontre à Ouagadougou avec les chefs de l’Etat ghanéen, sénégalais et nigérian, en compagnie des autres leaders de l’opposition.

Les présidents John Dramani Mahama, Macky Sall et Goodluck Jonathan sont arrivés mercredi dans la capitale burkinabè pour rencontrer les acteurs de la crise politique, afin de faciliter une transition démocratique, après la chute du président Compaoré le 31 octobre.

Ultimatum

Les trois chefs d’Etat – John Dramani Mahama étant également le président en exercice de la Cédéao, l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest – avaient discuté précédemment avec le lieutenant-colonel Isaac Zida, actuel homme fort du pays désigné par l’armée. Rien n’a filtré de ce premier entretien.

Les trois présidents médiateurs devaient ensuite s’entretenir avec la société civile, le président du Conseil constitutionnel, les présidents des partis de l’ancienne majorité et les leaders religieux. Choisi le 1er novembre par l’armée pour conduire la transition, Isaac Zida s’est engagé, sous la pression populaire et internationale, à «remettre le pouvoir aux civils» auprès du plus influent chef traditionnel du pays.

L’ancien numéro 2 de la garde présidentielle a ensuite déclaré à un leader syndical que la transition devrait se faire sous quinze jours, un délai correspondant à l’ultimatum de l’Union africaine, qui a brandi lundi la menace de sanctions.

AFP 5 novembre 2014

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Afrique , Burkina Faso, Rubrique Politique , Société civile, Politique internationale, La Françafrique se porte bien avec Sarkozy ,

Nasrallah : Ce n’est pas vrai que nous voulons entraîner le pays vers le vide…

p01-5-------------------5_650949_273031_largeHassan Nasrallah a déploré, dans un discours public dans la banlieue sud, « les accusations à notre encontre, selon lesquelles nous voulons entraîner le pays vers le vide ».

Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déploré « les accusations à notre encontre, selon lesquelles nous voulons entraîner le pays vers le vide ». « Nous ne sommes pas prêts à plonger le pays dans le vide. Nous rejetons totalement cette option. Nous sommes pour toute solution empêchant cela », a souligné le leader du Hezbollah, qui a fait hier une rare apparition en public devant des milliers de ses partisans à Roueiss, dans la banlieue sud de Beyrouth, à la veille de la Achoura.

Le périmètre de la banlieue a d’ailleurs été totalement bouclé dans la nuit, pour des considérations sécuritaires, et il le sera aujourd’hui, le temps que la commémoration prenne fin.

« Il y a trois options : les élections, la prorogation ou le vide », a affirmé Hassan Nasrallah concernant la prorogation du mandat de la Chambre. « S’il n’y a pas d’élection ou de prorogation, c’est le sort de l’institution qui est en jeu, et nous sommes disposés à aider le président Berry à sortir le pays de cette impasse, a-t-il poursuivi. « En ce qui concerne les élections, certaines forces politiques sunnites n’en veulent pas », a-t-il ajouté. « La prorogation, parce qu’elle est rejetée par certaines forces chrétiennes, entraînerait une violation du pacte national », a-t-il encore dit.

« Nous avons prévenu tous ceux qui nous ont contactés : vous voulez des élections, nous sommes prêts à en faire. Si vous voulez la prorogation, nous ne la contesterons pas. Mais nous rejetons le vide », a noté le leader hezbollahi.

Le dossier présidentiel
« Personne ne veut la vacance présidentielle, personne ne complote pour cette vacance, nous n’accusons personne, que ce soit dans notre camp ou dans l’autre », a poursuivi Hassan Nasrallah au sujet de l’échéance présidentielle. « Nous voulons l’élection d’un président au plus tôt. L’Iran, au bout du compte, souhaite que cette échéance ait lieu. Nous sommes donc à l’aise par rapport à la position de notre camp régional, a-t-il noté.

Certains ont tenté de lier la présidence au dossier du nucléaire, mais c’est une erreur. L’Iran refuse de lier le dossier du nucléaire à quelque autre dossier », a-t-il souligné.

« Notre camp possède un pouvoir de décision au plan national, ainsi qu’un mandat régional. C’est ce que l’autre camp doit réussir à faire. Nous sommes en faveur d’un candidat bien déterminé, tout le monde le sait, et il bénéficie de la meilleure représentation chrétienne et nationale. Les premières lettres de son nom sont… le général Michel Aoun », a poursuivi le leader du Hezbollah. « Certains nous disent de cesser notre soutien à cette candidature, mais ce serait injuste », a-t-il ajouté.

S’adressant aux responsables libanais, il a lancé : « Si vous attendez des changements régionaux et internationaux, vous attendrez longtemps. Le dialogue fondamental doit se poursuivre avec le candidat naturel adopté par notre camp politique. »

(Pour mémoire : Lorsque Nasrallah désigne l’Arabie comme « source de la pensée takfiriste »… Le décryptage de Scarlett Haddad)

Satisfecit au Futur
Revenant sur les derniers affrontements de Tripoli, Hassan Nasrallah a salué la position des habitants de la ville et du Liban-Nord, ainsi que celle des responsables religieux et politiques « sans qui les événements auraient pris un tour différent ». Il a notamment salué le courant du Futur et ses prises de position à cette occasion. « Nous devons saluer le rôle majeur joué, lors des événements du Nord, par le courant du Futur et la présidence du courant du Futur, a-t-il souligné. Nous sommes prêts à discuter avec le courant du Futur, nous n’avons pas peur ; c’est le faible qui a peur du dialogue et qui le fuit. Nous sommes prêts au dialogue », a-t-il également lancé.

Le leader du Hezbollah a également souligné que l’armée libanaise « a assumé ses responsabilités nationales ». « Personne d’autre que l’armée ne peut maintenir la sécurité et la stabilité au Liban. Nous, en tant que résistance, nous ne nous sommes jamais présentés comme responsables de la sécurité et de la stabilité du pays », a-t-il poursuivi, exprimant son soutien total à l’armée. « Durant toute la période écoulée, on disait que l’Iran n’avait rien offert à l’armée. C’est pourquoi une délégation iranienne est venue faire ce don, qui ouvrira la voie à d’autres, similaires, et il s’agit d’un soutien inconditionnel », a-t-il ajouté.
Il a enfin abordé la question des militaires otages, estimant qu’il s’agit d’une question compliquée, surtout si les autres parties (les jihadistes) ne respectent pas les règles de base de la négociation : « Le secret », a-t-il dit, et accusant les groupes jihadistes de tout publier dans les médias et les réseaux sociaux. Il a appelé, dans ce cadre, les familles des otages à plus de patience et à soutenir le gouvernement libanais dans ses démarches pour obtenir la libération des otages.

Hassan Nasrallah a enfin rejeté toute analyse des événements régionaux en termes de conflit sunnito-chiite.
« Il y a un grand danger dans la région, de grands conflits. Le plus facile est de justifier ces conflits en évoquant un conflit sunnito-chiite, c’est une grande erreur, a-t-il souligné. « Où est le conflit sunnito-chiite en Libye ? Est-ce que la lutte entre Daech et le front al-Nosra est un conflit sunnito-chiite ? Est-ce que la guerre à Aïn el-Arab/Kobané est un conflit sunnito-chiite ? Est-ce que la persécution des chrétiens en Irak est un conflit sunnito-chiite ? Ce qui se passe dans la région est un conflit politique par excellence », a indiqué le leader du Hezbollah. S’adressant aux chiites, il les a invités à considérer le conflit comme opposant les takfiristes à tous ceux qui ne leur ressemblent pas, et non les chiites à la communauté sunnite.

(Lire aussi : Le mufti Deriane : Il n’y aura pas de discorde entre sunnites et chiites au Liban)

Le périmètre de la banlieue sud bouclé
En raison du contexte sécuritaire particulièrement tendu au Liban et dans la région, le périmètre de la banlieue sud a été totalement bouclé dans la nuit, et ce jusqu’à ce que la commémoration prenne fin aujourd’hui, mardi. Le Hezbollah doit en effet organiser un grand rassemblement ce matin dans la banlieue sud. Selon des habitants de cette zone, c’est la première fois que des mesures aussi draconiennes sont prises depuis la série d’attentats qui ont frappé en 2013 les fiefs du Hezbollah.

Dans un climat de tension lié aux répercussions du conflit syrien au Liban, les ressortissants syriens ont été par ailleurs interdits, à partir d’hier, de circulation pour une durée de 24 heures à Baalbeck et au Hermel. Les municipalités de Baalbeck et du Hermel ont publié des communiqués demandant aux « frères syriens de rester chez eux et de ne pas circuler à partir de ce soir (lundi) et jusqu’à mardi soir ».

OLJ
Source : L’Orient du Jour 04/11/2014

Comment la cocaïne nous a sauvés de la crise financière

Colombia: 7 tonnes of cocaine confiscated in a port of Cartagena

Colombia: 7 tonnes of cocaine confiscated in a port of Cartagena

Condamné à mort par la Camorra napolitaine, il vit depuis neuf ans en citoyen clandestin. Victime et prisonnier de son succès médiatique, paria dans sa propre société, l’auteur de «Gomorra» est protégé jour et nuit par un groupe de carabiniers, d’autant plus sur le qui vive qu’il témoignera le 10 novembre à Naples lors du procès des deux parrains qui ont lancé le contrat sur sa tête.

Pour Roberto Saviano, écrire, c’est résister. Avec son nouveau livre, «Extra pure», il nous plonge dans l’économie de la cocaïne et au coeur de ses réseaux criminels. Un voyage stupéfiant sur tous les continents  du Mexique à la Russie, de la Colombie au Nigeria en passant par les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne et la France. Une enquête tout-terrain pour laquelle, paradoxalement, les liens privilégiés de Saviano avec la police et la justice lui ont permis d’accéder à des sources et des témoignages rares.

Le narcotrafic représente aujourd’hui la première industrie au monde. La carte de la planète est dessinée par le pétrole, mais aussi par le «pétrole blanc», comme l’appellent les parrains nigérians. Or noir, or blanc. A double titre: blancheur de la poudre et blanchiment de l’argent.

Car les liquidités colossales de la drogue sont recyclées par les banques américaines et européennes, là même où se trouvent les plus gros marchés de consommateurs. «Nul marché et nul investissement ne rapportent autant que la coke», va jusqu’à écrire l’auteur. Ce sont les centaines de milliards de dollars du narcotrafic qui ont, selon lui, sauvé en partie les banques lors de la crise des subprimes de 2008.

Pour Roberto Saviano, la coke est à la fois miroir et révélateur du capitalisme mondialisé. Le journaliste et écrivain démonte les rouages de cette économie parallèle où les distributeurs ont pris l’ascendant sur les producteurs, où les cartels mexicains, en privatisant le marché de la drogue et en l’ouvrant à une concurrence féroce, ont dépassé de loin les horreurs des producteurs colombiens. Et où l’Afrique est devenue une nouvelle plaque tournante à destination d’une Europe toujours plus en manque. Car, depuis que la crise fait rage, la consommation de coke, «drogue de la performance», s’est littéralement envolée. Rencontre avec un auteur sous haute surveillance.

Roberto Saviano 'ZeroZeroZero' book presentation, Naples, Italy - 15 Apr 2013

©AGF s.r.l. / Rex Featur/REX/SIPA

Le Nouvel Observateur Vous écrivez que la carte du monde est aujourd’hui dessinée par le pétrole et la cocaïne, le carburant des moteurs et celui des corps. Quelle est l’importance du trafic de la cocaïne dans le monde?

Roberto Saviano La demande de pétrole est toujours forte, et celle de la coke explose. Mais la cocaïne reste le marché le plus profitable du monde. On estime sa production entre 788 tonnes et 1060 tonnes par an et le marché à 352 milliards de dollars. Vous pouvez rencontrer de grosses difficultés pour vendre des diamants de contrebande, mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n’arrive pas à vendre de la coke. Si je veux faire un investissement, disons de 1000 euros, dans une action d’Apple, au bout d’un an je gagnerai 1300 ou 1400 euros. Si je fais le même investissement en cocaïne, au bout d’un an, je gagnerai 180.000 ou 200.000 euros. Il n’y a rien qui va vous faire gagner autant. Et la violence du business est à la mesure de ce chiffre d’affaires.

La cocaïne a-t-elle supplanté l’héroïne ?

Le marché de l’héroïne est inférieur même s’il faut bien dire qu’on a très peu de données sur deux très grands marchés, ceux de la Chine et de l’Iran. L’héroïne a toujours été importante dans les pays d’Europe de l’Est, car elle ne coûte rien. En Russie, avec 3 euros, tu peux te faire un shoot. Mais en Italie ou en France, même aux Etats-Unis, elle connaît une phase de crise. L’héro a une mauvaise image. L’aiguille fait encore plus peur depuis les années sida. Personne ne veut se sentir un zombie toxicomane.

Personnellement, je n’ai jamais essayé ni héroïne ni cocaïne, pour une question morale, et aussi parce que j’ai grandi dans une région où il était très difficile de se droguer: la Camorra ne vendait pas de drogue sur son propre territoire. Sur la base des témoignages que j’ai entendus, l’héroïne est la reine des drogues pour procurer la même sensation qu’un orgasme pendant quinze minutes.

Avec la cocaïne, c’est exactement le contraire : ce n’est pas une phase de quelques minutes, c’est un état beaucoup plus long pendant lequel il y a une hyperperception des choses. Si je suis sous l’effet de la cocaïne, je n’ai pas une déformation de la réalité, mais j’en éprouve mille fois plus la sensation. Ça épouse pleinement notre temps, où tout est communication. Plus le monde accélère, plus il y a de coke; moins on a de temps pour des relations stables et des échanges réels, plus il y a de coke.

Quelle est la nouvelle carte du monde de la cocaïne aujourd’hui?

Le centre du monde, pour ce qui concerne le narcotrafic en tant que pouvoir criminel, c’est le Mexique, frontalier des Etats-Unis. Pour arriver en Europe – le marché européen de la coke a presque rejoint celui de l’Amérique -, la cocaïne passe à travers l’Afrique (francophone, notamment) équatoriale. Et puis elle arrive en Europe à travers l’Espagne ou les pays d’Europe de l’Est. Le premier pays producteur au cours de ces derniers mois, c’est le Pérou, ce n’est plus la Colombie qui est devenue le deuxième. Et la cocaïne de meilleure qualité, c’est la cocaïne bolivienne.

C’est au Mexique qu’a eu lieu la première révolution dans le trafic de la cocaïne.

Le grand tournant a eu lieu dans les années 1980 quand les Mexicains se positionnèrent en véritables distributeurs, et non plus en simples transporteurs. Cela se passe comme dans la grande distribution : le distributeur devient souvent le principal concurrent du producteur et bientôt le dépasse en profits.

Le mot «cartel» fait partie du vocabulaire économique et désigne les producteurs qui fixent d’un commun accord les prix et les quantités, qui décident comment, où et quand commercialiser un bien. Ce qui est valable pour l’économie légale l’est pour l’économie illégale.

La révolution s’est produite quand Pablo Escobar dit «El Magico», le parrain colombien de Medellín, passa un accord avec Félix Gallardo surnommé « El Padrino», ancien de la police judiciaire fédérale du Mexique. C’est Félix Gallardo qui créa les cartels mexicains en structurant le territoire en zones et en établissant un modèle de cohabitation entre cartels.

Depuis, les règles du jeu ont changé. On a assisté à une escalade dans l’horreur. Au Mexique, la guerre de la coke a fait des dizaines de milliers de morts (plus de 50.000 morts entre 2006 et 2012). C’est l’emballement des nouveaux cartels: des structures plus flexibles, une grande familiarité avec la technologie, des massacres spectaculaires, d’obscures philosophies pseudo-religieuses liées à une fascination pour les films violents et les émissions de télé-réalité. Et une furie meurtrière à faire pâlir tous ceux qui les ont précédés. Les acteurs se multiplient. Les Zetas et la Familia, assassins sanguinaires, ont pris le pire des corps paramilitaires, le pire de la Mafia et le pire des narcotrafiquants.

Et en Colombie ?

La guerre contre les cartels a été en partie gagnée. Et pourtant, après des décennies d’effort pour éliminer les narcos colombiens et la fin du Cartel de Cali, la part de marché que le pays a perdue est bien inférieure à ce qu’on pourrait imaginer. Les hommes passent, les armées se démobilisent, mais la coca reste.

Après des années de politique de terre brûlée, au sens littéral, la cocaïne colombienne représente encore presque la moitié de toute celle consommée dans le monde. L’histoire du trafic de drogue en Colombie est une histoire de vides, et de transformations. Une histoire capitaliste. Si la Colombie n’est plus un narco-Etat, ce vide s’est rempli de micro-trafiquants par centaines.

Comment l’Afrique est-elle devenue une plaque tournante?

Comme une épidémie, la cocaïne s’est répandue sur le continent africain à une vitesse effrayante. Le Sénégal, le Liberia, les îles du Cap-Vert, le Mali, la Guinée-Conakry, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, l’Angola sont touchés. L’Afrique est vulnérable car la vacance ou la faiblesse du pouvoir, la corruption d’un Etat qui a en face de lui une organisation proposant et incarnant l’ordre, favorisent le développement des mafias.

Au cours des années 2000, les narcotrafiquants américains, italiens, corses et des pays d’Europe de l’Est se sont rendu compte que l’Afrique pourrait être un immense dépôt de drogue. On a vu se développer des alliances entre Mexicains, Calabrais, et Corses qui ont des relations avec des politiques locaux et des militaires.

La seule mafia africaine, c’est la mafia nigériane. A part au Sénégal, au Burkina-Faso et au Ghana, où il y a bien évidemment de la corruption, mais où le narcotrafic n’a pas de grands alliés, je vois avec beaucoup de désespoir et sans illusion l’avenir des autres Etats, en particulier le Liberia ou la Guinée-Bissau. Ce ne sont que des narco-Etats où il est très facile de faire arriver la cocaïne, et très facile de la cacher aussi. Et ces pays sont en contact avec les pays du Maghreb, le Maroc par exemple.

La coke transite par le Maroc et passe du Maroc à l’Espagne…

Ou bien par les pays du Maghreb vers Gioia Tauro et Livourne en Italie, ou Rotterdam. Marseille, c’est l’affaire des Corses ou des organisations du Maghreb français qui sont devenues très puissantes en ce qui concerne la distribution. Au Maroc, les vieux narcotrafiquants marocains ne veulent absolument pas de la cocaïne mais du haschisch. Car ils savent que le trafic de haschisch est toléré d’une façon ou d’une autre. Mais les plus jeunes veulent justement développer un nouveau marché.

Au Maroc, Ceuta est une plaque tournante fondamentale, mais la Tunisie, aujourd’hui, qui est actuellement déstabilisée, prend de nouveaux relais. La chose intéressante, c’est que le terrorisme islamiste est en cheville avec les organisations criminelles mafieuses sur ces territoires. Les islamistes dénoncent l’usage de la drogue, tout en prenant une part active dans le trafic. La cocaïne est en train de changer la géographie et la géopolitique de l’Afrique.

Quel est le rôle de la mafia corse ?

J’ai trouvé beaucoup de difficultés, au cours des dernières années, à m’occuper véritablement des organisations criminelles françaises. Car en France, il n’y a aucune culture antimafia. Les gens pensent toujours que ce ne sont que des criminels, à traiter comme des criminels. Or ce sont des entrepreneurs en mesure d’influencer la politique française.

Les Corses ont beaucoup changé au fil des dernières années. Le FLNC a des contacts étroits avec la mafia corse dont la force a été de gérer le narcotrafic en Afrique. Quand Marseille a vu chuter la contrebande des cigarettes et le trafic d’héroïne, les Corses ont commencé à développer le narcotrafic de cocaïne. Et les Corses sont devenus les véritables gérants d’un joint-venture avec l’Afrique.

Selon votre enquête, l’immense majorité de l’argent de la drogue est recyclée par les banques américaines et européennes. Pis, vous écrivez que, lors de la crise des «subprimes», les milliards de dollars du narcotrafic ont sauvé les banques.

Avec l’argent de la coke, on achète d’abord les politiciens et les fonctionnaires, et ensuite un abri dans les banques. Blanchir est une opération gagnante. Il n’y a aucun employé ou dirigeant de banque qui ait dû voir l’intérieur d’une prison à cause de ça. Dans la seconde moitié de 2008, les liquidités sont devenues le principal problème des banques.

Comme l’a souligné Antonio Maria Costa, qui dirigeait le bureau drogue et crime à l’ONU, les organisations criminelles disposaient d’énormes quantités d’argent liquide à investir et à blanchir. Les gains du narcotrafic représentent plus d’un tiers de ce qu’a perdu le système bancaire en 2009, comme l’a dénoncé le FMI, et les liquidités des mafias ont permis au système financier de rester debout.

La majeure partie des 352 milliards de narcodollars estimés a été absorbée par l’économie légale. Quelques affaires en ont révélé l’ampleur. Plusieurs milliards de dollars ont transité par les caisses du Cartel de Sinaloa vers des comptes de la Wachovia Bank, qui fait partie du groupe financier Wells Fargo. Elle l’a reconnu et a versé en 2010 une amende de 110 millions à l’Etat fédéral, une somme ridicule comparée à ses gains de l’année précédente de plus de 12 milliards de dollars.

D’après le FBI, la Bank of America aurait permis aux Zetas de recycler leurs narcodollars. HSBC et sa filiale américaine, HBUS, a payé un milliard de dollars d’amende au gouvernement américain pour avoir blanchi de l’argent du narcotrafic. Aux Etats-Unis, à cause du Patriot Act, les autorités se sont intéressées aux liens entre le financement du terrorisme et l’argent de la drogue. Le Sénat a créé une commission d’enquête sur ce sujet et le sénateur Carl Levin travaille sur le blanchiment du Crédit suisse.

Si les banques qui ont leur siège à Wall Street et dans la City ne sont pas les seules à entretenir des liens privilégiés avec les barons de la drogue et si elles sont installées un peu partout dans le monde comme la Lebanese Canadian Bank de Beyrouth, il y a un manque criant d’investigation en Europe. L’ONU, à partir de 2006, a dénoncé le fait qu’il y ait de l’argent provenant du narcotrafic dans les banques européennes.

Lichtenstein, Luxembourg, Andorre, la République de Saint-Marin, Monaco, personne ne sait vraiment ce qui se passe en termes de flux d’argent. Dans quelles banques françaises se trouve l’argent du narcotrafic? Mystère. Les banques françaises n’ont rien à dire à ce propos, pas plus que les italiennes ou les allemandes. Il n’y a eu aucune prise de position réelle à ce sujet. Or on blanchit beaucoup plus d’argent aujourd’hui à Londres qu’à La Barbade.

A Londres et à New York ?

New York et Londres sont aujourd’hui les deux plus grandes blanchisseries d’argent sale au monde. Londres est complètement opaque en ce qui concerne le narcotrafic. Paradoxalement, à Wall Street, l’argent a déjà été transformé. A Londres, on va le transformer.

Pour vous, aucun investissement ne rapporte autant que la coke, une valeur refuge. Votre enquête est-elle aussi une critique du capitalisme?

Le capitalisme criminel, c’est le capitalisme qui est géré par des organisations criminelles sur la base de leurs propres règles. J’ai voulu commencer mon livre avec l’histoire d’un boss qui raconte comment il voit la vie.

Il dit que les lois de l’Etat sont les règles d’un camp qui veut baiser l’autre. Et que lui, que nous, les «hommes d’honneur», personne ne nous baise. Que les lois sont pour les lâches et les règles d’honneur sont pour les hommes. On pourrait dire que ses règles sont celles de n’importe quel PDG : l’absence de sentiments pour les concurrents, l’hypocrisie, l’idée de la compagnie comme une famille à laquelle on doit tout.

Pour comprendre les stratégies mafieuses, il y a trois textes de références: Sun Tzu, Machiavel et Von Clausewitz. Une organisation criminelle, sans règles, ce n’est pas une mafia. Aujourd’hui, en Italie, il n’y a pas une classe dirigeante qui puisse être comparée, en matière de faculté à tout supporter, aux organisations mafieuses.

Je cite un exemple. Est-ce que vous réussiriez à vivre dans une pièce de 10 ou 15 mètres carrés pendant dix ans, sans jamais téléphoner à personne, sans que personne ne vous téléphone, en ne parlant qu’à deux personnes seulement parce que vous n’avez confiance qu’en deux personnes, sans jamais voir vos enfants, et en sachant que votre propre destin est soit de mourir, soit d’être emprisonné?

J’ai très bien vu la façon dont on vit quand on est en prison avec un régime d’incarcération dur. Je vis sous protection depuis dix ans environ. Disons que je suis un peu préparé. Mais jamais je n’arriverais à vivre comme ça. Je serais complètement déprimé, je ne ferais que pleurer tout le temps.

Eux, quand ils sont emprisonnés avec un régime d’incarcération dur, ils pensent en termes d’ère historique. Seuls mon silence, la prison ou ma mort permettra à mon neveu de garder le pouvoir, d’être un parrain et de commander les hommes fidèles de ma famille. En politique ou dans la finance, il n’y a rien de pareil, il n’y a aucun raisonnement aussi radical.

Pensez-vous qu’il faille légaliser la drogue ?

Ce que la crise ne détruit pas, ce qu’elle renforce au contraire, ce sont les économies criminelles. Depuis que la crise a éclaté, la consommation de coke s’est envolée. Pour les mafias, la drogue, c’est toujours comme un distributeur automatique d’argent. Malgré la police et les saisies, la demande de coke sera toujours plus énorme.

La coke est un carburant. Une énergie dévastatrice, terrible, mortelle. Mais aussi terrible que cela puisse paraître, la légalisation des drogues pourrait être la seule solution. Car elle frappe là où la cocaïne trouve un terreau fertile, dans la loi de l’offre et de la demande.

Propos recueillis par François Armanet

Source :  Le Nouvel Obs 18/10/2014

Livre Extra pure édition Gallimard

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Finance, rubrique Société, Consommation, rubrique Politique, Affaires,

Moyen Orient. « Agiter le peuple avant de s’en servir » *

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Ne remontons pas ab ovo si nous voulons éviter d’évoquer le premier précédent de l’histoire, celui d’Abel et de Caïn, le premier ayant sans doute eu à souffrir des brimades de son frère avant d’être trucidé par celui-ci. Mais avouons tout de même que des siècles d’exactions, de brimades et d’abus en tout genre finissent par déboucher au mieux sur des révoltes, au pire sur des guerres civiles, ou plutôt inciviles, comme celles que nous observons dans notre monde dit arabe. Des mouvements entamés par des jeunes rêvant liberté et démocratie, poursuivis par des semi-professionnels de la politique et débouchant désormais sur les bains de sang dans lesquels tout ce (pas si) beau monde patauge allégrement. À croire que les guerriers disputent aux péripatéticiennes le discutable privilège d’exercer le plus vieux métier du monde.

Sur la marmite arabe où bout un peu ragoûtant brouet, d’autres que nous, incollables dans l’art hautement pointu de la politologie, se sont penchés sur le sujet pour conclure que la religion, l’exercice du pouvoir, le tracé des frontières, les pâturages plus abondants ici que là, le besoin irrépressible chez l’être humain de faire étalage de ses muscles ou simplement la température ambiante (SVP biffez les mentions inutiles) est/sont le(s) grand(s) responsable(s) du désordre régional actuel. Sans douter est-il plus impressionnant de parler de rhinopharyngite que de rhume.

Et pourtant… Comme si la nature, en sa douteuse sagesse, avait semé dans le cœur des hommes les germes de la discorde, ce sont les divergences qui mènent le monde « parce que c’est bon pour lui », a décrété il y a longtemps Emmanuel Kant. Les réactions en chaîne dont nous sommes les témoins, un peu trop vite baptisées « printemps arabe », ne sont que la conséquence inéluctable des épreuves subies au fil des âges. L’oppression, nous disait-on, finit toujours par enfanter la révolution. Et les révolutions débouchent sur une gamme infinie de conflits.

Ainsi, longtemps les Kurdes ont représenté deux siècles durant la parfaite illustration de cet irrédentisme mis à l’honneur au XIXe siècle. « La plus grande nation sans État », selon la formule d’Olivier Piot et Julien Goldstein**, est constituée d’une quarantaine de millions d’êtres disséminés à travers la Syrie, l’Irak, la Turquie et l’Iran, soit un territoire de 520 000 kilomètres carrés (superficie de la France métropolitaine : 552 000 kilomètres carrés), jadis compartimenté par les Anglais et les Français, alors même qu’une patrie avait été prévue à leur intention par le traité de Sèvres. Le groupe a connu des heures de gloire, des vicissitudes aussi. Contre eux, Saddam Hussein a eu recours à l’aviation, à l’artillerie et aux gaz ; les Turcs s’en sont pris aux partis censés les représenter, mais aussi à leurs combattants pour la liberté ; Syriens et Iraniens ont vu en eux tantôt des alliés dans l’interminable bras de fer avec Ankara et tantôt des ennemis qu’il convenait de pourchasser. Aujourd’hui, c’est au tour de Daech de les harceler au pays du Cham, avec les résultats qu’on connaît.

À partir du Djebel syrien, les alaouites n’ont jamais cessé de se battre contre l’occupant et contre une nature inhospitalière, cause d’un sous-développement qui les poussait à s’enrôler dans les rangs de l’armée. C’est d’ailleurs par le biais de l’institution militaire que Hafez el-Assad devait assurer son emprise sur la Syrie à partir de 1970 et jusqu’au jour où, lassé de les voir se venger – à leur manière – des abus dont longtemps ils avaient été victimes, de la corruption dont profitaient leurs coreligionnaires, des atteintes aux libertés, des brimades, le peuple s’est soulevé dans un vaste élan qui, il y a tout lieu de le craindre, se poursuivra longtemps encore.

Comme un simple hoquet peut modifier le cours de l’histoire et un grain de sable enrayer une machine, le Proche-Orient vit actuellement les heures les plus sombres de son existence, marquée périodiquement par des soubresauts sanglants entre sunnites et chiites. Faux prétextes ou raisons justifiées ? On n’en est plus là, maintenant que le loup des guerres de religions est sorti du bois. Point n’est besoin d’invoquer le souvenir des ilotes grecs ou de Spartacus pour comprendre qu’il suffit de peu de chose pour transformer un vassal en tyran et que, pour se présenter en seul détenteur de la vérité, on a juste besoin de brandir l’étendard religieux, politique ou socioéconomique.

Maître Blaise Pascal, rappelez-leur donc l’indispensable rôle des Pyrénées.

* Citation attribuée à Talleyrand.

** « Kurdistan, la colère d’un peuple sans droits », texte d’Olivier Piot, photographies de Julien Goldstein, éd. Les Petits Matins, 2012, 256 pages.

Source : L’Orient Le Jour 09/10/2014

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Révélations à Wall Street : les enregistrements secrets qui font trembler Goldman Sachs et la Fed (ou quand les pires fantasmes se concrétisent)

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Depuis la diffusion de ces enregistrements, les analystes s’interrogent sur les relations un peu trop intimes entre la banque d’affaires et la Réserve fédérale de New York.

Les documents audio gardés secrets ont été dévoilés ce vendredi aux Etats-Unis lors de l’émission de radio « This American Life ». Ils avaient été recueillis un an plus tôt par le site de journalisme d’investigation « ProPublica ». Ces enregistrements mettent au grand jour les possibles connivences entre la New York Federal Reserve Bank, la Fed, et les institutions financières qu’elle est censée surveiller et contrôler.  « Si ces documents étaient authentifiés, cela voudrait dire que le contrôleur était complaisant avec les contrôlés. En clair que la Fed ne faisait pas le travail qui lui était assigné en manifestant une trop grande complaisance envers les organismes qu’elle est censée contrôler » explique Antoine Brunet, économiste et président de la société d’analyse de la conjoncture et des marchés AB Marchés.

Michael Lewis, journaliste américain spécialiste de la finance, qualifie ces enregistrements « d’extraordinaires » dans un article publié sur le site Bloomberg View. Après avoir couvert la crise financière de 2008 aux Etats-Unis, le reporter a déclaré, une fois avoir écouté les bandes sonores : « l’équivalent de la vidéo de Ray Rice (joueur de football américain suspendu après la diffusion d’une vidéo le montrant en train d’agresser sa femme, ndlr) dans le secteur financier vient d’arriver ».

Et c’est peu dire. Au total, quarante-six heures de conversations ont été enregistrées secrètement en 2012 par Carmen Segarra, une ancienne employée de la Réserve fédérale de New York, en charge de superviser la puissante banque d’affaires Goldman Sachs. Les bandes sonores révèlent que certains de ses collègues ont agi selon le bon vouloir de la banque. D’après ProPublica, ils en disent long sur « la tradition de déférence du plus grand régulateur de Wall Street vis-à-vis des banques ».

Deux points de litige émergent des conversations que cette ancienne avocate a captées à l’insu de ses collègues. Le premier concerne une transaction entre Goldman Sachs et la banque espagnole Banco Santander.

D’après les documents, la Fed n’a pas réussi à réglementer les banques, car elle n’encourageait pas ses employés à signaler des problèmes ou à poser des questions. Bien au contraire : les employés ne sont pas parvenus à convenablement surveiller ces puissantes banques, non pas parce qu’ils n’avaient pas les outils à leur disposition, mais parce qu’ils ont été dissuadés de les utiliser.

Carmen Segarra avait été engagée par la Fed en octobre 2011 afin d’aider la banque à améliorer son système de surveillance. Dès son premier jour de travail, on lui a assigné la tâche d’observer Goldman Sachs. Au cours d’un certain nombre de réunions, elle apprend que les employés de la Fed avaient pour objectif de minimiser ou même d’ignorer les propos alarmants tenus par des employés de Goldman Sachs.

Une fois, raconte-elle, un employé de la banque avait déclaré : « pour nos riches clients, certaines lois de protection des consommateurs ne s’appliquent pas « . Choquée, Carmen Segarra avait fait part de sa surprise à un de ses collègues, qui lui avait répondu : « Tu n’as rien entendu ».

Un scandale en puissance qui fait dire à Michael Lewis, sur Bloomberg View : « Vous deviniez déjà confusément que les régulateurs étaient plus ou moins contrôlés par les banques. Maintenant, vous le savez. Et la raison pour laquelle vous le savez est qu’une femme a été assez courageuse pour combattre le système » écrit-il sur Bloomberg. Ces révélations sont d’autant plus importantes que, comme le souligne l’économiste Antoine Brunet, « jusque-là, dans les grands noms de la finance américaine, Goldman Sachs est certainement la banque qui a le mieux traversé tous les évènements depuis 2007. Elle n’avait encore jamais été impacté ni par la crise, ni après celle-ci’. Ce n’est donc plus le cas.

D’autant plus qu’un autre point litigieux a été mis au jour par ces enregistrements, Carmen Segarra estime que Goldman Sachs n’a pas de garde-fou interne visant à éviter de possibles conflits d’intérêt, contrevenant ainsi aux règles de régulation bancaire. Mais, comme le prouve les enregistrements, alors qu’elle en averti sa direction, son manager, plutôt que d’en prendre note, lui conseille de « réfléchir un peu plus sur le choix de ses mots » lorsqu’elle lui explique que Goldman Sachs contrevient aux règles de la régulation.

Selon Carmen Segarra, sa volonté de bien faire son travail lui a valu d’être renvoyée en mai 2012. En effet, alors qu’elle a tenté coûte que coûte de convaincre Goldman Sachs de respecter les règles de la régulation bancaire, elle a été licenciée. Elle a, depuis, saisi les tribunaux pour obtenir réparation mais sa demande a été rejetée en avril dernier.

De son côté, la Fed, comme le relaie le site This American Life, s’est défendue de toute irrégularité. « La Fed de New York dément catégoriquement les allégations faites concernant l’intégrité de sa supervision des institutions financières », a-t-elle déclaré dans un communiqué. La banque centrale américaine a aussi affirmé que le licenciement de Carmen Segarra était « entièrement lié à ses performances ». Une défense somme toute logique pour Antoine Brunet car si la Banque centrale était amenée à dire autre chose « elle perdrait en crédibilité ». « Si la source est vérifiée et si la teneur des documents est bien celle retranscrite, cela voudrait dire que la Fed a échoué dans la mission qui lui était confiée et peut-être même qu’elle avait une complaisance excessive à l’égard des institutions qu’elle devait contrôler » poursuit l’économiste.

Suite à  la diffusion de ces enregistrements secrets, un membre influent du Sénat américain, Elizabeth Warren, a voulu engager des auditions sur les questions « perturbantes » soulevées par ces conversations entre des responsables de la banque et des contrôleurs de la Fed. Et d’affirmer : « Quand les régulateurs sont davantage préoccupés d’éviter aux grandes banques d’avoir à rendre des comptes que de protéger le peuple américain des comportements risqués et illégaux à Wall Street, c’est une menace pour toute notre économie ».

Une menace confirmée par Antoine Brunet : « Si les grands organismes bancaires américains, considérés comme too big to fail, sont trop gros pour qu’on les laisse faire leur vie, si les dirigeants des grands organismes financiers américains savent que le contrôleur n’exercera pas son contrôle jusqu’au bout et savent qu’ils seront impunis en cas d’infraction à la réglementation, cela donne à ses dirigeants une impunité excessive. Une impunité qui ne peut que les encourager à des pratiques néfastes pour l’économie américaine dans son ensemble ».

Antoine Brunet *

* Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Source Atlantico : 30/09/14

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