Pour cette douzième édition, le Festival Arabesques, rencontres des Arts du monde Arabe, célèbre à Montpellier des grandes dames jusqu’au 21 mai. La DJ palestinienne, Sama Abdulhadi, alias Skywalker la première qui a mixé dans un bar de Ramallah en bousculant les mentalités et les préjugés a chauffé cette nuit le Rockstore à blanc avec un set endiablé. Skywalker importe les embruns des scènes techno de Beyrouth, Londres, Le Caire ou Paris où elle se produit non sans provocation.
Depuis 12 ans, le festival Arabesques se révèle comme un grand dénicheur des talents issus de la nouvelle scène arabe qui s’impose partout dans le monde. En France, pour des raisons liées à des partis pris socio-politiques qui méritent d’être questionnés le phénomène de reconnaissance est plus tardif. Mais cela n’enlève rien aux talents, à l’instar de l’artiste contemporaine marocaine Leila Hida. La ligne artistique d’Arabesques vise aussi à renouer avec les racines pour ne pas se perdre…
Leila Hida :
« Avec le net nous n’avons plus besoin d’argent pour refléter la réalité »
Née en 1983, Leila Hida habite aujourd’hui à Marrakech où elle est photographe indépendante depuis 2012. Elle est fondatrice du 18, un espace alternatif de culture et d’expression artistique situé dans la médina. Dans le cadre du Festival Arabesques qui bat son plein à Montpellier, on peut découvrir son travail dans le hall de l’Hôtel Mercure Centre Comédie jusqu’au 10 juin.
D’où vient l’idée du 18, pourquoi avoir choisi ce lieu ?
C’est un engagement pour les créateurs au Maroc en faveur des artistes locaux mais aussi internationaux. Nous soutenons les artistes émergents en accompagnant leurs recherches à travers les résidences et en diffusant leurs projets au sein de l’espace par des expositions, présentations, rencontres avec le public. Nous souhaitons également connecter les scènes culturelles marrakchies à celles de l’international, et permettre aux artistes étrangers d’intervenir à Marrakech.
Marrakech connaît un développement impressionnant depuis plusieurs années mais le choix de votre implantation reste atypique…
Nous aurions pu nous installer à Rabat, Tanger ou Casablanca mais ça nous intéressait d’ouvrir ce lieu dans ce quartier. Marrakech est une ville de commerce, un point de confluences historiques. La ville s’est métamorphosée, mondialisée, on a construit de manière anarchique sans réflexion urbanistique. Il y a une gentrification de la médina. Au 18, nous recevons tout type de public. Créer un îlot dédié à la création n’est pas si étonnant. L’art contemporain questionne la société et son contexte, la ville, le territoire. Cet environnement se révèle propice aux recherches artistiques. La ville fonctionne à deux vitesses. Le changement vise à promouvoir l’exotisme mais il provoque des tensions entre la population très pauvre et les nouveaux arrivants.
Bénéficiez-vous de soutiens financiers publics ?
Non, nous fonctionnons pour une grande part avec du sponsoring privé et nous attachons beaucoup d’importance à notre indépendance.
« La création contemporaine marocaine est en train de trouver son modèle »
Considérez-vous que l’expression artistique permet de contourner les impasses politiques ?
Nous agissons dans le domaine de la culture en créant un espace physique permettant la réflexion, un espace où l’on devient citoyen. Ce n’est pas un contournement. C’est essentiel. La nouvelle génération est très impliquée. Avec Internet, nous n’avons plus besoin d’argent pour refléter la réalité et interpeller les pouvoirs publics.
Bénéficiez-vous du droit à la liberté d’expression artistique ?
On peut dire ce que l’on veut, s’il existe une entrave c’est l’artiste qui se la pose lui-même. Nous sommes les héritiers d’une histoire, sous Hassan II rien de cela n’était possible. Il reste des séquelles de cette époque dans notre pays. Il est arrivé que le droit à la liberté d’expression artistique soit malmené mais ça reste à la marge.
Où situez-vous la différence entre les artistes marocains vivants à l’étranger et ceux qui habitent au Maroc ?
Un artiste vivant au Maroc va traiter davantage du contexte marocain, alors que des questions comme celles liées à l’exil seront plus au centre des préoccupations des Marocains vivant à l’étranger. Artistiquement, on n’évolue pas dans le même environnement. Au Maroc, la création se développe différemment, nous sommes confrontés à des difficultés de production. Il n’y a pas de marché, pas de scène mais beaucoup de choses sont possibles et un mouvement émerge. Le Maroc est en train de trouver son modèle.
L’exposition que vous présentez à Montpellier soulève un questionnement autour de l’identité…
Ce travail correspond à une période où je suis retournée m’installer au Maroc. Je l’ai réalisé avec Artsi, un designer d’origine juive. Les images apparaissent comme dans un album de famille. Elles renvoient à nos identités plurielles, c’est toute la richesse et la complexité qui se posent à nous. Le problème c’est que les gens ne se posent plus assez de questions sur ce qu’ils sont.
Quelle place occupe la question du genre dans votre travail ?
Je n’opère pas de distinction entre la problématique féminine et masculine. Ramener la question à la condition de la femme me paraît régressif. Les inégalités existent mais c’est en agissant que l’on fait avancer les choses.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Arabesques Tout le programme
Source : La Marseillaise 13/05/2017
Voir aussi : Rubrique Festival, Il était une fois les Chibanis, Arabesques : Le combat est culturel. Nous devons être au front », rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Politique Immigration, Politique Culturelle, Politique de l’Education, rubrique Rencontre,