Afrique de l’Ouest : la boucle ferroviaire de Bolloré est-elle en train de dérailler ?

En août, une concession de construction et d'exploitation a été signée entre le Bénin, le Niger et le groupe Bolloré. © Erwann Benezet/MAXAPP
La justice béninoise a ordonné l’arrêt des travaux du chemin de fer ouest-africain réalisé par Bolloré et une procédure arbitrale internationale a été lancée. Derrière cette offensive, deux groupes qui s’estiment lésés.

Le risque planait sur la boucle ferroviaire que le groupe Bolloré construit en Afrique de l’Ouest. En moins de deux semaines, il a pris forme. Le 5 novembre, l’avocat parisien Jean-Georges Betto a envoyé à la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, le plus important tribunal arbitral au monde, une demande d’ouverture d’une procédure contre le Bénin et le Niger pour le compte de son client, le bureau d’étude français Geftarail, et de sa filiale basée au Niger, Africarail. « L’objectif est clair : faire stopper les travaux car leur poursuite aggrave le préjudice », explique un proche.

Deux semaines plus tard, le 19 novembre, la cour d’appel de Cotonou imposait, dans le cadre d’une procédure lancée par le groupe Petrolin de Samuel Dossou-Aworet, « la cessation par Bolloré Africa Logistics de tous travaux entrepris sur le site de l’OCBN [Organisation commune Bénin-Niger des chemins de fer et des transports] à Cotonou » et ordonnait « tant à l’État béninois qu’à Bolloré Africa Logistics de s’abstenir de tous travaux sur les composantes du projet « Épine dorsale » [programme de développement des infrastructures du Bénin] également ».

Droits

Geftarail comme Samuel Dossou-Aworet revendiquent des droits sur le chantier de construction et de rénovation de la ligne de chemin de fer reliant les capitales béninoise et nigérienne.

Lancé en avril 2014 par le groupe Bolloré sans la moindre autorisation juridique, celui-ci a depuis été formalisé par une concession en bonne et due forme, signée le 13 août 2015 par les deux États africains et le groupe français.

Mais Geftarail met en avant un protocole d’accord signé en janvier 1999 avec le Bénin, le Niger et le Burkina, rejoints en août 2000 par le Togo. Ce document lui donne notamment, selon le préambule des statuts de la société concessionnaire Africarail, créée en 2002 par les États concernés et Geftarail, le « droit de construire et d’exploiter les ouvrages d’art et les infrastructures ferroviaires sur l’axe Kaya (Burkina) – Niamey (Niger) – Parakou (Bénin) – Aného (Togo) – Ouidah (Bénin) ».

Samuel Dossou, de son côté, estime détenir également des droits sur la ligne développée par le groupe Bolloré, à la fois via le programme « Épine dorsale » mais aussi via une notification d’attribution provisoire de concession accordée (en 2010) par le Bénin et le Niger dans le cadre de la privatisation de l’OCBN.

Côté nigérien, près de 140 kilomètres de rail ont été construits

Retournement brutal

Joint par Jeune Afrique, Ange Mancini, conseiller de Vincent Bolloré, a réagi à la sentence de la cour d’appel de Cotonou en concédant que le groupe français « arrêtera les travaux dès que la décision nous aura été signifiée ».

Chargé du dossier de la boucle ferroviaire, il explique : « nous n’allons pas nous mettre en situation de risque juridique », même si « nous sommes surpris par ce retournement brutal, avec un arrêt qui dit l’exact inverse de ce qui avait été dit en première instance, un an plus tôt ».

Côté nigérien, près de 140 kilomètres de rail ont été construits. Mais l’OCBN appartenant à la fois au Bénin et au Niger, difficile de penser que cette partie-là du chantier ne sera pas également affectée. Niamey, Cotonou, Bolloré et leurs conseils ont-ils sous-estimé le risque juridique entourant les négociations ?

« Non, nous étions conscients de ces dossiers », explique Amadou Boubacar Cissé, ministre du Plan du Niger jusqu’en septembre dernier, impliqué de longue date dans le projet de boucle ferroviaire. « Mais la conclusion était que cela n’affecterait pas la mise en œuvre du projet », explique celui qui est désormais dans l’opposition et qui dénonçait encore récemment sur le site de Jeune Afrique les accords « déséquilibrés » signés avec Bolloré.

Dossier vide

Les deux États africains ont été accompagnés juridiquement par un prestigieux cabinet international, grâce à un financement de la Facilité africaine de soutien juridique (ALSF) de la Banque africaine de développement. Et Hogan Lovells n’a jamais semblé très inquiet. « Ils ont longtemps pensé que Michel Bosio, l’expert ferroviaire fondateur de Geftarail, n’irait pas jusqu’à l’arbitrage, considérant que son dossier juridique était vide et que les États lui avaient simplement demandé de réaliser une étude de projet et un accompagnement dans le montage financier », explique une source bien informée.

« Le cas Dossou les a davantage inquiétés, mais ils ont tout de même jugé que l’adjudication provisoire dont disposait l’homme d’affaires béninois pouvait légalement être cassée à tout moment et que le projet « Épine dorsale » était un contrat léonin. »

Samuel Dossou-Aworet a entamé sa procédure au Bénin dès début 2014. À ses côtés, l’avocat parisien Stéphane Brabant, rejoint depuis peu par William Bourdon, a travaillé à une conciliation (qui a échoué).

Ayant pour principal objectif, selon ses conseils, la qualité de la réalisation de la boucle ferroviaire, Michel Bosio a quant à lui longtemps privilégié la discussion, avant d’entamer, via son ami Michel Rocard une bataille médiatique en septembre dernier. « Bolloré a trop joué la carte politique, celle des présidents, estime un familier du dossier. Cela se retourne aujourd’hui contre lui. » Toutefois, le groupe s’est en partie couvert. « Tout ce qui est antérieur à la concession de 2015, les États se sont engagés à en faire leur affaire », rappelle Ange Mancini.

Compliquée

Pour le groupe français, la situation semble toutefois très compliquée. Selon Reuters, il a mandaté des banques pour travailler sur une introduction en Bourse de son réseau ferroviaire en Afrique, avec l’objectif de lever une partie des 2,5 milliards d’euros nécessaires au chantier. Mais les décisions de la cour d’appel de Cotonou et la procédure d’arbitrage en cours devraient lui compliquer la tâche, les autorités de surveillance des marchés étant peu enclines à accorder des visas alors que des doutes juridiques subsistent.

Par ailleurs, si le groupe français a signé en août une concession allant de Cotonou à Niamey, la partie allant de Niamey au Burkina Faso n’est toujours pas attribuée et fait partie du périmètre réclamé par Geftarail. Enfin, la concession des chemins de fer détenue par Bolloré via sa filiale Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso n’a toujours pas été renouvelée.

« Samuel Dossou comme Michel Bosio ne souhaitent pas que le groupe Bolloré soit exclu du projet, il y a donc une marge de négociation possible », estime un avocat. Ange Mancini répète que la porte reste ouverte : « Vingt pour cent de la société concessionnaire doivent être attribués à des nationaux, nous prendrons les noms qui nous seront soumis par les États. » Pas certain que cela suffise à calmer les tensions.


Samuel Dosso-Aworet, du pétrole aux infrastructures

L’homme d’affaires béninois de 71 ans vient de remporter une bataille judiciaire contre Bolloré. Si c’est dans le négoce du pétrole, notamment au Gabon, que ce proche de l’ancien président Omar Bongo Ondimba a fait fortune, il est aujourd’hui davantage consultant et investisseur.

Son groupe Petrolin, présent dans treize pays africains, revendique un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars en 2013 (726 millions d’euros), et se diversifie dans les infrastructures.

Source Jeune Afrique 09/12/2015
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Franck Tenaille. « On est l’écosystème des musiques du monde »

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest'A Sète

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète

Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.

Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.

Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?

Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.

La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…

Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.

En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.

Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?

Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…

Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?

Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde.  Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.

N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?

On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.

Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?

A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.

Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?

Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.

Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?

Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le  plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…

Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.

On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud

Source : La Marseillaise 10/08/2015

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« 8O% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques
du monde » photo DR

Alassane Ouattara met en danger l’enseignement supérieur

Ouattara répondant aux questions du Figaro

Pour l’universitaire Michel Galy, l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara met en danger l’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire.

Les malheurs de l’université ivoirienne, en passe d’être détruite aujourd’hui, remontent pourtant plus loin: comme pour l’ensemble du pays, la zone rebelle a servi, depuis le coup d’Etat manqué de 2002, de banc d’essai; l’université de Bouaké, dans le fief de la rébellion ouattariste, a en effet été complètement pillée et rendue à ce point inutilisable qu’étudiants et professeurs se sont retrouvés à …Abidjan, squattant au début amphis et cours du campus de Cocody la nuit ou le dimanche -puis se retrouvant dans de nouveaux locaux construits malgré la guerre civile.

Une dégradation progressive de l’université

Que faire d’autre quand livres, bancs, équipements –jusqu’aux huisseries et métaux de construction ont été volés, pillés ou incendiés ? Cette libérianisation de l’université ivoirienne a été appliquée à grande échelle pendant et après le coup d’Etat franco-onusien d’avril 2011. Tout se passe comme si l’Université ivoirienne, ses professeurs et ses étudiants étaient devenus l’ennemi collectif du nouveau régime; dans une déclaration faite à Lomé, Alassane Ouattara ne vient-il pas d’annoncer la fermeture pour deux ans des établissements publics ivoiriens d’enseignement supérieur! La Côte d’Ivoire, entre maîtres de guerres et technocrates, sera-t-elle le seul pays au monde à avoir détruit sa propre Université ?

Le contraste est patent avec le régime précédent qu’on a pu nommer (en référence malicieuse à la III°république française), la «République des professeurs». De l’historien Laurent Gbagbo à l’économiste Aké N’gbo Gilbert- tous deux en déportation sans inculpation ni jugement à Korhogo et à Bouna, du philosophe Voho Sahi à  l’historien Pierre Kipré- en exil quant à eux à Accra, capitale du Ghana, tous ont exercé, revanche sur l’affairisme houphouétiste et «l’idéologie du planteur», des responsabilités politiques; on aura reconnu, dans l’ordre cité, le président et le premier ministre ivoirien, le ministre de la Culture et l’ambassadeur de Côte d’ivoire en France. Et certes, contrairement aux calomnies, cette république des professeurs et des chercheurs, bien qu’en butte à une rébellion armée aidée par la droite française dans sa prise du pouvoir a bien été, par certains côtés, celle de l’intelligence.

J’en voudrai pour preuve ce formidable effort de réflexion national (et même panafricain) qu’a été en 2010 la commémoration des 50 ans des Indépendance, pauvre indépendance bafouée et humiliée lors du putsch sanglant de 2011! Ce qu’on pourrait nommer, en termes heideggériens, l’auto-affirmation de l’université ivoirienne, s’est notamment traduit par cinq colloques successifs, établissant l’état des lieux, prospectant les futurs possibles, cherchant les voies d’une «seconde indépendance». Et si c’était cette intelligence collective, critique et rebelle, mais en même temps porteuse des luttes des Indépendances comme des révolutions africaines encore à venir,  qu’on a voulu, qu’on veut toujours anéantir?

La France, allié de poids de Ouattara

Car du point de vue géopolitique, un tournant était en cours, vers une pluralité d’acteurs, notamment la Chine ce qui n’était nullement exclusif avec une collaboration franco ivoirienne soucieuse des intérêts communs et du respect de l’autre; y a-t-il d’ailleurs des dirigeants plus francophones et francophiles par certains côtés que ces professeurs ayant pour la plupart fait leurs études dans les universités françaises, continuant à produire articles et ouvrages avec leurs collègues français- ceux-là même qui les ont abandonnés, reniés et parfois insultés quand ont commencé les temps mauvais de la délégitimation politique et des campagnes médiatiques préalables ?

Il y a bien eu, hélas trahison des clercs et forfaiture médiatique! Il faudra bien, un jour, faire l’inventaire des délateurs de la presse et des intellectuels organiques des Services ou du sarkosysme, intoxicant l’opinion publique internationale, jusqu’au monde intellectuel français qui connaissait pourtant les acteurs ivoiriens et, pour certains, le pays…

Un pays laissé à l’abandon

Le silence des intellectuels, lorsque tombaient les bombes franco onusiennes sur la présidence et la résidence, mais aussi campus et cités, CHU et camps militaires habités par des familles entières, tuant des centaines de civils (dont nombre d’étudiants engagés) semble, depuis avril, assourdissant.

A quoi bon disserter sur les «guerres humanitaires» au Kosovo, en Irak et en Libye- demain en Syrie ou en Iran, rappeler les immenses massacres du «Cameroun»sans voir que le même modèle d’intervention a été mis en œuvre en Cote d’ivoire- et que quelque part la mise à mort de l’université parachève les massacres ?

L’écrivain espagnol Miguel de Unamuno, depuis son université de Salamanque affirmait déjà qu’en entendant les franquistes louer la mort et la fin de l’intelligence («Abajo la inteligencia!», A mort l’intelligence!, osait clamer le général Millan Astray) c’était bien, au-delà du fascisme, le glas de toute civilisation qui se manifestait! Ses paroles de 1936 ne sont-elles pas, encore, prophétiques -pour d’autres temps et d’autres lieux:

«Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat».

Que dire des institutions internationales en charge de la Culture, de l’Education ou de la langue ? Si des «organisations des droits de l’homme» se sont définitivement discréditées par leur engagement partisan en Côte d’ivoire (cf. le dernier rapport d’Human Rights Watch…), si est patent l’honneur perdu de la Cour Pénale Internationale (CPI) dont Jean Ping, président de la commission de l’Union Africaine, a publiquement dénoncé l’instrumentalisation et le rôle de «néocolonialisme judiciaire» (le procureur  Ocampo a récemment serré la main, à Abidjan, de criminels de guerre notoires), on attend encore un plaidoyer fort et des actions effectives de l’Unesco,Unicef ou Francophonie, en faveur de l’université d’Abidjan. Mais ne s’agit-il pas en fait d’une punition collective contre un milieu intellectuel sudiste largement favorable au président Laurent Gbagbo?

Le clivage Nord/Sud de l’enseignement universitaire

Démontrant que le régime Ouattara est plus fragile que sa propagande l’affirme, cette tentative de mise à mort de l’université rencontre pourtant des résistances inattendues; syndicats d’étudiants et de professeurs, partis politiques et journalistes qui commencent à tisser des liens par delà les frontières.

Le régime, par le biais d’une ministre dont l’incompétence, voire le semi analphabétisme provoque des gorges chaudes à chaque intervention, a cru faire une concession majeure ces jours ci; après l’annonce depuis Lomé de la fermeture universitaire et des deux «années blanches», on a cru bon d’en excepter l’université de Bouaké et de  Korhogo: en somme les ex-rebelles à Abidjan, et les étudiants sudistes en ré-éducation au Nord ?
Il est plus probable que si elle était maintenue, cette surprenante décision se traduirait par une partition de fait du système éducatif, régionalisation et ethnicisation  provoquant une «université dioula» (une langue très parlée dans la région) au Nord et … l’absence de tout enseignement supérieur au Sud!! Double peine pour une capitale qui a voté à 54% pour le candidat Gbagbo, toutes ethnies confondues…

Politique éducative au fond suicidaire pour le régime: exclus par les droits d’inscription d’une université désormais privatisée, que feraient les centaines de milliers d’étudiants désespérés et paupérisés, sans autre issue que la lutte politique et le combat de rue ?

Le régime Ouattara qui ferme sa seule université alors qu’il se targuait d’en construire «une par an» s’est lancé dans un projet aussi symbolique que caricatural: enfermer  d’un mur d’enceinte le campus de Cocody- plutôt que de le réhabiliter; à grand frais ce «mur de Berlin» (déjà «mur de la honte» pour la débordante inventivité langagière d’Abidjan) pourra peut être ceinturer l’immense espace universitaire, peut être le cacher aux nouveaux maîtres; on doute qu’il enferme qui que ce soit, notamment les  étudiants et la turbulente jeunesse abidjanaise. Quant à enfermer intelligence universitaire et esprit critique, mur ou pas mur, la tâche semble tout simplement  impossible…

Michel Galy (Slate)

 

 

Questions sur le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale

Le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale soulève de lourdes questions de droit et de justice mais aussi des questions politiques cruciales sur le rôle de la France en Afrique.

Des crimes particulièrement graves, des massacres, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis en Côte d’Ivoire par les deux camps en  conflit après le scrutin de novembre 2010. Pourtant, seul Laurent Gbagbo est directement poursuivi et incarcéré à La Haye. On se souvient pourtant, par exemple, que plus de 800 personnes (selon la FIDH) ont été atrocement massacrées à Duékoué en mars 2011, lors de la prise de la ville par les partisans d’Alassane Ouattara.

Amnesty International, parmi d’autres ONG de droits humains, a appelé les autorités ivoiriennes et le procureur de la CPI à enquêter sur tous les crimes de droit  international commis par toutes les parties. On n’en est pas là et ce qui domine aujourd’hui est le risque d’une justice des vainqueurs. La crédibilité de la CPI ne sortira pas  grandie de cette grave instrumentalisation.

Laurent Gbagbo est considéré comme le responsable de la crise ivoirienne, des confrontations armées et des violences que celle-ci a entraînée. Mais les résultats des  élections de novembre 2010 – pour 20.000 bureaux de vote – furent-ils si évidents, si transparents et si honnêtes alors que les contestations déposées n’ont fait l’objet  d’aucune analyse ou enquête sérieuse dans un dangereux contexte de tensions politiques et inter-communautaires qui a dégénéré en guerre civile? Alassane Ouattara  «élu» dans de telles conditions, ou plutôt porté au pouvoir par la grâce sarkozienne de l’armée française dans les meilleures traditions néo-coloniales, est-il plus légitime que Laurent Gbagbo?

C’est ainsi qu’on entretient les hostilités, les désirs de revanche et les guerres civiles de demain. Il faudra s’en souvenir…et il faudra enfin sortir des pratiques de la Françafrique.

Parti communiste français

Voir aussi : Rubrique AfriqueCôte d’Ivoire, rubrique Education, politique de l’éducation, rubrique Politique France, Force Licorne : demande d’une commission d’enquêteLa Françafrique se porte bien, rubrique Livre, Que fait l’armée française en Afrique ?,

Ouattara et Soro, un drôle de duo à la tête de la Côte d’Ivoire

Le président ivoirien Alassane Ouattara ne peut plus se passer de son Premier ministre Guillaume Soro. Au point de susciter cette interrogation récurrente parmi les observateurs de la Côte d’Ivoire à la veille des législatives de dimanche, les premières depuis la chute de Laurent Gbagbo: qui est l’homme fort du pays? Alassane Ouattara, élu au suffrage universel il y a un an et adoubé par l’ensemble de la communauté internationale? Ou Guillaume Soro, l’ancien chef de file des rebelles qui ont mis en coupe réglée la moitié nord du pays depuis près de dix ans?

Lors du voyage de Claude Guéant à Abidjan, en octobre dernier, le chef de l’Etat ivoirien lui a confié qu’il reconduirait son Premier ministre après le scrutin. A 39 ans, Guillaume Soro pourra se prévaloir, pour la première fois, de l’onction des urnes: il est sûr d’être élu haut la main député à Ferkessédougou, dans le nord du pays, sous les couleurs du parti présidentiel, le RDR (Rassemblement des républicains).

En vertu d’un pacte avec son allié, Alassane Ouattara aurait pourtant dû nommer un chef de gouvernement issu des rangs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) après la présidentielle d’il y a un an. Mais depuis, l’application de cet accord est sans cesse repoussé.

C’est un drôle de duo, aux profils très tranchés, qui préside aux destinées de l’ancienne colonie française. Agé de 68 ans, Alassane Ouattara est un homme aux manières policées, qui a fait la majeure partie de sa carrière au sein des institutions internationales. Guillaume Soro, qui a l’âge d’être son fils, a dirigé un bouillant syndicat étudiant (la Fesci), avant d’être bombardé chef politique de la rébellion en septembre 2002, après l’échec de la tentative de coup d’Etat contre Laurent Gbagbo. En mars 2007, à la suite d’un accord de réconciliation entre les deux camps ennemis signé à Ouagadougou (Burkina Faso), Soro devenait le Premier ministre de l’ex-Président, avant de rallier le panache d’Alassane Ouattara au lendemain du second tour de la présidentielle de 2010. Mais certains observateurs en sont convaincus: si Gbagbo avait gagné, Soro serait resté à ses côtés…

En refusant de reconnaître sa défaite, Gbagbo a de fait rendu un fier service à Guillaume Soro. Alassane Ouattara a dû faire appel à l’impétrant et à ses hommes pour faire respecter le verdict des urnes. Même installé dans le fauteuil présidentiel, le nouveau président ivoirien a besoin de son Premier ministre pour contrôler ses soudards et rétablir la sécurité dans le pays. Le jeune chef du gouvernement sait se faire désirer. «Il fait traîner les choses», confie un expert.

Ce temps-là, Soro le met à profit pour consolider son pouvoir. D’après des sources fiables, il est en train de constituer une garde prétorienne placée sous son autorité directe, et a nommé plusieurs de ses fidèles à des postes stratégiques au sein de la nouvelle armée «dégbagboïsée». Parmi eux, un quarteron de ces «commandants de zone» (comzones), qui se sont considérablement enrichis durant le conflit et qui sont, pour certains, soupçonnés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’Humanité.

Alors que Laurent Gbagbo vient d’être remis à la Cour pénale internationale (CPI), Guillaume Soro pourrait-il lui-même être inquiété par la justice internationale? C’est lui qui, durant la crise post-électorale, a organisé l’offensive victorieuse, grâce à l’aide décisive de l’armée française, contre Laurent Gbagbo.

Lors d’un déplacement à Abidjan, à la mi-octobre, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Louis Ocampo Moreno, lui aurait déclaré: «Prouvez-moi que vous êtes innocent.» Réponse de Soro: «Je vous le prouverai.» «Le procureur veut qu’il lâche certains de ses lieutenants qui sont responsables d’atrocités», décrypte un bon connaisseur du dossier.

«Soro est plutôt serein, il ne se sent pas menacé», assure l’un de ses proches. Peut-être parce qu’il se sait protégé par l’un des hommes les plus puissants de la région: le président du Burkina Faso voisin, Blaise Compaoré. «C’est Blaise qui a convaincu son homologue ivoirien de garder Soro à la primature», confie un expert. Avec quels arguments? «La situation du pays reste très fragile, souligne un observateur étranger résidant en Côte d’Ivoire. Si l’ordre a été rétabli à Abidjan, les ex-rebelles continuent de rançonner les voyageurs et les transporteurs à l’intérieur du pays. Soro reste indispensable.»

Le président ivoirien répète à l’envi que tous les responsables de crimes de guerre devront rendre des comptes. Mais,dans les faits, ces déclarations demeurent incantatoires. Vulnérable, le chef de l’Etat ivoirien prend ses précautions, y compris jusqu’à Abidjan.

D’après des sources bien informées, des instructeurs français ont assuré le formation de la garde rapprochée d’Alassane Ouattara. Et au sein de son cabinet restreint, un général français le conseille pour les affaires militaires. «Ouattara préfère avoir Soro au gouvernement plutôt qu’à l’extérieur», résume une bonne source. Après les législatives, la partie de poker menteur reprendra de plus belle entre les deux hommes.

 

Voir aussi : Rubrique, Afrique, rubrique Côte d’Ivoire,  rubrique Politique internationale,La France pyromane, Les soldats français pour la bonne cause ?, Le maintient de l’ordre un savoir-faire français,  La Françafrique se porte bien, Rubrique Livre, Que fait l’armée française en Afrique ?,

Afghanistan : «L’outil militaire ne peut résoudre des crises»

Sarkozy en Afghanistan "Il faut savoir finir une guerre" ...En visite éclair en Afghanistan, Nicolas Sarkozy a déclaré « il faut savoir finir une guerre ». Cinq soldats français sont morts mercredi en Afghanistan dans un attentat perpétré par un kamikaze. La France est présente depuis 10 ans en Afghanistan. Quel est le sens de l’engagement français dans des opérations extérieures à durée, par nature, indéterminée ? Comment interpréter le quasi-unanimisme des hommes politiques sur les opérations conduites en Lybie et en Afghanistan ?

Pierre Conesa: Il y a, effectivement, une communauté de vues entre les experts militaires du PS et de l’UMP sur le fait que la France doit assumer des responsabilités en matière de sécurité internationale. La plupart de ces experts justifient les engagements extérieurs français par un discours qui se résume en une expression-slogan « la France membre-permanent-du-conseil-de-sécurité-puisssance-nucléaire ». Cette espèce de consensus qui unit les penseurs stratégiques de l’UMP et ceux du PS relève de la même matrice intellectuelle, celui du statut international de la France souvent sans rapport avec la crise elle-même.

C’est ce qui explique l’engagement des politiques dans des opérations que la France -et plus globalement l’occident- n’a pas toujours les moyens militaires d’assumer. Il y a à la fois une fascination sur le fait que l’outil militaire va résoudre les crises et une incapacité à penser la guerre. Nous sommes allés en Afghanistan faire une sorte de guerre par induction, par solidarité avec les Américains. Nous ne devions faire qu’une bouchée des talibans. Cela fait 10 ans que nous y sommes, soit autant que les Russes! Et nous n’avons pas beaucoup de certitudes – c’est le moins que l’on puisse dire – sur l’état de stabilité dans lequel nous laissons le pays au moment de partir parce que nous n’avons aucune idée des formes de contestations que cela suscite.

Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, Nicolas Sarkozy a multiplié les engagements alors que le Livre blanc préconisait d’être plus sélectif.  Vous pensez qu’il faut revoir radicalement la politique d’intervention extérieure de la France, qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions politiques ?

Depuis des dizaines d’années, la France est engagée militairement dans des crises où son statut international n’est en rien menacé ! Le Tchad, Djibouti, la Côte d’ivoire, la Centrafrique c’est une mobilisation permanente. Avec 20 ans de recul, nous nous rendons compte combien c’était futile. La réflexion stratégique qui consiste à penser que la disposition d’une armée pour résoudre des crises comme celles-là n’a pas vraiment été convaincante. Mais derrière, il y a tout un appareil administratif, qui  explique que nous ne sommes pas à bout de souffle et des politiques qui vivent dans l’illusion d’une France puissance militaire d’envergure internationale, qui s’interdisent tout débat sur le rôle de la France dans le monde.

Si demain un Rafale est abattu en Libye, la question se posera : cela valait-il la peine de risquer la vie d’un pilote en Libye alors qu’aucun pays arabe ne s’y est engagé – à part les qataries et les Emirats Arabes Unis ?

Pendant ce temps-là les Saoudiens  envoient des troupes contre les Bahreïnis parce qu’ils ne supportent pas que les chiites se révoltent contre les sunnites. En Syrie, la répression continue pendant les travaux. Et la ligue arabe ne dit rien. C’est le monde à l’envers. Il est assez truculent d’entendre la Ligue arabe, qui est composée à moitié de monarques, à moitié de dictateurs –pour la plupart pro occidentaux- venir nous expliquer qu’il ne faut pas tuer des civils. Pourquoi la France se sent-elle concernée par ce conflit alors que la Ligue arabe est incapable de faire le moindre geste. Pour moi, c’est une des questions clés de ce conflit : que fait la Ligue arabe ?

Avec toutes ces opérations, l’armée est-elle en surchauffe ?

Le fait d’être sollicité perpétuellement par des politiques qui envoient des militaires partout a évidemment des conséquences. Ces interventions émargent sur les budgets d’équipements, ce qui retarde tous les programmes d’équipements. Il faut organiser des rotations, « civilianiser » beaucoup de fonctions occupées par des militaires, les formations sont retardées, le renouvellement des matériels ne se fait pas, la maintenance n’est pas assurée ou retardée. En cas de besoin, il serait encore possible d’envoyer des hommes au sol en Libye, si le mandat de l’ONU le permettait, ce qui n’est pas le cas.

Mais pour continuer à mener un tel rythme, il faudrait repenser toute l’organisation du Ministère qui est un peu à bout de souffle. Il s’agit moins d’un problème de surchauffe au moment où nous intervenons que de la capacité à préparer le coup d’après. Nous n’avons plus les moyens d’une politique de cette nature. Quand nous sommes partis en Afghanistan, en 2002, je me souviens d’un militaire français qui me disait « j’espère que nous ne serons pas sollicités parce que nos Véhicules Avant Blindés ne peuvent pas résister à un RPG 7 (NDLR : lance-roquettes de conception soviétique) ». C’était une question de vie ou de mort pour ses hommes. La décision politique ne tenait absolument pas compte de ce genre de choses.

Un débat critique sur le thème des interventions extérieures françaises n’a jamais eu lieu en France?

Il n’y a pas de débat. Nous faisons comme s’il était évident qu’il était de notre responsabilité d’aller sauver des gens.

Cette crise est complètement caricaturale dans son déroulement. Nous votons une résolution humanitaire avant d’essayer d’inventer toutes les solutions possibles pour la contourner : parachutage d’armes, envoi d’hélicoptères. Nous sommes bloqués par notre propre prétention, sans jamais se demander pourquoi nous faisons ça sinon l’émoi médiatique suscité par les massacres de Kadhafi.

Au moment du vote sur la prolongation de l’intervention en Libye, dans une tribune au Monde, Louis Gautier, ancien conseiller de Lionel Jospin en matière de défense, appelait les socialistes à la prudence pour ne pas tomber dans ce qui pourrait se révéler un traquenard pour la représentation nationale ?

Effectivement, Louis Gautier appelle les socialistes à ne pas signer un blanc seing. Il appelle l’opposition socialiste à un peu plus de prudence. Mais, il ne demande finalement que des précisions sur le calendrier de l’engagement français. Au pouvoir, le PS aurait eu la même démarche que l’UMP. Je ne vois pas au PS de réflexion stratégique alternative sur la question de l’engagement français.

Dans une interview au Journal Du Dimanche, le Général Vincent Desportes explique que les guerres sont de plus en plus déclenchées sans analyse stratégique préalable et qu’elles échappent presque toujours à ceux qui les ont décidées ?

L’appréciation politique de la décision qui doit se prendre au moment où se perpétue un massacre est quelque chose de très compliqué.

Mais il y a un consensus sur le fait qu’il y a des bonnes crises et des mauvaises crises. La Libye, c’était le bon ennemi, parfait pour faire un coup médiatique et militaire. Mais quand nous regardons de plus près  la composition du CNT, les difficultés à appréhender l’aspect tribal de la société libyenne, nous ne sommes pas du tout sûrs que le CNT représente une opposition politique crédible et encore moins une alternative démocratique. Il faut quand même se rappeler qu’il est composé d’anciens ministres de Kadhafi, notamment l’ancien ministre de la justice qui avait fait condamner les infirmières bulgares et le Ministre de l’intérieur qui les a fait torturer. Et nous y allons, parce que BHL, « l’allié médiatique », a appelé Sarkozy pour l’assurer que les insurgés étaient prêts au combat que c’était la crise sur laquelle on ne pouvait pas ne pas réagir.

Je préfère en rire parce qu’il n’y a pas si longtemps Kadhafi, c’était le type qui nous faisait  le coup de la tente à Paris et devait nous acheter des Rafale –heureusement que nous ne lui avons rien vendu, au passage. Les historiens feront leur travail là-dessus, mais le sentiment qui domine, c’est que c’était un coup de cœur des Français et des Anglais qui trouvaient là un bon moyen de régler son compte à Kadhafi qui nous avait suffisamment ridiculisés.

Partagez-vous son pessimisme quand il estime que la stratégie d’attente de Kadhafi pourrait être payante ?

Personnellement, je pense qu’il a raison de dire que les politiques et l’Etat major font des erreurs en Libye. De là à affirmer que c’est Kadhafi qui a la main, cela me semble exagéré. Le Général Desportes est un des rares militaires qui se donnent la peine de réfléchir sur l’évolution des conflits tout en ayant une expérience opérationnelle. Et quand il a émis quelques réserves sur l’opération en Afghanistan, on l’a convoqué pour l’engueuler. Il y a quand même quelque chose qui ne va pas dans le système.

Dire pour autant que l’opération en Libye est un échec militaire me semble prématuré. Sur quatre mois, les opérations ont été assez peu nombreuses : 5000 sorties aériennes pour la Libye qui est trois fois grande que la France contre 50.000 pour le Kosovo qui fait la taille de deux départements français. La situation a quand même évolué depuis le début. Il y a trois fronts ouverts contre Kadhafi : la tripolitaine, la Cyrénaïque et un troisième, dans le Djebel Nefoussa, plus au Sud où des tribus se sont rebellés contre Kadhafi. Mais c’est une guerre tribale,  le souci des chefs tribaux sera toujours de protéger leur tribu et pas l’intérêt de la nation. Ils peuvent très bien se ranger derrière Kadhafi s’ils pensent qu’il reprend la main ou le lâcher  quand il perdra trop de terrain. Un chef de guerre afghan disait « on ne peut pas acheter un chef de tribu, mais on peut le louer », c’est la logique de la guerre tribale. L’allié d’un jour peut devenir l’adversaire du lendemain. Avec toutes les incertitudes que cela engendre.

Aujourd’hui, une issue politique vous paraît inéluctable ?

Je crois. On ne sait pas quel est le point de rupture du système Kadhafi. Le fait qu’il appelle les Africains pour ses milices est significatif. Il n’est pas sûr que ses soutiens se battront jusqu’au bout. Il n’a pas de relations solides sinon celles basées sur l’argent mais comme il est privé de ses concessions pétrolières, il puise dans ses réserves. L’issue politique dépendra du fait que ses alliés se retourneront contre lui parce qu’il ne pourra plus les payer. Mais ce qui risque de se passer après peut être beaucoup plus compliqué à gérer.

Dans quelle mesure ?

Il faudra installer une nouvelle constitution. Nous avons vu le succès de ces démarches dans des sociétés tribales comme en Afghanistan et en Irak. Ce sont des pays où il n’y a pas de sentiment national. Ils ne négocieront pas sur le thème : « la Libye doit redevenir une puissance régionale ». C’était le rêve de Kadhafi. Les chefs tribaux auront bien plus en tête la distribution des ressources, le pouvoir des tribus etc.. Il n’y a pas de front uni contre Kadhafi et on peut même penser qu’il y aura beaucoup plus de difficultés à gérer après le départ de Kadhafi. Il tenait le pétrole, donc il distribuait la manne. Dès que les tribus ne reçoivent plus leurs subsides habituels, elles changent d’alliances.

Malgré tous ses défauts, Kadhafi assurait une certaine sécurité. Les Libyens étaient des sujets. En démocratie, ils deviennent des citoyens et ils ont des droits. Notamment le droit de décréter pour des raisons X ou Y que leur tribu est supérieure à une autre. De fait, le risque de guerre civile est important. C’est ce qu’il se passe en Afghanistan. Stabiliser la Libye sera une opération d’une autre ampleur que l’intervention elle-même compte tenu des stocks d’armes qui circuleront.

Propos recueillis par Régis Soubrouillard Mariane 2

*La fabrication de l’ennemi ou comment tuer en ayant sa conscience pour soi. Pierre Conesa.  A paraître en septembre aux éditions Robert Laffont.

Voir aussi : Rubrique Méditerranée, rubrique Lybie, intensification des frappes signe de faiblesse politique, rubrique Afghanistan, rubrique Côte d’Ivoire, On Line, http://www.inversalis-productions.eu/blog/2011/04/libye-un-conseil-de-transition-neoliberal/,