La question religieuse dans l’espace social

inter-religieuxSociété. Dans sa dernière livraison, la revue le Sociographe éditée à Montpellier s’intéresse à la prise en compte des croyances dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux.

 

Au cœur des pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux, se loge une dimension religieuse. Mais souvent, la confession du bénéficiaire n’est pas prise en compte :  » Au nom d’une fausse dichotomie entre appartenance religieuse et laïcité « . On ne peut réduire les humains à leur pure fonctionnalité comprendra-t-on en se plongeant dans le dernier numéro du Sociographe.

La revue qui se nourrit des témoignages et des réflexions de travailleurs sociaux dans leurs pratiques professionnelles a choisi de revenir sur la question religieuse dans l’espace social.

La première partie qui porte sur la genèse situe l’action sociale comme un enjeu commun du politique et des cultures et croyances. S’appuyant sur l’affirmation souvent énoncée d’un retour du religieux, JD Causse, qui dirige le département de psychanalyse de l’Université Montpellier III, s’interroge sur le présupposé de ce retour qui impliquerait une absence. Le chercheur préfère y voir un redéploiement sous l’aspect d’une triple recomposition. Le fondamentalisme s’exprimant dans des mouvances très identitaires pour échapper aux dérives du monde moderne. Une forme narcissique détachée, collant aux aspirations d’auto thérapie du moment, et le transfert du religieux dans le pouvoir des technosciences selon l’idée chère à Foucault.

A partir d’un éclairage historique, J.M. Gourvil rappelle comment, à la fin du Moyen-Age, l’invention des  » bonnes œuvres  » permet à l’Eglise de s’approprier les pratiques solidaires des communautés locales qu’elle cédera plus tard à l’Etat providence. Ce qui lui permet de surgir dans la crise actuelle qui agite le débat autour de l’action sociale : entre l’appel à une intervention de l’administration centrale et une vision citoyenne laissant davantage de place au développement des cultures et des solidarités locales.

Les différents éclairages émanant de témoignages, qui constituent la seconde et la troisième partie de la revue, soulignent que des difficultés de compréhension émergent aux contacts de certaines minorités communautaires. L’expérience de terrain invite à la prise en compte de valeurs différentes autant qu’à une certaine réflexivité.

Gérald Dudoit.  » Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? « 

Gérald Dudoit enseigne la sociologie à l’IRTS-LR*. Il a coordonné ce trente-deuxième numéro du Sociographe.

Gérard Dudoit

Gérard Dudoit

 » La question religieuse dans l’espace social, par les temps qui courent, c’est un peu poser le pied sur un champ de mines. Avez-vous balisé le parcours ?

Le champs de mines, nous étions pressés de le déterrer en essayant de ne pas tomber dans un quelconque dogmatisme. Dans ce numéro consacré aux croyances dans le travail social, nous avons cherché des confessions pour lever un objet peu abordé par les travailleurs sociaux et les institutions. Nous avons d’ailleurs rencontré quelques difficultés. Sur la liste des personnes sollicitées, certaines n’ont pas souhaité répondre à notre proposition. C’est une question difficile qui renvoie inévitablement à nos propres croyances. Le mode d’expression est resté libre comme pour chaque numéro de la revue.

Le parallèle entre l’histoire sociale et religieuse apparaît clairement dans la première partie qui met en regard deux institutions parfois aliénantes…

Le champ abordé n’est pas seulement religieux, c’est aussi celui de la croyance qui participe au fondement de l’action sociale, comme le souligne l’intervention de Jean-Marie Gourvil. Le système religieux comme l’institution sociale sont aliénants lorsqu’ils dépassent la prise en compte de l’individu et de la différence pour imposer une société contre l’individu, une société de prêt-à-porter religieux ou social.

Dans la partie témoignages, une éducatrice évoque une expérience où elle se trouve confrontée à une croyance étrange qui marque un contrepoint aux représentations religieuses…

En effet, ce témoignage de l’éducatrice spécialisée, Brigitte Mortier, souligne notre volonté de ne pas se limiter à la religion en tant que dogme. En arrière plan, il soulève le fait que nous ramenons souvent l’objet de croyance à une confession qui nous est étrangère, qui vient de chez les autres. Là nous sommes face à une croyance surnaturelle issue de la France profonde qui renvoie et interroge le travailleur social à sa propre perspective scientifique.

Un autre témoignage de terrain évoque la perte de repères absolue, y compris de leur croyance, de demandeurs d’asile. Est-ce le rôle du TS de toucher au fondement identitaire ?

On touche ici le problème des situations extrêmes traversées par les demandeurs d’asile victimes de traumatismes générés par des persécutions qui ébranlent leur croyances. Entre l’acculturation et l’assimilation d’un nouveau mode de fonctionnement, il existe un entre deux où la réorganisation n’est pas possible parce que la personne a perdu le respect de son groupe d’origine, à la fois le contenant et le contenu.

Les travailleurs sociaux sont-ils formés pour faire face à ce type de situation ?

Par rapport à ces différences, l’usager vient globalement travailler le professionnel. L’altérité nous permet de bouger de déplacer nos valeurs. La formation s’apparente à une mise en conformité des travailleurs sociaux. Les institutions veulent-elles des individus ou cherchent-elles à fournir des rôles sociaux occupés par des individus ? Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? C’est un sujet toujours brûlant d’actualité. Après la formation, c’est en situation que se construit le positionnement professionnel et dans l’éthique que se situe ce qui se travaille en chacun « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : rubrique société il n’y a pas de société sans croyance , position de la LDH sur la burka, rubrique revue le travail social est-il de gauche ?,

Portrait féminin de la société tunisienne

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Raja Ammari au cinéma Diagonal à Montpellier

Rencontre avec la réalisatrice franco-tunisienne Raja Ammari qui présente son second long métrage Les Secrets.

Invitée par Le Diagonal, la réalisatrice Raja Ammari est venue présenter son deuxième long métrage Les Secrets. Actuellement à l’affiche, le film pointe la confrontation du monde traditionnel et urbain et situe la société tunisienne à travers un vécu féminin. « J’ai commencé à écrire à partir du personnage d’Aicha*. Tenue à l’écart du monde par deux femmes de sa famille, la jeune fille cherche son identité. L’appel de la féminité interfère avec cet enfermement », indique la réalisatrice. Les trois femmes vivent en retrait dans le sous-sol d’une vaste maison à l’abandon. L’arrivée d’un jeune couple urbain va déséquilibrer leur vie en autarcie et faire basculer le film dans un tout autre univers ! « Aicha déforme la réalité en fonction de ses désirs »

Dans son premier film, Le Satin Rouge, Raja Ammari explorait le parcours d’une femme tentant de retrouver sa jeunesse. Dans Les Secrets, elle effectue le parcours inverse. Son regard sur le monde reclus des femmes vivant dans le conservatisme et le refoulement de leurs désirs mène à la violence. « Poussée par son désir Aicha pénètre le monde extérieur. Elle transgresse ce que sa grand-mère considère comme une menace. Mais dans la scène où elle vérifie si sa petite fille n’a pas perdu sa virginité, elle commet ce qu’elle redoute. » Le propos ne porte pas de jugement. Si la réalisatrice s’exonère de références religieuses, elle n’a pas évité que la projection du film suscite une vive polémique en Tunisie. « On m’a reproché de donner une image déviante et négative de la femme. » C’est une scène dans une salle de bain où une femme en lave une autre qui a déclenché le plus de courroux. « Je n’ai pas tourné cette scène pour provoquer. Mes indications étaient d’adopter une attitude maternelle, dénuée de sensualité. Dans cette scène, la nudité renvoie à une frustration enfouie qui fait parler le personnage de son enfance. » C’est ainsi que le film évolue, à travers l’image et le travail par étape sur l’émotion des personnages qui finissent par éclater tout ce qui leur tenait de schéma mental et comportemental.

Jean-Marie Dinh

* interprétée par la talentueuse Hafsia Herzi.

Voir aussi rubrique cinéma Tunisie, Le chant des mariés de Karim Albou,

Psychanalyse un douteux discrédit

warhol20freudLa question surplombe la thématique et la dépasse. Il s’agit de s’interroger sur la place de la psychanalyse dans notre société. On prend pour cela prétexte d’une commémoration. Celle du soixante dixième anniversaire de la mort de Freud. Tandis que l’activité éditoriale s’affaire a rééditer l’œuvre du père de la psychanalyse, le polémiste Michel Onfray, pond 600 pages (1) pour dénoncer la forfaiture freudienne. A gros traits, Onfray fait du penseur et de son œuvre un épouvantail. Freud serait un réactionnaire, anti-pauvre, misogyne, ayant pris ses fantasmes personnels comme une réalité universelle. Au regard de l’œuvre, on peut conserver une distance à l’égard de la psychanalyse et certaines de ses dérives, sans jeter le bébé et la mère avec l’eau du bain…

Car cet enterrement en grande pompe n’est évidemment pas anodin. Outre sa pachydermique dimension commerciale, l’entreprise Onfray s’inscrit dans un contexte où la psychologie cognitive, célèbre pour être à l’origine du fonctionnement informatique, c’est-à-dire pour modéliser dans un schéma binaire, étend dangereusement son emprise hégémonique dans la société. Dans ce contexte, il est intéressant de (re)découvrir les Conférences d’introduction à la psychanalyse rééditées en poche (2). Vingt-huit conférences prononcées entre 1915 et 1917 destinées à un public profane afin d’introduire les auditeurs à cette science naissante. Dès le début, Freud aborde l’aversion à l’encontre de l’investigation psychanalytique. « La société n’aime pas qu’on lui rappelle cette portion scabreuse de sa fondation, elle n’a aucun intérêt à ce que la force des pulsions sexuelles soit reconnue et à ce que soit mise à jour l’importance de la vie sexuelle pour l’individu. Dans une visée éducative, elle a pris le parti de détourner l’attention de tout ce champ. »

Dans la relation psychanalyse et démocratie, les contradicteurs d’hier sont encore ceux d’aujourd’hui.  Peut-on construire une société sans croyance ? Cette question était posée aux invités d’un Forum Fnac vendredi, réunissant le sociologue Daniel Friedman, le psychologue montpelliérain Henry Rey-Flaud, et l’initiateur de l’Appel des appels  Rolan Gori. Daniel Friedmann amorce ci-contre une réponse en posant au préalable une autre question : Qu’est ce que la croyance ?

Jean-Marie Dinh

(1) Le crépuscule d’une idole- l’affabulation freudienne, Grasset, 17,9 euros.
(2) Conférences d’introduction à la psychanalyse éditions Folio, Henry Rey-Flaud La vérité entre psychanalyse et philosophie, éditions Erès, Roland Gori,  L’Appel des appels, éditions Mille et une nuit.

Voir aussi : rubrique rencontre Daniel Friedman, Roland Gori, rubrique livre Qu’est ce que la critique ?, Todorov La signature humaine,

Daniel Friedmann« Il n’y a pas de société sans croyance »

Daniel Friedmann au Forum Fnac

Daniel Friedmanm est chargé de recherche au CNRS. Ayant une certaine pratique psychothérapeutique. Il se définit avant tout comme un chercheur. Il vient de faire paraître 13 entretiens filmés Etre psy aux éditions Montparnasse. Entretien avec un sociologue qui analyse les processus de l’inconscience à travers le monde.

Peut-on construire une société sans croyance ?

La société, on ne la construit jamais intégralement. On la trouve. On essaie de la transformer : ce peut être l’œuvre humaine d’une époque, d’une génération. Il n’y a pas de société sans croyance. La croyance se définit par opposition au savoir scientifique. C’est une adhésion affective qui peut recouvrir la dimension idéologique. En ethnopsychiatrie on s’intéresse aux croyances des autres, considérés ici comme des porteurs de croyances non traditionnelles. C’est une manière de saisir le lien de quelqu’un et sa croyance sur le plan affectif. L’identité est une croyance.

Vous avez travaillé sur le changement identitaire des immigrants, leur intégration n’implique-t-elle pas aussi, une adaptation de la société qui les accueille ?

Le changement le plus visible est celui de l’immigrant. Il doit apprendre une nouvelle langue, se trouver un travail « s’autonomiser » dans un contexte nouveau. C’est un processus difficile qui implique de trouver la force de mettre en question son identité d’origine. De manière symbolique c’est faire le deuil de sa culture ou du moins trouver le moyen de la réinvestir dans la société dans laquelle il s’intègre. Cela suppose aussi que cette société s’intéresse et s’ouvre à la culture dont il est le porteur. L’exilé opère deux initiations qui le renforcent et lui permettent d’acquérir une distance, un regard critique, souvent inaccessible si l’on demeure dans un système auto référentiel.

C’est un peu ce qui s’est passé pour Freud dans son combat contre les sciences exactes ?

Effectivement, Freud était issu de la culture austro-hongroise marquée par l’antisémitisme et se trouvait dans une position minoritaire de part son appartenance juive. Ce n’est pas un hasard si la psychanalyse est née dans la Vienne du début du XXe siècle. Celui que l’on considère comme son père était lié à une double position. Celle d’intégrer la société dans laquelle il se trouvait et la venue d’un ailleurs. La conscience n’est pas un empire. Il y a l’inconscient C’est ce combat critique qu’a mené Freud contre la souveraineté de la conscience.

L’amour est-il une croyance ?

L’amour comme l’amitié est une croyance. Si vous aimez quelqu’un vous développez un lien affectif très fort. Que se passe-t-il s’il n’y a pas de croyance ? Dans quoi est-on ? Dans la dépression…

Est-ce à dire que tous les amoureux du fric sont des dépressifs qui s’ignorent ?

Euh… c’est un choix… Harpagon, celui qui est dans l’avarice, est dans la rétention, contraint dans une certaine étape de la libido au-delà de laquelle il ne peut pas aller.

A quoi tient votre parti pris de filmer les psychanalystes ?

J’ai consacré l’essentiel de ma carrière à la recherche en sociologie sur les pratiques traditionnelles para psychanalytiques comme le chamanisme, le vaudou etc. Lorsque je suis arrivé aux psychanalystes, je me suis dit que les filmer permettrait la captation de la parole mais aussi du corps. Je souhaitais faire surgir leur individualité, quelque chose de leur subjectivité.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Daniel Friedmann Etre psy 13 entretiens thématiques aux éditions Montparnasse

Voir aussi : Rubrique débat Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique livre, Qu’est ce que la critique ?, société, la question religieuse dans le travail social,

Puissante ubiquité de la création féminine

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La Matrice 1 : L’absence crée un type particulier de présence théâtrale. Photo Ferdinant Fortes

 La Chapelle. Lydie Parisse met en scène avec Yves Gourmelon, son troisième texte pour le théâtre. Une création au féminin où la muse devient muson.

Je n’aime pas la fiction. Tout doit être réel, provenir de la vie bien réelle…  » affirme Lydie Parisse qui porte son troisième texte à la scène à la Chapelle. La Matrice 1 sous titrée Le temps des musons, apparaît comme une pièce maîtresse dans le parcours d’une œuvre foncièrement contemporaine, entreprise créative, à la fois accessible et très vaste. La recherche d’écriture théâtrale de l’auteur met en question le rapport au public à travers l’exploration plastique et les espaces multiples de perception possible, en l’occurrence ceux de la création féminine.

Premier volet d’un diptyque, La matrice 1 évoque le quotidien banal d’une femme. Une de ces femmes sans histoires auxquelles il n’arrive jamais rien. Dans l’espace caricatural de sa cuisine, Loute est la muse et la compagne de Pierre. Celle qui lui permet à lui l’homme, l’ingénieur en aéronautique qui veut devenir artiste, de se réaliser. Loute est aussi un être mythique omniprésent qui est en tout endroit à tout moment. Une éponge épouse infinie de la mémoire collective de tous les temps, mémoire fragmentée par les cauchemars de son siècle, fruits morbides d’illusions masculines.

Mise en lumière du désir

Pierre a disparu dans une pièce inconnue de leur maison Phoénix sans fondation. Il n’est plus là. Et Loute le recherche. Elle souffre, peine à réaliser ce qui lui arrive. Par moments, elle s’en moque, se libère, rit, se remémore et réinvente le passé, avec sa sœur, incandescente confidente, Melpomène (Julie Pichavant). La pièce ouvre et referme de courtes séquences, vidéo, chantées et chorégraphiées. Ce parti pris de mise en scène  fait appel au hors-scène, spatial et temporel. Il renforce efficacement la dimension spectrale et onirique. Tous les personnages masculins peuplent cet univers du dehors. Après tout, peut-être que Pierre n’a jamais existé…

Face à l’absence, c’est aux spectateurs qu’il revient de donner forme à l’émotion. Dans cet esprit, la comédienne Claire Engel (Loute) s’impose dans un rôle d’une grande difficulté. Les deux femmes sans âge, passent de l’indétermination à la détermination qui les entraîne sur les traces historiques et spirituelles de l’alchimie magique féminine. Dans une salle de bain, que n’auraient pas reniée Sappho et Lucrèce, elles inversent le mythe des muses pour donner naissance aux musons.

Mais s’il présente de réjouissantes perspectives, cet artifice nourrit l’étrange sans clore l’espace des possibles. Lydie Parisse construit sa pièce sur une succession de glissements vers une tendre et violente mise en lumière du désir. Un hommage à la création au féminin, dont la beauté et la cruauté n’en finissent pas de fasciner, comme la lumière filtrant les persiennes au matin d’un jour, nouveau.

Jean-Marie Dinh

Jusqu’au 7 mai à La Chapelle. Réservation 04 67 42 08 95. Le texte est paru aux éditions Domens 
Voir aussi : Rubrique Théâtre Parole Novarina,