Notre très chère banque centrale continuera à défendre nos banquiers, n’est-ce pas ?

banque_de_france

Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, part en octobre. Un remplacement pas si anecdotique que ça.

par Michel Crinetz ancien superviseur financier, Collectif Roosevelt

Certes, le rôle de la Banque de France, dont l’État est le seul actionnaire, a bien diminué. Elle ne conduit plus la politique monétaire : c’est le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne qui le fait, où la France n’a plus qu’un droit de vote limité. Elle ne supervise plus non plus la prudence de nos grandes banques, un pouvoir également transféré à la BCE.

Dès lors, que nous importe le remplacement à ce poste d’un vieil ami des banques, Christian Noyer, par un ex-banquier ?
Peut-être devrait-il nous importer plus qu’il ne semble.

Une remarquable discrétion…

Jadis, comme tuteur des banques au Trésor, M. Noyer plaidait déjà pour que les banques puissent faire payer les chèques. Ces positions très orientées n’ont pas nui à sa carrière : directeur du Trésor, plus tard gouverneur de la Banque de France. Conseiller de M. Balladur, il a dirigé les cabinets de deux de ses successeurs aux Finances. Au cœur du pouvoir de 1993 à 1997, il s’occupa, avec une grande discrétion, des faillites du Crédit Lyonnais et du Crédit Foncier de France, entre autres.

“Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale”

Discrétion tout aussi remarquable dans son traitement, 15 ans plus tard, des “difficultés” de Dexia, du Crédit Immobilier de France, de la Société Générale et de Natixis, difficultés qu’il était censé prévenir au lieu de les laisser après coup plus ou moins à la charge des finances publiques. Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale.

Par-delà la Banque de France

À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire. M. Noyer n’est pas que gouverneur de la Banque de France, qui s’occupe du surendettement des ménages, du taux du livret A et de l’émission de billets de banque ; et qui reprendrait ses fonctions initiales en cas d’explosion de la zone euro.

“ À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire”

Il est aussi président du superviseur français des banques et des assurances, qui garde un rôle à la fois dans la supervision et dans la “résolution” des banques ; membre de deux Conseils de la BCE, avec droit de vote sur les décisions monétaires et celles du superviseur bancaire “unique” de la zone euro, et avis sur les projets de réglementation financière européenne ; membre du comité de Bâle qui définit les projets de réglementation bancaire mondiaux ; président de la Banque des Règlements Internationaux, et gouverneur suppléant du Fonds monétaire international, très influent en ce moment.

Des champions bien couvés

Depuis 33 ans, Christian Noyer a veillé aux intérêts de nos “champions nationaux”. Champions qui ne sont plus que quatre, suite à un séculaire mouvement de concentration sans cesse encouragé par la Banque de France : BNP Paribas, la Société Générale, BPCE et le Crédit Agricole ; quatre centres de pouvoir très influents et prenant d’énormes risques. Et il a défendu les intérêts des grandes banques contre les propositions d’intervention des États et de l’Europe.

“il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres”

Et si, en tant que banquier central, il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres. Il critique le déficit budgétaire, menaçant la France de “déclin”. Il dit que la baisse des charges patronales ne suffit pas pour restaurer la compétitivité et veut revoir les règles de revalorisation du Smic. Il critique vivement le projet européen de taxe sur les transactions financières, et, avec une violence très inhabituelle, le modeste projet du commissaire européen Barnier de filialiser les activités spéculatives des banques : “irresponsable et contraire aux intérêts de l’économie européenne” dit-il.

M. Hollande fera sans doute confiance à M. Villeroy de Galhau pour assurer la continuité. Un des principaux dirigeants de la BNP depuis 12 ans, il est, lui aussi, du sérail…

Source : Le Nouvel Economiste 16/07/2015

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Finance, Politique Economique,

Grèce. Francis Wurtz : «Transformer l’indignation en arguments»

Francis Wurtz salue la loyauté d’Alexis Tsipras face au choix terrible qui vient de lui être imposé .

Francis Wurtz salue la loyauté d’Alexis Tsipras face au choix terrible qui vient de lui être imposé .

FRANCIS WURTZ. Personnalité politique respectée ayant siégé des décennies comme député européen, Francis Wurtz s’exprime sur les questions soulevées par l’accord signé par la Grèce. Député européen de 1973 à 2009, le communiste Francis Wurtz a présidé le groupe parlementaire de la gauche unitaire et participé à la création du parti de la gauche européenne.  

Votre analyse sur l’accord et les raisons qui ont poussé Alexis Tsipras à l’accepter ?

La principale nouveauté par rapport aux négociations qui s’étaient déroulées jusque là est que les dirigeants allemands avaient décidé de bouter la Grèce hors de la zone euro. Cela a été dit, même habillé grossièrement par une suspension provisoire. Ce qui a provoqué de fortes oppositions, pour des raisons diverses, certains étant surtout motivés par la peur des conséquences qu’un Grexit aurait sur un plan financier comme politique. Face à cette opposition, les dirigeants allemands ont cherché à obtenir cette sortie en imposant des conditions insupportables.

Un choix terrible pour Alexis Tsipras sachant que le système bancaire grec n’avait, pour seule source de financement, que les emprunts auprès de la BCE. Refuser l’accord, c’était voir couper le dernier robinet de crédit. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Alexis Tsipras a été horrifié par ce qu’il a signé, il a d’ailleurs dit avec loyauté et franchise qu’il ne croyait pas à cet accord. Mais il n’a pas voulu prendre la responsabilité historique de jeter son pays dans une catastrophe inimaginable.

A gauche, certains comme Jacques Sapir, Lordon ou encore le nobel Krugman pensent cependant que rester dans l’euro n’est pas la solution ?

Le statu quo dans la zone euro est aujourd’hui impossible. Il faut mener un combat pour changer en profondeur les règles d’un euro qui n’est pas fatalement un outil de vengeance au service des puissances. Il faut s’appuyer sur l’émotion ressentie par la population face à l’attitude des dirigeants allemands instrumentalisant l’euro dans le but politique d’en finir avec la première expérience politique alternative en Europe. Par exemple, la BCE a un formidable pouvoir : celui de créer de la monnaie à partir de rien. Elle s’en est servi à hauteur de 1140 milliards d’euros mais au service des banques. Imaginons ce que cela pourrait donner si cela se faisait au service de la Grèce ? Une union monétaire solidaire est possible, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Ce qui s’est passé montre cependant un processus antidémocratique et suscite une question : l’Europe est-elle réformable de l’intérieur ?

Il faut passer par des ruptures fondamentales, ce sont les fondements de classe qui sont dans les traités que nous devons combattre. La Grèce était malheureusement le pays le plus mal placé pour faire basculer le système, ayant un poids modeste et étant très fragilisé par son endettement. Mais ce qu’elle a fait a ouvert la voie. Ce n’est pas comme ce qui s’est passé contre le projet de constitution qui était un coup de boutoir des populations. Là, il y avait un gouvernement clairement mandaté, massivement soutenu.

Un des premiers enjeux est de rompre avec ce non-respect de la souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il faut rassembler les forces. Affirmer qu’il suffit de désobéir à Bruxelles est trop léger. Il faut établir un rapport de force, se trouver des alliés. C’est pour cela que nous avons créer le parti de la gauche européenne, pour faire du lien entre les partis politiques et les mouvements sociaux qui contestent ces règles. Il ne faut pas en rester à cette indignation, légitime, très forte dans beaucoup de pays y compris en Allemagne où un sondage vient de montrer que 62% de la population ne voulait pas d’un Grexit. On doit la transformer en argument.

Le soutien à la Grèce a-t-il été à la hauteur ?

Il y a eu de belles prises de position, y compris en Allemagne où la fédération de tous les syndicats a clairement pris partie, et dès le début, en faveur de Syriza, de beaux rassemblements comme durant le forum européen des alternatives à Paris. Mais compte-tenu de l’enjeu crucial que représente  la victoire de Syriza pour nous tous, de la férocité de ceux qui tiennent le manche, le mouvement de solidarité n’a pas été suffisant et il faudra en tirer la leçon.

Les nationalismes sont aussi présentés comme guettant une sortie de l’euro et de l’Europe ?

Si on ne se bat pas pour éviter  la destruction de l’Union européenne, le revers est effectivement le nationalisme. Crise, concurrence, absence de perspective… tous les ingrédients sont là. Ce n’est pas le moment d’aller vers le chacun pour soi, ce serait aller vers un danger mortel. Il faut une union des peuples, il faut se battre ensemble pour créer les conditions des ruptures nécessaires, rassembler pour construire des alternatives. En face, les positions sont extrêmement défensives. Ils ont compris le danger que représentait la réussite de Syriza dans une opinion publique qui s’éloigne toujours plus des institutions européennes. Il y a un divorce. Je ne vois pas comment désormais ils pourront justifier leur pouvoir avec des références mielleuses dans les traités foulées du pied chaque jour.

Cette crise grecque a aussi vu l’expression de l’opposition de peuples du nord, pauvres, pressurisés par l’austérité ?

C’est le principe absolu des réactionnaires : monter les pauvres contre les pauvres. Un syndicaliste le vit dans son combat dans son entreprise, le militant politique dans son pays, là on l’a vu à l’échelle européenne. Il faut se battre contre cela et expliquer : la solidarité avec les uns ne se construit pas contre les autres. Le problème n’est pas celui qui est un peu moins pauvre, mais celui qui monopolise le pouvoir et impose ces politiques régressives. Et au-delà des pauvres de l’Est et du Sud, la tentation est grande d’opposer plus globalement le nord et le sud. Malgré la formule d’union européenne, le danger est celui d’une désunion européenne.

Entretien réalisé par Angélique Schaller          

Source La Marseillaise 17/07/2015

Voir aussi : Rubrique UE, Grèce, Syriza « La volonté d’un nouvel équilibre politique »,

Thomas Piketty: «On a besoin de réformes fiscales et sociales de fond. Pas de cette improvisation permanente»

Thomas Piketty, vendredi, dans son bureau de l'Ecole normale supérieure, à Paris. Thomas Piketty  (Photo Jérôme Bonnet)
C’EST QUOI UNE ÉCONOMIE DE GAUCHE ?

L’économiste lance notre série d’interview et débats sur la politique économique.

 

Avec son livre le Capital au XXIe siècle (le Seuil, 2013) vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde, Thomas Piketty est devenu une star planétaire de l’économie (1). Classé à gauche, il a conseillé des candidats socialistes à la présidentielle, donne un coup de main à Podemos… Dans son petit bureau de Normale supérieure situé aux portes de Paris, il affirme qu’il existe bien, quoi qu’on en dise, une alternative à la politique menée par François Hollande. A «l’improvisation» actuelle du gouvernement, il oppose deux niveaux de réforme : la fin de l’austérité, dit-il, passe par une zone euro rénovée, au fonctionnement plus démocratique. Puis, fidèle à sa marotte théorique, qu’il défend depuis des années, il rappelle qu’une réforme fiscale en profondeur permettra de financer notre modèle social.

Les derniers chiffres sur le chômage signent-ils l’échec de la politique de l’offre menée par Hollande depuis le début de son quinquennat ?

 

Le problème de Hollande, c’est surtout qu’il n’a pas de politique. La soi-disant politique de l’offre est une blague. En arrivant au pouvoir, Hollande a commencé par supprimer – à tort – les baisses de cotisations patronales décidées par son prédécesseur. Avant de mettre en place, six mois plus tard, le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), qui est une gigantesque usine à gaz consistant à rembourser avec un an de retard une partie des cotisations patronales payées par les entreprises un an plus tôt. Avec, au passage, une énorme perte liée à l’illisibilité du dispositif. Et maintenant, on envisage de revenir d’ici à 2017 à une baisse de cotisations. On a besoin de réformes fiscales et sociales de fond, pas de cette improvisation permanente.

Et, surtout, on a besoin d’une réorientation de l’Europe. Le nouveau traité budgétaire ratifié en 2012 par Sarkozy et Hollande était une erreur, et doit être aujourd’hui dénoncé. On a voulu réduire les déficits trop vite, ce qui a tué la croissance. Même le FMI a reconnu ses erreurs sur l’austérité, mais Berlin et Paris persistent et signent. Il y a cinq ans, le taux de chômage en zone euro était le même qu’aux Etats-Unis. Il est aujourd’hui deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, qui ont su faire preuve de souplesse budgétaire pour relancer la machine. Nous avons transformé par notre seule faute une crise financière américaine privée – celle des subprimes – en une crise européenne des dettes publiques.

Une politique économique de gauche est-elle possible ?

 

Il y a toujours des politiques alternatives possibles. A condition de prendre un peu de recul et de faire un détour par l’histoire. L’idée selon laquelle il n’existe aucune alternative à la pénitence ne correspond à aucune réalité historique. On observe dans le passé des dettes publiques encore plus importantes que celles constatées actuellement, et on s’en est toujours sorti, en ayant recours à une grande diversité de méthodes, parfois lentes et parfois plus rapides.

Au XIXe siècle, le Royaume-Uni choisit la méthode lente, en réduisant par des excédents budgétaires, avec une inflation nulle, l’énorme dette publique – plus de 200 % du PIB – héritée des guerres napoléoniennes. Cela a marché, mais cela a pris un siècle, au cours duquel le pays a consacré davantage de recettes fiscales à rembourser ses propres rentiers qu’à investir dans l’éducation. C’est ce que l’on demande aujourd’hui à la Grèce, qui est censée dégager un excédent budgétaire de 4 % du PIB pendant les prochaines décennies, alors même que le budget total de tout son système d’enseignement supérieur est d’à peine 1 % du PIB.

La France et l’Allemagne souffrent d’amnésie historique : en 1945, ces deux pays avaient plus de 200 % de PIB de dette publique, et ne l’ont jamais remboursé. Ils l’ont noyé dans l’inflation et dans les annulations de dettes. C’est ce qui leur a permis d’investir dans la reconstruction, les infrastructures et la croissance. Le traité budgétaire de 2012 nous fait choisir la stratégie britannique du XIXe siècle : c’est une immense erreur historique, un acte d’amnésie extraordinaire.

Actuellement, l’Europe consacre un minuscule budget de 2 milliards d’euros par an à Erasmus, et 200 milliards d’euros par an à se repayer des intérêts de la dette à elle-même. Il faut inverser cette stratégie absurde. Il faut mettre les dettes publiques dans un fonds commun et engager une restructuration d’ensemble, pour la Grèce comme pour les autres pays.

La gauche est accusée d’avoir lâché les classes populaires, le FN serait en train de les récupérer…

 

L’Europe s’est construite sur l’idée d’une mise en concurrence généralisée entre les pays, entre les régions, entre les groupes mobiles et les groupes moins mobiles, sans contrepartie sociale ou fiscale. Cela n’a fait qu’exacerber des tendances inégalitaires liées à la mondialisation, à l’excès de dérégulation financière. Des économistes, des intellectuels, des hommes et des femmes politiques disent aujourd’hui qu’il faut sortir de l’Europe. Y compris à gauche, où l’on entend : «N’abandonnons pas la question de la sortie de l’euro, voire de l’Europe, à Marine Le Pen, il faut poser la questionCe débat est légitime et ne pourra pas être éludé indéfiniment.

Un chantage à la sortie de l’euro serait-il efficace ?

 

Il est temps que la France, et en particulier la gauche française, dise à l’Allemagne : si vous refusez la règle de la démocratie dans la zone euro, à quoi ça sert d’avoir une monnaie ensemble ? On ne peut pas avoir une monnaie unique sans faire confiance à la démocratie, qui est aujourd’hui corsetée par des critères budgétaires rigides et par la règle de l’unanimité sur les questions fiscales. La force des classes populaires, c’est d’être nombreux : il faut donc changer les institutions pour permettre à des majorités populaires de prendre le pouvoir en Europe.

Il faut arrêter de fonctionner avec cette espèce de directoire franco-allemand dans lequel Paris joue un rôle étrange. On a l’impression que la France ne peut décider de rien, alors qu’en vérité, rien ne peut se décider sans elle. Si on mettait ensemble nos parlements nationaux pour construire une véritable chambre parlementaire de la zone euro, chacun envoyant un nombre de représentants au prorata de sa population, je suis certain que nous aurions eu moins d’austérité, plus de croissance et moins de chômage. Cette Chambre parlementaire serait responsable pour décider démocratiquement du niveau de déficit et d’investissement public, ainsi que pour superviser la Banque centrale européenne, l’union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité. Bien sûr, l’Allemagne aurait peur d’être mise en minorité dans une telle instance. Mais si la France, l’Italie, la Grèce, demain l’Espagne, faisaient une telle proposition de refondation démocratique et sociale de l’Europe, l’Allemagne ne pourrait s’y opposer indéfiniment. Et si elle s’y opposait, alors le discours en faveur de la sortie de l’euro deviendrait irrésistible. Mais pour l’instant, il n’y a rien sur la table.

Pour vous, une politique de gauche passe par l’Europe, mais aussi par la France…

 

Il faut se battre pour changer l’Europe. Mais cela ne doit pas empêcher de mener en France les réformes de progrès social que nous pouvons conduire tout seuls. Nous pouvons engager en France une réforme fiscale de gauche, mais là, on a très mal commencé en votant, fin 2012, une augmentation de la TVA, alors même que le Parti socialiste n’a cessé de dire, quand il était dans l’opposition, que l’augmentation de la TVA est la pire des solutions.

Le financement de notre protection sociale repose trop fortement sur les salaires du secteur privé. Pour la droite, la bonne solution est d’augmenter indéfiniment la TVA, qui est l’impôt le plus injuste. L’alternative de gauche est de financer notre modèle social par un impôt progressif pesant sur tous les revenus (salaires du privé, salaires du public, pensions de retraites, revenus du patrimoine), avec un taux qui dépend du revenu global.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, la CSG progressive est parfaitement constitutionnelle : elle existe déjà pour les retraités, et peut être étendue dans les mêmes conditions aux salaires et aux autres revenus. Autre réforme de gauche : les retraites. Notre système est extrêmement complexe avec des dizaines de caisse de retraite qui font que les jeunes générations ne comprennent rien à ce que seront leurs droits futurs.

Une réforme de gauche, une réforme progressiste sur les retraites serait d’unifier, pour les jeunes générations, pas pour ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite, tous les régimes publics, privés, non salariés, avec une même cotisation pour toutes ces activités et des droits identiques. Une politique de gauche consisterait à refonder un régime de retraite universel où ce sont les systèmes qui s’adaptent aux trajectoires professionnelles des personnes et pas l’inverse. Dans tous ces domaines, le gouvernement est à des années-lumière d’engager la moindre réforme.

Quand est-ce que vous devenez ministre de l’Economie ?

 

Je n’ai aucun goût pour les petits fours. Ce qui me semble plus intéressant, c’est de contribuer, à la place qui est la mienne, de faire bouger l’opinion dominante en participant au débat public. C’est comme ça que les choses changent. La politique ne devrait pas être un métier. On en paie aujourd’hui les conséquences. Nous sommes gouvernés par des personnes qui confondent la rhétorique et la réalité.

(1) Il est aussi chroniqueur à Libération.

Recueilli par Cécile Daumas et Philippe Douroux
Source : Libération 
Voir aussi : Actualité France, Rubrique Finance, rubrique Economie,  rubrique  Politique, Politique économique, rubrique Société, Citoyenneté,

Selon le FMI, la plus grosse bulle financière de l’Histoire va bientôt exploser

Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, le Fonds monétaire international sonne l’alarme. Son propos, sur la retenue comme d’ordinaire, n’est pas aussi explicite que le nôtre. LE BILAN ajoute, aux aspects conjoncturels relevés par le FMI, une analyse structurelle du système financier.


Par Benoit Delrue.02/06/2015


C’est un événement planétaire. Le Fonds monétaire international (FMI), organisme basé à Washington né des accords de Bretton Woods en 1944, qui a largement contribué à bâtir le système financier actuel, tire la sonnette d’alarme. Généralement rassurante, l’institution sort de ses habitudes pour mettre le doigt sur ce qui « accentue les tensions » dans l’économie mondiale. Bien sûr, le discours tenu par le FMI reste sobre et évite soigneusement les formules catégoriques et trop explicites. Néanmoins, après avoir déjà consacré son avant-dernier1 rapport régulier – biannuel ou trimestriel – sur la stabilité financière aux « risques » encourus par les acteurs publics et privés de la finance internationale, l’édition d’avril 2015 du document franchit une marche supplémentaire2.

15217144937_eb8b1a17c4_o

La prochaine crise est inévitable. Pour le prouver, nous nous intéresserons de près aux signaux négatifs dont le FMI fait état, reposant comme à l’accoutumée sur une étude empirique des conjonctures. Dans un second temps, nous lierons à ces facteurs circonstanciels un examen structurel du système financier contemporain. Ce dernier, par une analyse plus profonde, sera révélé pour ce qu’il est – un géant aux pieds d’argile, sans cesse grandissant pour nourrir en milliards la caste des ultra-riches.

Le printemps des crises

Le FMI fait état d’une conjoncture qui, mois après mois, « intensifie les risques » de survenue d’une nouvelle crise financière. Certains éléments, salués en France par les dirigeants politiques et les économistes de cabinet comme très favorables pour l’économie nationale, sont profondément déstabilisateurs pour le système international. Autrement dit, les causes d’une croissance française « élevée », à 0,6% au premier trimestre selon les estimations bienveillantes de l’Insee, mettent en danger des acteurs économiques de premier rang – donc l’équilibre financier planétaire.

Taux d’intérêt records en France et en Allemagne

Le 1er juin 2015, les taux d’intérêt auquel la France emprunte sur les marchés ont atteint un nouveau record3. A dix ans, les obligations ont atteint le seuil de 0,8080% ; pour les maturités les plus courtes, les taux sont même négatifs depuis des mois, et ont même franchi, ce jour, la barre du -1% pour les échéances de trois ans. Une bonne nouvelle, à priori : enfin, l’Etat semble sortir des milliards d’euros d’intérêts réglés chaque année à ses créanciers. Sur LE BILAN, nous avons d’ailleurs insisté sur l’arnaque géante que représente la dette publique pour les travailleurs français. Mais du point de vue de l’équilibre des marchés, c’est une toute autre histoire.

En réalité, la ruée vers les dettes allemandes et françaises met à mal la rentabilité du secteur de l’assurance. L’outre-Rhin emprunte également à des taux très bas, pour une raison simple : comme les obligations françaises, les allemandes représentent le risque le plus faible du marché. Les compagnies d’assurance misent des quantités astronomiques de capitaux, souvent dans des placements périlleux. La probabilité de voir s’effondrer ces investissements, lucratifs mais dangereux, oblige les entreprises à placer certains œufs dans des paniers plus sûrs. Les emprunts des Etats ont toujours représenté une solidité, une garantie de remboursement quoiqu’il advienne. Mais dans la zone euro, certains pays ont inspiré davantage de craintes que de confiance : la Grèce, l’Italie, le Portugal ont subi, ces dernières années, des phénomènes de désinvestissement massif en raison des inquiétudes de restructuration de leurs dettes publiques ; et par le jeu du marché, leurs taux se sont alors relevé subitement, entraînant parfois de graves conséquences.

currencies-69522_1280

A contrario, face à l’instabilité des Etats du sud, les premières puissances de l’Union européenne ont incarné dans l’esprit des financiers une certaine intangibilité. Les dettes françaises et allemandes, malgré la santé relativement mauvaise de l’économie hexagonale, sont devenues les valeurs-refuge par excellence. Mais y investir a représenté un coût toujours plus important : désormais, ce sont les créanciers qui payent ces gros Etats pour pouvoir placer leurs capitaux entre leurs mains, d’où les taux négatifs. La loi du marché, théâtre d’un rapport de force permanent entre l’offre et la demande donne parfois des situations comme celles-ci ; et plus les investisseurs sont nombreux à acquérir des obligations françaises et allemandes, plus les taux d’intérêt continueront à baisser.

L’observateur non-averti pourrait croire que chacun trouve son compte dans ce mécanisme. Il sous-estimerait lourdement les pratiques hasardeuses, voire fâcheuses, des compagnies concernées. Axa, Predica, et Allianz vendent des contrats d’assurance en garantissant des taux de rémunération supérieurs ; elles promettent un rendement élevé aux particuliers, qui contractent des assurances-vie, des retraites par capitalisation ou placent leur épargne sur des investissements présentés comme profitables. Mais les difficultés du marché à restaurer la confiance, et les taux toujours plus bas des placements obligataires, creusent toujours plus l’écart avec les revenus prédits, dont les assurances jurent de se faire les garantes. En bout de course, les compagnies se rapprochent toujours plus du précipice, et leur chute pourrait être extrêmement sévère.

Au printemps déjà, le FMI mettait sérieusement en garde contre le phénomène de tension qui s’opère sur ce marché. Dans son rapport sur la stabilité économique mondiale, publié en avril, l’institution souligne que « la persistance des faibles taux d’intérêt mettra à rude épreuve un grand nombre d’établissements financiers ». Après avoir atteint, peu après la publication du rapport, le record absolu de 0,3%, puis être revenus à plus de 1% début mai, les intérêts des obligations sur dix ans replongent à nouveau. Or, le Fonds allait encore plus loin : « les tests de résistance réalisés par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles font apparaître que 24% des assureurs risquent de ne pas pouvoir tenir leurs exigences de solvabilité, dans un scénario de persistance de faibles taux d’intérêt ». Autrement dit, dans ce « scénario » qui est de loin le plus probable de tous, un quart des compagnies se retrouveraient, ni plus ni moins, en incapacité de régler les prestations à leurs assurés – qu’il s’agisse de complémentaires retraites ou de tout autre contrat. L’ensemble du secteur de l’assurance, qui détient les capitalisations les plus élevées de la planète, se retrouverait bientôt plongé dans une crise aux conséquences faramineuses, et dont personne ne sait aujourd’hui s’il sera possible d’en sortir.

Le pétrole et la guerre

Outre la crise des assurances, qui menace de frapper de plein fouet la zone euro, la situation internationale n’est pas au beau fixe. Un autre facteur, présenté en France comme bénéfique pour notre économie, est au cœur des préoccupations : la chute drastique du prix du pétrole. Le baril de Brent, après avoir atteint son plus haut historique à près de 140 dollars en juin 2008, avait largement pâti de la crise financière en tombant sous la barre des 40 dollars six mois plus tard. Mais son cours s’était immédiatement repris, revenant à 70 dollars en mai 2009, et oscillant autour des 100 dollars pendant près de cinq ans.

Petrole

Voici exactement un an, le baril était à plus de 110 dollars : il entama, alors, sa baisse la plus longue jamais observée. Jusqu’en janvier 2015, pas un jour n’est passé sans que le prix du pétrole finisse par baisser ; après une timide reprise en mars, son cours stagne depuis deux mois et les observateurs craignent une nouvelle chute, vers les abysses cette fois. Au passage, si le Brent est le plus représentatif avec près de deux-tiers des échanges mondiaux, il est important de souligner que le baril de pétrole américain suit exactement la même courbe, avec la même baisse historique durant six mois4. Bien sûr, les Français ont vu ce phénomène comme une bonne affaire : notre pays, très consommateur d’essence et dénué de toutes ressources, a vu ces événements comme un soulagement. Le mauvais présage de feu Christophe de Margerie, patron de Total jusqu’à son décès en octobre dernier, qui prévoyait pour les prochains mois un prix à la pompe de 2 euros pour le sans plomb, était écarté. Mais là encore, les conséquences d’un processus excessifs seront lourdes.

Les pays exportateurs de pétrole, qu’il s’agisse des monarchies du Golfe ou des pays d’Amérique Latine, dont le Venezuela de notre camarade Nicolas Maduro, se retrouvent en grave difficulté financière. Le cercle vicieux est en œuvre depuis maintenant un an : la baisse du baril entraîne logiquement des profits moins élevés pour les Etats producteurs ; leurs dettes publiques et leurs devises deviennent des placements moins avantageux, voire plus dangereux, ce qui provoque le départ de nombreux financiers ; ces pays se trouvent pris dans un certain étau, entre moins de profits et moins d’investissements. Les entreprises qui y ont encore leurs placements, pour beaucoup européennes et américaines, font face à des risques toujours plus élevés pour leurs trésoreries. Plus globalement, la sortie accélérée des capitaux en devises monétaires concernées entraîne un cercle vicieux, qui déstabilise complètement le marché international des changes.

Ce dernier vacille d’autant plus qu’un autre facteur vient perturber l’équilibre financier du capitalisme planétaire, et non des moindres : les guerres. Les années 2010 voient une très forte recrudescence des hostilités armées, dont la présentation par nos « grands » médias comme de simples guerres civiles cache mal l’ampleur de leurs répercussions. Tout particulièrement, les guerres libyenne et syrienne, largement encouragées par l’OTAN qui a financé et armé les prétendus « rebelles », déstabilisent des régions entières, voire des continents. Le Maghreb et le Moyen-Orient pâtissent sévèrement, d’un point de vue financier, de la montée en puissance des groupes djihadistes. La Libye et la Syrie étaient des modèles économiques, tant en point de vue de leur produit intérieur que de la distribution des revenus au sein de leurs populations. Cette relative prospérité a poussé leurs voisins à lier des capitaux aux leurs, tant elles représentaient une stabilité prometteuse. Les événements meurtriers, qualifiés de « printemps arabe » alors qu’ils étaient pour l’essentiel provoqués par des milices de mercenaires, ont profondément rebattu les cartes dans les régions.

Les puissances occidentales, Union européenne et Etats-Unis en tête, minimisent largement l’aspect économique de ces guerres ; d’une part, parce qu’elles les ont délibérément déclenchées, d’autre part, parce que des pays comme les USA ou la France placent leurs pions sur l’échiquier économique. En Libye, par exemple, Total s’est rué sur les exploitations pétrolières, faisant peu de cas de la population locale et de son devenir. En Syrie, le pari fait par la France est d’abord et avant tout la chute du régime d’El Assad, encore aujourd’hui malgré l’horreur incarnée par Daech. De solides, la Syrie et la Libye sont désormais vouées à s’écrouler dans le ventre mou du tiers-monde. Mais d’autres entreprises occidentales ou internationales avaient misé gros sur les économies syrienne et libyenne ; nombre d’entre elles ont procédé au retrait d’une quantité importante de capitaux. Et ce phénomène a, lui aussi, bouleverse le marché des devises.

LibyeSyrie

La dépréciation rapide des taux de change accentue les tensions qui pèsent sur les entreprises fortement endettées en devises [des Etats producteurs de pétrole ou en guerre] et cela a provoqué de fortes sorties de capitaux des pays émergents », constate le Fonds monétaire international. Ce dernier souligne la gravité financière des événements actuels : « l’augmentation de la volatilité des principaux taux de change a été la plus forte depuis la crise financière mondiale. La diminution des liquidités sur les marchés des changes et les marchés obligataires, de même que l’évolution de la composition des investisseurs, ont accentué les frictions dans les ajustements de portefeuille ». Les « frictions » dans les « ajustements » sont des euphémismes : même s’ils jurent ne jamais céder à la panique, l’assombrissement des perspectives internationales donne aux investisseurs des sueurs froides.

Faillites bancaires en pagaille

Petit à petit, les conditions d’un krach se réunissent. Aux éléments observés par le Fonds monétaire, d’autres phénomènes sont à étudier de près. La  situation des marchés financiers, en particulier en Europe, donne à elle seule un signal extrêmement pessimiste pour l’avenir immédiat.

C’est d’abord une banque autrichienne qui a provoqué en Europe centrale des remous démesurés. Depuis la crise de 2008, Hypo Alpe Adria (HAA) est incapable de sortir la tête de l’eau, empêtrée dans toutes sortes de placements toxiques. En grave difficulté depuis 2014, ses problèmes viennent pour l’essentiel de sa filiale Heta, spécialisée dans les investissements à risque. Pour maintenir ses activités, HAA se voyait régulièrement aidée par les fonds publics : entre 2008 et 2015, ce sont 5,5 milliards d’euros qui ont été versés, sans contrepartie ni remboursement, par l’Etat autrichien à la banque. Face à la colère des contribuables, et à l’impasse de la situation, l’Autriche a pris une décision le 1er mars dernier : ne plus donner un euro à Heta, dont les actifs ne représentaient plus alors que 280 millions d’euros. Mais cette structure était organiquement liée à de nombreux acteurs financiers, en Europe de l’Est et également en Allemagne.

Domino_Cascade

C’est notamment la Düsseldorf Hypotherkenbank, basée dans la capitale de Westphalie, qui a pâti le plus immédiatement de la faillite annoncée de Heta. Banque modeste et entièrement liée à HAA, Düsselhyp représente néanmoins une première étape d’un « effet boule de neige considérable »5, concède le quotidien libéral en ligne la Tribune : « avec un impact initial de 280 millions, on met en péril un bilan de 11 milliards, et un marché de quelque 400 milliards d’euros ». Pour éviter la contagion, l’Association allemande des banques privées (BdB) a immédiatement pris le contrôle de la Düsselhyp ; mais cette dernière n’est pas la seule concernée par la faillite de la filiale de la HAA, loin s’en faut. La bavaroise BayernLB et Dexia Kommunalbank sont exposées à hauteur de plusieurs milliards. Si les flammes apparentes ont été étouffées, le brasier pouvant provoquer une crise bancaire en Europe centrale reste intact.

Parallèlement, un pays bien plus petit mais plus proche de nous était ébranlé par une crise de premier ordre : Andorre. La principauté, dont le président de la République française est également le chef d’Etat, a fait face à une déstabilisation jamais vue. La Banque privée d’Andorre (Banca Privada d’Andorra, BPA) s’est retrouvée sous la coupe d’une enquête américaine, ouverte le 10 mars par la FinCEN, organisme attaché au Trésor chargé de lutter contre le crime financier. En cause, la BPA avait blanchi l’argent de mafias chinoises, russes et vénézuéliennes, selon les autorités américaines. L’aspect géopolitique dans l’affaire est important, tant les trois pays cités constituent des adversaires de premier plan pour l’impérialisme états-unien ; du point de vue économique, qui nous intéresse ici, l’affaire a provoqué un déficit de confiance sans précédent pour les plus de 7 milliards d’actifs de la BPA. Le petit Etat a pris le contrôle de la banque, fait inédit dans son histoire ; mais, comme le rappelle la Tribune6, Andorre n’a « pas de filets de sécurité ». N’étant pas membre de la zone euro, la Banque centrale de Francfort ne le renflouerait pas en cas de faillite ; or, les actifs de la BPA sont deux fois supérieurs au produit intérieur brut de la principauté. Si elle venait à déposer le bilan, elle entraînerait dans sa chute bien d’autres institutions, à commencer par les banques espagnoles avec lesquelles elle entretient des partenariats financiers privilégiés.

Pendant ce temps, les tensions grandissantes entre Europe et Russie ont coûté au grand pays une grave crise bancaire, qui n’a pas fini de le secouer. De nombreux établissements ont fait faillite au printemps, passant les uns après les autres sous la tutelle par la Deposit Insurance Agency (DIA), l’organisme public chargé de reprendre les banques déposant le bilan. En mars, l’équivalent de 18 milliards d’euros manquait aux banques pour assurer leurs financements, rendant dès lors insuffisant le plan de recapitalisation de 13 milliards mis en place par l’Etat. « Un quart des banques russes sont au bord de l’asphyxie », annonçaient alors Les Echos7. Pour éviter de se retrouver, elle-même, en difficulté, la géante Sberbank se refusait alors à toute aide vis-à-vis de ses concurrents. Malgré son intransigeance apparente, elle a accusé de lourdes difficultés au premier trimestre, avec une division par deux de ses bénéfices sur un an selon les résultats annoncés la semaine dernière8. Le premier facteur de ces résultats est intrinsèque au système bancaire, avec notamment une diminution de 16% des revenus nets tirés par la banque des intérêts des crédits.

gears-384744_1280

Enfin, après l’Allemagne et Andorre, c’est un autre voisin de la France qui semble proche de la tempête depuis ce printemps : l’Italie. Le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) a dévoilé, le 25 mars, un rapport qui a mis le feu aux poudres dans le microcosme de l’investissement financier. L’entreprise américaine d’audit et conseil, reprise par le magazine Challenges au mois d’avril9, souligne « l’inflation galopante des crédits à risques des banques italiennes ». « Les prêts douteux augmentent sans cesse », souligne Jacques Sapir : « ils sont proches de 15 à 20% là où ils devraient être à 5% ». Du propre aveu de la Banque d’Italie, ces « prêts non performants » ont atteint 185 milliards d’euros en janvier, et continueront à augmenter en 2015 d’après PwC. Le système bancaire de notre voisin latin ne trouve plus grâce aux yeux des cabinets de conseil, comme Alpha Value, qui insiste sur le « fonctionnement coûteux » d’un « système éclaté », où « le niveau de fonds propres des banques est très bas ». La réaction est sans appel : les capitaux fuient désormais le pays. Après trois ans et demi de baisse, les taux d’intérêts des obligations italiennes remontent depuis trois mois10, créant pour la finance nationale des tensions accrues. Challenges rappelle que « cette faiblesse a été mise en lumière par les tests de résistance de la BCE, en octobre, puisque neuf banques italiennes sur les quinze soumises à l’exercice ont échoué » aux « stress tests » de la Banque centrale. L’hebdomadaire économique, chantre du capitalisme, se fait franchement pessimiste sur l’avenir proche de la péninsule, reprenant en chapeau les propos de Sapir : « on peut s’attendre à une crise bancaire italienne majeure cet été ».

Le retour des subprimes

Comme le veut la logique du marché, l’incertitude règne sur la suite des événements. Nous ne nous ferons pas oiseau de mauvais augure : il est impossible d’affirmer si la prochaine crise surviendra effectivement cet été. Néanmoins, le système financier est de plus en plus sous pression et les signaux négatifs ne manquent pas. Les faillites bancaires européennes, survenues pour des raisons diverses, restent jusqu’à présent des phénomènes isolés – mais, ajoutés aux processus globaux analysés par le FMI, créent les conditions d’une nouvelle crise.

Les « grands » médias se gardent bien d’aborder frontalement la question, trop attachés à défendre le système capitaliste, en glorifiant par exemple le 0,6% de croissance française. S’il est effectivement absurde de chercher à prédire la date du prochain krach, analyser en profondeur la situation des banques est par contre possible, utile et nécessaire. Il apparaît alors clairement que la prochaine crise aura bien lieu ; et qu’elle aura un retentissement, dans le monde et en France, sans doute plus puissant encore que celle de l’automne 2008. Pour comprendre le dernier krach, comme celui à venir, étudier la question des subprimes est éclairant. Loin d’être d’un autre âge, elle en dit long sur le système financier contemporain.

Le tas d’or

A l’origine se trouve un système bancaire entièrement basé sur le crédit, dont les Etats-Unis sont le fer de lance. Au pays du « rêve américain », les revenus des travailleurs ont été comprimés pendant plus d’un demi-siècle ; à mesure que les profits des plus riches grimpaient en flèche, grâce aux hausses de production et aux gains de productivité, les salaires proportionnels n’ont fait que baisser. Pour soutenir artificiellement la consommation des ménages, les banques ont donc développé un outil formidable : les crédits à la consommation. Emprunter de l’argent est devenu toujours plus facile : pour acheter une maison ou une voiture, bien sûr, mais aussi un lave-linge, un aspirateur, et enfin pour payer ses baguettes. Les cartes de crédits, qui sont devenues la norme, permettent de régler ses achats du quotidien non plus avec l’argent présent effectivement sur le compte bancaire, mais avec de l’argent prêté par la banque que le consommateur devra rembourser les mois suivants. Comme chaque prêt, il comporte des taux d’intérêts élevés ; et avec un pouvoir d’achat artificiellement augmenté, les Américains se sont en fait retrouvés de plus en plus dans l’étau des banques.

monopoly

Aux Etats-Unis, le phénomène de surendettement atteint des niveaux inimaginables en Europe ; des millions de foyers sont concernés. Dans un ersatz de régulation du système se sont développées les agences de notation : chaque créditeur, chaque individu qui emprunte de l’argent, se voit attribuer une note sur 1.000, allant de la solidité financière incarnée (1.000) à l’insolvabilité la plus totale (0). Ce système, le « FICO score », introduit en 1989 par la société de logiciels informatiques éponyme, s’est institutionnalisé et il n’est plus une compagnie de crédits qui ne le prend en compte. Dès la fin des années 1990 s’est formée une nouvelle catégorie de la population, les « mauvais payeurs », accumulant les dettes et les retards sur leurs remboursements : les subprimes. Fixé historiquement à 640, puis variable11, il est un niveau du FICO score en-dessous duquel les ménages ne peuvent plus contracter de nouveau prêt, sauf à accepter des conditions particulières. A partir de 2001, le nombre d’individus catégorisés subprimes n’a cessé de croître.

Dans un processus décortiqué avec talent par Michael Moore dans son film Capitalism : A love story12, les banques ont mis en place au début des années 2000 un système pernicieux. Les familles surendettées se sont vues proposer de prendre un crédit sur l’hypothèque de leur logement : en pleine ascension des prix de l’immobilier, s’est diffusée l’idée selon laquelle les maisons sont des « tas d’or », des « banques » à elles seules. Si un ménage, même endetté jusqu’au cou, vivait dans une maison estimée à 200.000 dollars, alors il pouvait emprunter une part proportionnelle à la banque, proche parfois de la valeur estimée du bien. Du point de vue des banques, le calcul était simple : en prêtant de l’argent, les ménages pourront consommer, investir, vivre mieux et dégager bientôt de quoi nous rembourser ; pour ce service, nous pouvons appliquer des taux d’intérêts fluctuants, très profitables, indexés sur le marché pour maximiser le rendement des prêts hypothécaires ; enfin, si la famille en vient à ne plus payer ses traites, nous pourrons saisir le logement, ce qui constitue une garantie de remboursement à coup sûr. Chacun sait aujourd’hui que ce scénario ne s’est pas déroulé comme prévu.

La perversion du système

Si le mécanisme de crédits en était resté là, tout injuste qu’il est pour des travailleurs pris à la gorge, il n’aurait pas provoqué la tempête de 2008. En réalité, le système va beaucoup plus loin. La finance capitaliste repose sur un principe élémentaire : les établissements prêtent de l’argent qu’ils n’ont pas. Pour bien comprendre, nous allons prendre un exemple abstrait.

Mettons que mille individus demandent, chacun, un prêt de mille dollars à la banque A. Celle-ci n’a pas un million d’euros en poche ; mais elle peut en avoir seulement  100.000, soit 10%, et accorder malgré tout ces prêts. Le procédé est simple : pour récupérer le million de dollars, elle recourt marché financier. En émettant des actions, elle peut se financer massivement, pour réaliser ses opérations et au final, donner à ses financeurs une bonne rentabilité. Le plus souvent, ça fonctionne très bien : la banque A, si elle applique un taux d’intérêt moyen de 5% à ses clients, en redistribuant 3% aux actionnaires et en empochant 2% de commission, fait une excellente affaire. Cela signifie qu’elle a gagné 20.000 dollars, pour avoir prêté un argent qu’elle ne possède pas ; et au passage, elle a grassement rémunéré les actionnaires, qui auront davantage confiance en elle.

En réalité, les sommes sont bien plus élevées, donc les risques aussi. Pour parer les probabilités de ne pas se voir rembourser, la banque A veille à mutualiser les risques. Elle combine les engagements financiers : si une action reposait, au bout du compte, sur un seul crédit, elle ne vaudrait plus rien au cas où l’endetté ne rembourserait pas. La banque A veille donc à ce que chaque titre sur le marché corresponde à une somme de parts dans de nombreux crédits, étalés temporellement et géographiquement : c’est la titrisation. De plus, notre banque émet en réalité des actions pour un montant supérieur aux prêts qu’elle fournit aux ménages ; ainsi, elle place des capitaux dans une multitude d’investissements, sûrs ou très rentables. Avec une trésorerie toujours égale à 100.000 dollars, la banque A peut donc brasser, par exemple, deux millions de dollars sur les marchés financiers : tout repose sur la promesse de gains contenue dans le bénéfice qu’elle réalisera sur cette capitalisation élevée.

finance-108655_1280

Là où l’affaire se corse dangereusement, c’est que les deux millions de dollars de capitalisation font eux-mêmes l’objet d’une spéculation. A partir de ces actifs financiers sont émis des dérivés de crédit, consistant en des options d’achats – mais pas des promesses – des actions concernées. Ce mécanisme permet, a priori, de réduire les risques : un autre financeur, l’acheteur du dérivé, se porte garant pour l’actif et le « protège ». En réalité, c’est un moyen pour les financeurs de doper dans des proportions astronomiques la quantité de capitaux, donc les revenus qui leur sont liés – les dividendes notamment. Ce commerce juteux s’est placé, ces dernières décennies, au cœur du système financier international. Pour l’exemple de la banque A, les deux millions d’actifs financiers peuvent faire l’objet d’un montant équivalent de dérivés de crédit. La capitalisation totale de l’affaire est donc portée à quatre millions de dollars ; le tout, alors que seul un million a été effectivement prêté, et pourra fera l’objet de remboursement ; et alors que la trésorerie de la banque A est, encore et toujours, à 100.000 dollars, soit moins de 3% de la capitalisation totale prenant en compte les dérivés.

L’exemple présenté, derrière des sommes abstraites pour rendre les mécanismes intelligibles, est loin d’être une exception : c’est le modèle de la finance capitaliste. Il est question ci-dessus de dollars, pour ne pas trancher avec le présent exposé sur les subprimes ; mais le raisonnement reste parfaitement valable en euros ou en francs, étant donné que le mécanisme est tout autant utilisé par les compagnies d’assurance et les banques françaises. Revenons donc à notre exemple. A partir d’un millions de dollars dans l’économie réelle, qui représentent déjà un pouvoir d’achat artificiel pour les ménages endettés, ce sont quatre millions qui peuvent transiter sur les marchés et arroser copieusement les gros porteurs d’actions. Le système tient parce que les capitaux se renouvellent, parce que les ménages continuent de contracter toujours plus de crédits immobiliers ou à la consommation, et parce que les mouvements de fonds sont permanents. Il subsiste même si, parmi les 1.000 individus qui ont emprunté mille dollars à la base, 50 en viennent à ne pas pouvoir rembourser.  Mais à 100 insolvables, le système vacille dangereusement ; et si la confiance se perd, les capitaux s’enfuient aussi rapidement qu’ils sont arrivés.

La crise des subprimes

Différents facteurs ont progressivement conduit à la crise des subprimes, survenue en août 2007. D’abord, les taux d’intérêts appliqués par les organismes de crédits pour les prêts hypothécaires se sont envolés, quand la Réserve fédérale – la banque centrale états-unienne – a rehaussé son taux directeur, de 1% en 2004 à plus de 5% en 2007. Dès lors, le montant des échéances mensuelles ont grimpé pour ceux qui avaient souscrit à un crédit subprime. Une raison rarement évoquée par les observateurs est le marasme économique états-unien : comme en France, bien qu’à un degré moindre, l’appareil industriel des USA a été progressivement démantelé, ces dernières décennies, par les grands groupes capitalistes qui ont délocalisé la production en Asie. Dans leur pays d’origine, ces entreprises maintenaient un chiffre d’affaire artificiellement élevé par de nombreux engagements financiers avec le secteur de la bancassurance ; ce n’est donc pas pour rien si des géants, comme General Motors, sont passés en 2008 à deux doigts de la faillite. Toujours est-il que le chômage des Etats-Unis a grimpé au cours des années 2000, renforçant la condition de pauvreté des travailleurs américains, et donc leur incapacité à payer leurs traites.

dollar-653241_1280

Dès lors, un nombre grandissant de ménages se sont vus dans l’incapacité de régler les échéances mensuelles. Le phénomène grandissant, il a d’abord mis en danger les asset-backed security, ou ABS, les titres financiers conçus à partir des crédits subprimes. Les banques et assurances propriétaires de ces titres les avaient, elles-mêmes, transformés en toutes sortes de dérivés de crédits, dont les collateralised debt obligation ou CDO, considérés sûrs car mêlant les créances immobilières des subprimes à des titres obligataires émis par les Etats. Le rendement promis pour ces produits financiers était élevé, c’est pourquoi certains établissements, financiers voire immobiliers, s’étaient spécialisés dans la détention de ces titres. Plus les organismes détenaient de ces actions « toxiques », et plus rapidement ils se sont retrouvés piégés. En 2007 puis en 2008, ce sont des poids lourds qui ont successivement été atteints par la paralysie financière : la banque Bear Stearns, d’abord, pionnière dans les méthodes de titrisation – parfois répétées sur les mêmes produits pour espérer créer une cascade de profits. Investie à plus de 80% sur le marché des capitaux, délaissant l’économie réelle comme la gestion de patrimoine (10%), la Bear était la cinquième banque d’affaires de Wall Street. En situation de dépôt de bilan, elle a été rachetée en mars 2008 par la banque commerciale JPMorgan Chase à 10 dollars l’action, soit treize fois moins que son niveau d’octobre 2007.

Au printemps 2008, certains pensaient que le pire était passé ; mais l’étau ne faisait que commencer à se refermer sur des acteurs plus importants encore, comme le retrace le captivant docu-fiction Too big to fail13. Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC), deux sociétés par actions créées par le gouvernement fédéral pour augmenter la taille du marché des prêts hypothécaires, se sont retrouvées asphyxiée : à elles deux, elles assuraient envers les organismes de crédits 5.200 milliards de dollars d’hypothèques, soit des centaines de fois leurs fonds propres. Fin juillet, au bord de la faillite, le Trésor consent à prendre le contrôle des entreprises pour éviter la liquidation pure et simple. Enfin, ce fut au tour de Lehman Brothers, quatrième banque des Etats-Unis, de se retrouver sous le feu des projecteurs. Les événements ont alors sévèrement démenti l’adage courant dans le milieu de la finance américaine, appliqué notamment dans le cas de cette banque, selon lequel l’établissement serait « trop gros pour faire faillite ». Mi-septembre, faute de repreneurs, Lehman Brothers n’a eu d’autre choix que d’être liquidée, faisant s’envoler les promesses de rendements et de remboursements des innombrables acteurs financiers engagés avec elle. La faillite de la banque fut l’élément déclencheur du krach boursier international.

Recave géante

Les observateurs se penchant sur l’étude de la crise financière mondiale se sont surtout focalisés sur la question des crédits subprimes, sur les conditions du marché américain, ou sur le comportement du Trésor – c’est d’ailleurs l’angle du téléfilm de HBO cité plus haut. Rares sont ceux qui se sont intéressés à la partie émergée de l’iceberg, le système financier lui-même.

Il est vrai que les subprimes, en tant que placements risqués qui ont fini dans le mur, sont l’élément déclencheur du krach international ; mais, finalement, ils n’en sont pas le moteur. La cause première de la crise réside dans la structure même de la finance capitaliste, c’est-à-dire la titrisation et la production de dérivés de crédits. Complexe et technique, la question est soigneusement évitée par les « grands » médias, tant obnubilés par leur audience que défenseurs invétérés du capitalisme contemporain. Pourtant, c’est bien la structure même de l’économie qui permet une telle spéculation, et qui engendrera des crises toujours plus violentes.

gaming-516938_640

Au lendemain de la crise financière, les chefs d’Etat, rassemblés au Conseil européen ou au G20, ont multiplié les déclarations d’intention. En janvier 2009, Nicolas Sarkozy ouvrait à Paris la conférence internationale « Nouveau monde, nouveau capitalisme », en insistant : « on doit moraliser le capitalisme (…) ceux qui refusent la refondation, font le lit de ceux qui veulent détruire le capitalisme ». A ses côtés, Angela Merkel estimait que « la seule possibilité » était de « réformer le système financier », « pour inciter les marchés financiers à ne pas prendre trop de risque ». Tony Blair, alors jeune retraité de son poste de Premier ministre britannique et consultant financier pour les multinationales, abondait : « il faut une gouvernance mondiale afin de réguler le système financier face à la crise internationale ». Il est important de préciser que tous ces discours restèrent lettre morte. Plus aucun dirigeant ne parle de régulation, au contraire ; tous insistent sur le besoin de rendre l’économie « compétitive », donc de la libérer de toute contrainte – même, par exemple, pour établir un seuil de ratio entre fonds propres et capitalisation à ne pas dépasser.

Cette envie passagère de « moralisation » était une réponse contextuelle à des peuples interloqués par les sommes en jeu. En novembre 2008, pour « sauver les banques », les Etats ont mis des sommes astronomiques sur la table. Ainsi, la France a proposé 360 milliards d’euros de recapitalisation et d’argent frais aux banques qui le souhaitaient, une initiative alors saluée y compris par le Parti socialiste et le Front national, satisfaits de voir les grandes banques françaises extraites de la tempête. Sans aucune contrepartie, cette manne incroyable a été distribuée aux établissements financiers qui n’hésitaient pas, bientôt, à mordre la main qui les a nourris. Car ces centaines de milliards ont été financés par un large emprunt de l’Etat sur les marchés, c’est-à-dire aux mêmes banques et compagnies d’assurances bénéficiant du « plan de sauvetage » ; et elles n’hésitaient pas à tout faire pour maintenir, sur cette dette créée de toutes pièces, les taux d’intérêts les plus élevés. Dans un rare instant de lucidité14, Le Monde relaya en janvier 2014 une étude selon laquelle « entre 200 et 300 milliards d’euros par an d’avantage financier » ont bénéficié aux banques européennes.

Même au cœur de la crise financière, en 2008, les principales banques françaises ont réalisé des milliards d’euros de bénéfices, distribuant à leurs dirigeants et actionnaires des gigantesques profits. Grâce à la recapitalisation gratuite fournie par les Etats, donc les travailleurs contribuables, aucune remise en question n’a été réalisée par les grands établissements financiers. En fait, alors que le krach venait de faire disparaître en poussière des milliers de milliards d’euros dans les bourses de la planète, les gouvernements et la grande bourgeoisie financière propriétaire des banques ont simplement veillé à remettre dix balles dans le flipper. Ou pour prendre une image plus appropriée aux méthodes de casino employées dans la finance capitaliste, à opérer une « recave » géante – paiement d’une nouvelle mise pour revenir à la table de jeu, après avoir perdu au poker. Les milliers de milliards d’euros dépensés par les Etats pour « aider » les banques ont permis à ces dernières de poursuivre leurs activités de spéculation, en prétextant que les cesser reviendrait à céder à la panique, le tout sous les applaudissements des politiciens européens. Dans ce mauvais cirque, les travailleurs ont été doublement perdants : d’abord, ce sont les petits porteurs et les salariés qui ont subi de plein fouet la crise financière ; ensuite, ce sont tous les contribuables, notamment les simples employés écrasés par les taxes, qui ont payé le remboursement de la dette publique, donc le « plan de sauvetage » du système.

La bulle éclatera

L’un des premiers principes du capitalisme est l’opacité dans laquelle les dirigeants économiques opèrent. Les propriétaires de capitaux ont un droit inaltérable à l’anonymat, à la « liberté » de spéculer avec des sommes à peine croyables, et n’ont de comptes à rendre à personne. Il est donc très difficile de connaître la situation réelle des banques aujourd’hui, et pour l’observateur étranger aux cercles de pouvoirs, se fier aux indices laissés par le marché sont la seule option. Le rapport du FMI est, à lui seul, un puissant révélateur sur l’état d’esprit dans lequel se trouvent les dirigeants financiers, pourtant versés d’ordinaires dans l’autosatisfaction et le déni des risques.

analysis-680572_1280

« La délégation de la gestion quotidienne de portefeuille crée des problèmes d’incitation entre investisseurs ultimes et gestionnaires, ce qui peut encourager des comportements déstabilisateurs et amplifier les crises », dit le Fonds monétaire international. « La stabilité financière n’est pas fermement établie dans les pays avancés et les risques se sont intensifiés dans beaucoup de pays émergents » poursuit l’organisme international, dans un discours dont la platitude n’a d’égale que le caractère exceptionnel. Le meilleur résumé se trouve sans doute dans les constatations les plus techniques : « Les options de rachat facile et la présence d’un «avantage du précurseur» peuvent provoquer des risques de ruée, et la dynamique des prix ainsi enclenchée peut s’étendre à d’autres compartiments du système par le conduit des marchés de financement, des bilans et des garanties. ». Au cas où ça ne vous semble pas très clair, en langage FMIste, ça signifie que la prochaine crise internationale est pour très bientôt.

Ça gonfle, ça gonfle

L’autre institution internationale issue de Bretton Woods, la Banque mondiale, présente des statistiques qui peuvent être un marqueur très intéressant. Pourtant, comme l’INSEE, la façon dont les données sont présentées et structuraient gomment volontairement les paradoxes béants de l’économie contemporaine, pour mieux défendre l’ordre établi ; de plus, la Banque accuse un grave retard dans la publication des chiffres, les derniers en date étant ceux de l’année 2013. Néanmoins ils restent instructifs : les capitalisations boursières totales des entreprises cotées15, après avoir accusé le coup en 2007-2008 et en 2011, sont nettement reparties à la hausse. Elles marquent une reprise en flèche des spéculations boursières, alors même que les économies réelles ont tendance, elles, à patiner.

Les ratios capital/actif des banques ont suivi, en sens inverse, la même courbe16 : ces dernières années, la part de fonds réels contenue dans la capitalisation des établissements financiers a lourdement diminué ; et tout indique que le mouvement s’est accéléré entre 2013 et 2015, une période non traitée par la Banque mondiale. Cette courbe internationale n’a pas été suivie par la France : notre pays a légèrement amélioré son ratio ces dernières années. Il faut dire que les banques hexagonales partaient de très loin : en 2013, dernier chiffre connu, les établissements français ne disposaient toujours que de 5,4% de fonds propres par rapport à l’ensemble de leurs actifs financiers. C’est, à très peu de choses près, au même niveau que l’exemple que nous donnions : une capitalisation à deux millions d’euros pour un capital réel à 100.000 euros.

spiral-staircase-180536_1280

Plus probant encore, la montée vertigineuse des capitalisations est constatable par l’évolution des places boursières, autant valable en points d’indice qu’en montant monétaire. Le Dow Jones, qui avait atteint les 14.198 points en octobre 2007, a dégringolé dans les mois qui ont suivi, passant brièvement sous la barre des 8.000 points début 2009. Mais très rapidement, il a repris un rythme de croissance soutenu, franchissant son record avec 14.268 points en mars 2013, et ne cessant de crever le plafond depuis. Le 19 mai 2015, il a établi son plus haut niveau en fermeture à 18.312 points ; au soir du 1er juin, il était toujours supérieur à 18.000.

La Bourse de Paris et son indice phare suivent la même déroutante course. Supérieur à 5.000 points en ce début du mois de juin, il atteint surtout des niveaux de capitalisation record. Mi-juillet 2007, avant d’être affecté par la crise des subprimes, le CAC 40 établissait un record avec tout juste 1.300 milliards d’euros. Il a ensuite lourdement baissé dans les dix-huit mois qui ont suivi : d’environ 1.000 milliards début 2008, le CAC n’était plus qu’à 570 milliards d’euros début 2009. Depuis, l’indice boursier français n’a fait que grimper, si bien que ce printemps, le record de juillet 2007 a été allègrement franchi. Le CAC s’est élevé au-dessus des 5.000 points, en finissant le 1er juin avec une capitalisation de 1.353,28 milliards d’euros ; et le 27 avril, il a même réalisé un record en clôturant à 1.415 milliards.

L’explosion pour bientôt

Ces chiffres qui se succèdent semblent ne pas signifier grand-chose, et il est vrai qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont de petits révélateurs d’un mouvement global : jamais la capitalisation, en France et dans le monde, n’a été aussi élevée. En ajoutant l’ensemble des établissements financiers, le fossé entre l’économie réelle et la spéculation boursière devient une abîme. Dans cette course effrénée, la bulle gonfle encore et toujours, en quantité et en proportions, faisant apparaître toujours plus nettement la seule perspective possible : l’éclatement violent de ce gonflement artificiel, le plus grand que l’Histoire aura connu.

Les grands porteurs d’action, les milliardaires de la grande bourgeoisie financière, savent parfaitement jouer avec les règles du marché ; quand l’éclatement surviendra, ils en seront les premiers informés, car ils disposent de tous les outils pour visualiser l’évolution proche des actifs financiers. En attendant, ils s’empiffrent sans aucun cas de conscience : en 2014, les dividendes du CAC 40 ont bondi de 25%. Dévoilés, sans bruit17, en février 2015, ils ont atteint 56 milliards d’euros pour la seule année dernière, et pour les seules quarante entreprises présentes dans l’indice. Le record, accompli en 2007 avec 57,1 milliards d’euros, est frôlé.

passengers-519008_1280

Dirigeants économiques, politiciens et éditorialistes poursuivent leurs activités, vaquent à leurs occupations sans se soucier de la suite. Pourtant, dans les sphères proches du pouvoir – réel, celui de la grande bourgeoisie – la certitude d’une crise prochaine se dessine plus clairement. Et cette fois, personne ne sait exactement comment en sortir. Les Etats, déjà étranglés par une dette gigantesque due au « sauvetage » de 2008 et aux intérêts des créanciers, auraient bien du mal à allonger la monnaie pour « recaver » une deuxième fois dans la même décennie. Mais pour l’instant, nos très chères élites font l’économie d’une telle discussion.

Le scénario se confirmera : si ce n’est pas cet été, ni en 2016, ce sera à coup sûr dans les prochaines années. Le système financier capitaliste est un monstre gigantesque, en croissance permanente, construit toujours plus sur du vide. La sortie de la crise financière de 2008 par une extorsion massive de richesses aux peuples, organisée par la caste politico-médiatique aux ordres de la classe capitaliste dominante, a simplement accordé un sursis de quelques ans au système en place. La crise des subprimes, et le krach international consécutif, ont révélé la nature même du régime économique de notre époque, où l’artifice cache mal les blessures profondes. Il ne reste plus qu’à espérer que les peuples, à commencer par les travailleurs français, en fassent une occasion de pousser à la transformation radicale de notre société. Céder à la servitude une nouvelle fois mettrait à genoux la France, sa classe ouvrière, son restant de souveraineté ; se redresser, au contraire, est toujours possible. Il faudra, simplement, arrêter de s’incliner devant la poignée de milliardaires et leurs avatars politiques, de la gauche socialiste à l’extrême-droite chauvine.

Les indices ne manquent pas pour annoncer la crise prochaine. Déjà, le FMI sonne l’alarme, dérogeant à ses habitudes les plus élémentaires ; ensuite, les faillites en série dans l’espace européen sont un signal fort de ce qui adviendra ; enfin, la structure même de la finance capitaliste pousse l’économie, à vitesse grand V, vers le prochain krach boursier. Il ne fait nul doute que la prochaine crise arrivera ; ce peut être cet été, ou dans cinq voire dix ans, mais elle est inéluctable. La course effrénée conduite par les grands financiers, poussés par la caste politico-médiatique, fera beaucoup de dégâts – et avant tout chez les travailleurs qui nourrissent le monde de richesses, plutôt que chez les spéculateurs qui gonflent leur fortune. La question qui doit nous animer, désormais, est moins la façon dont cette crise se déroulera, ou le moment auquel elle surviendra ; mais ce que nous ferons, en tant que peuple déjà âprement exploité, quand l’économie mondiale sera à nouveau à la croisée des chemins.

 Sources :

1 : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/gfsr/2014/02/pdf/execsumf.pdf

2 : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/gfsr/2015/01/pdf/execsumf.pdf

3 : https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-indices-obligataires.html

4 : http://prixdubaril.com/

5 : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/l-allemagne-tente-de-contenir-la-contagion-de-la-crise-bancaire-autrichienne-461187.html

6 : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/andorre-menacee-par-une-crise-bancaire-de-grande-ampleur-460932.html

7 : http://www.lesechos.fr/01/03/2015/lesechos.fr/0204192794824_la-crise-bancaire-s-accelere-en-russie.htm

8 : http://fr.euronews.com/2015/05/28/la-banque-russe-sberbank-victime-de-la-crise-et-des-sanctions/

9 : http://www.challenges.fr/economie/20150402.CHA4540/l-italie-est-elle-au-bord-d-une-crise-bancaire-majeure.html

10 : http://www.borse.it/spread/quotazioni/BTP_BUND/90/giorni

11 : http://www.argentumlux.org/documents/JEL_6.pdf

12 : https://www.youtube.com/watch?v=mzuPeyi7FWc

13 : http://www.hbo.com/movies/too-big-to-fail/

14 : http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/27/les-banques-europeennes-et-le-jackpot-des-garanties-d-etat_4354966_3234.html

15 : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/CM.MKT.LCAP.GD.ZS

16 : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FB.BNK.CAPA.ZS/countries

17 : http://www.leparisien.fr/economie/cac-40-56-milliards-d-euros-de-dividendes-reverses-aux-actionnaires-09-02-2015-4518971.php

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Finance, rubrique Politique, Politique économique,

Syriza « La volonté d’un nouvel équilibre politique »

Photo Rédouane Anfoussi

Anastassia politi. Elle est membre fondatrice de Syriza Paris, le parti grec arrivé au pouvoir le 25 janvier dernier. Petit tour d’horizon des questions qui se posent pour faire entendre la voix du peuple.

Anastassia Politi est une artiste grecque qui mène sa carrière de comédienne et metteur en scène à Paris. Elle est membre fondatrice de Syriza Paris. Invitée jeudi au cinéma Diagonal par le collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple Grec*, elle apporte un éclairage sur la position politique du parti Syriza et l’espoir qu’il suscite pour tous les peuples d’Europe, deux mois après son arrivée au pouvoir en Grèce.

Quelle analyse portez-vous sur les conditions de votre arrivée au pouvoir le 25 janvier dernier ?

L’accession de Syriza au pouvoir est le fruit d’un long processus historique. Notre parti trouve ses origines dans une large coalition de partis de gauche et d’extrême gauche. Le ciment de cette alliance remonte au forum social de Gènes en 2001. Syriza est un parti qui revendique une position marxiste-léniniste adaptée au XXIe siècle. Il faut comprendre que la gauche grecque et notamment les communistes, se sont illustrés héroïquement à travers leurs faits d’armes et leurs convictions tenaces durant le XXe siècle. Cette gauche jouit toujours aujourd’hui d’une vraie reconnaissance dans la population.

L’origine de cette soif démocratique populaire tiendrait aux braises du XXe siècle…

Oui, après le désastre de la Seconde guerre mondiale le combat révolutionnaire s’est poursuivi, contre le nouveau pouvoir grec soutenu par les puissances anglo-saxonnes. Les résistants de gauche furent écartés une première fois. Durant les trois ans de guerre civile, la chasse aux sorcières a fonctionné à plein régime. Il suffisait d’avoir un membre de sa famille communiste pour perdre ses droits élémentaires de citoyen, comme celui d’étudier ou de travailler. Puis ce fut la dictature des Colonels extrêmement répressive qui s’inspirait ouvertement de l’idéologie fasciste avec le soutien de la CIA. Après la guerre civile et la dictature, ce qui s’est passé en janvier dernier est la troisième possibilité d’accéder à une démocratie populaire. Elle s’est imposée par la voie des urnes, ce qui confirme que la résistance est implantée dans le coeur du peuple grec.

Le peuple grec se mobilise aussi face au désastre humanitaire lié au programme de sauvetage de la troïka…

En effet le mémorandum conditionnait le plan d’aide financière à des économies et réformes qui se sont révélées catastrophiques et inhumaines. En cinq ans, les classes moyenne et ouvrière se sont appauvries de 337%. Le taux de chômage dépasse les 30%. Il est de 60% chez les moins de 26 ans. On a assisté à une vague d’émigration sans précédent des jeunes diplômés. Les services publics ont été abandonnés. Vingt-cinq hôpitaux ont fermé et beaucoup de nos médecins sont partis trouver du travail en Allemagne. La crise a aussi touché le secteur privé avec la liquidation de 65 000 entreprises.

Le président de la Commission J-C. Juncker oppose très frontalement les traités
de l’UE à votre volonté de démocratiser la vie politique…

On peut dire que monsieur Juncker a enfin révélé la vraie nature de la dictature libérale qui tient lieu de démocratie dans l’union européenne. Ce que les peuples français, irlandais, et néeerlandais ont déjà pu expérimenter en voyant leur voix rejetées après avoir été consultés sur les traités. Le volet démocratique du programme de Syriza repose notamment sur des mesures pour combattre la corruption et l’évasion fiscale. Il passe par un soutien à la croissance économique, la création de 300 000 emplois notamment pour les jeunes. Il comporte enfin un important volet social pour fournir de l’électricité et nourrir 300 000 personnes en situation d’extrême précarité.

 

Alexis Tsipras engage un bras de fer pour renégocier la dette estimée à 320 Mds d’euros. Ne sera-t-il pas contraint à faire des compromissions ?

La BCE devait verser 7,2Mds d’euros à la fin 2014 mais elle met le peuple grec au supplice de la goutte. La croissance de la dette depuis la crise de 2008 est le produit de l’effet combiné des cures d’austérité, qui ont plongé le pays dans la dépression, et de la spéculation financière qui fait exploser les taux d’intérêts. Les banques ont utilisé une partie de l’argent public injecté afin de les sauver de la faillite pour spéculer sur la dette grecque. Nous avons commandé un audit conduit par 15 experts indépendants pour se pencher sur la nature de la dette grecque et en estimer la part légitime et illégitime.

Si le gouvernement ne trouve pas d’issue sur cette question envisage-t-il de renoncer à la monnaie unique ?

Jusqu’ici le gouvernement se prononce pour poursuivre les négociations mais au sein du parti le débat est ouvert sur cette question. L’UE joue la carte de l’asphyxie économique. Vous savez on a déjà vécu la guerre civile et on ne souhaite pas la revivre. Cela veut dire que nous voulons avoir la paix.

Après la rencontre avec Merkel, Alexis Tsipras sera reçu par Poutine début avril. Envisagez-vous l’alternative russe comme une porte de sortie ?

Avec la Chancelière allemande le risque est grand pour que la négociation n’aboutisse pas à un compromis. Le problème n’est pas purement financier il est idéologique. Admettre que la politique d’austérité ne fonctionne pas concerne la plupart des pays de l’Union. Ce qu’exprime Syriza c’est avant tout la volonté d’un nouvel équilibre politique. C’est une partie d’échec. Il existe une commission bi ministériel entre la Grèce et la Russie. L’embargo économique de l’UE contre la Russie a pénalisé l’économie grecque. L’idée c’est que nous sommes un pays souverain et que nous avons en tant que tel la possibilité de parler à qui bon nous semble.

Les difficultés auxquelles vous vous trouvez confrontés n’entament-elles pas la mobilisation populaire sur laquelle vous vous appuyez ?

Nous avons été élus sur un programme. Il est hors de question de l’abandonner. Je ne sais pas si nous allons trouver l’argent pour le mettre en oeuvre. L’UE nous dit que notre initiative est unilatérale. C’est absurde. Nous sommes face à une crise civilisationnelle profonde et nous essayons de trouver des solutions politiques. Notre force provient d’un sentiment de dignité retrouvée même si on est encore dans la misère. Ce n’est pas le parti qui mène le peuple. Syriza est issu des mouvements sociaux et souhaite que les mouvements sociaux donnent l’orientation.

RecueiIli par Jean-Marie DINH

Source : La Marseillaise 30/03/2015

Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique UE, Grèce, rubrique Russie, rubrique Politique, Politique internationale, rubrique Société, Mouvements sociaux, Citoyenneté, rubrique Rencontre,