Notre très chère banque centrale continuera à défendre nos banquiers, n’est-ce pas ?

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Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, part en octobre. Un remplacement pas si anecdotique que ça.

par Michel Crinetz ancien superviseur financier, Collectif Roosevelt

Certes, le rôle de la Banque de France, dont l’État est le seul actionnaire, a bien diminué. Elle ne conduit plus la politique monétaire : c’est le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne qui le fait, où la France n’a plus qu’un droit de vote limité. Elle ne supervise plus non plus la prudence de nos grandes banques, un pouvoir également transféré à la BCE.

Dès lors, que nous importe le remplacement à ce poste d’un vieil ami des banques, Christian Noyer, par un ex-banquier ?
Peut-être devrait-il nous importer plus qu’il ne semble.

Une remarquable discrétion…

Jadis, comme tuteur des banques au Trésor, M. Noyer plaidait déjà pour que les banques puissent faire payer les chèques. Ces positions très orientées n’ont pas nui à sa carrière : directeur du Trésor, plus tard gouverneur de la Banque de France. Conseiller de M. Balladur, il a dirigé les cabinets de deux de ses successeurs aux Finances. Au cœur du pouvoir de 1993 à 1997, il s’occupa, avec une grande discrétion, des faillites du Crédit Lyonnais et du Crédit Foncier de France, entre autres.

“Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale”

Discrétion tout aussi remarquable dans son traitement, 15 ans plus tard, des “difficultés” de Dexia, du Crédit Immobilier de France, de la Société Générale et de Natixis, difficultés qu’il était censé prévenir au lieu de les laisser après coup plus ou moins à la charge des finances publiques. Sous son règne, à peu près rien n’a été fait pour sanctionner les banques abusant leurs clients, ou facilitant leur évasion fiscale.

Par-delà la Banque de France

À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire. M. Noyer n’est pas que gouverneur de la Banque de France, qui s’occupe du surendettement des ménages, du taux du livret A et de l’émission de billets de banque ; et qui reprendrait ses fonctions initiales en cas d’explosion de la zone euro.

“ À présent, s’il n’est plus seul décideur, il est au centre de différents réseaux de décision, où il pèse bien plus que son poids statutaire”

Il est aussi président du superviseur français des banques et des assurances, qui garde un rôle à la fois dans la supervision et dans la “résolution” des banques ; membre de deux Conseils de la BCE, avec droit de vote sur les décisions monétaires et celles du superviseur bancaire “unique” de la zone euro, et avis sur les projets de réglementation financière européenne ; membre du comité de Bâle qui définit les projets de réglementation bancaire mondiaux ; président de la Banque des Règlements Internationaux, et gouverneur suppléant du Fonds monétaire international, très influent en ce moment.

Des champions bien couvés

Depuis 33 ans, Christian Noyer a veillé aux intérêts de nos “champions nationaux”. Champions qui ne sont plus que quatre, suite à un séculaire mouvement de concentration sans cesse encouragé par la Banque de France : BNP Paribas, la Société Générale, BPCE et le Crédit Agricole ; quatre centres de pouvoir très influents et prenant d’énormes risques. Et il a défendu les intérêts des grandes banques contre les propositions d’intervention des États et de l’Europe.

“il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres”

Et si, en tant que banquier central, il n’a pas d’ordres à recevoir des gouvernants, il ne se prive pas de leur faire publiquement la leçon, dans son domaine et dans d’autres. Il critique le déficit budgétaire, menaçant la France de “déclin”. Il dit que la baisse des charges patronales ne suffit pas pour restaurer la compétitivité et veut revoir les règles de revalorisation du Smic. Il critique vivement le projet européen de taxe sur les transactions financières, et, avec une violence très inhabituelle, le modeste projet du commissaire européen Barnier de filialiser les activités spéculatives des banques : “irresponsable et contraire aux intérêts de l’économie européenne” dit-il.

M. Hollande fera sans doute confiance à M. Villeroy de Galhau pour assurer la continuité. Un des principaux dirigeants de la BNP depuis 12 ans, il est, lui aussi, du sérail…

Source : Le Nouvel Economiste 16/07/2015

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Finance, Politique Economique,

Electrochoc

«Il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne peut pas naître.» Cette définition du théoricien italien Antonio Gramsci s’applique à la lettre au moment de tension extrême que subissent la planète financière en général et le monde de la banque en particulier. De l’ancien monde, tout semble encore en place, ou presque. Près de deux décennies après le scandale du Crédit lyonnais, le drame de Dexia en témoigne jusqu’à la caricature : prise de risques inconsidérés, spéculation à coups de «produits» toxiques, tergiversation irresponsable des Etats, «stress tests» bidons et sauvetage public sans contreparties… Comme si chacun se refusait à tirer la moindre leçon de la catastrophe. Aucune mesure sérieuse d’encadrement et de contrôle des instruments financiers n’a été prise, ni en Europe ni aux Etats-Unis, depuis le sévère avertissement de 2008. Au moment où s’esquisse un nouveau plan de sauvetage des banques, cette fois à l’échelle européenne, il faut rappeler à tous qu’une banque est d’abord et avant tout un bien public. Les Etats ne sauraient mobiliser à nouveau des milliards d’euros sans exiger des règles nouvelles et, notamment, une place au conseil d’administration des établissements aidés. Nicolas Sarkozy s’y était refusé en 2008. Les peuples européens ne comprendraient pas aujourd’hui que nul ne soit en charge du rappel permanent et exigeant de l’intérêt général. La politique y joue son crédit. Le monde nouveau ne naîtra pas sans un électrochoc.

Vincent Giret (Libération)

 

Banque : L’Europe passe à l’action

Hier à Bruxelles, les Vingt-Sept se sont mis d’accord sur le principe de renflouer les établissements en difficultés. Sans encore évoquer de contreparties.

Panique à bord : après des mois de déni, les gouvernements européens, secoués par l’effondrement de la banque franco-belge Dexia, admettent enfin qu’il y a un énorme problème bancaire sur le continent. Hier, à Bruxelles, Angela Merkel a reconnu qu’il «est justifié, s’il y a un constat commun que les banques ne sont pas assez capitalisées, que l’on procède (à une recapitalisation), compte tenu de la situation actuelle sur les marchés financiers». En clair, pas question de croiser les doigts en espérant que la confiance revienne, comme voulait le faire Paris. «Pour les marchés, il est important qu’on aboutisse à des résultats, a martelé Merkel. Le temps presse et donc il faudrait que cela se fasse vite.»

Olli Rehn, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, a pour sa part annoncé, dans un entretien au Financial Times, que les Vingt-Sept préparaient un plan destiné à renflouer les banques qui en ont besoin : «Il y a un sentiment d’urgence parmi les ministres des Finances. […] Le capital des banques européennes doit être renforcé afin de leur donner une marge de sécurité et ainsi de réduire l’incertitude», sur les marchés. Ce n’est pas encore un Plan Marshall pour les banques, mais ça commence à y ressembler.

Incendie. Les réunions des dirigeants européens vont s’accélérer ces prochains jours, non seulement pour enrayer l’incendie bancaire qui menace, mais aussi pour essayer d’apporter une réponse globale à la crise de la dette souveraine : réunion de la BCE aujourd’hui à Berlin, sommet franco-allemand dimanche, toujours à Berlin, puis Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement les 17 et 18 octobre… Cette fois, les capitales européennes semblent déterminées à éviter la cacophonie de l’automne 2008, lorsque l’Irlande avait garanti sans avertir personne les dépôts de ses épargnants, ce qui avait déclenché une belle panique. «Ce devra être un mouvement ordonné, transparent et égalitaire dans toute la zone», indique l’Elysée.

Merkel insiste aussi pour que la recapitalisation se fasse selon des «critères communs». «Si l’on renforce les banques, ce ne sera pas parce qu’elles sont intrinsèquement malades, mais parce que l’on n’arrive pas à résoudre la question de la dette de la Grèce. Il s’agit de témoigner d’une volonté collective de stabilisation du système financier européen», insiste l’Elysée. Pourtant, «la crise bancaire de 2007 est loin d’avoir été résolue, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, comme le montre l’affaire Dexia, affirme Nicolas Veron, du centre de réflexions Bruegel. Certes, depuis, elle s’est transformée en crise de la dette et désormais les deux s’entretiennent réciproquement : c’est parce que les marchés doutent de la solvabilité des Etats qu’ils doutent de la solidité des banques.» Mais, selon Veron, le problème va bien au-delà d’une question de confiance des marchés : «Il faut qu’une autorité indépendante soit chargée d’identifier les maillons faibles, car il y en a, et qu’elle puisse les traiter en les recapitalisant ou en les restructurant.»

Car pour l’instant, les comptes des banques sont pleins de zones d’ombre que les «stress tests» de juillet n’ont pas permis de lever. En particulier, les établissements français souffrent, aux yeux des marchés, d’avoir conservé un effet de levier trop élevé dans leur bilan : ainsi, le total de bilan de BNP Paribas représente 27 fois ses fonds propres et ce multiple s’élève à plus de 50 pour la Société générale. En comparaison, les principales banques américaines affichent un ratio moyen de 10. Pour s’aligner, à périmètre constant, les banques européennes devraient augmenter leurs fonds propres de 360 milliards d’euros…

Prix d’Ami. La recapitalisation qui s’annonce et dont on ignore le montant fera appel soit à des investisseurs privés, soit à de l’argent public, soit à des fonds européens. En effet, le Fonds européen de stabilité financière pourra, dans sa nouvelle mouture, qui devrait entrer en vigueur à la fin du mois, prêter de l’argent aux Etats afin de les aider à recapitaliser leurs banques. Les Européens cherchent actuellement les moyens de démultiplier son action en créant un «effet de levier».

En attendant que le ménage soit fait, la BCE ne reste pas inactive. Le système peut imploser à chaque instant, puisque le marché interbancaire est paralysé. La situation est aussi tendue qu’au début de la crise des subprimes, (août 2007), ou au lendemain de la faillite de Lehman Brothers (septembre 2008) : les établissements financiers ne se prêtent plus d’argent de peur de ne pas le récupérer. La BCE inonde donc à nouveau de liquidités le marché : depuis le début de la crise, elle accorde des prêts à taux fixe (et donc à prix d’ami) à trois mois et sans plafond aux banques commerciales. Mieux : elle a annoncé qu’elle allait passer à des durées de six mois et peut-être, demain, d’un an. Reste à savoir si les opinions publiques accepteront ce second sauvetage sans que les banques en payent le prix. Jean-Claude Trichet, président de la BCE, a déjà averti que «nos démocraties ne pourraient accepter un nouveau plan d’aide aux banques» de même ampleur qu’en 2008 «sans contreparties».

Jean Quatremer et Nathalie Raulin

Voir aussi : Rubrique Finance, Politique économique, rubrique UE,