Comédie du Livre : Dans le miroir étasunien

Affiche Hervé Mangani

Affiche Hervé Mangani

Deux grandes idées ressortent des nombreux débats consacrés à la littérature américaine. La première, est celle d’un destin partagé. Depuis l’origine du Nouveau Monde se dessine une vision commune aux civilisations de l’Europe et à leur prolongement outre-atlantique. Liens renforcés aujourd’hui par une même appartenance au bloc occidental dans un environnement mondial en pleine mutation qui renforce nos dépendances. La seconde est liée à l’inévitable perdition de la fin du capitaliste qui nous entraîne à la ruine matérielle et morale.

La place de la littérature dans tout ça semble être à la fois partout et nul part. Aux Etats-Unis, les effets de la crise dans une société déjà constituée sur de fortes inégalités sociales pourraient bien venir à bout de l’Américan Dream. Ce n’est pas encore le cas témoignent les auteurs invités. « Si vous dites à un américain que le rêve américain est mort : il va le nier, explique le fin psychologue William Bayer, ce rêve est bâtit sur l’exception, le courage individuel. L’image du petit vendeur de rue qui grâce à sa lutte personnelle parvient à ouvrir son restaurant. » « On aime l’idée romantique de la misère, confirme l’auteure Dana Spiotta, le problème c’est qu’aujourd’hui cela ne suffit pas. Si vous êtes pauvres vous n’avez aucune chance de vous en sortir. Il faut un système politique plus équitable parce que le concept individualiste qui est typiquement américain évolue vers la détresse économique.

La crise a mis un terme à l’idée de progrès. Elle est en train de faire disparaître la classe moyenne et amorce un changement profond des valeurs outre-atlantique. L’avènement d’Obama en est sans doute une des conséquences. « L’ère de Zola est finie, affirme pourtant l’écrivain Wells Tower. Les intellectuels n’ont plus aucun impact aux Etats-Unis. On n’existe pas. » Reste à espérer qu’il pèche par modestie.

JMDH

Le choc des littératures source de richesse et de questionnement…

Auteurs américains à Montpellier. Photo David Maugendre

Auteurs américains à Montpellier. Photo David Maugendre

Rencontre. La nouvelle génération des auteurs américains se réfère toujours aux classiques de la littérature française, faute de traduction et peut-être d’intérêt pour les écrivains d’aujourd’hui.


C’est le 55e anniversaire du jumelage entre Montpellier et Louisville et la 25e édition de La Comédie du livre. Faut-il y voir une correspondance naturelle ? Elle existe en tout cas de l’avis des organisateurs qui souhaitent tisser un lien symbolique entre l’ouverture internationale de la ville et sa politique culturelle.

Vendredi, dix heures, sur le stand municipal, une bonne partie des auteurs américains invités se retrouvent, au meilleur de leur forme, face aux journalistes. Les écrivains sont prêts pour l’incontournable test de personnalité. Il y a là Joseph Boyden, Eddy Harris, Danielle Trussoni, Nikolai Grozni, Peter Fromm, bref un riche panel de la nouvelle génération. Il ne fait aucun doute que la plupart d’entre eux ne se connaissent pas. Tout le monde semble épanoui et sociable et en même temps assez peu habitué à la vie de groupe, mais chacun est bien conscient de partager la même pathologie : être américain et écrire.

Première question (il faut bien se lancer) : comment avez-vous été contacté pour vous rendre à la Comédie du Livre ? Réponse de Pete Fromm (après un court instant de réflexion) : « par mail. » Dans ce genre de situation, on ne sait pas trop pourquoi, l’idée intemporelle de comparer deux grandes littératures du monde, prend soudain chez les journalistes une actualité aiguë. Mais lorsqu’on les questionne sur la littérature française qu’ils apprécient le plus, la tête de nos invités ploie sous le poids de souvenirs lointains qui défilent… Victor Hugo, Balzac, Colette, Sartre, Simone de Beauvoir… Et au milieu de cette liste d’immortels, le nom de Muriel Barbéry arrive comme l’élégance d’un cheveu sur le hérisson. L’auteur française est citée à trois reprises. On apprend très vite que très peu d’écrivains français actuels sont traduits outre-Atlantique et que le livre de Barbéry  y est un best seller, donc un passage obligé pour un écrivain américain invité en France. D’ailleurs, personne ne précise si le livre lui a plu et chacun reprend un air contemplatif.

A leur décharge, on tente de faire valoir qu’une bonne partie de lecteurs français seraient bien en mal de citer des auteurs contemporains américains, ce que récuse Eddy Harris qui habite Paris. Il explique que le secteur de l’édition américaine fonctionne exclusivement sur des critères de rentabilité et qu’à la différence des Français, les lecteurs américains ne manifestent aucune curiosité intellectuelle au-delà de leurs vastes frontières, raisons pour lesquelles les écrivains américains sont très heureux d’être en France.

Etre de son époque

Pour le reste, cette approche réciproque des paysages littéraires confirme que la littérature a changé ses valeurs et ses perspectives. Le marché qui promettait la prospérité matérielle n’a jamais promis celle de l’imaginaire. Et il impacte de toute évidence les écrivains d’aujourd’hui de part et d’autre de l’Atlantique. On peut penser que les grands auteurs d’hier fossilisent quelque peu la représentation que nous nous faisons des littératures étrangères, mais ces classiques furent conscients de leur époque. Cela semble plus difficile aujourd’hui. A la question : « quelles seront les conséquences de L’Ipad sur le marché du livre ? » Danielle Trussoni répond : « Je ne sais pas, mais je sais que tous les éditeurs dans le monde font semblant de savoir ce qui va se passer. » Etre de son époque c’est justement prendre conscience de ce qu’il se passe.

Mais un auteur a-t-il besoin d’être de son temps ?

Entretien avec Philippe Lapousterle. Le responsable de la Comédie du livre renoue avec sa vocation d’avertisseur public.

« Des questions plutôt que des réponses »

jpg_lapousterleLe délégué général de La comédie du Livre, Philippe Lapousterle, évoque les travaux préparatoires de cette 25e édition, soulignant l’importance de l’espace de réflexion et d’échanges entre les auteurs et le public.


Sur quel squelette s’est bâti cette 25e édition ?

Nous partons d’un budget constant pour le fonctionnement. Il a fallu faire un effort obligatoire directement lié au pays invité, en sachant que faire venir des auteurs américains coûte quatre fois plus cher que pour des auteurs espagnols. Nous avons fait un autre effort, choisi celui-là, en direction de la BD. Nous renforçons, cette année encore, la place de ce secteur de l’édition pour porter Montpellier au diapason de ce qui se fait ailleurs. Cela en conservant la dimension citoyenne liée à la Comédie du livre. Cette année, nous organisons un concours de boules avec les auteurs de BD.

A la différence du Salon du livre de Paris, vous maintenez l’intérêt d’une thématique ouvrant sur une grande littérature mondiale ?

On ne peut pas, à mon sens, organiser une manifestation de ce type en restant autocentré sur le franco-français. Mais je récuse la qualification de thématique. Nous n’avons pas de thématique. Sur 350 auteurs invités, une quinzaine seulement sont américains. Nous ouvrons seulement une fenêtre sur l’Amérique à l’intérieur de laquelle nous essayons de proposer le meilleur panel possible de ce qui se fait aujourd’hui. On nous a reproché de ne pas avoir de têtes d’affiche, ce qui est relatif si l’on se réfère aux 450 pages du presse book qui concerne les auteurs invités. Par ailleurs, faire venir spécialement des stars comme Auster, Roth ou Ellroy est quasi impossible. Il n’y a pas aux États-Unis de circuit fédéré. Les agents décident souverainement de l’agenda de leur auteur. Et si vous en décrochez un, les autres ne viendront pas sur le même événement…

Les écrivains américains confortent-ils ou déconstruisent-ils plutôt les représentations que l’on se fait ici de l’Amérique ?

Je ne sais pas vraiment quelle image nous avons de l’Amérique. L’arrivée d’Obama annonce un changement profond. C’est l’Amérique culturelle qui a élu Obama. Parmi les auteurs invités, beaucoup se sont impliqués dans ce sens. Je pense que ce mouvement a joué un rôle important. Nous avons souhaité privilégier deux axes très spécifiques de cette littérature avec le courant lié au grand espace qui marche très fort. Et un angle sur la crise, qui a rendu cette littérature mondiale relayée plus tard par la littérature urbaine. Aujourd’hui cette littérature se compose d’auteurs qui viennent de partout dans le monde.

Quel regard portez-vous sur l’imbrication du système médiatique dans le domaine littéraire ?

Le monde médiatique ne s’intéresse plus qu’aux polémiques. Les littéraires comme Orsenna, Schmitt, ou Serge Michel, qui sont invités, ne passent plus à la télé. Certains essayistes s’ouvrent des portes en choisissant des grands sujets de société. La parole est confisquée par les chroniqueurs et les politiques, si bien qu’au bout de six mois, le vocabulaire et le questionnement des gens se conforment à ce qu’ils ont entendu. Les gens ne lisent plus de livres sur les grandes questions de société. Ils ne lisent plus les journaux. Je m’en rends compte en circulant dans les grandes villes françaises. La population est complètement déconnectée. C’est très préoccupant pour la démocratie. Les gens ne disposent plus d’aucun repère pour se fonder un jugement. Dans la préparation des rencontres publiques, je suis très attentif à ce que mes invités soient heureux de venir comme à l’électricité qui règne dans la salle lors des débats. J’ai fait de la phrase de Louis Malle une devise : « Je préfère les débats desquels on sort avec des questions que des réponses. »

BD. Nicolas Otéro, auteur d’Amerikkka, sur le stand Sauramps

KKK terreur du nouveau monde

amerikkka-t1-cvpDe la perdition à l’émerveillement, les images de l’Amérique sont plurielles. La série Amerikkka nous entraîne sur le terrain de la terreur et de la pauvreté du nouveau monde en abordant un de ses aspects les plus redoutables, la toujours très active organisation du Ku Klux Klan.

A l’occasion de la sortie de l’intégrale de la série, on peut rencontrer aujourd’hui le dessinateur Nicolas Otéro, auteur de cette bande dessinée engagée contre l’extrême droite américaine. Une série captivante et très bien documentée dont le scénario est signé par le romancier Roger Martin, considéré mondialement comme l’un des plus grands spécialistes de l’organisation du Klan. Si l’on découvre avec effroi l’influence de l’organisation secrète, à travers ses codes, son langage et la complaisance consternante d’une partie de la police, on se rassure, un peu en suivant le combat du couple d’agents très spéciaux Steve et Angela, membres de l’Anti-Klan Net work, l’organisation la plus efficace aux USA dans le combat contre l’extrême droite. La dimension de l’aventure est au rendez-vous, ce qui ne gâche rien. On entre avec plaisir dans cette BD qui marie les ingrédients du roman noir avec ceux du documentaire. Une très bonne idée qui allie fiction et réalisme et permet à un public jeune de s’informer sur le danger de la certitude totalitaire.

JMDH

Nicolas Otéro l’intégral de Amerikkka , Emmanuel Proust éditions

Retour sur une rupture de classe

didier-eribonHanté par le fantôme de son passé après la mort de son père, Didier Eribon, retourne à Reims. Il y retrouve le milieu ouvrier de son enfance qu’il avait laissé derrière lui avec son ascension sociale. Didier suit un parcours gay en s’inscrivant dans un nouveau réseau de sociabilité. « J’ai en même temps suivi le parcours social cette fois, l’itinéraire de ceux l’on désigne habituellement comme des transferts de classe. La démarche courageuse et honnête aboutit sur un récit intime où se mêle une réflexion sur les classes, la fabrication des identités, la sexualité et la politique. Didier Eribon s’interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance.Ses travaux dans ce domaine lui ont valu d’être le lauréat 2008 du prestigieux James Robert Brudner Memorial Prize décerné chaque année par l’université Yale (Etats-Unis) pour couronner une « contribution éminente à l’échelle internationale, dans le champ des études gays et lesbiennes ». Il était l’invité du Collectif contre l’Homophobie.

Didier Eribon a signe sur le stand Sauramps Retour à Reims édition Fayard 18 euros<

Rencontre : L’auteure haïtienne Elvire Maurouard signe son livre sur Hugo et défend son pays

Debout dans les ruines

Elvire Maurouard à la Comédie du Livre

Elvire Maurouard à la Comédie du Livre

Dans Les voix nègres de Victor Hugo * d’Elvire Maurouard, on apprend que Hugo a eu Haïti en tête sa vie durant. A seize ans, alors qu’il se trouve lui-même en exil, il intervient auprès de l’Angleterre en faveur de l’abolitionniste blanc John Brown. Celui-ci sera jugé et pendu en 1859 pour avoir attaqué une gendarmerie afin de libérer des esclaves. L’auteur des Misérables ne l’oubliera pas. Il aborde la question de la traite dans son premier roman Bug Jagal dès 1820.

 » Le nom de John Brown revient à vingt sept reprises dans son oeuvre  » , souligne Elvire Maurouard. L’écrivaine avait déjà consacré un ouvrage à la compagne haïtienne de Baudelaire (La joconde noire, ed du Cygne), épluche dans son dernier livre le rapport de Victor Hugo avec l’Amérique négre. « J’explore ce qu’il y a de moi dans le patrimoine français. En approfondissant la passion d’un homme pour le lointain, on découvre finalement que celui qu’on appelle l’étranger n’est pas si loin. »

Solidarité : Un théâtre à Haïti avec le Printemps des Comédiens

Elvire Maurouard assure la coordination de l’action solidarité menée par le Printemps des Comédiens à Haïti dans le cadre du réseau Conti.  » On a beaucoup tendu la main pour Haïti. Je crois que le séisme nous donne l’occasion d’inscrire ce pays dans notre identité commune. L’île est aujourd’hui à l’an zéro. Ce ne sont pas seulement les enfants qu’ils faut sauver. Il faut s’occuper des adultes, se soucier de la jeunesse. Le support d’Haïti c’est l’art. Breton disait qu’il s’en est inspiré pour créer le mouvement surréaliste. Beaucoup de jeune Haïtiens font du théâtre là-bas. C’est aussi important que de financer un soutien psychologique. »

*Les voix nègres de Victor Hugo éditions Karthala


La Comédie du Livre : premier bilan

Il est encore tôt pour disposer d’un regard chiffré, qui n’est d’ailleurs pas le meilleur indicateur pour évoquer un évènement conçu pour l’univers des lettres. on sait que cette 25e édition de la Comédie du Livre a une nouvelle fois porté au cœur de la ville la diversité et la richesse des rencontres et des pensées croisées. La mission que s’est assignée le Délégué Général Philippe Lapousterle est donc remplie. Le coup de pouce donné cette année à la BD fait apparaître une nouvelle génération d’auteurs qui peinent à trouver une place en dehors de la presse spécialisée. La jeunesse a répondu présente et les stands BD ont fait carton plein.

Dans la fenêtre consacrée à l’Amérique se sont ouverts de beaux horizons. On peut regretter de ne pas y avoir vu figurer l’égérie américaine de l’underground post punk, Lydia Lunch chanteuse poétesse écrivaine invitée par Le Diable Vauvert qui publie Déséquilibre Synthétique. L’invitation d’une littérature étrangère crée et maintient le dialogue entre les cultures qui ouvre et grandit la compréhension de l’autre. Elle peut conduire des éditeurs à se lancer plus en avant dans la traduction d’œuvre en français. Les auteurs américains mis à l’honneur ont porté témoignage de l’immense diversité qui compose les Etats-Unis.

Comme de coutume les grands débats ont satisfait à la curiosité et nourri le besoin toujours croissant de la population de mieux comprendre la société dans laquelle elle vit. La composante citoyenne de la manifestation n’a pas été en reste avec une très large représentation de la société civile par le biais du tissu associatif. L’association des Américains pour la paix et la justice a opportunément saisit l’occasion pour rendre hommage à l’historien et politologue Howard Zinn décédé en janvier 2010. Un acteur de premier plan du mouvement des droits civiques comme du courant pacifiste aux Etat-Unis dont l’œuvre reste ici à découvrir. L’évolution souhaitée par l’adjoint à la culture Michaël Delafosse* mérite d’être mieux définie, car jusqu’ici les principes fondateurs de cette Comédie citoyenne s’avèrent plutôt en phase avec ce qui se passe.

Dossier réalisé par Jean-marie Dinh

* propos tenus lors de l’inauguration.

Guerre mortelle aux kilos superflus

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Habituellement les éditeurs interpellent les chroniqueurs pour qu’ils parlent des livres qui vont sortir. Samedi à la Comédie du Livre de Montpellier, la démarche de Charles Kermarec, fondateur de la librairie brestoise Dialogues devenu éditeur, était tout autre. Il venait d’apprendre que les labos Servier, premiers laboratoires pharmaceutiques français indépendants, avaient déposé une plainte en référé * contre sa maison d’édition au motif de préjudice grave et éminent.

En cause, la sortie du livre de la pneumologue Irène Frachon et son titre sans équivoque : Médiator 150 mg Combien de morts ? qui doit paraître jeudi prochain. « Le labo ne peut pas faire valoir un préjudice commercial puisque le Médiator a été retiré du marché français en novembre dernier explique l’éditeur. Certains consommateurs pourraient les attaquer en justice mais cela relève de l’exercice d’un droit garanti par notre constitution. Ils n’ont pas connaissance du contenu et attaque juste sur la couverture. Ils veulent que le livre passe au pilon. »

Le Médiator est un coupe faim commercialisé en France depuis plus de trente ans. Le 25 novembre dernier, lorsque l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – Afssaps – annonce la suspension de l’autorisation de mise sur le marché il est alors consommé quotidiennement par près de 300 000 Français.

Cette décision fait suite à la révélation d’une toxicité grave directement liée au médicament : une atteinte des valves du cœur, aux conséquences parfois mortelles. Ce médicament était vendu comme un adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale. La revue indépendante Prescrire, souligne les effets indésirables du médicament « Troubles neuropsychiatriques, dépendances, hypertensions artérielles pulmonaires, et précise : sous benfluorex : des patients restent exposés à des effets indésirables injustifiés.« 

Le livre menacé d’Irène Frachon nous éclaire sur certaines décisions de santé publique et souhaite contribuer « au débat public constitutif de l’exercice de la démocratie. » mais verra-t-il le jour…

Jean-Marie Dinh

Le procès à lieu aujourd’hui à 14h30 à Brest.

Voir aussi : rubrique Santé Entretien avec Patrick Pelloux, Derrière les morts du Médiator,

L’impasse britannique est due à la crise

Friands d’excentricité, les Britanniques sont servis. Habitués des alternances politiques paisibles et régulières, héritage du mode de scrutin uninominal à un tour, les voilà sans majorité de gouvernement évidente au lendemain des élections législatives du 6 mai. Les conservateurs (les tories) sont en tête (36 % des suffrages, environ), mais pas suffisamment pour disposer seuls de la majorité à la Chambre des communes. Prétendument usés par treize années de pouvoir ininterrompues, les travaillistes (le Labour) arrivent en deuxième position (un peu moins de 30 % des voix).

Malgré les pertes du Labour aux élections législatives britanniques, le Premier ministre Gordon Brown s’efforce de former une coalition. L’issue serrée de ce scrutin est due aux programmes similaires des partis qui ont à leur tour réagi à la crise, estime le quotidien Le Monde : « Ce n’est pas une tragédie shakespearienne ni même une crise politique. C’est, en général, la situation qui prévaut au lendemain des élections dans la plus grande partie de l’Europe : les majorités gouvernementales y sont le fait de coalitions. … Pourtant, le cas britannique est particulièrement intéressant, et ces élections peuvent constituer un précédent. Elles préfigurent ce que va être le débat politique sur le Vieux Continent en cette période de crise économico-financière. … Car si le score est si serré entre Gordon Brown et David Cameron, c’est aussi que les programmes n’étaient guère différents. … Un seul thème a dominé la campagne : comment réduire un déficit budgétaire historique … hérité de la crise financière 2008-2009. »

Le programme gouvernemental britannique encourage la transparence

Le nouveau gouvernement de coalition britannique a présenté cette semaine son programme pour les cinq ans à venir. Le quotidien conservateur The Times est optimiste : « Dans le document de coalition est intégré un levier qui favorisera largement l’octroi du pouvoir aux citoyens. Il s’agit d’un engagement en faveur de la transparence. Les autorités publiques devront publier en ligne les informations relatives aux postes des fonctionnaires … et mentionner les salaires et les dépenses des hauts fonctionnaires. En outre, le gouvernement central rendra public toutes les dépenses et les contrats supérieurs à 25.000 livres [environ 29.000 euros] et les municipalités seront tenues de publier les contrats et de mettre à disposition la totalité des documents. Cela devrait faciliter la prise de contact des nouveaux entrepreneurs avec les autorités. La publication automatique des informations est un moyen pratiquement gratuit de donner du pouvoir au peuple. »

The Times – (conservateur) 21/05/10

Première crise pour la coalition

Le gouvernement de coalition britannique dirigé par le conservateur David Cameron a été confronté dimanche à sa première crise depuis son entrée en fonction il y a moins de trois semaines, déclenchée par la démission d’un ministre libéral-démocrate mis en cause pour ses notes de frais. Le secrétaire d’Etat au Trésor David Laws, numéro deux au ministère des Finances avec rang de ministre, a présenté sa démission samedi soir, au lendemain de révélations par le quotidien Daily Telegraph indiquant qu’il a indûment perçu plus de 40 000 livres (47 100 euros) en notes de frais, entre 2001 et 2009.

Ce départ est un coup dur pour le gouvernement, 18 jours seulement après sa prise de fonction. David Laws, 44 ans, avait impressionné les milieux financiers par sa volonté d’appliquer sans concession le programme de réduction des dépenses publiques, priorité absolue du nouveau gouvernement. Positionné à la droite du parti libéral-démocrate (centre-gauche), il avait aussi été l’un des architectes de l’accord de coalition. Hautement considéré par les conservateurs, il constituait à leurs yeux une garantie de la viabilité de cette alliance.

Un premier échec pour David Cameron

Enfin, les circonstances de cette démission sonnent comme un premier échec pour David Cameron et le vice-Premier ministre libéral-démocrate Nick Clegg, qui ont promis d’assainir les moeurs politiques après le vaste scandale de l’été dernier sur les défraiements réclamés indûment par des parlementaires.

RTBF Info (Belgique) 30/05/10

Voir aussi : Rubrique Rencontre David Peace , Rubrique Grande Bretagne

Le Poulpe à l’usine comme dans une tielle

Serguei Dounovetz

Une nouvelle virée de Gabriel Lecouvreur dit le Poulpe, personnage libre et contemporain dont la particularité est de plonger ses longs bras tentaculaires dans les grasses poubelles de notre société. A découvrir sous la plume de Serguei Dounovetz qui donne suite à ses aventures dans Sarko et Vanzetti. A ceux qui ignorent encore les vertus de la tielle sétoise, rappelons que Le Poulpe est une collection de romans policiers créée par Jean-Bernard Pouy où l’on peut suivre les aventures du même personnage repris par des auteurs différents.

Cette fois, le Poulpe s’engage à prouver l’innocence de son pote Vanzetti, un anarcho-syndicaliste accusé du meurtre d’un vigile retrouvé égorgé dans le bureau de son patron. Comme dans la tielle, Dounovetz importe quelques saveurs italiennes. Le titre du roman fait référence à l’affaire Sacco et Vanzetti, et plutôt à bon escient, s’il nous était permis de dresser quelques parallèles entre le climat politico-économique des années 20 dans le milieu ouvrier américain et celui que nous traversons. Conflits sociaux qui dégénèrent, attentats, implications d’hommes politiques dans de salles affaires et répression dans les milieux libertaires et syndicaux.

Le livre n’est pas un conte. Dans le récit, le patron de la Sarkophage fabrique des armes. C’est aussi le patron du PMU, un parti politique minable unifié. Le personnage de Rédouane, qui s’adonne aux trafics en tout genre dans la cité Jean Ferrat, se heurte à certaines convictions militantes traditionnelles de gauche mais s’avère aussi un allié de poids dans le combat contre le patronat voyou. A travers une apparente simplicité, Dounovetz confirme sa maîtrise des codes du noir tout en imposant son style. L’écriture s’émancipe en permanence des perversions mondaines pour toucher au réel. La trame de genre s’appuie sur un conflit social simple. Celle d’une usine occupée par ses ouvriers métallos désespérés qui, faute de pouvoir s’opposer à la délocalisation qui les laisse sur le carreau, demandent une prime que leur patron leur refuse.

L’auteur dépasse cependant le scénario classique à travers le caractère bien ancré de ses personnages et la dénonciation du factuel. L’insertion du traitement médiatique, des enjeux politiques et de leurs conséquences sociales, comme celle des réseaux de l’économie parallèle offre de la consistance à l’intrigue. Par ricochet, on songe à la proximité de Sarko dans l’affaire de vente d’armes au Pakistan avec toutes les conséquences que les masses médias se garderont bien d’éclaircir…

Le dénouement de cette légère fiction présente la rare vertu de mettre de bonne humeur ceux dont le cœur bat toujours à gauche. On est toujours des humains oui ou m….

Jean-Marie Dinh

Sarko et Vanzetti éditions Baleine, 7 euros.

Voir aussi : Rubrique Roman noir