Ouattara et Soro, un drôle de duo à la tête de la Côte d’Ivoire

Le président ivoirien Alassane Ouattara ne peut plus se passer de son Premier ministre Guillaume Soro. Au point de susciter cette interrogation récurrente parmi les observateurs de la Côte d’Ivoire à la veille des législatives de dimanche, les premières depuis la chute de Laurent Gbagbo: qui est l’homme fort du pays? Alassane Ouattara, élu au suffrage universel il y a un an et adoubé par l’ensemble de la communauté internationale? Ou Guillaume Soro, l’ancien chef de file des rebelles qui ont mis en coupe réglée la moitié nord du pays depuis près de dix ans?

Lors du voyage de Claude Guéant à Abidjan, en octobre dernier, le chef de l’Etat ivoirien lui a confié qu’il reconduirait son Premier ministre après le scrutin. A 39 ans, Guillaume Soro pourra se prévaloir, pour la première fois, de l’onction des urnes: il est sûr d’être élu haut la main député à Ferkessédougou, dans le nord du pays, sous les couleurs du parti présidentiel, le RDR (Rassemblement des républicains).

En vertu d’un pacte avec son allié, Alassane Ouattara aurait pourtant dû nommer un chef de gouvernement issu des rangs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) après la présidentielle d’il y a un an. Mais depuis, l’application de cet accord est sans cesse repoussé.

C’est un drôle de duo, aux profils très tranchés, qui préside aux destinées de l’ancienne colonie française. Agé de 68 ans, Alassane Ouattara est un homme aux manières policées, qui a fait la majeure partie de sa carrière au sein des institutions internationales. Guillaume Soro, qui a l’âge d’être son fils, a dirigé un bouillant syndicat étudiant (la Fesci), avant d’être bombardé chef politique de la rébellion en septembre 2002, après l’échec de la tentative de coup d’Etat contre Laurent Gbagbo. En mars 2007, à la suite d’un accord de réconciliation entre les deux camps ennemis signé à Ouagadougou (Burkina Faso), Soro devenait le Premier ministre de l’ex-Président, avant de rallier le panache d’Alassane Ouattara au lendemain du second tour de la présidentielle de 2010. Mais certains observateurs en sont convaincus: si Gbagbo avait gagné, Soro serait resté à ses côtés…

En refusant de reconnaître sa défaite, Gbagbo a de fait rendu un fier service à Guillaume Soro. Alassane Ouattara a dû faire appel à l’impétrant et à ses hommes pour faire respecter le verdict des urnes. Même installé dans le fauteuil présidentiel, le nouveau président ivoirien a besoin de son Premier ministre pour contrôler ses soudards et rétablir la sécurité dans le pays. Le jeune chef du gouvernement sait se faire désirer. «Il fait traîner les choses», confie un expert.

Ce temps-là, Soro le met à profit pour consolider son pouvoir. D’après des sources fiables, il est en train de constituer une garde prétorienne placée sous son autorité directe, et a nommé plusieurs de ses fidèles à des postes stratégiques au sein de la nouvelle armée «dégbagboïsée». Parmi eux, un quarteron de ces «commandants de zone» (comzones), qui se sont considérablement enrichis durant le conflit et qui sont, pour certains, soupçonnés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’Humanité.

Alors que Laurent Gbagbo vient d’être remis à la Cour pénale internationale (CPI), Guillaume Soro pourrait-il lui-même être inquiété par la justice internationale? C’est lui qui, durant la crise post-électorale, a organisé l’offensive victorieuse, grâce à l’aide décisive de l’armée française, contre Laurent Gbagbo.

Lors d’un déplacement à Abidjan, à la mi-octobre, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Louis Ocampo Moreno, lui aurait déclaré: «Prouvez-moi que vous êtes innocent.» Réponse de Soro: «Je vous le prouverai.» «Le procureur veut qu’il lâche certains de ses lieutenants qui sont responsables d’atrocités», décrypte un bon connaisseur du dossier.

«Soro est plutôt serein, il ne se sent pas menacé», assure l’un de ses proches. Peut-être parce qu’il se sait protégé par l’un des hommes les plus puissants de la région: le président du Burkina Faso voisin, Blaise Compaoré. «C’est Blaise qui a convaincu son homologue ivoirien de garder Soro à la primature», confie un expert. Avec quels arguments? «La situation du pays reste très fragile, souligne un observateur étranger résidant en Côte d’Ivoire. Si l’ordre a été rétabli à Abidjan, les ex-rebelles continuent de rançonner les voyageurs et les transporteurs à l’intérieur du pays. Soro reste indispensable.»

Le président ivoirien répète à l’envi que tous les responsables de crimes de guerre devront rendre des comptes. Mais,dans les faits, ces déclarations demeurent incantatoires. Vulnérable, le chef de l’Etat ivoirien prend ses précautions, y compris jusqu’à Abidjan.

D’après des sources bien informées, des instructeurs français ont assuré le formation de la garde rapprochée d’Alassane Ouattara. Et au sein de son cabinet restreint, un général français le conseille pour les affaires militaires. «Ouattara préfère avoir Soro au gouvernement plutôt qu’à l’extérieur», résume une bonne source. Après les législatives, la partie de poker menteur reprendra de plus belle entre les deux hommes.

 

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Les Ivoiriens au bord du gouffre

exode-cote-divoire

Alors que la diplomatie africaine s’implique pour une solution modérée entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, les opérations des deux camps menacent d’embraser le pays.

Depuis le début de la crise post-électorale – et même sans doute avant les élections ! -, la victoire de Ouattara ne fait aucun doute à Paris et Washington. Les déclarations sentencieuses de Sarkozy ont déjà trois mois : «  aucune contestation n’est possible [Gabgbo] doit maintenant laisser le pouvoir au président élu  ». Malgré les contestations bien réelles, la CEDEAO a pris les devants. Réunis au Mali, les chefs d’état-major ouest-africains ont évoqué un renversement militaire de Gbagbo pour installer Ouattara. Mettant leurs commanditaires au pied du mur, le ministre des affaires étrangères nigérian a demandé, avant toute intervention, une résolution de l’ONU. Le volontarisme nigérian est tempéré par des violences internes sporadiques et une élection présidentielle au mois d’avril. Préférant se couvrir elle-même par une résolution de l’Union Africaine, l’ONU s’est contentée de voter un renforcement « urgent » de son dispositif en Côte d’Ivoire [1]. De son côté, l’Union Africaine a repoussé la solution militaire et envoyé cinq chefs d’États négocier une sortie de crise. Vues les données du problème ivoirien, la composition de ce panel est – partiellement – affligeante. Trois de ses membres sont des militaires du pré carré françafricain, arrivés au pouvoir par un coup d’État : Blaise Compaoré (Burkina Faso, 1987), Idriss Deby (Tchad, 1990) et Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie, 2008). Les deux autres sont arrivés au pouvoir par les urnes : Jacob Zuma (Afrique du Sud, 2009) et Jakaya Kikwete (Tanzanie, 2005).

Fermeté sud-africaine

Le 17 février, la ministre des Affaires Etrangères sud-africaine s’est démarquée de la position pro-Ouattara que l’UA avait prise en décembre. Parlant d’élections « peu concluantes  », « imparfaites », elle a expliqué en détail comment l’Union Africaine pourrait revenir sur sa position initiale. Interrogée sur d’éventuels pourparlers au sujet de la crise ivoirienne pendant la visite de Zuma à Paris les 2 et 3 mars, elle a insisté sur le fait que «  la solution doit principalement venir des chefs d’États africains eux-mêmes.  » Cette fermeté est d’autant plus palpable que depuis début janvier, un bâtiment militaire sud-africain se trouve au large des côtes ivoiriennes.
chahuté, Ouattara bousculé

Le panel africain s’est finalement rendu le 21 février à Abidjan. Mais sans Compaoré. Le président burkinabé est accusé depuis longtemps d’être un soutien essentiel de la rébellion ivoirienne. Celle qui tenta de renverser Gbagbo en 2002 et se trouve aujourd’hui aux côtés de Ouattara. Il a donc préféré éviter l’accueil mouvementé que les « jeunes patriotes » lui préparaient. Il faut dire que malgré sa toute fraîche – et peu crédible – réélection, les manifestations de jeunes au Burkina Faso pourraient prendre de l’ampleur. La rencontre du 22 entre le panel et Ouattara fut tendue – Zuma ne se privant pas de couper la parole à Ouattara devant la presse. Le ministre délégué aux Affaires Etrangères d’Afrique du Sud, Ebrahim Ismail Ebrahim aurait confié à l’AFP les propositions du panel : un partage du pouvoir ou une nouvelle élection présidentielle. La médiation devrait reprendre le 4 mars, à l’issue de la visite de Zuma à Paris. Mais depuis ce 22 février, les évènements sur le terrain semblent se précipiter.

« La guerre a recommencé en Côte d’Ivoire, même si personne n’ose encore le dire clairement »

Ces propos alarmant du journaliste Théophile Kouamouo montrent combien il est difficile de croire aux chances de la négociation. Fort de ses soutiens chaque camp reste inflexible. Du côté de Gbagbo, les forces de sécurité, les jeunes patriotes et ses alliés sud-africains et angolais. Du côté Ouattara, les rebelles, ses alliés des forces « impartiales  », l’ONU, la France et les États-Unis. Au milieu, les Ivoiriens pris en étau, victimes d’enjeux politiques et stratégiques… Dans le centre ouest, après des incidents intercommunautaires meurtriers en janvier (une quarantaine de morts selon Amnesty International), il y a eu d’importants déplacements de population. Le long de la frontière libérienne, les rebelles, qui contrôlent la moitié nord du pays, ont progressé vers le sud. Une frontière franchie par 45 000 Ivoiriens depuis trois mois, selon le HCR. À Abidjan, les forces de sécurité (FDS) pro-Gbagbo terrorisent certains quartiers et mènent des opérations contre le «  commando invisible [2] ». Ce dernier, fortement équipé, opère depuis le quartier d’Abobo – majoritairement pro-Ouattara -, où il a occasionné depuis mi-janvier d’importantes pertes dans les rangs des FDS. Fuyant les combats, des milliers d’habitants ont quitté Abobo. Les jeunes patriotes se mobilisent maintenant contre l’ONUCI. Ban Ki-Moon a dénoncé, le 28 février, une violation de l’embargo mis en place en 2004 : trois hélicoptères d’attaque biélorusses auraient été livrés à Gbagbo, à Yamoussoukro. Avant de se rétracter quelques heures plus tard ! Le comité des sanctions de l’ONU qui s’occupe de la Côte d’Ivoire va-t-il être réactivé ? Il s’est endormi l’automne dernier sur le dernier rapport du groupe d’experts ad hoc (Billets d’Afrique n°198).

Les coups de pouce de Paris

En attendant une intervention plus musclée, Paris a répondu à l’appel de Ouattara pour des sanctions économiques contre le régime de Gbagbo. En moins de deux mois, quatre trains de sanctions ont été adoptés par l’UE. Outre les 91 personnalités visées, les bateaux européens ont interdiction de se rendre dans les ports ivoiriens, avec des conséquences sur les exportations de cacao mais aussi sur les importations médicales et alimentaires. Les filiales ivoiriennes des banques occidentales, au premier rang desquelles, la BNP-Paribas et la Société Générale ont fermé, paralysant un peu plus l’économie ivoirienne.

Survie

[1] Deux mois après, aucun signe de ce renforcement.

[2] Une rumeur attribue la direction de ce commando à Ibrahim Coulibaly (IB), condamné par contumace à Paris en 2008.

Voir aussi : Rubrique Côte d’Ivoire, rubrique Afrique, La Françafrique se porte bien, On line Survie,

Laurent Gbagbo doit admettre sa défaite

laurent Gbagbo

Il arrive que des élections prennent une importance toute particulière dans l’histoire d’un pays. En Côte d’Ivoire, l’élection présidentielle dont le second tour a eu lieu dimanche 28 novembre en fait partie. Depuis plus de dix ans, le pays est enfermé dans une longue crise. La Côte d’Ivoire a vécu successivement un coup d’Etat, une rébellion, la partition de son territoire national et un climat de grande animosité politique. Pour rompre avec ce cycle mortifère et destructeur, les Ivoiriens ont voté en masse (plus de 80 % de participation) et attendu avec la même ferveur teintée d’inquiétude le résultat de ce scrutin. Vendredi, le pays s’est subitement retrouvé avec, en apparence, deux présidents. L’un, Alassane Ouattara, candidat de l’opposition, a vu sa large victoire annoncée par la Commission électorale indépendante (CEI). Ses 54 % des voix ont été « certifiés » par les Nations unies selon la procédure exceptionnellement mise en place pour ce scrutin particulier. Il a aussitôt été félicité par plusieurs dirigeants internationaux, dont les présidents américain, Barack Obama, et français, Nicolas Sarkozy.

L’autre, Laurent Gbagbo, le président sortant, a été déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel. Cet organisme, qui lui est totalement acquis, affirme avoir examiné, en l’espace de quelques heures, quelque 22 000 procès verbaux émanant des bureaux de vote pour justifier l’annulation des résultats dans neuf départements du pays. Ces annulations permettent d’inverser les chiffres du scrutin. Laurent Gbagbo a été félicité par la Guinée. Cette situation est dangereuse. En 2002, une guerre civile a éclaté en Côte d’Ivoire en raison, déjà, de fortes tensions politiques. A l’époque, l’armée s’était scindée, mais aucun des deux camps ne disposait de forces importantes. Aujourd’hui, les ex-rebelles, qui n’ont pas été désarmés au cours du processus de paix qui a rendu l’élection possible, se trouvent à Abidjan, où les forces loyalistes disposent de matériel et d’hommes. Des miliciens venus de l’ouest pourraient aussi être utilisés si les violences éclatent.

Un homme, à présent, porte la responsabilité du sort de la Côte d’Ivoire : le président sortant, Laurent Gbagbo. Il peut continuer de refuser le verdict des urnes, s’enfermer dans une situation de rupture avec la communauté internationale, mais cela ne pourra pas se passer sans violences. Il peut aussi permettre à un pays divisé de bénéficier de l’effet apaisant d’une élection exemplaire, admettre sa défaite et quitter le pouvoir la tête haute. La période où les coups de force électoraux s’opéraient dans l’indifférence générale est révolue. L’Afrique est en voie d’intégration accélérée dans les échanges de la planète. Cela crée des responsabilités nouvelles.L’histoire, si chère au président Gbagbo, oubliera rapidement les arguties juridiques en cours à Abidjan pour tenter de justifier son hold-up électoral. Elle n’oubliera pas, en revanche, celui qui ferait plonger la Côte d’Ivoire dans le chaos.

Le Monde (éditorial)

Côte d’Ivoire : le président Gbagbo suspend le processus électoral

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Le président ivoirien Laurent Gbagbo Photo Issouf Sanogo

Les incertitudes qui planaient sur l’organisation de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, au mois de mars, viennent d’être levées d’une façon spectaculaire par le président Laurent Gbagbo. En annonçant, vendredi 12 février, la dissolution du gouvernement ainsi que celle de la commission électorale indépendante (CEI), le chef de l’Etat renvoie en effet le scrutin, sans cesse reporté depuis 2005, à une date indéterminée et risque de plonger le pays dans une nouvelle crise.Officiellement, M. Gbagbo a pris cette décision « afin de lever toute hypothèque sur le processus de paix et permettre à la Côte d’Ivoire d’aller en toute confiance à des élections propres », a-t-il annoncé dans une allocution télévisée. Il a demandé à Guillaume Soro, premier ministre sortant, de former lundi une nouvelle équipe. Un dirigeant du parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI), nous a précisé que M. Soro « a accepté de constituer un nouveau gouvernement dont seront exclus les ministres des deux principaux partis d’opposition ». Il s’agit du Rassemblement des républicains (RDR), d’Alassane Dramane Ouattara (68 ans), et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), dirigé par Aimé Henri Konan Bédié (76 ans).

Guillaume Soro (38 ans), l’ancien chef de la rébellion des Forces nouvelles qui tenta de chasser Laurent Gbagbo (65 ans) du pouvoir par la force en 2002, dirigeait, jusqu’à vendredi, un gouvernement « d’union nationale » (pro-Gbagbo, ex-rébellion, opposition) en vertu de l’accord politique d’Ouagadougou en 2007. Depuis, les deux anciens adversaires semblent partager le même objectif : retarder les élections. Le chef de l’Etat, élu en 2000 pour un mandat qui n’aurait dû durer que cinq ans, s’accroche à un pouvoir que les urnes pourraient lui contester. Quant au premier ministre, le temps gagné lui permet d’épaissir sa stature politique en comptant sur l’épuisement de la vieille garde des partis historiques.

Enième report

On pressentait ce énième report du scrutin présidentiel depuis le début de l’année. Une polémique avait alors éclaté avec les accusations de « fraudes » lancées par le camp présidentiel contre le chef de la commission électorale, Robert Meugré Mambé, membre de l’opposition. Il était soupçonné d’avoir voulu inclure illégalement quelque 430 000 électeurs supposés proches de l’opposition sur les listes électorales. Ce dont il s’est toujours défendu. Le processus électoral, l’un des plus chers au monde, financé par la communauté internationale, s’était alors grippé. Quelle sera la réaction d’une opposition qui, depuis des années, demande vainement l’organisation d’élections libres et transparentes ? Osera-t-elle lancer ses militants dans les rues ? Chacun a encore en mémoire les manifestations de 2004, noyées dans le sang par les forces de l’ordre et les milices du pouvoir.

Christophe Châtelot (Le Monde)
Voir aussi : Rubrique France diplomatie L’élection doit absolument avoir lieu, Rubrique Afrique Un rapport sur les   manifestations de 2004,  Rencontre L’Afrique doit prospérer Rubrique Affaires, La Françafrique se porte bien, Simone Gbagbo entendue par les juges,