Cinéma Les terrasses de Merzak Allouache. Un cadre entre ciel et rue

Merzak Allouache

Avant première. Le réalisateur algérien Merzak Allouache présente son dernier long métrage Terrasses au Diagonal dans le cadre de Regards sur le cinéma algérien.

Alger la belle, Alger et ses collines aux immeubles délabrés, Alger et ses terrasses transformées progressivement en lieu d’habitation, la Casbah, Bab el Oued, Belcourt, Notre-Dame d’Afrique, Telemy, Alger et son espace naturel qui plonge à l’horizon dans la grande bleue. Merzak Allouache commence par un décors. Ce paysage merveilleux de la baie d’Alger dit tout l’amour que le réalisateur porte à son pays même si ce qui se dévoile et se joue derière ce décors, l’afflige profondément.

« J’ai décidé de tourner sur les terrasses qui sont omniprésentes à Alger. Les terrasses étaient l’espace extérieure des femmes qui sortaient peu. Elles venaient y faire leur lessive. Cela a changé, aujourd’hui elles servent de refuge pour une grande partie de la population rurale exilée en ville qui y vivent comme dans les bidonvilles

Les terrasses d’Alger, jadis lieu de tranquillité, sont désormais des espace de vie, des squats, envahis par les antennes paraboliques. « Il est très difficile de tourner dans les rues d’Alger qui grouille de jeunes «désoccupés» que l’on éloigne de la vie. 50% de la population algérienne a moins de 19 ans. C’est un gâchis terrible. J’ai travaillé en équipe réduite avec un temps de tournage très court. Nous avons travaillé sur cinq terrasses, dans cinq quartiers, rythmés par les cinq appels à la prière. Et nous avons été confrontés au problème de la gestion des terrasses. Celles-ci sont souvent collectives et très convoitées par les habitants.»

Ce parti pris, filmé à la lumière d’Alger, donne une sensation de recul sur la vie de la cité. Il ouvre aussi un espace singulier entre vie collective et vie privée où se croise une galerie de personnages contemporains tourmentés en lien avec de grands épisodes de l’histoire du pays.

Un miroir à ciel ouvert

Dans les cinq récits que nous conte Merzac Hallouache, « C’est comme si j’avais tourné cinq courts métrage qui s’entremêlent.» tout démarre en douceur.« Je montre l’Algérie qui semble sereine, qui savoure la paix retrouvée. On entend  l’appel à la prière qui est en principe un appel à la tolérance mais on s’aperçoit que chacun est en train de faire ses petites affaires.  Les contradictions surgissent doucement, liées à une forme de désespérance et petit à petit elles se transforment en une bouillonnante et incontrôlable violence

Sur les terrasses d’Allouache défilent les douleurs du peuple algérien. Tout le talent du réalisateur est de poser un cadre neutre au bon endroit en attendant que la réalité le traverse. «Je n’ai pas envie de m’appesantir mais les choses sont là. Les décors et les personnages parlent. Quand on la regarde, on a l’impression que la ville est saccagée. On a l’impression que les gens ne l’aiment pas

Pas facile d’être artiste algérien. Certains réalisateurs et intellectuels jouent le jeu de la vitrine, ou refusent d’évoquer l’intolérance et les nombreux conflits qui minent la société algérienne. Face à la propagande officielle l’autocensure artistique reste de bon ton.

Ce n’est clairement pas le parti de Merzak Allouache qui profite de son exil pour explorer une société complexe et perturbée sans projet politique. On se souvient de la bourde de Hollande déclarant sur le ton de la plaisanterie à l’occasion d’une réunion du CRIF que le Ministre de l’intérieur (Manuel Valls à l’époque) était rentré d’Algérie saint et sauf. Mais qui se soucie de la jeunesse algérienne abandonnée ?

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 19/03/2015

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Angélica Liddell l’étincelle amoureuse

Tandy.

url« Si je ne travaillais pas avec ce qu’il y a de violence en moi, je tirerais des coups de feu dans la rue. »

Invitée par le présumé provocateur Rodrigo Garcia, la présumée sulfureuse Angélica Liddell est venue présenter Tandy à hTh. Troisième volet du cycle des résurrections faisant suite à You Are My Destiny (le Viol de Lucrèce) et Epître de Saint-Paul aux Corinthiens, Tandy s’inspire d’un chapitre du roman Winesburg Ohio de Sherwood Anderson relatant l’étincelle amoureuse dans le sens baudelairien de l’amour : « ce mal nécessaire qui nous met en contact avec notre être primitif », expliquera Angélica à la Panacée.

On convient que le ton moral et la narration non conventionnelle d’Angélica Liddell éveille les sens autant qu’il peut les tenir dans une froide distance. Pourtant, la scénographie soigneusement baroque tourne autour d’une unité simple, et qui plus est commune aux judéo-chrétiens : l’attente d’un miracle devrait rassembler. Ce n’est pas Godot mais qu’importe après tout, si les bouteilles remplacent les cierges dans ce nouveau rituel où un alcoolique révèle la destinée d’une fille de 7 ans.

« Le blasphème ne m’intéresse pas, confie Angélica, ce qui m’intéresse, c’est l’hérésie qui transperce le sacré. » Un peu comme l’amour en somme.

JMDH

Source : La Marseillaise : 04/05/2015

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Pessoa et les mystères de la création

15476981Rencontre littéraire. 4ème rendez-vous pour réviser ses classiques à l’occasion de la 30e Comédie du Livre, autour des auteurs ibériques, à Montpellier du 29 au 31 mai. La Marseillaise est partenaire.

Le voyage au cœur des littératures ibériques se poursuit avec les rencontres littéraires initiées par l’association Cœur de livres. Le débat s’est ouvert jeudi 30 avril autour d’un monument de la littérature mondiale Fernando Pessoa, écrivain portugais à l’imagination débridée, ayant écrit sous 72 hétéronymes.

Né en 1888 à Lisbonne, Pessoa a laissé à la postérité près de trente mille pages de textes, touchant à tous les genres (excepté le roman), dont certaines ne paraîtront que plusieurs années après sa disparition en 1935. Cette gloire posthume qui en fait un des précurseurs du modernisme portugais, l’auteur semble l’avoir pressentie : « Chaque nation aura ses grandes œuvres fondamentales et une ou deux anthologies de tout le reste. La compétition entre les morts est plus féroce qu’entre les vivants ; ils sont plus nombreux », souligne-t-il dans son essai Erostrate rédigé vers 1925.

Il n’aura pourtant été que peu publié de son vivant et n’aura signé de son nom que des articles de journaux. L’œuvre de cet écrivain protéiforme se compose de milliers de pages dont les langues s’exercent aussi bien en vers qu’en prose dans un environnement singulier, proche du somnambulisme où s’opère une contamination active du réel par le rêve.

Invention poétique

Sa renommée mondiale il la doit pour beaucoup aux hétéronymes, ces poètes « survenus » en lui-même lors d’une expérience singulière de création qu’il dit avoir vécue le 8 mars 1914 et qu’il a rapportée en détails dans une lettre adressée à son ami Casais Monteiro. Ce « jour triomphal » marque l’entrée en scène de quatre poètes : Alberto Caiero, Alvaro de Campos, Ricardo Reis et Fernando Pessoa lui-même, qui naît « en réaction » à ces « hétéronymes ». Quatre personnalités littéraires aussi différentes les unes des autres que le sont leurs oeuvres respectives. Ainsi, le poète portugais a créé non seulement des poésies mais aussi des poètes.

Rêves lucides

L’enfance de l’auteur sera marquée par la perte de son père à l’âge de cinq ans puis d’un jeune frère et d’une jeune sœur. Après avoir suivi sa mère en Afrique du Sud, en 1905, il part, à l’âge de dix-sept ans, pour Lisbonne où il vivra auprès de sa grand-mère paternelle atteinte de démence à éclipses. Pessoa a souffert de névrose mais il ne faut pas réduire son expérience poétique à un dédoublement de la personnalité. Sa vie a été une quête incessante pour rester lucide.

« Nous avons tous deux vies écrit Alvaro de Campos. La vraie, qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance… La fausse, qui est celle que nous vivons dans le commerce des autres…» En 1913, il entame en la « personne de Bernardo Soares, la rédaction décousue d’un journal intime qu’il poursuivra jusqu’à sa mort. Les textes seront réunis cinquante ans plus tard et publiés sous le titre Le Livre de l’intranquillité. Soares, son auteur, est, au même titre que celle des autres écrivains inventés par Pessoa mais c’est avec lui que la similitude avec le créateur de l’oeuvre est la plus grande…

Des masques de poètes qui cachent une personnalité trouble. Qu’est-ce que ces masques nous révèlent sur l’auteur et sa création ? En quoi les hétéronymes participent-ils d’une « sorte de drame » selon l’expression de Pessoa et font de celui-ci un « dramaturge » comme il le revendique par ailleurs ? La question a été débattue jeudi avec Stanislas Grassian, artiste interprète metteur en scène et auteur de la pièce Mystère Pessoa, mort d’un hétéronyme.

Les réflexions de Pessoa résonnent toujours aujourd’hui et demeurent ultra-contemporaine comme en témoignent ces citations : « La démocratie moderne est une orgie de traîtres. » Ou encore, « La vitesse de nos véhicules a retiré la vitesse à nos âmes. »

JMDH

Source La Marseillaise 30/04/2015

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Taxi Téhéran. La vraie vie par-delà la censure

edito-taxi-teheranCinema. «Taxi Téhéran» l’Ours d’or du réalisateur iranien Jafar Panahi.

Rien n’arrêtera Jafar Panahi. Le réalisateur est devenu la bête noire des autorités iraniennes, qui l’ont condamne en 2010 à ne plus réaliser de films, à ne plus accorder d’entretiens à la presse étrangère et à ne plus quitter son pays. Sous peine de vingt ans d’emprisonnement pour chaque délit. Mais c’est à peine perdue, nous invite à penser Panahi qui continue de raconter la réalité de son pays avec les moyens du bord.

Son nouveau film Taxi Téhéran actuellement sur les écrans a remporté l’Ours d’or du dernier festival de Berlin. Il était présenté mercredi au Diagonal Montpellier par Amnesty International. L’occasion d’aborder la situation du pays et d’alarmer sur la forte croissance des peines de mort depuis l’accession au pouvoir d’Hassan Rouhani en 2013, pourtant soutenu par les réformateurs.

Autre sujet du débat, la condition des femmes iraniennes relayées par les autorités religieuses au rôle de la procréation. Jafar Panahi, signe avec Taxi Téhéran un bijou d’humour et d’ironie. Il accueille dans son taxi un échantillon représentatif de la société iranienne. A l’abri des oreilles indiscrètes, la population restitue quasi naturellement, les vérités du quotidien. Au delà de l’acte de résistance, l’intelligence de la mise en scène offre un grand moment de cinéma où le docu-fiction touche du doigt la notion de culture, de transmission et d’espoir sur le devenir d’un pays amené à retrouver sa liberté d’expression.      

JMDH

Source La Marseillaise 18/04/2015

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Daniel Mermet : « A Radio France, c’est une grève de civilisation »

« Celles qui ont engagé la grève ce sont les femmes de ménage. » DR

Daniel Mermet, le producteur-réalisateur-journaliste, évoque le conflit social de la radio publique toujours dans l’impasse et présente un documentaire sur le travail de l’historien Howard Zinn.

Ecarté des programmes de France Inter en juin 2014, Daniel Mermet a créé Là-bas Hebdo un site internet payant* animé par une équipe de professionnels. Il était à Montpellier jeudi 9 avril pour présenter en avant-première au cinéma Diagonal le premier volet d’une trilogie sur l’histoire populaire américaine*. Ce film co-réalisé avec Olivier Azam, revisite l’histoire populaire de Christophe Colomb à nos jours à travers le parcours personnel de l’historien Howard Zinn, figure majeure de la gauche américaine.

Après plus de trois semaines de grève, quel regard portez-vous sur le conflit social de Radio France ?

Je suis justement venu pour faire une collecte au profit de Mathieu Gallet, le PDG de la Maison ronde qui se trouve en grande difficulté… (rire) Non, plus sérieusement je pense que c’est une grève historique, très importante, exceptionnellement longue et profonde. Il s’agit d’une grève de civilisation où deux possibilités sont offertes entre une civilisation de l’émancipation et une civilisation de la consommation.

Rien à voir donc pour vous, avec le problème budgétaire qui est évoqué ?

Mathieu Gallet est une figure caricaturale qui incarne parfaitement l’idéologie dominante. Lorsqu’il est arrivé, il a tout de suite annoncé la couleur en déclarant : « Je ne suis pas un homme de radio, je ne suis pas un journaliste, je suis un manager. » La stratégie a été de dire : on est frappé par la crise. Il y a un déficit et un trou dans la caisse et il va falloir y remédier par des économies et un pléthorique plan de départs volontaires. Ainsi, le problème budgétaire est asséné comme une vérité absolue, 20 millions de trou alors qu’il est très difficile d’avoir accès aux comptes. Sur le fond du problème, on veut démanteler le service public mais il n’y a pas de crise dans ce pays, il y a en revanche entre 60 et 80 milliards d’euros d’évasion fiscale

La durée de la grève semble faire grincer des dents une partie des journalistes ?

Celles qui ont engagé la grève ce sont les femmes de ménage au-sous-sol de la Maison ronde, puis les pompiers et les intermittents, et le mouvement s’est étendu aux journalistes précaires et finalement à l’ensemble du personnel. Cette question sur les journalistes renvoie à celle de leur encadrement. Si cet encadrement existe, c’est bien parce que les journalistes voulaient pratiquer leur métier autrement. Au fil du temps les journalistes intériorisent les limites dans lesquelles ils évoluent. Si on prend un support d’investigation comme Médiapart qui sort une affaire tous les jours, on peut considérer cela comme une pratique du métier excessive mais on peut se dire aussi que Radio France qui emploie 700 journalistes ne sort jamais aucune affaire… Prenez un sujet comme l’amiante, personne n’en parlait alors que Radio France a déjà consacré 10 M d’euros au désamiantage depuis 2006. Eh bien, il n’y a pas eu une seule enquête des journalistes sur leur propre maison alors que cela concerne leur propre santé !

Nous dirigeons-nous vers une arrivée massive de la publicité sur les antennes du service public ?

Il faut décrypter le discours des managers et des spécialistes de la communication en lisant entre les lignes. Quand ils disent par exemple qu’il n’y aura plus de pub dans les matinales cela signifie qu’il y aura de la pub dans tout le reste de la journée. Les radios qui attrapent les auditeurs par les oreilles pour les vendre aux publicitaires ça s’appelle des radios commerciales. Contrairement à ce qui a été dit, Radio France n’est pas née en 1963 avec la création de la Maison de la Radio par le Général de Gaulle. L’acte de naissance remonte au 22 août 1944, lors de la libération de Paris après une période où la grande majorité des médias avaient joué la carte collabo. La volonté de créer un pôle de radios publiques est issue de la Résistance. On retrouve cet esprit dans un texte du CNR qui affirme la volonté d’avoir une presse échappant aux puissances de l’argent et à celles des puissances étrangères. Aujourd’hui, l’ensemble des antennes de Radio France touche 14 millions d’auditeurs jour. On a très peu besoin de pub puisque le financement provient de la redevance et assure un budget pérenne.

Vous venez présenter en avant première Du pain et des roses, premier film d’une trilogie sur l’histoire populaire des USA à partir du travail d’Howard Zinn. Par quel bout avez-vous entrepris ce travail gigantesque ?

Tout est parti d’une rencontre avec cet homme extraordinaire en 2003. En 1980, Howard Zinn (1922/2010) sort son livre L’histoire populaire américaine qui rencontre un succès énorme. C’est un bouquin facile à lire, précis et documenté, qui fait que les gens s’y retrouvent. Au point où ce livre a contribué et contribue toujours à changer le regard des Américains sur leur propre histoire. Pour retracer 500 ans de cette histoire enfouie, nous sommes partis du parcours de Zinn lui-même qui a grandi dans une famille pauvre d’immigrants juifs ce qui lui a donné dès le départ une conscience de classe.

Une lutte de classe américaine mise en exergue dans ce premier film, du XIXème à la Première guerre, est littéralement gommée de l’histoire…

Oui, Zinn explique cette lecture de l’histoire très familière en Europe en commençant par la révolution américaine présentée comme une guerre contre l’occupant alors que ce fut surtout une guerre des riches contre les pauvres. Zinn a passé sa vie à faire comprendre comment cette vision politique du monde a été passée sous le tapis par la mobilité sociale. C’est à dire la forme de religion qui tend à vous faire croire qu’en étant cireur de chaussures vous pouvez devenir Rockfeller…

Recueilli par Jean-Marie Dinh

* Une histoire populaire américaine editions Agone

Source La Marseillaise 13/04/2015

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