BD Fabcaro. Narrer l’absurdité de la norme

BD. Zaï Zaï Zaï Zaï, de Fabcaro, vient d’obtenir le grand prix de la critique ACBD 2016 aux éditions 6 pieds sous terre.

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Dans le dernier album de Fabcaro la narration joue du miroir. illustration Fabcaro

Comment devenir coupable d’avoir oublié sa carte du magasin ? En changeant bêtement de pantalon… certifie Fabcaro qui fait les questions et les réponses, un peu comme les journalistes se convainquent qu’être professionnel, c’est aider les personnes à répondre aux questions qu’on leur pose. La panacée, c’est de toujours croire qu’on va gagner quelque chose. Peu importe le besoin et peu importe ce que l’on gagne.

Qu’on se le dise, le dernier album de Fabcaro, qui vit dans la région et niche chez l’éditeur Six pieds sous terre, est génial. Zaï Zaï Zaï Zaï nous embarque dans un grand micro-trottoir de notre société. On ferme les yeux sur l’absurdité de la norme pour mieux pouvoir appeler de ses voeux la suivante et on rit franchement des dérives collectives qui nous tiennent lieu de règle. Bienvenue au pays de la consommation de masse. On ne vous demandera rien si vous avez votre carte du magasin.

Alors qu’il fait ses courses au supermarché, un père de famille  auteur de bande dessinée réalise soudain qu’il n’a pas sa carte de fidélité sur lui ! Alertée, la caissière appelle le vigile, mais quand celui-ci arrive, l’auteur le menace d’un poireau et parvient à s’enfuir malgré la tentative de roulade-arrière de l’agent de sécurité. Le système policier s’engage alors dans une traque sans merci : le fugitif traversant la région, en stop, battant la campagne, partagé entre remord et questions existentielles. Assez vite, les médias s’emparent de l’affaire et le pays est en émoi. L’histoire du fugitif est sur toutes les lèvres et divise la société, entre psychose et volonté d’engagement, entre compassion et idées fascisantes…

Un album critique et spirituel, un brun paranoïaque, inspiré de situations du quotidien où le schéma de narration joue du miroir pointant l’idéologie fallacieuse qui nous conduit nulle part.

JMDH

Source : La Marseillaise 24/12/2015

Voir aussi : Rubrique Livres, BD, Poésie, Roman noir6 pieds sous terre ou la BD en prise directe avec le réel, rubrique Chroniques, Rubrique Société, Consommation, rubrique Médias,

« Golgota picnic » : Jean-Michel Ribes relaxé

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Une association a perdu jeudi 10 décembre son procès contre le directeur du théâtre du Rond-Point. Jean-Michel Ribes était poursuivi pour provocation à la haine envers les chrétiens pour avoir fait jouer en 2011 la pièce Golgota picnic, du dramaturge argentin Rodrigo Garcia.

Tout comme l’éditrice du texte Solitaires Intempestifs, Jean-Michel Ribes a été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris.

L’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif) reprochait à la pièce de présenter l’iconographie chrétienne comme une image de la terreur et de la barbarie, qui serait le support pour apprendre aux enfants à faire le mal.

« Dimension humoristique »

Si certains propos « ont pu et peuvent (..) paraître provocants pour certains lecteurs », « ils ne sauraient pour autant être considérés comme incitant au rejet ou à la haine des chrétiens », ont estimé les juges de la chambre de la presse.

Rodrigo Garcia est « connu pour son irrévérence, son goût de la provocation », relèvent-ils, et « la plupart des propos poursuivis » ont « à l’évidence une dimension humoristique ou satirique interdisant de les prendre au pied de la lettre », et ne peuvent « de ce fait induire une quelconque animosité ou sentiment de rejet à l’égard de ceux qui vénèrent le Christ ».

De surcroît, « il n’est nullement exclu que pour l’auteur, les chrétiens, loin d’apparaître comme une cible, doivent bien davantage être considérés comme les dupes ou les victimes » du Christ tel qu’il est dépeint par le dramaturge.

Lors de ses représentations en France (à Toulouse en novembre 2011 et Paris en décembre 2011), la pièce a opposé les catholiques traditionalistes, qui la jugent blasphématoire et « christianophobe », aux défenseurs de la liberté de création.

Source : Le Monde.fr avec AFP | 10.12.2015

NB Les éditions Solitaires Intempestifs vous propose l’intégralité du jugement et de commander le livre pour l’offrir (attention à offrir à une personne qui a de l’humour comme le précise le jugement de la 17ieme chambre correctionnelle) c’est ici

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique Société, Justice, La Vie d’Adèle » perd son visa d’exploitationReligion,  rubrique Politique, Politique Culturelle,

Rémunération des auteurs en chute libre : la solution est-elle politique ?

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Paupérisation

Depuis plusieurs années, articles, tribunes et essais se multiplient pour dénoncer la chute de la rémunération des auteurs, toutes disciplines confondues.

En France, les auteurs de BD ont défilé cette année au festival d’Angoulême pour dénoncer la précarisation croissante de leur situation. Sur 1 300 auteurs de BD professionnels, seule une cinquantaine en vivrait à peu près bien, les autres se débrouillant avec un peu moins qu’un smic.

« Spirale de paupérisation »

La Société des gens de lettres, qui représente des auteurs littéraires, alerte elle aussi sur une « spirale de paupérisation », liée à « une baisse des tirages, une baisse des à-valoir, et une baisse des pourcentages de droits d’auteur ».

illeurs, même chose : en Grande-Bretagne, une récente étude indique que le revenu médian des auteurs professionnels (qui tirent plus de 50% de leurs revenus de leur plume) est inférieur au salaire minimum.

Face à cette situation, c’est à l’Etat de réagir, en finançant des dispositifs pour assurer à certains des carrières viables.

C’est la thèse soutenue par un récent essai, intitulé « La Culture n’est pas gratuite » (« Culture isn’t free ») et publié dans une revue américaine d’inspiration marxiste, Jacobin.

Témoignages de dèche

Miranda Campbell, professeure d’art et auteure de l’essai, prend comme point de départ la recrudescence des témoignages de dèche d’artistes connus et moins connus.

Ceux-ci prennent le contre-pied du mythe de la bohème (pauvre mais libre) et détaillent les misères de leur vie sans argent. Tant il est vrai que vivre sans chauffage n’est marrant que dans une chanson d’Aznavour.

« De plus en plus d’écrivains rejettent l’idée bohème selon laquelle les artistes devraient fuir le capital économique pour poursuivre l’art pour l’art. […] Parler de combien on est payé pour un projet créatif, et même le quantifier précisément, est en train de devenir à la mode. »

L’article donne comme exemple les récentes déclarations de l’auteur britannique Rupert Thompson (expliquant qu’à 60 ans, il ne pouvait plus vivre de ses livres pour la première fois), de David Byrne des Talking Heads retirant sa musique de Spotify ou encore du groupe de rock indé Grizzly Bear, internationalement reconnu mais pour autant toujours obligé de compter ses sous.

En France, plusieurs auteurs de BD ont expliqué publiquement pourquoi ils abandonnaient un métier qui les passionnait mais ne leur permettait pas de vivre.

Peu d’empathie

Ces récits, qui montrent la réalité peu glamour du métier d’artiste, font-ils pour autant avancer la question de la juste rémunération des auteurs ?

Non, répond Miranda Campbell. Car ils sont trop facilement réductibles à des cas singuliers, susceptibles de prêter le flanc à la critique personnelle. De fait, les plaintes des artistes ne suscitent pas vraiment l’empathie chez les internautes qui commentent leurs témoignages.

Car ceux-ci sont prompts à souligner qu’il faut être naïf pour croire qu’on peut vivre de sa plume, que les auteurs qui chouinent n’ont qu’à prendre un vrai boulot comme tout le monde, ou encore que s’ils étaient vraiment bons, ils vendraient, c’est tout…

En France, les auteurs de BD mobilisés ont ainsi été stupéfaits de découvrir les violentes réactions de certains internautes face à leur mobilisation.

Un enjeu de société

C’est pourquoi, explique l’auteur, il faut penser cette question de façon politique. Car le problème n’est pas celui des artistes qui ne peuvent payer leur loyer mais celui de la place de l’art dans la société.

Si on laisse décliner les revenus des artistes jusqu’au point où de moins en moins de gens choisiront cette carrière, on laissera de fait l’art aux mains des plus aisés.

Que faut-il faire ? Plutôt que d’appeler à l’extension du droit d’auteur, Miranda Campbell, s’appuyant sur les travaux de plusieurs critiques, en appelle à l’intervention de l’Etat :

  • financer des institutions publiques tels des espaces de travail partagé ou des logements à prix modérés ;
  • protéger les petits lieux qui prennent des risques et exposent des auteurs inconnus ;
  • réfléchir au revenu de base universel, qui permettrait à tous les volontaires de s’investir dans des projets non lucratifs, artistiques ou autres.

Même si la situation n’est pas nouvelle

Bien sûr, on peut rétorquer :

  • que les auteurs ont rarement vécu de leur plume et que la majorité des écrivains, par exemple, ont un second métier (c’est « la double vie des écrivains », selon le sociologue Bernard Lahire) ;
  • que, parmi les auteurs du XIXe siècle qui sont passés à la postérité, beaucoup étaient rentiers (cf. Flaubert, Baudelaire, Proust pour ne citer que les plus connus) ;
  • que la multiplication contemporaine des titres publiés et du nombre d’aspirants artistes y est aussi pour quelque chose ;
  • que les carrières artistiques sont risquées par essence et qu’il pourrait être contre-productif de vouloir les subventionner.

Pour autant, il est vrai que la rémunération des auteurs est bien une question politique, qui pose en filigrane celle des activités non immédiatement rentables et des économies du don.

Qu’il s’agisse d’investissements de l’Etat – qui subventionne déjà largement la culture – ou d’expérimentations comme la licence globale ou le revenu minimum de base, tout modèle viable de rémunération sera aussi une décision politique et sociale sur la valeur que nous voulons donner à l’art.

Source :  Rue89 21/07/2015

Voir aussi : Rubrique Livre, Edition, BD,

Edition : un recueil de quatorze nouvelles noires pour soutenir l’action de la Cimade

etrangeSur la forme et sur le fond, cette initiative mérite d’être saluée. En partenariat avec la Cimade, le Firn édite un recueil de quatorze nouvelles noires sur le thème de cette année Etrange étranger. Les bénéfices provenant de ce livre seront reversés à l’association qui accueille, oriente et défend  les personnes étrangères, les demandeurs d’asile et les réfugiés. L’ouvrage coordonné par Patrick Mosconi fait écho à ce désordre assourdissant pour notre humanité que représente la situation des hommes, femmes, et enfants sans-papiers.

Entre violence brute et errance tragique dans les bas-fonds de nos villes et le désert de nos campagnes, ces citoyens du monde sans droit, inspirent les auteurs des courts récits compilés dans ce petit livre. Certains mettent à nu la férocité des rapports humains. C’est le cas de Lilian Bathelot qui conte dans Cristalline, une courte descente d’escalier de trois étages qui finit mal. Jean Bernard Pouy choisit lui, le thème de l’intégration réussie. Il narre avec humour le passé glorieux de la vicomtesse de Der qui détient le record du nom de société le plus long de l’histoire, déposé au registre du commerce.

Tout arrive, dans ce monde méconnu et sans règle. Anne Bourrel décrit les manigances de jeunes femmes marocaines pour se faire épouser. Sophie Loubière dénonce de manière originale l’atteinte profonde aux droits des femmes. L’étrange étranger de Serguei Dounovetz apparaît sous les traits d’un redoutable piranha qui squatte le cerveau embrouillé d’un musicien souhaitant saisir l’occasion offerte de braquer la Banque de France.

D’autres écrivains semblent s’inspirer de faits réels comme Gianni Pirozzi dans Femme de Parloir, qui use d’un style quasi documentaire pour évoquer le parcours d’une famille Rom ayant fui le Kosovo, ou Laurence Beberfield qui dans Aujourd’hui un autre jour, livre le récit d’un médecin engagé, resté fidèle au serment d’Hyppocrate. En pleine nuit la femme médecin part sur le bord de l’autoroute secourir et soutenir un groupe d’Erythréens à la barbe des policiers locaux. Dans La route est belle, Marin Ledin met en lumière la fragilité de l’intégration et la dureté de la vie tout en soulignant une grande inflammabilité des sentiments xénophobes dans les milieux d’extrême précarité.

«On se recompose sur les chemin de l’enfer» écrit de son lointain Brésil, Cesare Battisti qui décrit la force de caractère d’une femme africaine qui émigre pour ne pas subir le sort des femmes de son village. Il en sait quelque chose, lui qui a quitté son pays pour les raisons que l’on sait.  Toujours sur le thème de l’émancipation, mais au sein d’une famille gitane, Patrick Mosconi évoque l’histoire d’un couple qui souhaite assumer son  choix. Francis  Zamponi nous plonge dans la légion étrangère pour aborder l’extrême nécessité de trouver sa place dans la société, si cruelle soit-elle.

JMDH

Etrange étrangers éditions La Manufacture de livres, 6 euros

Source La Marseillaise 25 06 2015

Voir aussi : Rubrique LivreRoman noir, FIRN, Les amoureux du noir,

Echanges littéraires comme une antidote au repli identitaire

image31-1080x675Premier bilan. L’esprit Ibérique de la trentième Comédie du Livre a bercé les esprits. La littérature, à l’instar de la musique, adoucirait-elle les mœurs ?

 Le travail préparatoire de cette trentième édition de La Comédie du Livre restera comme chaque année invisible. Il a été nourri par des réflexions croisées, politiques, économiques, culturelles, et assurément littéraires qui ont fondé sa réussite de part l’intérêt des propositions et la présence des auteurs invités, même s’il est encore trop tôt pour en faire le bilan économique.

« Après les littératures Nordiques l’an passé, nous sommes revenus à la maison pour fêter cette anniversaire » a indiqué Philippe Saurel dans son discours d’ouverture, en précisant que 60% de la population de la Métropole aurait des liens familiaux avec l’Espagne.

L’histoire politique de la péninsule Ibérique, dont il a été beaucoup question au cours de cette édition, est à l’origine de flux importants d’immigration en provenance d’Espagne, liés aux soubresauts politiques de la monarchie puis à la guerre civile.

Dans le contexte de crise et de repli identitaire exacerbé que connaît le Sud de la France, il est heureux que La Comédie du livre qui célèbre les idées et la pensée depuis trois décennies, donne à rappeler cette conscience des réalités en mettant en jeu les caractéristiques d’une identité mixte et partagée qui conditionnent l’avenir de la société française.

Dans la prairie chardoneuse de la politique locale, force est de constater que la manifestation suscite des avancées. On a pu percevoir une collaboration assez rarissime en matière de politique culturelle.

Si la Métropole métropolise, via le réseau des médiathèques, elle laisse aussi une large place au département qui gère les archives et les bibliothèques départementales. Sur le stand Pierrevives, on fêtait cette année le 10e Prix littéraire des collégiens de l’Hérault qui soutient les auteurs jeunesses et contribue à développer le plaisir de lire chez les jeunes.

Le Centre de ressources et de soutien à l’innovation LR2L (Languedoc-Roussillon livre et lecture) qui accompagne la filière du livre a également pu prendre toute sa part en accueillant les éditeurs en Région. Sur son stand, on célébrait cette année les 50 ans de Fata Morgana, les 15 ans des éditions Au diable Vauvert, ou encore Indigène éditions, autour de la guerre d’Espagne. Le centenaire Edmont Charlot était également mis à l’honneur avec les éditions Domens et Méditerranée vivante.

Enfin, la présence emblématique de Lydie Salvayre et de ses invités comme celle d’une nouvelle génération d’auteurs espagnols et portugais ont contribué à une réflexion citoyenne exigeante sur la nécessité d’un changement profond dans le système politique européen paralysé dans son fonctionnement.

JMDH

Régis Jauffret Bravo

Jauffret

Jardins de la Drac

Comment imaginer qu’on puisse marcher gaillardement vers la mort,

«cet inévitable pays où l’on finit tous par aller se faire foutre »,

Régis Jauffret : Bravo, (éditions du Seuil 2015)

ce roman est constitué de seize fictions.

La vieillesse est le véritable héros du livre qu’incarnent

des fous,

des sages, des braves gens et

des infâmes

« Je n’ai jamais apprécié l’immobilité, ce lac, ce fond de puits.

J’ai conservé un peu du tempérament du spermato-zoïde que je fus il y a un peu plus de quatre-vingt-sept ans, agité, fébrile, le flagelle toujours en branle.

Elle ne bronche pas la mort,

même si les cendres des cadavres s’envolent avec le vent

 

Source La Marseillaise01/06/2015

Voir aussi : rubrique Edition, rubrique Lecture, rubrique Littérature, Les grands auteurs classiques ibériques, Littérature Espagnol,  rubrique Livres, rubrique Montpellier,