Le
Süddeutsche Zeitung (Allemagne06.05.2010)
Justice Française : « La passion familiale et amicale »
19 avril 2010, l’audience de la Cour de justice, chargée d’examiner la responsabilité de Charles Pasqua dans trois dossiers de corruption et d’abus de biens sociaux lorsqu’il était ministre de l’Intérieur entre 1993 et 1995, va commencer. Marchant lentement, les mains dans le dos, légèrement incliné. L’homme se dirige vers la salle d’audience, comme un buffle qui n’a d’autre choix que d’avancer. Regardant à droite et à gauche. Ailleurs. A sa sortie, la même question lui est posée. «Qu’est-ce que ça vous fait d’être jugé par vos pairs ?»«Ça me fait… Ça me fait ni chaud ni froid ! répond-il. Moi je suis un vieux combattant. J’en ai vu d’autres…»
Voir : Je m’appelle Pasqua, Charles, je suis né le 18 avril 1927
Affaires Pasqua : Extraits des réquisitions de l’avocat général Yves Charpenel audience du 22/04/10.
“Ces trois dossiers, c’est mon sentiment après ce long parcours judiciaire, ne montrent aucune âpreté personnelle au gain, aucune volonté d’enrichissement crapuleux qu’une forme d’ivresse du pouvoir aurait pu déclencher. J’y vois essentiellement deux faiblesses qui ont fini par devenir des fautes:
– Celle de la passion politique qui, à un moment clé où le désir une mener une action politique sous sa seule maîtrise, lui a fait perdre de vue les limites pourtant évidentes de la probité publique, que ne pouvait ni ignorer ni sous estimer un homme de cette stature et de cette expérience.
– Celle de la passion familiale et amicale qui va le conduire à mettre au service de son fils unique et d’un ami politique fidèle les circuits illicites nés au coeur même du ministère qu’il dirigeait et connaissait mieux que personne.
Il est vrai que si vous pouvez croire que Charles Pasqua, ministre de l’intérieur pour la seconde fois, entouré de collaborateurs fidèles et éprouvés, a pu à ce point ignorer ce qui se passait dans son ministère et ce que faisaient, en son nom, ses proches, alors naturellement vous pourrez vous convaincre que le seul délit commis est celui de la naïveté ou de l’incompétence et vous le relaxerez. Telle n’est pas ma conviction. Et vous retiendrez la mise en place entre 1993 et 1995, entre des personnes se connaissant par coeur et connaissant par coeur le ministère de l’intérieur, d’un système atterrant mais bien réel d’utilisation à des fins personnelles de certaines fonctions attachées aux misions mêmes de ce grand ministère.
Au fond, et avec le recul de ces quinze années d’enquête, voici que se dessine cette période où tout paraissait possible, où les repères s’estompent, où un ministre puissant, un grand ministre, n’a pas su résister aux opportunités que ses fonctions lui offraient de favoriser ceux qui lui étaient chers, à titre familial ou politique. Personne ne peut raisonnablement croire à l’extrême naïveté de cet homme face à la cupidité de ses proches, à son extrême indifférence aux devenir de son fils et de ses amis, à son extrême éloignement du fonctionnement de son propre cabinet, des services de son ministère, enfin à l’extrême incapacité de Charles Pasqua à s’intéresser au financement de ses activités politiques. Rappelant les peines encourues, dix ans d’emprisonnement, l’avocat général Yves Charpenel a poursuivi: “Il s’agit autant de punir, que de signifier à tous que cette violation de la loi n’est pas restée sans réponse. Je vous demande de prononcer une peine d’emprisonnement dont la portée symbolique forte et l’exemplarité doivent marquer l’importance de cette violation et qui tienne compte de la personnalité complexe du prévenu. Parce que, au-delà du destin personnel de Charles Pasqua, l’arrêt de la cour sera à la mesure de l’importance du tort qui a été fait à la République.
Il cite une phrase de Benjamin Constant, qui avait été évoquée dans les débats au moment de la création de la Cour de justice de la République: “les ministres sont souvent dénoncés, accusés quelques fois, condamnés rarement, punis presque jamais”. En reconnaissant Charles Pasqua coupable des faits qui lui sont reprochés et en le condamnant, dit-il aux juges de la Cour, “vous montrerez que l’application de la loi seule doit et peut répondre efficacement à ceux qui ne l’ont pas respectée, ceux qui ont usé de leurs hautes responsabilités pour servir d’autres intérêts que ceux de la République”.
Un enfant du bon Dieu se pourvoit en cassation
Charles Pasqua a été condamné en octobre dernier à un an de prison ferme dans le dossier de l’Angolagate. Il a formé un appel suspensif. Sa condamnation du mois dernier dans le volet non ministériel de l’affaire du casino d’Annemasse semblait en revanche définitive. L’ancien ministre avait écopé de dix-huit mois avec sursis pour financement illégal de sa campagne électorale des européennes de 1999.
L’ancien ministre de l’Intérieur et le parquet général se pourvoient tous les deux en cassation a-ton appris le 6 mai dans le Figaro. Charles Pasqua aurait pu en rester là après l’arrêt de la Cour de justice de la République qui, vendredi dernier, a clairement fait s’éloigner de lui la menace de la prison ou de la déchéance parlementaire. Mais être blanchi aux deux-tiers par la CJR ne lui suffit pas : vendredi dernier, les trois juges et douze parlementaires qui le jugeaient l’ont certes déclaré coupable dans un seul des trois dossiers (Sofremi) mais ils lui ont épargné la prison ferme en raison, selon les termes des juges, de son «âge» et de «son passé au service de la France». En le condamnant à un an avec sursis et en reconnaissant son innocence dans deux dossiers (Gec-Althsom et Annemasse), ils sont allés bien en-deçà des réquisitions de l’avocat général qui, réclamait quatre ans de prison dont deux ferme. Le recours porte sur la forme et non sur le fond.
Voir : Petites chroniques de la corruption ordinaire Rubrique cinéma Les tontons flingueurs , Main basses sur la ville, Les salauds dorment en paix,