30e Comédie du livre. Connexion littéraire

downloadDébat. Dialogue et première rencontre entre Lydie Salvayre et Jérôme Ferrari hier au Centre Rabelais

De quoi parle deux prix Goncourt lorsqu’ils se croisent ? De vente ? De la fatigue liée à la compétition et des aléas médiatiques occasionnés ? Des attentes pressantes de leur éditeur ? Lydie Salvayre* lauréate 2014 pour Pas Pleurer (Seuil) et Jerôme Ferrari en 2012 pour Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud) ont vite oublié cela.

Elle ne l’avait jamais rencontré et évoque la raison de son invitation.  « L’admiration, qui ne m’aveugle pas mais m’apporte du discernement. J’aime ce qui me sépare de lui. Son écriture classique, tendue, alors que la mienne est baroque, outrancière, excessive

Pas Pleurer entrelace deux voix. Celle, révoltée, de Bernanos, témoin direct de la guerre civile espagnole, qui dénonce la terreur et celle de Montse, mère de la narratrice et « mauvaise pauvre », qui a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours enchantés de l’insurrection libertaire.

« Je porte la voix des chiens crottés au niveau de la langue, de ceux qui la restituent vivante alors que l’Académie l’a codifie.» Ils partagent l’idée de  filiation, une forme de désenchantement et ouvrent l’espace littéraire. « Ce que je n’ai pas vécu m’intéresse beaucoup plus que ce qui m’est familier » dit celui dont les romans émergent toujours dans un mouvement où les idées, les hommes, les civilisations basculent. Dans son dernier livre Le Principe, Jérôme Ferrari approche Werner Heisenberg, prix Nobel de physique 1932, à l’origine du principe d’indétermination, un des fondateurs de la mécanique quantique en proie au doute comme aux illuminations intérieures. Ils ont tous deux renouvelés le paysage un peu sinistré des lauréats. Ils ne jouent pas à l’écrivain, ils le sont.

JMDH

*Dimanche à 20h30 soirée de clôture  Tanguer avec Lydie Salvayre

SELECTION DU JOUR

Roman double

Ecritures. Nouvelles stratégies narratives

Issac Rosa

Issac Rosa

Le Sévillan Issac Rosa, le Portugais José Luis Peixoto et le Basque Fernando Aramburu se réunissent pour évoquer l’explosion des codes narratifs propres aux littératures ibériques. A l’instar de la liste très contemporaines des invités de cette trentième Comédie du livre, les auteurs de ce plateau tirent le diable de l’histoire par la queue. Chacun à leurs manières opèrent un patient et efficace travail de déconstruction des codes classiques. Là où les générations précédentes relataient les faits à partir d’un contact directe avec l’événement, ils font resurgir la mémoire en se prêtant à des jeux subtiles. Aramburu questionne la vérité romanesque, Peixoto use de la fable grinçante, Rosa fustige l’amnésie hypocrite de la transition démocratique avec un goût achevé pour l’humour et l’autodérision.
Aujourd’hui à 11h Centre Rabelais

Se faire la belle

Linda Lê. A propos des Exils

urlLinda Lê a passé les premières années de son enfance à Dalat. En 1969, la famille part à Saïgon pour fuir la guerre. Au fil du temps, ses livres se sont inscrits « sans bruit » dans le paysage littéraire contemporain français. Son style est empreint d’une force et d’une distance propre au métissage culturel. On la voit peu dans les médias mais son oeuvre étourdissante de lucidité s’impose avec impertinence, chaque nouvelle pièce posée s’enflamme dans le grand brasier de la vie. Elle évoquera son essai sur l’exil dans la littérature mondiale. Par ailleurs (exils) est composé de courts textes, consacré à un auteur différent et au lien qu’il entretient avec l’ailleurs, au sens large du terme. De Conrad à l’exil politique de Marina Tsvetaeva, en passant par l’exil intérieur d’un Franz Kafka,
Un puissant exercice de la liberté.

Aujourd’hui  17h30 Espace rencontres

 

Moment rare

Dialogue. A. Volodine et E Chevillard

Antoine Volodine

Antoine Volodine

Encore une chance que l’on doit à Lydie Salvayre dont la carte blanche nous offre l’exception et pas la règle. Deux auteurs, deux ours, qui ont le don de transformer le plus beau jour de votre vie en cauchemar, ou l’inverse, sortent de leur grotte pour répondre à la belle. Antoine Volodine principal hétéronyme du romancier, qui signe également Elli Kronauer, Manuela Draeger ou Luitz Bassmann, et on ne sait pas trop… vient d’empocher le prix Médicis 2014 pour Terminus Radieux (Seuil) se confronte à un adversaires de poids similaires en la personne d’Eric Chevillard qui remet en question les codes de la représentation, depuis son premier livre Mourir m’enrhume à Juste Ciel (Editions de Minuit 2015). Les deux bêtes ne chassent pas dans la même forêt mais partagent le goût de l’audace narrative. Attention aux coups de griffes !

Aujourd’hui 16h à la Panacé

 Jean-Marie Dinh

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Montpellier Comédie du Livre « Nous ne voulions pas d’un programme convenu »

93023e0669508d0434f7a9812c4792c2_XLEn charge de la préparation de la Comédie du livre, Régis Penalva, passionné de littérature évoque les choix ayant présidé à cette 30e édition consacrée aux œuvres de la péninsule ibérique.

Chargé de mission responsable de la Comédie du livre à la Ville de Montpellier, l’ex-libraire Régis Pénalva tient le pari de l’intelligence. Vendredi 29  mai débute la trentième édition de cette grande fête du livre et de la lecture qui se poursuivra tout le week-end. Le maître d’oeuvre discret de cet événement évoque l’alchimie concourant à la réalisation de cette grande cuisine littéraire qui rassemble près de 100?000 visiteurs.

Quels sont les grands axes et les nouveautés de cette trentième édition ?

Il y a d’abord les littératures invitées. Cette année, en s’intéressant à la péninsule ibérique nous proposons d’aller à la rencontre de deux grandes littératures mondiales. Les littératures espagnole et portugaise seront abordées à travers une approche qui concerne cinq langues le castillan, le portugais, le galicien, le basque et le catalan.

Côté éditeur, après les 35 ans des éditions Métailié l’an passé nous fêterons cette année les 25 ans des éditions Viviane Hamy. L’ouverture au très jeune public compte parmi les nouveautés avec la création d’un espace dédié à la petite enfance encadré par des professionnels qui proposent différents ateliers pour les moins de 4 ans avec leurs parents. L’autre nouveauté, c’est la métropolisation de la manifestation rendue effective en amont et pendant la manifestation avec une sensibilisation des publics aux littératures invitées et des rencontres avec des auteurs dans le réseau très actif des médiathèques. La carte blanche offerte à Lydie Salvayre constitue également un temps fort de la manifestation.

Avec une sélection d’auteurs plutôt alléchante…

Lydie invite effectivement des écrivains appartenant à la grande tradition littéraire dont la venue tient sur le facteur confiance comme Jêrôme Ferrari, le rejeton des éditions de Minuit Eric Chevillard ou encore Antoine Volodine et ses hétéronymes qui ne se déplacent nulle part.

La qualité de la proposition littéraire est un facteur de succès important, comment travaillez-vous pour équilibrer les enjeux politique, économique tout en maintenant l’attractivité ?

Tout commence par le choix du pays. A partir de là nous avons entre 30 et 40 écrivains à inviter avec l’appui des éditeurs qui nous font connaître les auteurs de qualité et l’expertise des libraires qui s’opère sur deux critères, à la fois le choix littéraire et les ventes. Nous prenons également en compte la dimension collective, celle de porter au mieux le livre et ses acteurs dans l’espace public.

On aboutit ainsi à une liste diversifiée où se retrouvent des écrivains qui concernent un large lectorat des auteurs reconnus, et des auteurs au potentiel prometteur à découvrir. La Comédie du livre a aussi une vocation de défrichage. Le goût du public s’affirme en rapport avec les propositions qui sont faites.

L’année dernière sur la thématique des littératures nordiques, Katja Kettu, quasiment inconnue, a réalisé de très belles ventes. Pour aller dans ce sens, les participants aux rencontres pourront aussi acheter les ouvrages sur les lieux même des débats et dans les médiathèques.

L’Espagne et le Portugal partagent une histoire marquée par des régimes totalitaires. Ces deux pays doivent aujourd’hui faire face à une crise économique et sociale aiguë. Cela transparait-il dans la littérature ?

Nous ne voulions pas d’un programme convenu pour éviter de retrouver les écrivains que l’on voit partout et ne pas répéter l’édition hispanique de 2009. Les 35 auteurs invités permettront cette année de découvrir les nouvelles générations. Leurs aînés étaient en contact direct avec les événements tragiques tout au long du XXème siècle. Ils avaient pour habitude d’affronter le sujet frontalement comme l’a fait à sa manière Manuel Rivas. Avec les générations suivantes et particulièrement les plus jeunes, si l’on retrouve bien des traces vivaces des dictatures et de la répression politique, les stratégie littéraires et narratives ne sont plus les mêmes.

Dans Plus jamais ça Andrés Trapiello fait appel à la résurgence de la mémoire. Il est question de la souffrance des descendants. Avec Encore un fichu roman sur la guerre d’Espagne Issac Rosa, interroge la façon dont un écrivain se saisit de l’Histoire… Dans Quatre par quatre Sara Mesa questionne à la fois le passé le présent et l’avenir de son pays et de l’Europe en utilisant la stratégie de la fable. Des thèmes transversaux se dégagent, l’enferment comme dans le conte d’Ivan Repila Le puits, mais aussi le voyage comme dans La mort du père, de José Luis Peixoto qui signe un grand roman de l’immigration portugaise en France. Voyage encore, avec l’ouverture sur des fictions exotiques comme celles de Pedro Rosa dans Pension des mondes perdus.

Comment se porte le marché du livre espagnol et portugais. En quoi se distingue-t-il du marché français ?

Le marché du livre portugais est aux mains de l’Espagne qui dispose de très grands groupes d’édition bien implantés en France. Planeta a d’ailleurs pris le contrôle du groupe français Editis (Plon, Presses de la Cité, la découverte, Robert Lafont, Bordas…). C’est le second groupe d’édition en France derrière Hachette et le 7e au niveau mondial. Si la diversité des publications reste assez grande, elle est différente du paysage français qui se distingue par le nombre de ses éditeurs et son réseau de librairies indépendantes. La puissance des gros éditeurs espagnols également bien implantés en Amérique Latine a pour incidence de privilégier l’exportation des livres espagnols en France où l’on trouve assez peu de traduction d’auteurs portugais qui passent souvent par le filtre de la langue castillane.

Quel avenir pour la Comédie du livre après 30 ans ?

La Comédie du livre n’est pas rentable mais reste absolument indispensable. Elle permet de rendre visible dans l’espace public, les livres, les librairies, les auteurs, les maisons d’édition. La crise que traverse le secteur est liée à la conjugaison de la baisse du pouvoir d’achat à celle des pratiques de lecture, à la baisse des achats de livre et à l’émergence de groupes comme Amazon. La Comédie du livre se maintient au plus près des acteurs de la chaîne du livre. Elle doit porter ses efforts sur l’accès à la lecture et l’éveil à la lecture dès le plus jeune âge.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 28/05/2015

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La mostra du livre vers un avenir métropolitain

Temps fort. Carte Blanche à Lydie Salvayre

Temps fort. Carte Blanche à Lydie Salvayre

Comédie du Livre. Pour son trentième anniversaire, l’événement rend dignement hommage aux littératures de la péninsule ibérique et se projette vers la rencontre de nouveaux publics.

La Comédie du Livre fête ses trente ans cette année. L’histoire de ce grand rendez-vous du livre à Montpellier, initié par les libraires de la ville avec la bénédiction de Georges Frêche, n’est pas un long fleuve tranquille. Il coule cependant toujours pour la grande satisfaction des Montpelliérains qui répondent fidèlement et massivement à cette grande fête du livre où se croisent les passions.

Depuis quatre ans, la Ville de Montpellier a recentré la manifestation autour de la littérature des pays invités. Devenu chargé de mission pour la ville, l’ex-libraire Régis Pénalva a su palier à la dispersion des propositions, et aux tentations mercantiles, pour renforcer le contenu littéraire. Dans le même temps, l’association de libraires Coeur de livres conduit une politique à l’année qui fait vivre le livre à travers un sérieux programme pédagogique et de nombreuses propositions et rencontres littéraires. Durant l’événement, elle est aussi partie prenante de la programmation.

Fraîchement élu, le maire Philippe Saurel déclarait en 2014  vouloir étendre la manifestation à l’ensemble des quartiers de la ville via le réseau des médiathèques. Cette semaine, lors de la présentation à la Maison des relations internationales, il a annoncé vouloir « booster la politique des jumelages » dans un souci d’efficacité économique. Le choix des littératures ibériques mises à l’honneur lors de ce trentième anniversaire est pour Philippe Saurel, intimement lié à la volonté de relancer les échanges « tombés en désuétude » avec nos voisins du sud et plus particulièrement avec Barcelone.

Les consuls d’Espagne Juan Manuel Cabrera et du Portugal Pedro Marinho Da Costa, présents à Montpellier, ont tous deux chaleureusement remercié le maire de Montpellier pour cette invitation sans omettre de rappeler l’importance que revêt la culture dans les échanges internationaux. Pedro Marinho Da Costa citant à bon escient, la réponse de Churchill à qui l’on demandait de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre?: « Alors pourquoi nous battons-nous ?» Si la guerre économique liée à la reforme territoriale passe par la culture, le potentiel de la Métropole dans ce secteur demande à être pris en compte à sa juste valeur.

Un programme ouvert captivant

La qualité de l’offre de cette trentième Comédie du Livre s’inscrit dans ce sens. Du 29 au 31 mai, 250 écrivains seront présents à Montpellier dont 35 écrivains portugais et espagnols. Ces deux géants de la littérature seront représentés dans toute leur diversité. Il faut souligner le travail opéré autour de la littérature portugaise nettement moins représentée dans les ouvrages disponibles en traduction française. La langue castillane, qui imposa sa suprématie à la majeure partie de la péninsule, ne sera pas hégémonique puisque nombre d’auteurs écrivant en galicien*, basque, catalan sont invités.

Une belle place sera accordée à la jeune génération qui dresse souvent le tableau sans complaisance d’une société en crise. Parmi les points forts, la carte blanche à Lydie Salvayre, lauréate du prix Goncourt 2014 qui partagera ses références et coups de coeur littéraires ; la découverte de la ligne éditoriale des Editions Viviane Hamy ; les quinze ans des éditions Au diable Vauvert ; et beaucoup de débats passionnants avec des invités de taille dont Antoine Volodine, Jérome Ferrari, Régis Jauffrey, Ken Loach…

Jean-Marie Dinh

 *A l’origine de la langue portugaise.

Source : La Marseillaise 09/05/2015

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La Manufacture. Un goût certain pour le crime et le réalisme

joe-bananas-mafiaK-fé-Krim. Un rendez-vous avec la Manufacture, une maison d’édition qui explore le monde hors la loi en présence de Lilian Bathelot, Anne Bourrel et Olivier Martinelli.

Maison d’édition indépendante, la Manufacture de livres explore le monde criminel français et international. C’est l’invitée du prochain K-fé-Krim proposé par la librairie Sauramps en partenariat avec l’association Soleil Noir et le Festival International du Roman Noir jeudi.

Avec trois écrivains de roman noir d’ici invités : Lilian Bathelot, Anne Bourrel, Olivier Martinelli. Depuis 6 ans maintenant La Manufacture de livres se positionne comme l’éditeur spécialiste de la littérature du crime. Du roman au récit en passant par la photo, l’éditeur usine des histoires de bandits et de voyous.

A l’origine de cette aventure Pierre Fourniaud, ayant fait ses armes au Seuil, avait dans l’idée de créer une « série » de livres autour de l’histoire romancée d’une famille issue du grand banditisme. Avec le temps, l’idée a pris la forme d’une cosmologie criminelle. Un monde parallèle violent qui répond à d’autres codes d’honneur même si ceux-ci ont tendance à disparaître. A ce sujet, Pierre Fourniaud cite Pellegrini, ancien patron de l’antigang, « l’absence de scrupules paie toujours plus que l’intelligence. Lorsque deux truands s’affrontent, c’est toujours le plus cruel qui l’emporte. »

Aujourd’hui, la Manuf’ revendique un catalogue de près de 70 références, avec d’un côté la fiction, de l’autre le document et des essais. On passe du roman américain des années 30 à la vie d’une jeune fille dans une cité. Tous les parcours retracés sentent bon l’angoisse et le noir. Ils sont confiés à des écrivains, souvent témoins d’un art de vivre. La critique retient notamment Back up de Paul Colize, La politique du tumulte de François Médéline, Gangs story de Kizo avec les photos de Yan Morvan.

Dans le triptyque d’auteurs présents demain Anne Bourrel évoquera Gran Madam’s, la virée d’un trio de choc composé d’un escroc, d’une prostituée et d’une fugueuse. Olivier Martinelli évoquera une sombre errance entre l’Espagne de 36 et celle des années 90. Lilian Bathelot nous entraînera dans un beau récit qui se déroule dans le compartiment d’un train désert. Notre fascination pour ces mondes parallèles et ces vies hors la loi se trouve d’autant plus ravivée que nous étouffons sous les normes et la Manuf’ se charge bien de nous en faire sortir.

JMDH

Demain au Gazette Café à 18h30.

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Jean-Bernard Pouy : « Le roman noir est militant »

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Auteur de plus de 100 polars, père du Poulpe, amateur de musique punk et de jeux de mots, Jean-Bernard Pouy est l’une des figures qui relancèrent la Série noire. A l’heure où la collection fête ses 70 ans, il caresse le genre dans le sens du poil. Ou pas.

La Série noire fête ses 70 ans. Au milieu des années 1980, vous en avez été l’un des dignes représentants, avec Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, puis Daniel Pennac, Tonino Benacquista… Quels souvenirs avez-vous de cette époque?

Robert Soulat, le patron d’alors, cherchait du sang neuf pour dynamiser la collection. Moi, je suis lecteur de la Série noire et j’aime la veine critique sociale présente dans ces bouquins. Surtout chez les Américains, mais également chez Manchette, qui a filé un coup de fouet au genre en y apportant un style et une langue. Le premier roman à faire du bruit, c’est Meurtres pour mémoire, de Daeninckx, en 1984. Le bouquin n’est pas très bon mais il traite d’un sujet peu lu en France : la guerre d’Algérie. La presse se jette dessus.

L’école du néopolar français est née. Elle compte une quinzaine d’auteurs, tous différents : un militant, un historien, un raconteur, un déconneur… Je suis le déconneur. Il y a, chez nous, la volonté de faire simple, lisible, et de ne pas copier les Américains. Ce mouvement est porté par de nombreux festivals, la plupart situés dans des régions viticoles. Beaucoup d’auteurs se sont perdus dans le raisin. Le succès du polar français est aussi dû au fait qu’il n’est pas du tout parisien.

La Série noire publie en un volume cinq de vos romans. Que ressentez-vous ?

Pas grand-chose. Je ne pense ni à la reconnaissance ni à la notoriété.

Vous avez toujours défendu la littérature populaire. Quelle définition en donnez-vous ?

Une littérature qui peut être lue par le plus grand nombre parce qu’elle ne met pas en avant des présupposés culturels. Cette littérature a été tuée par le nouveau roman, qui décréta la vacuité des intrigues. Et puis il y a eu l’autofiction, la psychanalyse, le roman germanopratin. Le polar, lui, est obligé de fournir une lecture immédiate. Il y a évidemment des contre-exemples, comme James Ellroy, mais le genre réunit le notable, le serveur de bistrot, l’ado et le retraité.

Aujourd’hui, les frontières entre littératures « noire » et « blanche » semblent davantage poreuses…

Oui et non. D’abord, dans les années 1990, des « blancs » se sont essayés au noir : Edgar Faure, Pascal Lainé… Une franche rigolade. Aujourd’hui, Franz-Olivier Giesbert et Jean-Louis Debré s’y mettent avec plus ou moins de bonheur. Mais ces écrivains ne se risquent jamais à la critique sociale. Cela reste du roman policier, du thriller ou du roman à énigme.

Le roman noir, lui, parce qu’il est militant, résiste à cette porosité. C’est la différence entre un auteur et un écrivain. Entre un type qui joue dans l’équipe de Mantes-la-Jolie et celui qui veut signer au PSG. Un écrivain se prend pour un écrivain, un auteur publie des romans. Je suis auteur. Un écrivain a un chat et écoute Mozart. Moi, du punk. Je suis un papier gras collé à la chaussure de James Joyce. Les écrivains peuvent se comparer à lui, je peux juste envisager d’écrire un roman aussi bon qu’un polar de Chandler. Cela ne m’est pas encore arrivé mais c’est possible.

N’avez-vous pas d’autre ambition?

J’ai celle de raconter des histoires. J’ai écrit plus de 110 bouquins et 350 nouvelles. Tout n’est pas bon mais c’est mon boulot. Je devais écrire quatre romans par an pour pouvoir vivre et gagner environ 2000 euros par mois.

Comment expliquer le succès actuel du genre?

La mode est revenue avec le thriller américain et le roman policier nordique. Ce genre-là est rassurant. Il est amusant de noter que le roman noir nordique de critique sociale, incarné par Sjöwall et Wahlöö dans les années 1970, n’avait pas le même succès. Loin de là. Aujourd’hui, le policier est intello, lit de la poésie transcendantale chinoise, écoute de la musique contemporaine. On est loin du réalisme mais ça rassure le lecteur.

Vous avez poussé beaucoup de gens à écrire : Daniel Pennac, Tonino Benacquista… Puis ceux que vous avez publiés dans la collection le Poulpe. Tout le monde peut donc écrire?

A priori, oui, même si j’avais repéré des types capables de le faire. Le Poulpe, dont on fête les 20 ans, est une aventure particulière. Nous sommes en 1995, l’année des grandes grèves, de la dissolution, de Juppé droit dans ses bottes. Je me rends compte qu’il n’y a aucun personnage populaire pour relayer l’état d’esprit de ces mouvements. Un soir, Patrick Raynal, Serge Quadruppani et moi imaginons le Poulpe. Nous buvons beaucoup, mais la poésie vient aux alcooliques : le truc marche. Les premiers titres se vendent à 80000 exemplaires ! Un soir, j’annonce au Grand Journal de Canal+ que je publierai tous les manuscrits reçus. Erreur funeste. J’ai tenu parole : on en a édité huit par mois, et pas que du bon.

Quelle tête aurait le Poulpe aujourd’hui?

Je ne sais pas. Le polar français actuel est sérieux. Aux animaux la guerre, de Nicolas Mathieu, est un très beau livre, mais ça ne rigole pas beaucoup. Il y est question d’une fermeture d’usine. Les romans de Caryl Férey, Zulu ou Mapuche, sont des trucs costauds mais pas drôles. L’époque veut ça : pas facile de faire marrer avec des licenciements. Il faudrait peut-être écrire des pastiches de la littérature populaire comme les bouquins de Katherine Pancol ou Cinquante nuances de grey. J’appellerais ça Pastiche 51.

Vous êtes spécialiste des premières phrases plus ou moins énigmatiques. Celle de Suzanne et les ringards, par exemple.

Se moquant de Balzac, Paul Valéry a déclaré qu’on ne pouvait plus écrire une phrase comme « La Marquise sortit à 5 heures. » La littérature méritait mieux. J’ai donc fait mieux : « Je sortis de la Marquise à 5 heures. » Certains lecteurs ne sont pas rendus pas compte que la Marquise est une dame. Le Cinéma de papa commence ainsi : « Ma mère est morte et la langouste est excellente. » Allusion à L’Etranger, de Camus, un grand roman noir.

Quand le lecteur se marre dès la première phrase, c’est gagné. Si écrire est une version édulcorée du suicide, pourquoi écrire? L’écrivain aime dire qu’il souffre parce que les mecs à la mine ou à l’usine ne peuvent pas croire un type qui bosse chez lui en écoutant de la musique. C’est l’image du gars qui écrit trois lignes, arrache la page et la jette dans la poubelle. Cela ne m’arrive jamais. C’est aussi pour cette raison que je ne suis pas un écrivain.

Quels sont les écrivains d’aujourd’hui? Michel Houellebecq?

Houellebecq, c’est Flaubert. J’aime la démarche de ces écrivains, pas leurs romans. Ils écrivent sur le rien, la bassesse, la faillite humaine. Mais sans aucun jugement, ce qui est remarquable. Madame Bovary, c’est l’histoire d’une pauvre femme de province qui se fait avoir par tout le monde, qui lit des romans à la con et se suicide parce qu’elle ne sait pas aimer. Le roman est sauvé par le style. L’Odyssée, d’Homère : même chose. C’est l’histoire d’un crétin qui part à la guerre avec ses potes, couche avec des filles, revient et tue tout le monde. Mais le style élégiaque est extraordinaire. Houellebecq est un styliste, ce qui le place haut.

Vous avez écrit Le Merle, qui éclaire les milieux littéraires…

Tout commence lors d’un débat. Un spectateur se lève et gueule : « Il n’y a que la littérature allemande qui vaille le coup. » Ça me fait marrer et je me promets d’être un jour rangé sur les rayons de littérature allemande. Mais il faut du temps. Je crée donc Arthur Keelt, je lui invente une biographie et je le cite dans plusieurs de mes livres. C’est l’auteur d’un seul roman, Le Merle, écrit en 1954, traduit en France en 1968 aux éditions Dubois ; jeu de mots que personne ne remarque. Un jour, sur France Culture, Serge Koster déclare avoir lu Le Merle. Très beau livre épuisé, ajoute-t-il. L’éditeur m’appelle et me raconte ça : il a donc fallu que je me mette à écrire Le Merle. Signé Arthur Keelt et traduit par Jean- Bernard Pouy. Voilà comment je me suis retrouvé sur les rayons de littérature allemande. Ce genre de truc m’amuse et me sauve. L’écriture devient un jeu.

Tout doit disparaître. Recueil de 5 romans: Nous avons brûlé une sainte, La Pêche aux anges, L’Homme à l’oreille croquée, Le Cinéma de papa, RN 86. Gallimard/Série noire.

Source  : Lire

Voir aussi : Rubrique Livre, Roman noir, Pouy ; j’ai fait l’aérotrain, Editions,