Sigmundur Davíð Gunlaugsson, le Premier ministre islandais, a finalement cédé. Mardi 5 avril, il a annoncé qu’il démissionnait après avoir rencontré le président du pays et lui avoir demandé de convoquer de nouvelles élections. Le chef du gouvernement islandais est un des six dirigeants politiques mondiaux en exercice directement cité dans les « Panama Papers ». Lundi 4 mars au soir, une manifestation demandant sa démission a réuni entre 10.000 et 20.000 personnes pour une population totale de 330.000 âmes dans les rues de la capitale, Reykjavik.
L’affaire islandaise
L’enquête « Panama Papers » a révélé une rumeur qui circulait depuis plusieurs jours dans l’île nordique : la femme du chef du gouvernement, Anna Sigurlaug Pálsdóttir a utilisé en 2007 une société basée aux Îles Vierges Britanniques, Wintris, pour y placer sa fortune personnelle, issue de la vente de la vente de l’entreprise personnelle qui détenait le monopole de la vente des automobiles Toyota en Islande. Sigmundur Davíð Gunlaugsson était copropriétaire de la moitié de Wintris jusqu’en 2009, date à laquelle il a été élu député et a vendu sa part à son épouse pour 1 dollar des Etats-Unis.
Légalement, il n’est pas certain qu’il soit attaquable. Le quotidien britannique The Guardian affirme n’avoir « observé aucune preuve qui suggérerait de l’évasion fiscale, de la fraude fiscale ou aucun bénéfices malhonnête de la part de Sigmundur Davíð Gunlaugsson, d’Anna Sigurlaug Pálsdóttir ou de Wintris». C’était, du reste, la défense du Premier ministre jusqu’à ce mardi : il a vertement repoussé toutes les questions des journalistes et a déclaré lundi soir sur une chaîne privée qu’il ne « pensait pas à démissionner pour cette affaire ». Mais, en Islande, cette ligne de défense est intenable. Pour plusieurs raisons.
Le réveil des mauvais souvenirs
D’abord, parce que cette affaire rappelle de très mauvais souvenirs aux Islandais. Jusqu’en 2008, l’Islande a connu un développement financier débridé. En 2007, le bilan des banques islandaises a atteint 1035 % du PIB du pays. C’était l’époque des nouveaux riches et de la fortune étalée sans vergogne. Durant cette période, comme le remarque la journaliste islandaise Sigrún DavÍðdóttir sur son blog, les banques islandaises étaient spécialisées dans les constructions offshores. Elle rappelle qu’alors, « tu n’étais personne si tu n’avais pas une société offshore. »
L’affaire Gunlaugsson renvoie donc directement à cette époque. Elle rappelle que, huit ans après, rien n’a réellement changé : les hommes politiques restent liés au système financier. Ils restent des hommes d’un passé qui est désormais insupportable aux Islandais compte tenu de l’ampleur de la crise qu’ils ont traversé. Car si l’Islande a choisi une autre voie que les pays de la zone euro pour contenir la crise bancaire, les ménages islandais n’ont pas traversé sans dommages la crise, touchés par l’inflation causée par la dépréciation de 55 % en 2008 de la couronne islandaise et par plusieurs mesures d’austérité prises notamment dans le domaine de la santé. Ce que les Islandais ne veulent plus vivre, c’est cet effondrement qui a suivi la bulle. Or, avec cette affaire « Panama Papers », c’est donc un retour vers un passé honni qu’ils vivent.
L’affaiblissement de la confiance dans les élites politiques
La deuxième raison, c’est le manque de confiance dans les élites politiques que la crise a révélé et que cette affaire renforce encore. La bulle de 2000-2008 a été construite et encouragée par le personnel politique conservateur, à commencer par deux premiers ministres, Davið Oddsson, devenu ensuite président de la Banque centrale, et Geird Haarde, le chef du gouvernement lors de l’effondrement de 2008. Ce personnel politique a voulu consciemment utiliser le secteur financier comme levier de croissance après la crise de la filière piscicole dans les années 1990. Geird Haarde a, en 2012, été condamné par un tribunal pour sa gestion dans la crise de 2008. Il a alors déclaré que « nul parmi nous n’a pris conscience à l’époque que quelque chose clochait dans le système bancaire ». C’est cette irresponsabilité que le peuple islandais ne peut plus supporter. Or, même légal, l’existence d’une fortune placée aux Caraïbes, ramène l’actuel premier ministre a cette même irresponsabilité, à cette confluence entre le politique et le financier qui est insupportable désormais dans l’île nordique.
Un système politique en lambeaux
D’autant que le désaveu politique est quasiment général. La gauche, arrivée au pouvoir en 2009, s’est discréditée par sa volonté de protéger les créanciers étrangers et par les mesures d’austérité qu’elle a prises. C’est elle qui a négocié l’accord de dédommagements des créanciers néerlandais et britanniques dans le cadre du fonds Icesave, accord qui a été rejeté par deux fois par référendum en 2010 et 2012. La nouvelle majorité de droite issue des élections de 2014 s’est rapidement discréditée à son tour, notamment en rompant, sans le référendum promis, les négociations d’adhésion à l’Union européenne. Au final, la crise a ravagé le système politique islandais. Tous les partis traditionnels sont discrédités et c’est maintenant le parti Pirate, luttant pour la liberté d’Internet, qui est en tête des sondages avec plus de 35 % des intentions de vote.
D’autres ministres concernés
Dans un contexte aussi fragile, cette révélation achève ce système politique. D’autant que Sigmundur Davíð Gunlaugsson a très mal réagi, avec sa morgue habituelle, à ces informations et que deux autres ministres sont concernés par les « Panama Papers » : le ministre de la justice Ólöf Nordal et le vice premier ministre et ministre des Finances, Bjarni Benediktsson, président de l’autre grand parti de la coalition gouvernementale. Bjarni Benediktsson est le leader du parti de l’Indépendance, l’autre parti de la coalition gouvernementale avec celui de Sigmundur Davíð Gunlaugsson, le parti progressiste. Dès lors, c’est l’ensemble de la confiance avec la vie politique qui s’effondre. D’où l’exigence des manifestants islandais d’une démission pour organiser un « nouveau départ » à la vie politique locale et se débarrasser de cette élite désormais détestée.
Discours discrédité
Enfin, dernier élément clé : les révélations sur la femme du premier ministre le classent parmi ceux qui ont échappé au très strict contrôle des capitaux imposé en 2008 pour éviter la fuite des capitaux. Certes, ce compte n’a pas été ouvert pour « contourner » ce contrôle puisqu’il a été ouvert en 2007, mais cela ne change rien pour des Islandais qui vivent sous un régime restrictif qui, certes, a été affaibli, mais qui est très contraignant. Et comment ne pas soupçonner, même si on peut en douter, qu’il n’ait négocié avec les investisseurs étrangers la levée de ce contrôle en ayant son propre intérêt en tête ? Comme le résume un manifestant cité par le Guardian, « ce compte prouve que Sigmundur Davíð Gunlaugsson et sa femme n’avait aucune confiance dans la monnaie et le système financier de ce pays. » L’idée qui domine est donc encore celle d’une élite protégée. Une élite menteuse, puisque, protégé, le premier ministre a mené campagne en 2014 sur le thème de sa détermination à lutter contre les fonds étranger et la finance internationale. Un discours évidemment complètement discrédité désormais.
Symbole d’un traumatisme vivace
Sigmundur Davíð Gunlaugsson est ainsi devenu le symbole d’une société islandaise encore convalescente de la crise. Plus personne ne semble vouloir le sauver, et certainement pas son allié Bjarni Benediktsson, bien heureux que son propre cas passe au second plan dans cette affaire. Les élections anticipées sont donc inévitables, elles seront redoutables pour les anciens partis. Si la décision islandaise de 2008 de privilégier la dépréciation monétaire et la participation des créanciers a permis à l’économie de se redresser plus rapidement qu’ailleurs, il n’en reste pas moins que cette crise est demeurée un traumatisme et que les montages financier de l’épouse du premier ministre ramène à des réalités dont les Islandais ne veulent plus entendre parler. Cette crise politique islandaise de 2016, qui devrait entraîner le chef du gouvernement vers sa chute, est en fait un nouveau chapitre de la crise financière de 2008.
Romaric Godin
Source : La Tribune O5/04/2016
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