Sur la forme et sur le fond, cette initiative mérite d’être saluée. En partenariat avec la Cimade, le Firn édite un recueil de quatorze nouvelles noires sur le thème de cette année Etrange étranger. Les bénéfices provenant de ce livre seront reversés à l’association qui accueille, oriente et défend les personnes étrangères, les demandeurs d’asile et les réfugiés. L’ouvrage coordonné par Patrick Mosconi fait écho à ce désordre assourdissant pour notre humanité que représente la situation des hommes, femmes, et enfants sans-papiers.
Entre violence brute et errance tragique dans les bas-fonds de nos villes et le désert de nos campagnes, ces citoyens du monde sans droit, inspirent les auteurs des courts récits compilés dans ce petit livre. Certains mettent à nu la férocité des rapports humains. C’est le cas de Lilian Bathelot qui conte dans Cristalline, une courte descente d’escalier de trois étages qui finit mal. Jean Bernard Pouy choisit lui, le thème de l’intégration réussie. Il narre avec humour le passé glorieux de la vicomtesse de Der qui détient le record du nom de société le plus long de l’histoire, déposé au registre du commerce.
Tout arrive, dans ce monde méconnu et sans règle. Anne Bourrel décrit les manigances de jeunes femmes marocaines pour se faire épouser. Sophie Loubière dénonce de manière originale l’atteinte profonde aux droits des femmes. L’étrange étranger de Serguei Dounovetz apparaît sous les traits d’un redoutable piranha qui squatte le cerveau embrouillé d’un musicien souhaitant saisir l’occasion offerte de braquer la Banque de France.
D’autres écrivains semblent s’inspirer de faits réels comme Gianni Pirozzi dans Femme de Parloir, qui use d’un style quasi documentaire pour évoquer le parcours d’une famille Rom ayant fui le Kosovo, ou Laurence Beberfield qui dans Aujourd’hui un autre jour, livre le récit d’un médecin engagé, resté fidèle au serment d’Hyppocrate. En pleine nuit la femme médecin part sur le bord de l’autoroute secourir et soutenir un groupe d’Erythréens à la barbe des policiers locaux. Dans La route est belle, Marin Ledin met en lumière la fragilité de l’intégration et la dureté de la vie tout en soulignant une grande inflammabilité des sentiments xénophobes dans les milieux d’extrême précarité.
«On se recompose sur les chemin de l’enfer» écrit de son lointain Brésil, Cesare Battisti qui décrit la force de caractère d’une femme africaine qui émigre pour ne pas subir le sort des femmes de son village. Il en sait quelque chose, lui qui a quitté son pays pour les raisons que l’on sait. Toujours sur le thème de l’émancipation, mais au sein d’une famille gitane, Patrick Mosconi évoque l’histoire d’un couple qui souhaite assumer son choix. Francis Zamponi nous plonge dans la légion étrangère pour aborder l’extrême nécessité de trouver sa place dans la société, si cruelle soit-elle.
JMDH
Etrange étrangers éditions La Manufacture de livres, 6 euros
Clermont-l’Hérault, juin 1997, le festival Roman noir et société bouge les lignes du genre et rencontre un franc succès auprès du public. La première édition voit le jour grâce à un curieux attelage pluridisciplinaire composé de personnalités provenant du monde de l’architecture, de la justice et de la sphère littéraire. Au sein de ce collectif qui puise une partie de ses idées dans la philosophie situationniste, beaucoup de libres penseurs, on retrouve Michel Gueorguieff, président de Soleil noir, l’architecte Jean Gabriel Cochet, l’avocat Jean-Robert Phung, des auteurs français comme Gérardo Lambertoni, Serguei Dounovetz, et d’anciens taulards ayant pris la plume, Alexandre Dumal, Alain Dubrieu, Emmanuel Loi en sont, comme ce concierge parisien occasionnel dénommé Cesare Battisti… Ces personnalités ont pour dénominateur commun d’être de gauche et d’apprécier le roman noir : pour eux, le polar s’inscrit dans une réalité sociale et souvent politique.
Des frictions entre certains membres aux caractères trempés provoquent une rupture. Michel claque la porte sans abandonner ses visions qu’il va bientôt transformer en vocation. Il voit grand et pense dans le long terme, avec l’idée vissée d’ouvrir son projet sur l’international. Il cherche alors un lieu susceptible de l’accueillir. Pour lui, implanter ce projet dans une ville de droite reste inconcevable. Par l’entremise de Françoise Bonnet et Michel Crespy, un ami sociologue et auteur, à l’époque bras droit du président du CG 34 Gérard Saumade, il va rencontrer Pierre Bouldoire qui vient d’être élu maire de Frontignan. L’affaire se conclue sur le fond. Le maire valide ce pari osé pour une ville de 20 000 habitants, en lui permettant de faire ses preuves. Michel qui n’en demande pas plus, ne va pas tarder pas à faire la démonstration du potentiel de son idée.
Deux ans plus tard, en juin 1999, la deuxième édition du festival et la première du festival international de roman noir de Frontignan (FIRN), affiche un plateau à faire pâlir la capitale : James Crumley, George V. Higgins, Gregory Mcdonald, Jim Nisbet, Daniel Woodrell … pour ne citer qu’eux, font le déplacement spécial. « Quand les Inrocks nous ont appelés pour nous dire que notre programme les intéressaient et qu’ils envisageaient de relayer des débats autour des grands auteurs, ils n’imaginaient pas un instant que ces monuments de la littérature débarquaient en chair et en os à Frontignan , se souvient Martine Gonzalez, la plupart ne s’étaient jamais publiquement produits en France.»
Dans cette première programmation figurent aussi des auteurs européens et français y compris de la région tels que Hélène Couturier, Gilles Del Pappas, Robert Gordienne, Marcus Malte, Jean-Bernard Pouy, ou Fred Vargas, bien avant le succès qui l’attendait. « Michel avait l’amour des auteurs, témoigne son ami Serguei Dounovetz, s’il avait aimé le texte, il s’intéressait à un mec venu de nulle part avec le même amour, la même sincérité qu’avec un auteur éminemment reconnu. »
Les graines de cette générosité naturelle pour ne pas dire constitutive, Michel les a fait germer dans sa ville. Une ville humaine qu’il aimait toujours retrouver au retour de ses nombreux voyages partout dans le monde où il trouvait l’occasion de se perdre. Une ville qu’il connaissait sous tous les angles, intimes et collectifs. Dans le cadre de ses fonctions politiques, il fut le créateur du journal Municipal Montpellier votre ville. Dans une dimension parallèle et jamais contradictoire, il aimait rire et boire des coups avec ses potes.
De 1997 à 2001, des cafés noirs lancés par l’association Soleil noir qu’il présidait, connaissent leurs heures mythiques. Passionnés et amateurs s’y retrouvent régulièrement dans différents lieux en ville. Au début la cave de la librairie Molière fait office de QG, mais les rencontres qui voient frayer les étoiles montantes du noir français, Jonquet, Pouy, Vargas… avec les auteurs et les lecteurs d’ici se multiplient au bar du château d’eau aux Arceaux, place de la Canourgue ou chez Pepe Carvalo. On découvre que le polar n’est pas monolithique. Montpellier devient une escale de l’école française du polar qui dresse une relation ethnographique et critique de la société française.
Ce grand bain d’idées et de confrontations fut très profitable aux auteurs de noir montpelliérains. D’ailleurs de Zamponi, à Lilian Bathelot de à Dounovetz à J-M Erre en passant par Joelle Vandenberg, force est de constater que tous ont pu se nourrir d’un échange avec Michel. C’était un découvreur de talents. Même s’il n’appréciait pas l’écriture, il voulait aider, considérant que quand un auteur de roman noir était parvenu à se faire éditer, c’était la moindre des choses de l’inviter.
Bref, si tout ça est assez logiquement resté dans l’ombre, cela n’en constitue pas moins une valeur, un héritage à ne pas trahir, et donne un sens durable aux petites choses de notre vie courante face à l’honorable société.
Une nouvelle virée de Gabriel Lecouvreur dit le Poulpe, personnage libre et contemporain dont la particularité est de plonger ses longs bras tentaculaires dans les grasses poubelles de notre société. A découvrir sous la plume de Serguei Dounovetz qui donne suite à ses aventures dans Sarko et Vanzetti. A ceux qui ignorent encore les vertus de la tielle sétoise, rappelons que Le Poulpe est une collection de romans policiers créée par Jean-Bernard Pouy où l’on peut suivre les aventures du même personnage repris par des auteurs différents.
Cette fois, le Poulpe s’engage à prouver l’innocence de son pote Vanzetti, un anarcho-syndicaliste accusé du meurtre d’un vigile retrouvé égorgé dans le bureau de son patron. Comme dans la tielle, Dounovetz importe quelques saveurs italiennes. Le titre du roman fait référence à l’affaire Sacco et Vanzetti, et plutôt à bon escient, s’il nous était permis de dresser quelques parallèles entre le climat politico-économique des années 20 dans le milieu ouvrier américain et celui que nous traversons. Conflits sociaux qui dégénèrent, attentats, implications d’hommes politiques dans de salles affaires et répression dans les milieux libertaires et syndicaux.
Le livre n’est pas un conte. Dans le récit, le patron de la Sarkophage fabrique des armes. C’est aussi le patron du PMU, un parti politique minable unifié. Le personnage de Rédouane, qui s’adonne aux trafics en tout genre dans la cité Jean Ferrat, se heurte à certaines convictions militantes traditionnelles de gauche mais s’avère aussi un allié de poids dans le combat contre le patronat voyou. A travers une apparente simplicité, Dounovetz confirme sa maîtrise des codes du noir tout en imposant son style. L’écriture s’émancipe en permanence des perversions mondaines pour toucher au réel. La trame de genre s’appuie sur un conflit social simple. Celle d’une usine occupée par ses ouvriers métallos désespérés qui, faute de pouvoir s’opposer à la délocalisation qui les laisse sur le carreau, demandent une prime que leur patron leur refuse.
L’auteur dépasse cependant le scénario classique à travers le caractère bien ancré de ses personnages et la dénonciation du factuel. L’insertion du traitement médiatique, des enjeux politiques et de leurs conséquences sociales, comme celle des réseaux de l’économie parallèle offre de la consistance à l’intrigue. Par ricochet, on songe à la proximité de Sarko dans l’affaire de vente d’armes au Pakistan avec toutes les conséquences que les masses médias se garderont bien d’éclaircir…
Le dénouement de cette légère fiction présente la rare vertu de mettre de bonne humeur ceux dont le cœur bat toujours à gauche. On est toujours des humains oui ou m….