Maintien de la qualité de l’offre théâtrale par temps de tempête

Théâtre
A l’heure où les politiques culturelles confuses se muent en enfer pour les créateurs et en lourdes menaces pour les lieux de diffusion et leur liberté de programmation, un petit retour sur les pièces diffusées récemment dans l’Hérault montre que les publics ne sont pas prêts à se laisser déposséder de la diversité et de la qualité de l’offre.

Au CDN hTh le controversé directeur Rodrigo Garcia qui ne souhaite pas renouveler son mandat à Montpellier reprend une de ses pièces à guichet fermé.

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C’est comme ça et me faites pas chier  de Rodrigo Garcia
Certaines édiles ont vu dans le titre un outrage, là où l’auteur et  metteur en scène affirme son expression sur l’incommunicabilité. La réponse aux détracteurs se trouve dans le texte superbe de l’auteur argentin écrit il y a presque 10 ans : « Voilà ce que j’ai appris. À faire confiance à l’alphabet. J’ai appris qu’il faut faire confiance seulement aux mots et jamais à ce qui s’agite autour. Tu vas me dire que chaque être humain doit viser le mot juste. À ça‚ moi je réponds : effectivement‚ c’est là sa dette ; ce qu’il a de plus lourd à porter tient à sa nature. Langage : mille millions de tonnes que n’importe quel homme porte sur son dos. » De ce poids, on le sait, les politiques ne sont pas en reste. Le rôle titre est interprété par  l’acteur aveugle et lumineux Melchior Derouet. Poussé par la puissance d’un monde intérieur proche de l’enfance mais affirmé, il performe  avec la sensuelle  et radicale Nuria Lioansi dans un échange sensible. Les ruptures sonores ou minimalistes laissent intacte la force d’un texte qui questionne les valeurs d’intelligibilité égarées de notre quotidien.

La Mouette d’Ostermeier
la_mouette-3bPour son adaptation de La Mouette, Thomas Ostermeier s’attache à l’expérience fondatrice de Tchekhov, très engagé socialement. Le spectacle vient d’être donné au Théâtre de Nîmes et au Théâtre Molière à Sète. La relecture de l’artiste allemand se traduit par une mise en scène contemporaine du texte. Ce qui apparaît très perceptiblement au début du spectacle  dans les apartés des comédiens sur le théâtre de performance ou à travers l’évocation du conflit syrien, s’estompe lorsque l’action de la pièce de Tchekhov démarre. Mais le fil rouge qui met en exergue l’ambivalence et l’aveuglement volontaire des nantis obsédés par leurs petits problèmes personnels, sans que d’aucune manière la crise humaine et politique fondamentale qui se déroule sous leur yeux, ne leur pose question, demeure tendu. C’est avec finesse, qu’Ostermeier dessine la transposition des contextes,  Les coupes opérées dans le texte  et la direction des comédiens contribuent au renouvellement de l’intrigue qui se joue dans le monde intérieur des personnages et ouvrent sur  une vision du monde très familière. A cet égard, le conflit artistique de génération figurant dans la pièce n’est pas sans rappeler les débats autour du CDN de Montpellier.

RDV Gare de l’Est  à sortieOuest

2012-11-13 Comédie de Reims Production T Colline " GARE DE L'EST" ecrit et mec GUILLAUME VINCENT
Guillaume Vincent a mis en scène son texte Rendez-vous Gare de l’Est à sortieOuest. Il est question de restituer la parole prisonnière que ce soit celle prononcée par les accusés devant le juge, ou celle entendue aux urgences psychiatriques. Le texte résulte d’un travail intensif d’entretiens. Une femme se raconte, dit son trouble : la bipolarité. La pièce est donnée devant un public en alerte, mobilisé pour la sauvegarde du lieu où il se trouve encore aujourd’hui et peut-être plus demain, ce qui confère une écoute particulière, très attentive. Le silence est participatif. La déraison comme un fruit du mensonge et la vérité considérée comme inconsistante. La vérité humaine perdue que le théâtre rend perceptible. Cette inconnue de la gare, si proche de nous, traverse parfois la frontière qui contient la norme, sans trop s’éloigner. La performance d’Émilie Incerti Formentini, dont la présence électrique secoue ce monde vitré, s’inscrit dans nos mémoires.

Les grandes bouches

20161110_grandesbouchesLe metteur en scène Luc Sabot adapte le texte Les grandes bouches de François Chaffin au Chai du Terral à St-Jean-de-Védas. Un spectacle musical qui renoue avec la verve du rock français des années 80 où le texte ordonne le chaos, la rage et la résistance. Ce texte nous parle des figures du pouvoir politique, militaire, médiatique, commercial, intellectuel qui parle à notre place. Ici encore, le théâtre réaffirme sa vocation politique dans le bon sens du terme.

Le point commun de ces spectacles qui ont fait salle comble, pourrait être l’attachement du public au théâtre dans sa diversité d’expression. La volonté de ne pas se laisser happer par l’industrie du divertissement, si agréable soit-elle. Quoiqu’en pensent les responsables politiques, l’art théâtral n’est pas soluble dans les paillettes. Dans le contexte d’incertitude actuel, ils pourraient bien l’apprendre à leur dépens.

 JMDH

Source : La Marseillaise 15/11/2016

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Les œillets d’espoir de Pina Bausch

L’âme de Pina restituée intacte et sauvage. Photo Ulli Weiss

Danse. Le Théâtre de Nîmes accueille jusqu’à dimanche, les dix-neuf danseurs du Tanztheater dont l’épouse de l’imaginaire, Pina, fut la figure maîtresse.

Unique représentation donnée en France, Nelken (œillets), un des grands succès internationaux de la compagnie de Pina Bausch, occupe le plateau du Théâtre de Nîmes jusqu’à dimanche.* Dans le vaste répertoire de l’artiste, dont les danseurs poursuivent avec une sincérité indomesticable la transmission, cette pièce parle la langue de Pina Baush. Celle d’une danse-théâtre qui sort des rôles de composition pour approcher le réel.

Il y a la dimension symbolique avec cet immense parterre de fleurs qui évoque le jardin rêvé de l’enfance et le danseur « bowiesque », Lutz Forster, qui ouvre la pièce dans la langue des signes sur The man I love de Cole Porter. Il y a la dimension humaine qui traverse la mise en scène fragmentée avec ses émotions, ses failles et ses pulsions. La scène est un théâtre d’exploration intime où les danseurs se parlent, s’interpellent, s’aiment, se battent… L’émotion y circule de la colère au rire, de l’introversion à l’exubérance, de la souffrance au réconfort, parallèle aux contradictions de la mondialité, elle bascule soudainement de l’individuel au collectif et réciproquement.

Une éducation à l’altérité

Dans le bel hommage rendu au génie de Pina par Wim Wenders, les danseurs évoquent la capacité qu’elle avait à les voir de l’intérieur, à creuser en eux pour les faire danser. Exigeante, Pina Baush allait chercher la singularité des corps bien au-delà des apparences. Elle exprimait la violence de la société et dénonçait la séduction ; ce qui explique sans doute qu’elle ait toujours boudé le festival Montpellier Danse contrairement à Raimund Hoghe qui signe la dramaturgie de Nelken.

Le sens inouï de l’humanité de Pina a donné une éducation à l’altérité à ses danseurs qui franchissent naturellement la frontière entre l’espace scénique et public pour partager leur savoir être avec la salle. La notion même de spectateur semble se dissoudre devant cette communauté fragile dont la force des liens évoque une grande famille qui affronte le monde et célèbre les saisons. L’empathie que l’on éprouve peut aller jusqu’au sentiment d’appartenance à cette improbable fratrie. Tentation renforcée par la démarche des danseurs qui nous parlent et nous invitent au sens physique et psychique.

On ne saurait énumérer tous les ingrédients qui nourrissent l’esthétisme de Pina Bausch. Son œuvre contient un véritable concentré de la culture européenne, de la tragédie grecque, aux contes de Perrault, et à l’expressionnisme en passant par Boccace, Stravinsky, Pasolini et les Monty Python.

Créée en 1982 Nelken n’a pas pris une ride. A la fin, les danseurs  nous expliquent un à un les raisons les ayant conduits à devenir danseur. La boucle  est bouclée, l’âme de leur égérie nous est restituée, intacte et sauvage. Nelken est un spectacle qui  nous donne la force et l’ambition d’être ce que nous sommes vraiment, c’est exceptionnel !

Jean-Marie Dinh

La troupe donnera Ein stück von Pina Baush au  Théâtre de la ville à Paris en mai 2012.

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Allemagne,