Théâtre A l’heure où les politiques culturelles confuses se muent en enfer pour les créateurs et en lourdes menaces pour les lieux de diffusion et leur liberté de programmation, un petit retour sur les pièces diffusées récemment dans l’Hérault montre que les publics ne sont pas prêts à se laisser déposséder de la diversité et de la qualité de l’offre.
Au CDN hTh le controversé directeur Rodrigo Garcia qui ne souhaite pas renouveler son mandat à Montpellier reprend une de ses pièces à guichet fermé.
C’est comme ça et me faites pas chier de Rodrigo Garcia
Certaines édiles ont vu dans le titre un outrage, là où l’auteur et metteur en scène affirme son expression sur l’incommunicabilité. La réponse aux détracteurs se trouve dans le texte superbe de l’auteur argentin écrit il y a presque 10 ans : « Voilà ce que j’ai appris. À faire confiance à l’alphabet. J’ai appris qu’il faut faire confiance seulement aux mots et jamais à ce qui s’agite autour. Tu vas me dire que chaque être humain doit viser le mot juste. À ça‚ moi je réponds : effectivement‚ c’est là sa dette ; ce qu’il a de plus lourd à porter tient à sa nature. Langage : mille millions de tonnes que n’importe quel homme porte sur son dos. » De ce poids, on le sait, les politiques ne sont pas en reste. Le rôle titre est interprété par l’acteur aveugle et lumineux Melchior Derouet. Poussé par la puissance d’un monde intérieur proche de l’enfance mais affirmé, il performe avec la sensuelle et radicale Nuria Lioansi dans un échange sensible. Les ruptures sonores ou minimalistes laissent intacte la force d’un texte qui questionne les valeurs d’intelligibilité égarées de notre quotidien.
La Mouette d’Ostermeier Pour son adaptation de La Mouette, Thomas Ostermeier s’attache à l’expérience fondatrice de Tchekhov, très engagé socialement. Le spectacle vient d’être donné au Théâtre de Nîmes et au Théâtre Molière à Sète. La relecture de l’artiste allemand se traduit par une mise en scène contemporaine du texte. Ce qui apparaît très perceptiblement au début du spectacle dans les apartés des comédiens sur le théâtre de performance ou à travers l’évocation du conflit syrien, s’estompe lorsque l’action de la pièce de Tchekhov démarre. Mais le fil rouge qui met en exergue l’ambivalence et l’aveuglement volontaire des nantis obsédés par leurs petits problèmes personnels, sans que d’aucune manière la crise humaine et politique fondamentale qui se déroule sous leur yeux, ne leur pose question, demeure tendu. C’est avec finesse, qu’Ostermeier dessine la transposition des contextes, Les coupes opérées dans le texte et la direction des comédiens contribuent au renouvellement de l’intrigue qui se joue dans le monde intérieur des personnages et ouvrent sur une vision du monde très familière. A cet égard, le conflit artistique de génération figurant dans la pièce n’est pas sans rappeler les débats autour du CDN de Montpellier.
RDV Gare de l’Est à sortieOuest
Guillaume Vincent a mis en scène son texte Rendez-vous Gare de l’Est à sortieOuest. Il est question de restituer la parole prisonnière que ce soit celle prononcée par les accusés devant le juge, ou celle entendue aux urgences psychiatriques. Le texte résulte d’un travail intensif d’entretiens. Une femme se raconte, dit son trouble : la bipolarité. La pièce est donnée devant un public en alerte, mobilisé pour la sauvegarde du lieu où il se trouve encore aujourd’hui et peut-être plus demain, ce qui confère une écoute particulière, très attentive. Le silence est participatif. La déraison comme un fruit du mensonge et la vérité considérée comme inconsistante. La vérité humaine perdue que le théâtre rend perceptible. Cette inconnue de la gare, si proche de nous, traverse parfois la frontière qui contient la norme, sans trop s’éloigner. La performance d’Émilie Incerti Formentini, dont la présence électrique secoue ce monde vitré, s’inscrit dans nos mémoires.
Les grandes bouches
Le metteur en scène Luc Sabot adapte le texte Les grandes bouches de François Chaffin au Chai du Terral à St-Jean-de-Védas. Un spectacle musical qui renoue avec la verve du rock français des années 80 où le texte ordonne le chaos, la rage et la résistance. Ce texte nous parle des figures du pouvoir politique, militaire, médiatique, commercial, intellectuel qui parle à notre place. Ici encore, le théâtre réaffirme sa vocation politique dans le bon sens du terme.
Le point commun de ces spectacles qui ont fait salle comble, pourrait être l’attachement du public au théâtre dans sa diversité d’expression. La volonté de ne pas se laisser happer par l’industrie du divertissement, si agréable soit-elle. Quoiqu’en pensent les responsables politiques, l’art théâtral n’est pas soluble dans les paillettes. Dans le contexte d’incertitude actuel, ils pourraient bien l’apprendre à leur dépens.
Jean-Claude Carrière, 85 ans, a déjà eu plusieurs vies. Historien, traducteur, écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène… Il résume ses innombrables facettes sous l’appellation de «conteur». Il vient de publier deux ouvrages majeurs inspirés par le «califat» de l’État islamique. Retour sur les résonances entre la situation contemporaine et les expériences passées, entre croyance, guerre et paix.
Vos deux derniers ouvrages, Croyanceet La Paixdonnent l’impression que vous avez désormais adopté la position du sage. D’où nous écrivez-vous aujourd’hui? Est-ce bien cela?
Jean-Claude Carrière: Surtout pas! (rires). Non, je fais ici appel à ma formation d’historien. J’ai fait Normale sup et suis devenu historien. Là, je suis en terrain sûr. À dire vrai, je pense continuellement à l’histoire. Je réfléchis à la manière dont tel ou tel événement peut s’y inscrire. J’analyse: comment recevons-nous cet événement de notre présent? Comment le racontons-nous et comment sera-t-il demain raconté ?
Et puis je suis un homme de spectacle et la dramaturgie me passionne. C’est ce que j’aborde dans La Paix, cette paix durant laquelle il ne se passe rien, que pouvons-nous en dire aujourd’hui? Dans les œuvres littéraires, romanesques, théâtrales, il y a toujours un conflit, toujours une querelle, toujours une hostilité voire une guerre. Dans la tragédie, bien sûr, mais aussi la comédie. Avec, bien évidemment, au départ, l’épopée. Mais si tout cela est mis de côté, alors que peut-on encore raconter ?
Toutes les grandes épopées, à commencer par l’Iliade et le Mahabharata, tournent autour d’un très grand conflit meurtrier. Tout se passe comme si, dès l’origine, nous avions besoin de ce conflit. Peter Brook est même allé jusqu’à poser la question de savoir si le Mahabharata n’était pas une seule et longue question: qu’est-ce qu’un conflit, qu’est ce qu’une guerre? Y a-t-il au fond dans la nature humaine une part innée de violence? Je me garde bien de répondre à cette vieille question qui me dépasse.
La clef est peut-être dans les progrès de la génétique?
Pour l’heure, personne, à mon sens, n’y a jamais répondu, ni la génétique ni les généticiens. J’ai consulté des spécialistes, ils affirment que dans la préhistoire humaine, les lésions les plus anciennes retrouvées sur les plus vieux os des plus vieux squelettes sont les conséquences d’accidents, pas d’agressions. Est-ce dire que nous sommes nés en paix? Est ce le nombre qui nous a rendus violents? Est-ce Jean-Jacques Rousseau qui aurait finalement raison quand il voit dans l’instauration de la propriété la source de tous nos maux?
À vous lire, on prend conscience que les espaces de paix sont des exceptions dans l’histoire.
Oui. La paix la plus longue fut en définitive la Pax Romana. Je parle beaucoup de cette période que je connais assez bien. Au IIe siècle après J.-C., à l’apogée de la puissance romaine, il y eut le règne d’Antonin le Pieux, dont personne ne parle jamais. Il y eut alors, pendant un quart de siècle, une paix absolument totale, impériale, sans la moindre révolte –et ce depuis l’Écosse jusqu’à la Jordanie.
Vous me direz que nous vivons en paix, en Europe, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est à voir. Et qu’appelle-t-on la paix? Nous avons nommé pacification la Guerre d’Algérie. La guerre d’Indochine ne fut pas vraiment perçue comme une de nos guerres et il en fut de même pour la dislocation de la Yougoslavie.
Notre gouvernement nous dit que nous sommes en guerre, mais dans les faits nous sommes en paix. Nous sommes des soldats sans armes. La «paix» est un mot rayonnant autant que mystérieux. En avançant dans la rédaction de mes ouvrages, j’ai pris conscience que même après la mort nous ne sommes pas en paix: «Requiescat in pace» (Qu’il/elle repose en paix). Pas de repos éternel assuré… toujours le risque des diables fourchus. C’est comme si aucun territoire ne pouvait échapper aux violences et aux conflits. Et quand nous allons dans les autres mondes, c’est pour la Guerre des étoiles, jamais pour la paix.
On assiste toutefois en Occident au développement de forts courants, thérapeutiques ou pas, visant à l’apaisement individuel, via la méditation, la respiration, les retraites…
De fait, il y a peut-être là une vraie différence entre Orient et Occident. Jésus n’a jamais dit qu’il venait apporter la paix, il a dit très exactement le contraire: «Je ne suis pas venu là apporter la paix mais l’épée… Je suis venu apporter le feu sur la Terre.» Toutes les religions occidentales, y compris l’islam, ont toujours apporté le feu et le sang. Le bouddhisme qui n’est évidemment pas une religion –il n’y a pas de Dieu créateur dans le bouddhisme– dit que sans la paix intérieure, il est inutile d’en chercher une autre à l’extérieur. Ceci m’a beaucoup frappé. Ce n’est pas le cas de l’hindouisme qui génère pléthore de conflits. L’un des problèmes actuel est celui des conversions. L’actuel Premier ministre indien est un hindouiste intégriste et intransigeant. Faut-il, pour survivre, que les Indiens chrétiens et musulmans se convertissent pour pouvoir survivre? Voilà une vraie question d’aujourd’hui et non des ténèbres du passé.
Quelle articulation faites-vous entre les croyances et la paix?
En ma qualité d’athée non polémiste, je me suis toujours intéressé à l’histoire des religions. D’ailleurs, seuls les athées peuvent parler des religions de manière calme, paisible et neutre. Résumons: les religions ne nous disent évidemment rien sur les Dieux qui n’existent pas. Mais elles nous disent beaucoup sur nous-mêmes, sur ce que nous avons cherché à mettre dans d’autres personnages que ceux que nous sommes, sur d’autres entités, sur d’autres dimensions, dans d’autres fééries.
Figurez-vous qu’avec La Voie Lactée de Luis Buñuel, je suis devenu un spécialiste des hérésies de la religion chrétienne. J’ai même été jusqu’à donné des conférences dans de grands séminaires. J’ai classé ces hérésies en fonction des six grands mystères de la religion chrétienne. Et tout cela à été publié dans la revue Études. C’est dire si je ne peux pas être suspecté de côtoyer le Malin. La Controverse de Valladolidtourne aussi autour de ces questions.
Aussi ai-je été très frappé par l’annonce de la création d’un califat islamique. J’y ai aussitôt vu un phénomène que nous n’avions pas vu depuis trois siècles.
Quel phénomène?
Mais tout simplement la religion prise comme un flambeau de guerre. Nous n’avions pas vu ça depuis les Camisards. Tout à coup un groupe humain décide, au nom de la religion, qu’on va tuer les incroyants, les infidèles. Ni Napoléon, cette fausse gloire par excellence, ni Hitler ni (à plus forte raison) Staline n’ont eu besoin d’invoquer la religion comme drapeau.
Et là, avec le califat, des gens veulent et viennent nous tuer non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. C’est ainsi que j’en suis venu à me pencher sur la notion de croyance en sachant bien que la suite concernerait la guerre et la paix. Mes deux livres se répondent, n’en font qu’un.
Quand on lance une aventure guerrière pour conquérir le bien des autres, pour conquérir leur terre, leurs butins, (voire leur femme comme avec les Sabines), cela peut à la rigueur se comprendre. Cela pourrait vous arriver à vous comme à moi. Mais se battre pour l’imaginaire d’un autre, se tuer et s’entretuer pour une croyance… Voilà qui est pour moi le phénomène le plus mystérieux du comportement humain. Résumons: parce que je sais que j’ai inventé tel ou tel dieu, j’en arrive à croire à sa réalité. Vous voyez cette torsion de l’esprit: je crois à cette irréalité que je sais avoir inventé. Je finis par y croire.
Que des milliers d’individus soient allés marcher sur Rome pour se faire manger par les fauves dans la certitude d’aller au paradis chrétien. Quel étonnement… Les bras m’en tombent.
Y-a-t-il eu des exceptions, des espaces de temps où les croyances ne nourrissaient pas de violence?
Très peu. Au IIe siècle après Jésus-Christ, tout est pacifique, tous les Dieux sont admis dans l’Empire romain. On trouve même, à Rome, un temple élevé aux dieux inconnus… S’ils passent par là, ils ont un temple, sont les bienvenus. Tout alors va très bien, on peut adorer les dieux égyptiens, les dieux grecs et romains, et le chrétien. Deux siècles plus tard, Théodose Ier décide que la religion de l’Empire romain sera le christianisme et uniquement le christianisme. Tous les peuples, de l’Écosse à la Jordanie devront croire à l’acte de foi chrétien. Sinon, c’est la mort. Or, c’est très précisément à partir de ce moment là que commence la décadence de l’Empire romain. Ceci est tout particulièrement intéressant pour nous aujourd’hui, c’est quand on tente d’unifier à tout prix que l’on déchire. Nous avions rêvé avec Buñuel Bunuel de faire un film. Nous aurions été en Égypte, vers le Soudan. Là, une famille s’occupe d’un temple vieux de 4.000 ans. Soudain quelqu’un arrive et dit :
-«C’est fini, vous devez renoncer, un nouveau dieu est arrivé, le vrai Dieu.
-Qui est-ce?
-C’est un Juif.
-Un juif? Qu’est-ce?»
L’un d’entre eux va alors jusqu’à Alexandrie pour se renseigner sur ce vrai Dieu. Nous avions à nouveau prévu une scène très intéressante de discussion sur le thème Controverse de Valladolid. Puis l’homme rentrait chez lui et déclarait: «C’est un ordre impérial, nous devons nous y soumettre.» La famille creusait alors le désert, couchaient dans le sable les différentes statues, rendaient un dernier hommage, célébraient un dernier culte, recouvraient le tout de sable… Dans l’attente des siècles et des archéologues. Voilà encore un film que nous n’avons jamais fait, il aurait coûté beaucoup trop cher.
Vous avez beaucoup de projets de films de ce type restés dans les cartons?
Quelques-uns. Je me souviens d’astronautes aventureux qui se perdaient dans l’espace. Leur vaisseau spatial égaré va se poser sur une planète inconnue, quelque part très loin dans l’univers. Ils ouvrent et à leur grande surprise, l’air est respirable, un peu comme sur la Terre. Le paysage est désertique, presque sec. Soudain ils entendent des cris, ils avancent, monte sur une colline, regardent, voient alors une ville, une foule, un chemin qui monte et, en tête de cette foule, un homme qui porte une croix. Alors les astronautes crient: «Non… Surtout pas ça. De grâce. Vous êtes fous. Vous ne savez pas ce que vous faites.»
À lire Croyance et La Paix, on a la perception d’un double mouvement de balancier: la régression des croyances correspondant à la progression de la quête scientifique, de la raison, des Lumières. Que s’est-il passé pour que ce mouvement commence à s’inverser?
Plus précisément, nous avons un moment cru que la quête de la connaissance nous débarrasserait de telle ou telle croyance, cette «certitude sans preuve». Voire même nous débarrasserait de toutes. Or, nous prenons soudain conscience que ce n’est nullement le cas: elles sont toujours là, toujours avec nous. Et ce qui est vraiment nouveau, pour nous, c’est que cette croyance revient armée –armée et assassine. Trois siècles d’absence et, soudain, le retour: une guerre qui prend la religion comme étendard. Les progrès de la science ne nous ont pas protégé contre le retour de la guerre des croyances.
Où est la faille de la cuirasse? En quoi la quête de la connaissance n’a-t-elle pas permis de prévenir ce retour?
Je dis, précisément, que personne ne peut nous le dire, nous l’expliquer. C’est la grande question. Est-ce temporaire? Est-ce que cela va durer? Pour l’heure, nous en sommes réduit à observer les réactions, violentes et militaires, qui consiste à exterminer ces croyants-là par d’autres croyants –c’est ce qui se passe par exemple actuellement à Mossoul.
Les combats de Mossoul ne sont donc pas ceux de la raison contre la religion?
Non. Ce serait plutôt le contraire. On peut le dire autrement. Nous rêvons encore à Condorcet et à l’hypothèse selon laquelle les progrès des connaissances scientifiques entraîneraient automatiquement un progrès de l’esprit humain. Eh bien, c’est faux. Ou en tout cas pas partout dans le monde. Ce que nous appelions autrefois les superstitions n’a pas disparu. Bien au contraire. Elles reviennent et elles sont redoutables.
Les croyances, qui sont par définition irréelles, veulent soudains s’imposer par des moyens concrets: les armes. Personne ne peut l’expliquer. On connaît les explications et les théories traditionnelles: le désir de surnaturel, l’absence du merveilleux, la persistance de l’enfance. Non, rien ne fonctionne aujourd’hui. Comme d’autres j’arrive à une impasse, à un trou noir, quelque chose qu’on n’explique pas.
Ce n’est pas, du point de vue de la connaissance, particulièrement rassurant?
Je ne vous le fait pas dire. Il faut pour autant ne pas oublier le passé. La Révolution française, par exemple, a eu un impact considérable sur nos institutions, sur nos lois, sur nos manières de vivre. Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais pas pour tout le monde. Et après ce que nous observons dans le monde musulman, nous voyons que le monde chrétien commence lui-aussi à se radicaliser. C’est là un échange de mauvais procédés.
Est-ce dire que vous faites une croix sur notre universalisme?
Je n’y ai jamais vraiment cru, pour tout dire, à cet universalisme. Je suis plutôt partisan de la diversité. J’insiste: la paix de l’Empire romain n’a duré que parce que les empereurs acceptaient tous les cultes.
Et que penser de Freud quand il assurait à Jung que l’Occident était menacé par l’occultisme?
Freud, ici, est allé trop loin. L’occultisme n’a certes pas disparu mais il n’a jamais pesé sur la marche du monde. L’appel à des forces occultes, la sorcellerie etc. sont des phénomènes anecdotiques. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des phénomènes d’une toute autre ampleur…
Pour finir, votre travail vous conduira-t-il à formuler des conseils aux responsables politiques qui semblent perdre prise sur le réel?
Je ne suis en rien compétent. Je me bornerai à souligner le vrai problème, selon moi, de la politique. Nous l’avions observé quand, avec Wajda, nous écrivions notre Danton. Avec la Révolution française, des hommes, pour la première fois, étaient élus, étaient légitimes pour faire des lois universelles. Ce fut la seule fois dans l’histoire du monde. Déjà, à cet instant-là, des personnes comme Danton, Desmoulins, Robespierre et tant d’autres se sentaient investis d’un pouvoir parfaitement légitime. Des lits de camp avaient été installés dans les couloirs de la Convention sur lesquels ils ne dormaient que quelques heures de temps en temps tellement ils étaient persuadés d’être dans l’urgence et la bonne direction. Or, déjà à ce moment-là, ils doutent de la légitimité de leur pouvoir. Des lettres de Danton en témoignent. Ils sentent que quelque chose leur échappe dans le comportement du peuple –ce peuple dont ils se réclament et dont ils veulent le bien.
C’est sur la notion même de pouvoir sur laquelle il nous faudrait, aujourd’hui réfléchir. Qu’est-ce qu’un pouvoir politique? On dit par exemple que le quinquennat de François Hollande est un désastre. Du strict point de vue économique ce n’est pas vrai. Si c’était un film on parlerait de miscast… des gaffes en série, des erreurs, de la pluie à répétion… Et, pour l’heure les émissions télévisées qui précèdent les élections des primaires ne sont rien d’autre qu’un défilé chez le producteur. Voilà pour le spectacle. Reste la question aujourd’hui centrale: où est passé le pouvoir politique ?
Sous la baguette magique de Michael Schonwandt, l’Orchestre de Montpellier célèbre et renouvelle Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec le concours du captivant récitant William Nadylam et de la talentueuse vidéaste Juliette Deschamps.
S’il est un dramaturge célébré en musique c’est bien Shakespeare. Au XVIe siècle déjà, ses pièces faisaient la part belle à la musique, qui était partie intégrante de la représentation. Verdi composa quatre opéras inspirés du dramaturge, dont Macbeth, Otello et Falstaff. L’histoire de Roméo et Juliette inspira plusieurs compositeurs romantiques, comme Gounod qui en tira un opéra, Tchaïkovski qui composa une ouverture, ou Prokofiev. La pièce Le Songe d’une nuit d’été, où se mêlent des elfes et des fées, a donné lieu au semi-opéra de Purcell The Fairy Queen ainsi qu’ à une ouverture que compose Mendelssohn à l’âge de dix-sept ans. œuvre étonnamment mûre, dont l’équilibre, la fraîcheur, et l’imagination ne cessent d’étonner.
Dans le cadre du 400ème anniversaire de la disparition de William Shakespeare, la carte blanche offerte au directeur musical de l’Opéra national de Bordeaux, le chef britannique Paul Daniel, se combine sur scène avec la création d’une performance vidéo de la réalisatrice française Juliette Deschamps. Il était probable que cette démarche rencontre l’esprit d’ouverture qui anime la directrice de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, Valérie Chevalier dont les choix artistiques budgétairement contraints, promeuvent le dépoussiérage du répertoire et l’innovation qui a du sens. C’est ainsi que les Montpelliérains et les Alésiens ont pu apprécier ce week-end l’adaptation de l’œuvre de Mendelssohn en images, en conte et en musique interprétée par l’OONM sous la direction de Michael Schonwandt avec le Chœur de l’Orchestre et celui de l’Opéra junior.
Le potentiel ravivé de l’œuvre
Dix-sept ans après son ouverture, en 1843, alors que Mendelssohn est un musicien très en vue en Europe, il reprend sa partition de jeunesse et l’augmente de douze numéros pour deux voix de femmes, choeur et orchestre à la demande de Frédéric-Guillaume IV de Prusse. C’est cette version du Songe qu’il a été donné d’entendre avec les passages, chantés (interprétés par la soprano Capucine Daumas et la mezzo-soprano Alice Ferrière) qui se glissent dans le texte même de la féerie de Shakespeare.
Le processus d’écriture de l’œuvre offre de multiples possibilités combinatoires parfaitement adaptées et exploitées par l’acteur William Nadylam. Dans le rôle du narrateur, il donne une pleine mesure de ses qualités acquises auprès de Peter Brook. Il en va de même du travail de Juliette Deschamps qui mixe en direct les images vidéo qu’elle a tourné en Angola, renouant avec la dimension universelle de l’œuvre et son envoûtante mise en abîme. Ces trésors de poésie, de tendresse, et de goguenardise, nous sont restitués dans une version narrative totalement contemporaine.
Une critique éclairée du film « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan
Par Lydie Parisse*
Certains critiquent le côté parfois ‘branché’ du film de Xavier Dolan, d’autres les gros plans, etc. Au-delà de ces controverses un peu tatillonnes, j’aimerais dire que le film, s’il ne respecte pas toujours la pièce « à la lettre », en restitue extraordinairement l’esprit. Toute réécriture opère toujours un déplacement du regard, parfois radicale : c’est le cas ici, puisque Dolan supprime les monologues de Louis et notamment l’épilogue. Mais dans le théâtre intime qui est celui du jeune cinéaste, on retrouve bien le clair-obscur typique de l’ironie permanente de Lagarce, sauf qu’ici ce clair-obscur naît clairement de la psychologie vertigineuse des personnages, de la charge émotionnelle qu’ils dégagent. Les codes du cinéma sont différents de ceux du théâtre, et les personnages plantés par Dolan sont là, dans un présent bien tangible qui n’est pas l’effet de rémanence auquel nous sommes habitués dans les mises en scène “contemporaines“ de Lagarce. Pourtant, le film sait aussi installer chaque figure dans une forme de présence-absence.
Même si les dialogues ne sont pas tous conservés en l’état, la langue de Lagarce est bien là, du moins son esprit, dans sa recherche obsessionnelle du mot juste, dans son bégaiement collectif rituel qui dit une non-coïncidence du langage et de la pensée, une non coïncidence des mots et des corps, une non-coïncidence de soi à soi. C’est dans ce déficit, qui touche le langage, qui touche l’être, que s’installent les personnages de Lagarce : une seule voix les traverse tous, dans une sorte d’identité transpersonnelle. Rhétorique de l’incertitude, tremblement du dire et tremblement de l’être, usage de l’approximation, telles sont les attitudes d’écriture d’un auteur qui pratique la culture du doute et le choix de l’hésitation, entendus comme un art poétique, mais aussi comme un acte de résistance aux certitudes assénées par les discours totalitaires.
Ce que le film met particulièrement en relief, c’est à quel point le dispositif de la pièce est placé sous le signe de la perte, de la déperdition, qui marque la relation à l’écriture, aux autres, au monde. Le sentiment de la perte est lié au désir impérieux de retrouver le mot juste, la relation juste, le regard juste.
Pourquoi Louis est-il revenu parmi les siens après douze ans d’absence [1] ? Par mélancolie ? Obsédé par le sentiment d’une perte irrémédiable située dans le passé, il revient pour déplorer le manque d’amour dont il fut l’objet, plainte qui fut la sienne depuis l’enfance, et en même temps, venant annoncer sa mort prochaine, il se vit comme déjà mort. Impuissance, mélancolie, expérience de dépersonnalisation, tels sont les éléments de ce que Lagarce, dans son Journal, identifie au sentiment d’appartenir à l’humanité du « Troisième groupe » : « Il y a les vivants et les morts, et nous, là, qui sommes perdus et continuons ».
En arrivant chez sa mère, lui, l’écrivain, va être la cible de ses proches, et s’offrir en sacrifice. Ce que le film de Xavier Dolan révèle, dans un langage et un lyrisme qui lui est personnel, c’est la violence archaïque qui sous-tend les relations entre les personnages, et que nos scènes contemporaines, ont tendance à mettre à distance. Dans les pièces de Lagarce, la violence est d’abord un phénomène de langage, mais elle est aussi un phénomène éthique, lié à l’incapacité existentielle des personnages à prendre en compte la dimension de l’Autre, sans cesse ramené à la sphère du Même, au sens où l’entend Lévinas. C’est bien de cette violence-là que Louis est victime : empêché (sauf par Catherine) de s’exprimer en son propre nom, instrumentalisé par sa mère qui lui demande de rassurer les siens, il ne peut accéder à une existence séparée qu’à travers une relation biaisée : l’aparté au public dans les monologues (mais les monologues ont été coupés dans le film de Dolan). En dehors de cette adresse indirecte, il est réduit au mutisme et à une identité tronquée : sa fratrie donne de lui un portrait faussé, émaillé de jugements, rompant par là la continuité de sa personne : Louis ne parle pas en son nom propre. Selon Lévinas, le discours de la totalité est affirmation absolue d’une subjectivité qui s’érige en juge, d’où l’abondance des jugements de valeur qui visent à réduire l’autre, à l’instrumentaliser dans le discours du Même. Dans Juste la fin du monde, Catherine s’insurge contre cette habitude selon laquelle un nouveau né doit absolument ressembler à ses parents, et elle défend l’idée que son enfant « ne ressemble à personne », échappant à cette logique du scandale de l’altérité qui fait du langage familial une véritable machine de guerre propre à nier les différences, voire à les réduire, ou à exclure l’individu différent. En revanche, Antoine est dans la logique du Même : « Vous êtes semblables, lui et toi, et moi aussi, je suis comme vous », dit-il à sa sœur pour la consoler. Suzanne aussi ne veut voir en Louis que quelqu’un qui « ne change pas ». Les personnages se créent leurs propres enfermements, leurs propres citadelles. Tous ont peur, et c’est ce qui est à l’origine de la violence. Si la parole de Louis n’a pu être entendue parce qu’elle aurait eu l’impact d’un cri dans un tunnel vide, en revanche, son silence a été entendu, et c’est là, sans doute, toute la force du film de Dolan d’avoir pu filmer en gros plan les visages, car le visage, selon Lévinas, est le lieu de la relation juste, celle du face-à-face avec l’autre.
L’écriture de Lagarce développe plusieurs stratégies d’évitement de la violence et donc du tragique (qui est, au sens étymologique, contamination de la violence rituelle, n’oublions pas que la tragédie est issue du bouc – tragos – que l’on sacrifie).
La première consiste à faire du protagoniste principal moins un mourant qu’un revenant – et c’est là une des forces du casting de Xavier Dolan. Louis n’a pas le même degré de présence scénique que les autres personnages, il est une sorte de présent-absent, mais s’il est ainsi perçu, c’est à travers la folie collective des autres personnages, qui, le privant de sa parole, le déréalisent, le dépersonnalisent, en font une figure sans doute sacrificielle, mais aussi messianique. Sur le plan de la conscience, Louis est déjà d’outre-monde, il a basculé dans une perception où manque le lointain. « Une des choses les plus mélancoliques dans le rapprochement de la mort : la perte du lointain », écrivait Hervé Guibert dans Le Mausolée des Amants. Mais dans la pièce, tout se passe comme si le fait de se trouver confronté au définitif (la séparation, la dernière fois, la mort) n’était plus seulement l’affaire de Louis, mais celle des autres. La hantise d’une nouvelle séparation les plonge en effet dans des accès de colère et de désespoir très bien rendus par le film de Dolan. Dans Juste la fin du monde, Louis est présenté comme une sorte de ressuscité qui vient brusquement révéler aux siens leur vrai contexte existentiel (le manque d’amour). On voit le sentiment de sidération, fait de trouble et d’admiration, qui accompagne son apparition au seuil de la maison familiale : en cela, nous sommes très proches du Théorème de Pasolini. Quant à la mère, elle tente de redonner à Louis sa place symbolique d’aîné (que Louis refuse dans le film de Dolan), et lui explique qu’il est revenu pour combler les manques existentiels de ses frères et sœurs, leur donner l’autorisation de devenir enfin eux-mêmes : « Suzanne voudrait partir (…). Lui, Antoine, il voudrait plus de liberté, je ne sais pas (…). Et c’est à toi qu’ils veulent demander cela, c’est à toi qu’ils semblent vouloir demander l’autorisation ». La tension monte, au point qu’à un moment, Antoine est près de frapper son frère (geste que le film esquisse, ce qui est peut-être un peu trop littéral, il est vrai). Pourquoi cet accès de violence? C’est qu’en Antoine, contre son gré, quelque chose a été atteint. Le conflit extérieur cache un conflit interne (qui est aussi la caractéristique des héros tragiques). Ce rejet n’est pas de haine, il est la forme paradoxale d’un amour refoulé, d’une résistance qui se brise, d’un conflit intérieur qui trouve sa résolution en prenant la forme chaotique d’une conversion, d’une métanoïa opérée par la simple présence, silencieuse, de Louis. Ce moment de bascule est la conséquence de la présence négative de Louis parmi les siens, qui fait de lui une créature d’un autre monde, une figure de la résurrection. Avec le personnage de Louis, Lagarce met en œuvre le motif du retour parmi les vivants, qui nous renvoie à la Bible comme à la légende orphique : « admettre l’idée toute simple et très apaisante, très joyeuse, (…) l’idée que je reviendrai, que j’aurai une autre vie après celle-là où je serai le même, où j’aurai plus de charme, (…) où je serai un homme très libre et très heureux ».
La seconde stratégie d’évitement de la violence consiste à faire bifurquer le dispositif du tragique vers le Trauerspiel. Il est effet deux lignées dans le théâtre occidental : le théâtre tragique, hérité des grecs, et le théâtre non-tragique, ou pré-tragique, hérité des mystères médiévaux. Walter Benjamin, dans Essais sur Brecht, définit le héros non tragique comme l’homme ordinaire, « sans qualités », pour reprendre le titre du chef-d’œuvre de Robert Musil. Ce qui voulait écrire Lagarce, c’était l’histoire d’ « un seul homme, sans qualité, sans histoire, tous les autres hommes ». Ce mode de lecture nous autorise à lire le personnage de Louis comme une figure de la perte, qui, par son aptitude au renoncement (il renonce à son projet de départ, préférant bafouiller des promesses de retour), par son aptitude à l’abandon (à la fois actif et passif) est un personnage entre deux mondes qui donne la mesure d’un monde.
L’homme renoncé est un personnage qui hante la littérature européenne, et qui, sur le plan théâtral, s’inscrit dans la tradition du Trauerspiel, dans lequel Walter Benjamin voit la « célébration de la Passion de l’homme » ou encore le « drame du martyr ». Les dernières pièces de Lagarce consacrées au cycle du retour racontent ce parcours : un homme meurt et cherche à donner à sa mort une justification, profitant de cette occasion du retour aux sources pour devenir son « propre maître », c’est-à-dire devenir libre. La démarche est d’emblée présentée comme sans espérance (« sans espoir jamais de survivre »), laissant entendre que le héros a renoncé aux idées de salut avant de prendre le chemin de la maison familiale. Louis est bien un « martyr » au sens étymologique de « témoin ». C’est bien le rôle qu’il va jouer dans sa famille : il écoutera les autres.
L’abandon est un état à la fois passif et actif. Si dans sa famille, abandonner les siens est une faute, Louis a abandonné les siens et en retour, a été abandonné d’eux et en souffre, mais il réalise, contre toute attente, « que cette absence d’amour fit toujours plus souffrir les autres que (lui) ». L’abandon est un état de conscience paradoxal, car il est une tentative de conciliation des contraires, dont l’image est la nuit lumineuse. « C’est comme la nuit en pleine journée », dit Antoine dans Juste la fin du monde pour résumer le contexte étrange dans lequel baignent ces retrouvailles, et que le film de Dolan tente de rendre par le travail de surexposition des lumières et des contre-jour, et par cette jolie idée d’une chaleur caniculaire.
L’abandon est paradoxal, il est aussi un choix, un acte de volonté : le choix de la non-violence, porté jusque dans la peur, jusque dans la souffrance-même. Lagarce dira plus tard vouloir raconter dans Le Pays lointain « la violence, comme étrangère », la mettre à distance par l’écriture. C’est pourquoi « dire ce refus de l’inquiétude » (jusque dans l’inquiétude-même), est son « premier engagement » : ce refus de l’inquiétude n’est autre qu’une recherche du détachement, ou de la liberté de qui ne possède rien et n’est possédé par rien. Il est certain que le succès des pièces de Lagarce et de Juste la fin du monde vient de ce qu’elles nous rattachent au fonds anthropologique de l’humanité. Aussi la figure de Louis, comme les autres figures d’écrivains de ses pièces, est-elle moins une figure d’abandonné qu’une figure de dépossédé. C’est ce qui fait que l’écriture de Juste la fin du monde a sans doute été nourrie par des souvenirs de cinéma, et s’apparente à des œuvres telles que LeSacrifice (1986) de Tarkovski, film qui a bouleversé Lagarce au moment de sa sortie, parce qu’il parle de la fin du monde, mais d’une fin du monde au sens d’une apocalypse, au sens étymologique de renversement des apparences, de révélation de réalités cachées. Un film testamentaire, puisque Tarkovski est mort quelques mois après. « C’est magnifique, C’est magnifique et les images restent dans ma tête. Eprouvant aussi. Les acteurs sont excellents (la comédienne qui joue la femme de Josephson notamment). C’est cela par-dessus tout que j’aimerais pouvoir écrire », affirmait Lagarce.
* Lydie Parisse est dramaturge, elle est notamment l’auteure de Lagarce. Un théâtre entre présence et absence, Classiques Garnier, 2014.
Depuis le mois d’août dernier, l’auteure turque Asli Erdogan est incarcérée dans une prison d’Istanbul, Barkirköy. Son arrestation par les autorités turques a été condamnée par de nombreuses organisations internationales : elle reflète les méthodes antidémocratiques utilisées par le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet 2016.
Asli Erdogan a été déférée au tribunal le 19 août sur la base de trois chefs d’accusation : « propagande en faveur d’une organisation terroriste », « appartenance à une organisation terroriste », « incitation au désordre ». Son soutien à la communauté kurde et son appel à la reconnaissance de la responsabilité turque dans le génocide arménien auraient fait d’elle une cible prioritaire des purges mises en place par Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet dernier.
La situation d’Asli Ergodan est d’autant plus préoccupante qu’elle souffre d’une santé fragile. L’auteure a rédigé une lettre, « un appel d’urgence », pour sommer la communauté européenne d’agir pour la libération de ses collègues et la défense de la liberté d’expression en Turquie.
Nous reproduisons ci-dessous la traduction de son courrier, fournie par le site Kedistan.
ChEres amiEs, collègues, journalistes, et membres de la presse,
Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakirköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens et voix des sociaux démocrates. Actuellement plus de 10 auteurs de ce journal sont en garde à vue. Quatre personnes dont Can Dündar (ex) rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc.
Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la « vérité » et la « réalité », et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde à vue (jusqu’à 30 jours)…
Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Özgür Gündem, « journal kurde ». Malgré le fait que les conseillères, n’ont aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n° 11 de la Loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas été emmenée encore devant un tribunal qui écoutera mon histoire.
Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, est également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme.
Cette lettre est un appel d’urgence !
La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que le régime totalitaire en Turquie s’étendra inévitablement, également sur toute l’Europe. L’Europe est actuellement focalisée sur la « crise de réfugiés » et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, — auteurEs, journalistes, Kurdes, AléviEs, et bien sûr les femmes — payons le prix lourd de la « crise de démocratie ».
L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que « l’Europe est l’Europe » : la démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression…
Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant.