Extraits des Entretiens de Confucius

Entretiens de Confucius

Ce livre contient les enseignements de Confucius, les questions et les réponses qui ont été faites sur l’étude de la sagesse et le gouvernement de l’Etat dans les entretiens du Maître avec ses disciples, avec les princes et les ministres de son temps, et qui ont été écrites par ses disciples. Voilà pourquoi ce recueil est intitulé littéralement “Explications et Réponses”.

Le Maître K’oung était de la principauté de Lou. Son nom de famille était K’oung, son nom propre K’iou et son surnom Tchoung gni. Son père Chou leang Ho avait d’abord épousé une fille de la famille Cheu, qui lui avait donné neuf filles, mais pas de garçon. Il avait eu d’une femme de second rang un fils, nommé Meng p’i, qui était boiteux. Ensuite il demanda en mariage une fille de la famille Ien. Cette famille, qui avait trois filles, lui donna la plus jeune, nommée Tcheng tsai. Tcheng tsai, ayant prié sur le mont Gni K’iou, donna le jour à Confucius, qui pour cette raison fut nommé K’iou.

Avant sa naissance, à K’iue li, son pays natal, une licorne vomit un livre orné de pierres précieuses. On y lut ces mots : “Un enfant, formé des parties les plus subtiles de l’eau, soutiendra l’empire ébranlé de la dynastie des Tcheou et sera roi sans couronne.” La mère de Confucius fut étonnée de ce prodige. Avec un cordon de soie, elle lia par la corne le mystérieux animal, qui disparut au bout de deux nuits.

La nuit de sa naissance, deux dragons entourèrent le toit de la maison. Cinq vieillards, qui étaient les essences des cinq planètes, descendirent dans la cour. Auprès des appartements de la mère, on entendit le chant du Céleste Potier. Des voix dans les airs prononcèrent ces mots : “Le Ciel influencera la naissance d’un fils saint.”
Séraphin Couvreur*.

CHAPITRE I
I.1. Le Maître dit : “Celui qui étudie pour appliquer au bon moment n’y trouve-t-il pas de la satisfaction ? Si des amis viennent de loin recevoir ses leçons, n’éprouve-t-il pas une grande joie ? S’il reste inconnu des hommes et n’en ressent aucune peine, n’est-il pas un homme honorable ?”
I.2. Lou tzeu dit : “Parmi les hommes naturellement enclins à respecter leurs parents, à honorer ceux qui sont au-dessus d’eux, peu aiment à résister à leurs supérieurs. Un homme qui n’aime pas à résister à l’autorité, et cependant aime à exciter du trouble, ne s’est jamais rencontré. Le sage donne son principal soin à la racine. Une fois la racine affermie, la Voie peut naître. L’affection envers nos parents et le respect envers ceux qui sont au-dessus de nous sont comme la racine de la vertu.”

I.3. Le Maître dit : “Chercher à plaire aux hommes par des discours étudiés et un extérieur composé est rarement signe de plénitude humaine.”
I.4. Tseng tzeu dit : “Je m’examine chaque jour sur trois choses : si, traitant une affaire pour un autre, je ne l’ai pas traitée sans loyauté ; si, dans mes relations avec mes amis, je n’ai pas manqué de sincérité ; si je n’ai pas négligé de mettre en pratique les leçons que j’ai reçues.”

I.5. Le Maître dit : “Celui qui gouverne une principauté qui entretient mille chariots de guerre doit être attentif aux affaires et tenir sa parole, modérer les dépenses et aimer les hommes, n’employer le peuple que dans les temps convenables.”
I.6. Le Maître dit : “Un jeune homme, dans la maison, doit aimer et respecter ses parents. Hors de la maison, il doit respecter ceux qui sont plus âgés ou d’un rang plus élevé que lui. Il doit être attentif et sincère dans ses paroles ; aimer tout le monde, mais se lier plus étroitement avec les hommes d’humanité. Ces devoirs remplis, s’il lui reste du temps et des forces, qu’il les emploie à l’étude des lettres et des arts libéraux.”

I.7. Tzeu hia dit : “Celui qui, au lieu d’aimer les plaisirs, aime et recherche les hommes sages, qui aide ses parents de toutes ses forces, qui se dépense tout entier au service de son prince, qui avec ses amis parle sincèrement, quand même on me dirait qu’un tel homme n’a pas étudié, j’affirmerais qu’il a étudié.”
I.8. Le Maître dit : “Si un homme honorable manque de gravité, il ne sera pas respecté et sa connaissance ne sera pas solide. Qu’il mette au premier rang la loyauté et la sincérité ; qu’il ne lie pas amitié avec des hommes qui ne lui ressemblent pas ; s’il tombe dans un défaut, qu’il ait le courage de s’en corriger.”

I.9. Tseng tzeu dit : “Si le prince rend les derniers devoirs à ses parents avec un vrai zèle et honore par des offrandes ses ancêtres même éloignés, la Vertu fleurira parmi le peuple.”
I.10. Tzeu k’in adressa cette question à Tzeu koung : “Quand notre Maître arrive dans une principauté, il reçoit toujours des renseignements sur l’administration de l’Etat. Est-ce lui qui les demande au prince, ou bien est-ce le prince qui les lui offre ?” Tzeu koung répondit : “Notre Maître les obtient non par des interrogations, mais par sa douceur, son calme, son respect, sa tenue modeste et sa déférence. Il a une manière d’interroger qui n’est pas celle des autres hommes.”

I.11. Le Maître dit : “Du vivant de son père, observez les intentions d’un homme. Après la mort de son père, observez sa conduite. Si, durant les trois ans de deuil, il ne dévie pas de la voie dictée par son père, on pourra dire qu’il pratique la piété filiale.”

I.12. Lou tzeu dit : “Dans l’usage des rites, le plus précieux est l’harmonie. C’est pour cette raison que les règles des anciens souverains sont excellentes. Toutes les actions, grandes ou petites, s’y conforment. Cependant, il est une chose qu’il faut éviter : cultiver l’harmonie pour elle-même, sans qu’elle soit réglée par les rites, ne peut se faire.”
I.13. Lou tzeu dit : “Toute promesse conforme à la justice peut être tenue. Tout respect ajusté aux rites éloigne honte et déshonneur. Si vous choisissez pour protecteur un homme digne de votre amitié et de votre confiance, vous pourrez lui rester attaché à jamais.”

I.14. Le Maître dit : “Un homme honorable qui ne recherche pas la satisfaction de son appétit dans la nourriture, ni ses commodités dans son habitation, qui est diligent en affaires et circonspect dans ses paroles, qui se rectifie auprès des hommes vertueux, celui-là a un véritable désir d’apprendre.”
I.15. Tzeu koung dit : “Que faut-il penser de celui qui, étant pauvre, n’est pas flatteur, ou qui, étant riche, n’est pas orgueilleux ?” Le Maître répondit : “Il est louable ; mais celui-là l’est encore plus qui, dans la pauvreté, vit content, ou qui, au milieu des richesses, reste courtois.” Tzeu koung répliqua : “On lit dans le Livre des Odes : “Coupez et limez, taillez et polissez.” Ces paroles n’ont-elles pas le même sens ?” Le Maître repartit : “Tzeu ?, je peux enfin parler avec toi du Livre des Odes ! A ma réponse à ta question, tu as aussitôt compris le sens des vers que tu as cités.”

I.16. Le Maître dit : “Ne vous affligez pas de ce que les hommes ne vous connaissent pas ; affligez-vous de ne pas connaître les hommes.”

CHAPITRE II
II.1. Le Maître dit : “Celui qui gouverne un peuple par la Vertu est comme l’étoile polaire qui demeure immobile, pendant que toutes les autres étoiles se meuvent autour d’elle.”
II.2. Le Maître dit : “Les Odes sont au nombre de trois cents. Un seul mot les résume toutes : penser sans dévier.”
II.3. Le Maître dit : “Si le prince conduit le peuple au moyen des lois et le retient dans l’unité au moyen des châtiments, le peuple s’abstient de mal faire ; mais il ne connaît aucune honte. Si le prince dirige le peuple par la Vertu et fait régner l’union grâce aux rites, le peuple a honte de mal faire, et devient vertueux.”

II.4. Le Maître dit : “A quinze ans, ma volonté était tendue vers l’étude ; à trente ans, je m’y perfectionnais ; à quarante ans, je n’éprouvais plus d’incertitudes ; à cinquante ans, je connaissais le décret céleste ; à soixante ans, je comprenais, sans avoir besoin d’y réfléchir, tout ce que mon oreille entendait ; à soixante-dix ans, en suivant les désirs de mon cœur, je ne transgressais aucune règle.”

II.5. Meng I tzeu ayant interrogé sur la piété filiale, le Maître répondit : “Elle consiste à ne pas contrevenir.”
Ensuite, alors que Fan Tch’eu conduisait le char de Confucius, ce dernier lui dit : “Meng I tzeu m’a interrogé sur la piété filiale ; je lui ai répondu qu’elle consiste à ne pas contrevenir.” Fan Tch’eu dit : “Quel est le sens de cette réponse ?” Confucius répondit : “Un fils doit aider ses parents durant leur vie selon les rites, leur faire des obsèques et des offrandes après leur mort selon les rites.”

II.6. Meng Ou pe, ayant interrogé le Maître sur la piété filiale, reçut cette réponse : “Les parents craignent par-dessus tout que leur fils ne soit malade.”
Un bon fils partage cette sollicitude de ses parents, et se conforme à leurs sentiments. Il ne néglige rien de tout ce qui sert à la conservation de sa personne.
II.7. Tzeu iou ayant interrogé Confucius sur la piété filiale, le Maître répondit : “La piété filiale qu’on pratique maintenant ne consiste qu’à fournir les parents du nécessaire. Or les animaux, tels que les chiens et les chevaux, reçoivent aussi des hommes ce qui leur est nécessaire. Si ce que l’on fait pour les parents n’est pas accompagné de respect, quelle différence met-on entre eux et les animaux ?”

II.8. Tzeu hia l’ayant interrogé sur la piété filiale, le Maître répondit : “Il est difficile de tromper par un faux-semblant de piété filiale. Quand les parents ou les frères aînés ont beaucoup à faire, si les fils ou les frères puînés leur viennent en aide ; quand ceux-ci ont du vin et des vivres, et qu’ils les servent à leurs parents et à leurs aînés, est-ce suffisant pour qu’on loue leur piété filiale ?”

II.9. Le Maître dit : “Houei écoute mes explications toute une journée sans m’adresser une objection ni une question, comme s’il était stupide. Quand il s’est retiré, et que j’examine sa conduite privée, je le vois capable de se révéler. Houei n’est pas stupide du tout !”

II.10. Le Maître dit : “Si l’on considère pourquoi et comment un homme agit, si l’on examine ce qui l’apaise, pourra-t-il cacher ce qu’il est ?”
II.11. Le Maître dit : “Celui qui repasse dans son esprit ce qu’il sait déjà, et par ce moyen acquiert de nouvelles connaissances, pourra bientôt enseigner les autres.”
II.12. Le Maître dit : “L’homme honorable n’est pas un vase.”

II.13. Tzeu koung ayant demandé ce que doit faire un homme honorable, le Maître répondit : “L’homme honorable commence par appliquer ce qu’il veut enseigner ; ensuite il enseigne.”
II.14. Le Maître dit : “L’homme honorable aime tous les hommes et n’a de partialité pour personne. L’homme de peu est partial et n’aime pas tous les hommes.”
II.15. Le Maître dit : “Etudier sans réfléchir est une occupation vaine ; réfléchir sans étudier est dangereux.”
II.16. Le Maître dit : “Entrer en lutte avec le parti opposé, c’est nuisible.”
II.17. Le Maître dit : “Lou, veux-tu que je t’enseigne le moyen d’arriver à la connaissance ? Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas : c’est savoir véritablement.”

II.18. Tzeu tchang étudiait en vue d’obtenir une charge avec des appointements. Le Maître lui dit : “Après avoir entendu dire beaucoup de choses, laisse de côté celles qui sont douteuses, dis les autres avec circonspection, et tu ne t’en blâmeras pas. Après avoir beaucoup vu, laisse ce qui serait dangereux, et fais le reste avec précaution ; tu auras rarement à te repentir. Si tes paroles t’attirent peu de blâme et tes actions peu de repentir, les appointements viendront d’eux-mêmes.”
II.19. Ngai, prince de Lou, dit à Confucius : “Que doit faire un prince pour que le peuple soit content ?” Maître K’ong répondit : “Si le prince élève aux charges les hommes vertueux et écarte tous les hommes vicieux, le peuple le soutiendra ; si le prince élève aux charges les hommes vicieux et écarte les hommes vertueux, le peuple ne se soumettra pas.”
II.20. Ki K’ang tzeu dit : “Que faut-il faire pour que le peuple respecte son prince, lui soit fidèle et loyal ?” Le Maître répondit : “Que le prince montre de la dignité, et il sera respecté ; qu’il honore ses parents et soit bon envers ses sujets, et ses sujets lui seront fidèles ; qu’il élève aux charges les hommes de mérite et forme les incompétents, et il excitera le peuple à cultiver la vertu.”

II.21. Quelqu’un dit à Confucius : “Maître, pourquoi ne prenez-vous aucune part au gouvernement ?” Maître K’ong répondit : “Le Livre des Documents ne dit-il pas, en parlant de la piété filiale : “Respectueux envers vos parents et bienveillants envers vos frères, vous ferez fleurir ces vertus partout sous votre gouvernement ?” Faire régner la vertu dans sa famille par son exemple, c’est aussi gouverner. Remplir une charge, est-ce la seule manière de prendre part au gouvernement ?”

II.22. Le Maître dit : “Je ne sais à quoi peut être bon un homme qui manque de sincérité. Comment employer un char à bœufs sans joug, ou une petite voiture sans attelage ?”

II.23. Tzeu tchang demanda si l’on pouvait savoir d’avance ce que feraient les empereurs de dix dynasties successives. Le Maître répondit : “La dynastie des [Chang-]In a adopté les rites de la dynastie des Hia ; on peut connaître par les documents ce qu’elle a ajouté ou retranché. La dynastie des Tcheou a adopté les rites de la dynastie des [Chang-]In ; ce qu’elle a ajouté ou retranché se trouve mentionné dans les documents. On peut savoir d’avance ce que feront les dynasties à venir, fussent-elles au nombre de cent.”

II.24. Le Maître dit : “Celui-là se rend coupable d’adulation, qui sacrifie à un esprit auquel il ne lui appartient pas de sacrifier. Celui-là manque de courage, qui néglige de faire une chose qu’il sait être juste.”
(…)

CHAPITRE IV
IV.1. Le Maître dit : “Il est bon d’habiter là où règne le sens de l’humanité. Pourrait-on appeler sage un homme qui choisirait de n’y point habiter ?”
IV.2. Le Maître dit : “Un homme dépourvu d’humanité ne peut demeurer longtemps dans le malheur ou dans le bonheur. L’homme honorable trouve la paix dans la vertu d’humanité ; l’homme sage en connaît tout le profit.”
IV.3. Le Maître dit : “Seul l’homme honorable sait aimer et haïr les hommes comme il convient.”
IV.4. Le Maître dit : “Celui qui s’applique sérieusement à cultiver la vertu d’humanité s’abstient de mal faire.”
IV.5. Le Maître dit : “Les richesses et les honneurs sont très ambitionnés des hommes ; si vous ne pouvez les obtenir qu’en sacrifiant vos principes, ne les acceptez pas. La pauvreté et l’abjection sont en horreur aux hommes ; si elles vous viennent, même sans aucune faute de votre part, ne les fuyez pas. Si l’homme honorable abandonne la voie de la vertu, comment soutiendra-t-il son titre d’“honorable” ? L’homme honorable ne l’abandonne jamais, pas même le temps d’un repas. Il y demeure toujours, même au milieu des affaires les plus pressantes, même au milieu des plus grands troubles.”

IV.6. Le Maître dit : “Je n’ai pas encore vu un homme qui aimât la vertu et haït sincèrement l’inhumanité. Celui qui aime la vertu la préfère à toute autre chose ; celui qui hait sincèrement l’inhumanité cultive la vertu, et fuit toute atteinte du mal. Est-il un homme qui travaille de toutes ses forces à pratiquer la vertu un jour entier ? Je n’ai jamais vu aucun homme qui n’eût pas assez de forces pour le faire. Peut-être en existe-t-il ; mais je n’en ai jamais vu.”

Tout homme, s’il fait des efforts sérieux, peut atteindre la perfection.

(…)

* Jésuite, missionnaire en Chine, traducteur de Confucius, 1835-1919.

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Chine, Confucius ou l’éternel retour, rubrique Philosophie,

Kent Anderson : Noirceur d’un regard de l’Au-delà

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Invité des K-fé-krim Sauramps, l’auteur Kent Anderson est venu évoquer son troisième opus traduit sous le titre «Pas de saison pour l’enfer».

Il a développé très tôt une passion pour le verbe, prétend-il. Par goût des grands espaces, il s’est engagé à 19 ans dans la marine marchande. Trois ans plus tard, sa vie bascule sur le front du Nord Vietnam. Comme tous les vétérans, Kent Anderson a dû lutter contre des hordes de fantômes. Il combattait dans une unité des forces spéciales. Avec un collègue, ce sont les seuls bérets verts à être sortis en vie de leur unité. « Je me considérais comme déjà mort ». A son retour au pays il trouve du boulot dans la police.

Son second livre Chiens de la nuit, s’inspire des huit années où il fut officier de police dans les quartiers noirs de Portland et d’Oakland. « Ma vie est une se?rie d’erreurs. En rentrant du Vietnam, je ne pouvais rien faire d’autre. », explique -t- il. Pas de saison pour l’enfer est son troisième livre traduit en France. Il compile des récits parus aux Etats-Unis auxquels s’ajoutent une série d’inédits couvrant la période 1983-1993.

C’est peu de dire que la plume de Kent Anderson puise dans une matière trouble. Qu’il s’agisse des corridas, des combats de coqs ou de son parcours de zombie dans la jungle vietnamienne, les descriptions exaltantes ou douloureuses, respirent le vécu. « Toute littérature est un mélange entre fiction et me?moire, une perte de repère. »

Dans cette noirceur totale, les chevaux et la nature surgissent comme des oasis. Il évoque le film de Sydney Pollack Jeremiah Johnson : « C’est mon film préféré. J’ai besoin de la nature pour garder l’équilibre. Elle m’a évité,de mettre fin à mes jours. »

Il parle des difficultés qu’il a rencontrées quand il s’était mis dans l’idée de vendre les droits d’adaptation cinématographique de Sympathy for the devil, premier livre de témoignage sur l’enfer de la guerre. « C’est un roman sans héros. Le personnage principal est un tueur, un psychopathe, même, diraient certains » Pas très commercial… Par la force des choses Kent Anderson compatit avec les minorités américaines, les fêlés du bocal de tous poils. « Le Vietnam a fait de moi un tueur. », confie-t-il fébrile.

Jean-Marie Dinh

Pas de saison pour l’enfer – 13e Note Editions – 23 euros.

Source : La Marseillaise 06/04/2013

Voir aussi : Rubrique Littérature, Roman noir, littérature anglo-saxone, rubrique Rencontre rubrique Vietnam, rubrique Etats-Unis,

Jérôme Ferrari : « C’est la lecture de Saint-Augustin qui m’a permis d’écrire ce livre »

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Jérôme Ferrari a reçu mercredi 7 novembre le prix Goncourt 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome (Actes sud). Nous avions rencontré en août dernier ce jeune écrivain, professeur de philosophie de 42 ans, inspiré par Saint-Augustin, et qui a su faire naître depuis son île, la Corse, une littérature tout à la fois enracinée et universelle.

C’est l’un des romans les plus subtils de la rentrée. Dans Le Sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari* fait du modeste bar d’un village corse l’épicentre de la fin d’un monde, le théâtre du naufrage des illusions de jeunesse. Le romancier ose un lien audacieux à travers les siècles. Il raconte la médiocre tragédie contemporaine de Matthieu – un étudiant qui a plaqué ses études de philo à Paris pour refaire « le meilleur des mondes possibles » sur le territoire de ses vacances d’enfant : un rêve qui va se fracasser dans la violence. Cette saga piteuse, Ferrari parvient à la faire résonner magnifiquement avec un sermon de saint Augustin, écrit en 410 sur la fragilité des royaumes terrestres – Augustin tentait d’y consoler ses fidèles, alors que Rome venait d’être pillée par les Vandales d’Alaric. Rencontre avec un auteur qui a su faire naître depuis son île, la Corse, une littérature tout à la fois enracinée et universelle.

Quelle est la genèse du Sermon ?

J’avais ce projet de roman dans les tiroirs depuis des années, sous un titre ­provisoire : les Mondes. C’est la lecture du passage d’un sermon de saint Augustin qui m’a permis de fédérer mes pages : Augustin y souligne qu’il ne faut pas s’étonner de voir Rome disparaître, puisqu’un monde « est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt », phrase que j’ai mise en épigraphe de mon livre.

N’y a-t-il pas une part autobiographique dans votre intérêt pour cette question des mondes ?

Dans mon adolescence, j’avais en effet le sentiment de vivre dans deux mondes absolument différents : Vitry, en banlieue parisienne, pendant l’année scolaire ; et Fozzano, le village corse de mes grands-parents, durant toutes les vacances. Très tôt, j’ai eu la sensation de ne plus appartenir au monde où je passais la majeure partie de mon temps. L’idée de revenir vivre en Corse, je l’ai nourrie depuis l’âge de 8 ans. Mais je n’ai pas pu la concrétiser avant 20 ans, grâce à mes parents qui ont exigé – Dieu merci ! – que je termine mes études de philosophie. Je ne me suis pas cassé la figure comme Matthieu, car je n’avais pas les mêmes mythes que lui, mais j’étais très puéril. Ceci dit, même si j’ai mis dans ce roman plus d’éléments autobiographiques que jamais, ce n’est pas nécessairement mon livre le plus personnel…

Quelle est votre définition de la notion de monde ?

Chez moi, elle est totalement métaphysique. C’est ma manière ­d’intégrer de la philosophie dans mes fictions sans faire de la philosophie… Ce que je tente dans le Sermon, c’est de donner une réponse de roman à la question : « Qu’est-ce qu’un monde ? » J’essaie de la laisser percevoir à plusieurs niveaux, en reprenant Leibniz : dans chaque monde, il y a une infinité d’éléments. Et, dans chacun de ces éléments, il y a une infinité de mondes. Un monde, ce peut être Rome et son empire, un bar de village avec 12 personnes ou le corps du grand-père hypocondriaque… Comment naît-il, croît-il, meurt-il ? J’ai vraiment pris au sérieux la phrase de saint Augustin. Le roman est construit ainsi : il y a la naissance d’un monde, l’acmé et la chute, pour chaque personnage, et à plusieurs niveaux. J’ai fait en sorte que l’histoire évolue autour de ressorts qui ne sont absolument pas psychologiques. Le roman fonctionne selon une cohérence mécanique, une logique de cycles. C’est une mécanique aveugle, qui broie.

Chacun de vos romans fait remonter le basculement du monde à la Première Guerre mondiale. Et les grands-pères sont des figures sacrifiées…

Le point commun, c’est un fait historique et objectif : ­culturellement, la guerre de 1914 représente un avant et un après. Ce qui me fascine dans cette génération des hommes qui sont nés au début du XXe siècle, c’est le nombre de mondes qu’ils ont traversés. J’ai voulu comprendre le désir de fuite de ces gens-là après la Grande Guerre, leur amour ambivalent pour le village, tout à la fois pays aimé et lieu de pauvreté, source de souffrance. Le grand-père de Matthieu va partir mais rater pourtant tous ses rendez-vous avec le monde, il va rester dans les chemins de traverse au lieu de croiser l’Histoire. La vie, il ne la rencontre pas. Le grand-père, qui essaie de faire le chemin vers l’extérieur, n’y parvient pas. Et le petit-fils, qui essaiera de faire le chemin dans l’autre sens, n’y réussira pas non plus.

Vous nourrissez un goût pour les apocalypses. Comment l’expliquez-vous ?

Mais c’est la littérature contemporaine qui a un goût commun pour les apocalypses ! Et spécialement depuis quelques dizaines d’années : depuis la chute du mur de Berlin, et davantage encore depuis le 11-Septembre.
J’ai toujours été frappé par les catastrophes silencieuses. C’est aussi la raison pour laquelle l’histoire de Rome en 410 m’a intéressé. Car il ne s’est pas passé grand-chose alors : trois jours de pillages. Dans les textes de l’époque, on relève soit des clameurs de désespoir – « Elle est tombée la Ville éternelle » –, soit des interro­gations sur la véracité de la chute de Rome. Et pourtant, il a bien dû advenir quelque chose puisque, 30 ans après, l’Afrique est devenue vandale… Plus proche de nous, la fin de l’URSS fut une vraie catastrophe silencieuse. Un grand événement n’a pas frappé, mais des tas de petits repères ont lâché. Et on s’est rendu compte six mois plus tard que tout était par terre. C’est sidérant ! L’idée qu’une apocalypse puisse être silencieuse est à mes yeux une bonne figure du pire…

Sauver une langue, c’est sauver un monde ?

Oui, tout à fait. Et c’est énorme. Dans mon premier roman, j’ai mis en scène le dernier locuteur d’une langue, qui meurt au milieu de gens qui ne la parlent plus : à mes yeux, c’est emblématique de la fin d’un monde…

*Jérôme Ferrari, 42 ans, construit pas à pas une œuvre. Cela fait un moment que nous avons repéré son talent à La Vie, louant Dans le secret, en 2009, et l’étourdissant Où j’ai laissé mon âme, en 2010. Des romans sombres, aux profondes résonances métaphysiques, où les êtres s’abîment dans l’éternel combat entre Bien et Mal. Des récits soutenus par le lyrisme d’un style splendide. Ce prof de philo, parti aujourd’hui pour le lycée français d’Abu Dhabi, a su faire naître depuis son île, la Corse, une littérature tout à la fois enracinée et universelle.

MArie Chaudey
Source La Vie 07/11/2012

Voir aussi : , Rubrique Livre, rubrique Littérature, littérature française,

On est tous grecs !

Evi Tsirigotaki : « J’ai voulu mettre en avant la mobilisation des artistes ».   Photo Rédouane Anfoussi.

Expo. Collective éphémère et solidaire, Greeting From Greece. 20 artistes nous ouvrent les rues d’Athènes.

La Grèce fait la Une cette semaine. Dans une conciliante logique avec celle du couple Merkel-Sarko les médias français et allemands annoncent que le scénario catastrophe est évité, grâce à l’heureuse conduite des créanciers privés disposés à effacer une partie de l’ardoise grecque. Mais étrangement, on ne trouve que les comptables de l’addition pour s’en réjouir. On en sera un peu plus sur ce qu’en pensent, les Grecs et le peuple européen privés de banquet, en se rendant au bien nommé Luthier Gourmand* qui a ouvert, depuis hier, ses fenêtres sur Athènes.

A l’initiative de la journaliste Evi Tsirigotaki, l’exposition éphémère Greeting From Greece permet de découvrir les travaux d’une vingtaine d’artistes grecs qui inventent un autre mode de vie depuis le chaos de la réalité. « J’en ai marre de voir des images de violence sur mon pays. J’ai voulu mettre en avant la mobilisation des artistes, explique Evi. Beaucoup d’entre eux s’expriment actuellement en renouant avec le street art dans les rues d’Athènes ou à travers les collectifs qui se montent pour soutenir les victimes sociales de la crise. L’usage des nouvelles technologies permet de faire circuler des regards en contrepoint à la litanie des médias dominants. » A l’instar du patron du lieu d’accueil qui affirme avec simplicité « Je me suis senti concerné. On est tous Grec », l’initiative non subventionnée a rencontré un élan spontané très participatif.

Artistes et sphère publique

Documentaires, vidéos, photos, Djset, et concerts se succèdent jusqu’à 22h dans un lieu artistiquement désacralisé. Le temps semble en effet venu de porter un autre regard sur les créateurs grecs. L’annonce de la disparition, en janvier, du plus connu d’entre eux, le réalisateur Theo Angelopoulos décédé en raison du mauvais fonctionnement des services ambulanciers de la ville, invite à tourner la page. Comme le dit à sa manière, radicalement minimaliste, l’artiste Diohandi qui a emballé le pavillon grec de la dernière biennale de Venise dans une caisse en bois en portant à son entrée l’inscription « Sold Out », tout semble à reconstruire dans le berceau de la démocratie.

Cette expo offre l’occasion de découvrir une nouvelle génération  en prise avec le vide postmodernisme, pense le metteur en scène Théodoros Terzopoulos auquel est consacré un documentaire. « Si les artistes institutionnels restent très silencieux, les jeunes sont débarrassés du décorum. Ce qui leur permet d’exprimer des commentaires politiques, de la colère. Beaucoup ont recours à l’humour noir. On assiste a un vrai renouveau, indique Evi Tsirigotaki, la photographe Stefania Mizara montre dans un Webdoc, comment les Athéniens sont sortis dans la rue qu’ils ont occupée pendant des mois pour réagir contre les mesures d’austérité. Le salaire minimum à baissé de 40% en deux ans. Les créateurs qui s’expriment ici sont en contact avec le mouvement social. »

Les artistes participants à Greeting From Greece reflètent un état de la société. Ils ne sont pas les seuls à vouloir renouveler l’écriture de leur destin…

Jean-Marie Dinh

* Place St Anne à Montpellier, rens : 06 42 61 73 46.

Christos Chryssopoulos : l’intelligence par le vide

Roman. La Destruction du Parthénon de Christos Chryssopoulos.

Un livre vivement conseillé à tous ceux que l’odieuse version des faits qui nous est donnée de la crise obsède. La lecture de La Destruction du Parthénon, dernier ouvrage du jeune et talentueux écrivain grec Christos Chryssopoulos, apaisera certainement les esprits contrariés, mais peut-être pas tous… C’est un court roman d’anticipation pourrait-on dire, si l’on se réfère à la prévisible et hallucinante exigence de Berlin de démolir le Parthénon au motif non moins attendu  que le coût de l’entretien du site serait trop élevé et menacerait l’équilibre des finances publiques grecques.

Christos Chryssopoulos pose lui aussi comme nécessité vitale de s’attaquer au symbole de marbre vieux de vingt-cinq siècles, en situant l’action libératrice de son principal protagoniste dans la ligné du cercle surréaliste Les Annonciateurs du chaos. Ceux là même qui dès 1944, appelaient à faire sauter l’Acropole ! Un slogan choc et provocateur relayé à Athènes au début des années 50 par un groupe d’intellectuels affiliés au Mouvement des irresponsables.

L’action du livre a lieu soixante ans plus tard. Le jeune héros de Christos Chryssopoulos vient de passer à l’acte. Il a ruminé sur sa ville, son fonctionnement, la béatitude de ses habitants. L’absurdité de la situation lui a donné l’énergie d’agir.  Il a pulvérisé le Parthénon. La ville est orpheline. Est-elle encore elle-même ?

A Athènes, c’est la consternation. L’enquête s’ouvre. On recherche le terroriste, son mobile… Sur ce point, le probable monologue de l’auteur des faits, livre quelques pistes : «  Quand je me suis lancé, je n’avais pas la moindre idée de la façon dont je devais m’y prendre. Je n’avais pas de plan. Je n’avais aucun idéal. Le point de départ à été une impulsion, un élan qui m’a poussé à en arriver là. Cela aurait tout aussi bien pu m’emporter je ne sais où. »

Quel avenir, pour le pays amputé de son miroir déformant ? La beauté serait désormais à chercher dans chacun de ses habitants.

JMDH

La destruction du Parthénon, 12 euros, éditions Actes-Sud

Voir aussi : Rubrique Grèce, L’Europe libérale s’inquiète, Grève générale, Plan d’austérité inefficace et dangereux, rubrique Finance, Comment l’injustice fiscale a creusé la dette greque, rubrique UE, Extension du domaine de la régression, rubrique Débat Jürgen Habermas pour une Europe , démocratique, rubrique Livre,

Robert Louis Stevenson revisité par Michel Le Bris

L’association Cœur de livre est à l’initiative d’un cycle de rencontre autour des grands auteurs anglais.

Dans la perspective de la Comédie du Livre qui se tiendra du 1er au 3 juin 2012, avec un coup de projecteur sur les auteurs du Royaume-Uni, l’association Cœur de livre poursuit son cycle de débats. Après G. Orwell, le mois dernier, les nombreux passionnés montpelliérains de littérature ont pu en savoir un peu plus sur l’œuvre trop méconnue de Robert Louis Stevenson (1850/1894).

C’est Michel Le Bris, ex rédac chef de Jazz Hot, auteur fondateur du Festival Etonnants voyageurs, et grand spécialiste de Stevenson, qui était mardi salle Pétrarque pour évoquer la teneur de l’écriture stevensonnienne et en rehausser la modernité. La représentation du réel que donne l’auteur de L’île au trésor dépasse de beaucoup le sort que lui réservent ceux qui le cantonnent au rayon des aventures enfantines. Comme Mallarmé, Proust, Artaud, ou Faulkner, Le Bris pense que Stevenson a su toucher l’essence de la fiction.

Il en sait visiblement quelque chose ce passionné breton. Saisit dès son enfance par le ton des livres d’aventures, entre naturalisme et impressionnisme , il a édité en français la quasi totalité de l’œuvre de Stevenson : romans, essais sur l’art et la fiction, récits de voyages, correspondance avec Henri James… Le Bris a aussi signé une biographie et vient de publier La Malle en cuir ou la société idéale (Gallimard 2011). Un roman inédit et inachevé de Stevenson, auquel il donne une prolongation substantielle. Plongés dans la marée d’anecdotes autour de la vie de Stevenson et de Le Bris, les spectateurs de la rencontre ont éprouvé quelques difficultés pour distinguer l’originalité de l’œuvre de sa mise en scène. Toutes proportions gardées, on était finalement pas si loin de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde

JMDH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Lecture La comédie du Livre 2011,