Débat. Réseau en scène et la Région co-organisent la réunion IETM à Montpellier, rencontre internationale du spectacle vivant.
Treize ans après la dernière réunion du réseau IETM (réseau international pour les arts du spectacle contemporains) en France, 600 acteurs internationaux du spectacle vivant en Europe se retrouvent aujourd’hui à Montpellier pour trois jours. Un moment d’échange entre les acteurs culturels du spectacle vivant (artistes, lieux de diffusion, chargés de production et de politique culturelle, festivals…) où les pratiques et perspectives artistiques européennes seront passées au crible.
La création du réseau de l’IETM remonte à 1981 lors du rassemblement de professionnels des arts du spectacle au Festival de Polverigi en Italie. En 1989, l’IETM devient l’Informal European Theatre Meeting, une organisation internationale sans but lucratif de droit belge. Après avoir intégré les pays d’Europe de l’Est, l’IETM s’est élargi au-delà des frontières européennes : « Ces rencontres sont principalement européennes mais l’IETM travaille dans un contexte qui s’est largement mondialisé. Le réseau compte des membres issus des pays méditerranéens. L’IETM s’engage aussi à bâtir des ponts entre ses membres européens et les continents asiatique et américain, détaille Yvan Godard, le directeur adjoint de Réseau en scène.
Le réseau, qui entend faire entendre sa voix à une Union européenne encore peu ouverte au domaine culturel, est soutenu financièrement par la Commission européenne. L’idée est de promouvoir des moyens innovants pour que les organisations qui créent ou commissionnent des productions d’arts du spectacle contemporains se rencontrent et développent des connaissances mutuelles ainsi qu’une confiance nécessaire à la production de jeunes artistes. Cette action est validée par le nouveau budget culturel européen pour 2014-2020 dans le cadre du programme ciblé Europe créative.
Se connaître et inventer
« Les rencontres de l’IETM n’ont pas pour objet de signer des contrats. On ne vient pas pour faire du business, ni pour produire de la pensée unique mais pour réfléchir et créer de nouveaux modèles, indique Yvan Godard. L’occasion est propice pour trouver des partenaires ou coordonner des politiques culturelles à travers la mise en place de projets associant des artistes et des structures de différents pays. »
Si dans ce grand bain international l’exception culturelle française a bien voix au chapitre pour faire face au rouleau compresseur de l’industrie culturelle, elle ne doit pas pour autant déboucher sur une attitude figée des acteurs français, explique en substance Yvan Godard : « un des enjeux centraux des rencontres est de comprendre des modes de fonctionnement différents, de sortir de sa vision monolitique pour travailler ensemble.»
Un certain nombre de propositions sont faites aux membres de l’IETM pour découvrir Montpellier et le territoire régional. Ils pourront aussi assister à une vingtaine de spectacles en partenariat avec le festival Hybride, la Panacée, le CCN, le CDN, la Chapelle… Le thème choisi, « Trans », abordera la question très actuelle des nationalismes à quelques semaines des élections européennes.
Le 3ème édition du Printemps de Vauvert est dédiée à Nelson Mandela. Photo dr
Société. Troisième Printemps de l’éducation contre les discriminations et le racisme à Vauvert et dans la petite Camargue .
En décembre 2013 Gilbert Collard le député FN de la 2 ème circonscription du Gard assiste aux obsèques du général Aussaresses propriétaire à Vauvert et chef du sinistre escadron de la mort en Algérie. Une vieille connaissance, puisque l’avocat l’avait défendu en 2004 quand Aussaresses fut condamné pour apologie de la torture. A son enterrement, Collard rend hommage à son camarade : « Il a accepté de faire le sale boulot et c’est beaucoup plus honorable que de se défausser, je trouve ça courageux… » André Génot initiateur du Printemps de l’éducation contre les discriminations et le racisme à Vauvert lui répond en lui rappelant qu’il y eu en Algérie des hommes courageux qui se sont opposés à la torture sous toutes les formes parce qu’ils aimaient leur pays.
Trois mois plus tard, au lendemain du second tour des élections municipales le même Génot débute la présentation du 3ème Printemps en ces termes : « Nous constatons ce beau temps qui règne sur Vauvert. Le ciel s’était assombri et nous craignions qu’un vent de tempête ne s’abatte sur les associations réunies ici aujourd’hui. Le ciel s’est dégagé mais il reste beaucoup de travail à faire.» Jean Denat (DVG) venait de perforer, avec 41,48% des voix, la lourde chape qui embrume les esprits en empêchant le candidat Meizonnet (35,35%) d’afficher Vauvert au tableau de chasse frontiste.
A quelques battements d’ailes Eddy Valladier (UMP-UDI) devenait le nouveau maire de Saint-Gilles en barrant le passage à Gilbert Collard à 194 voix près. Dans le Gard, seule Baucaire est entrée dans l’ère grise avec l’élection du frontiste Julien Sanchez. Comme le dit André Génot : « Le combat n’est pas terminé, loin s’en faut.»
Pour le collectif d’association du 3ème Printemps de l’éducation contre le racisme et les discriminations, ce combat n’est pas politicien. C’est un projet citoyen qui se reconnaît dans la pensée du journaliste ex-rédac’chef du Monde, Claude Julien : « En tout premier lieu, il nous appartient de provoquer la réflexion, de stimuler l’esprit critique, d’inspirer des attitudes d’ouverture qui permettent d’aller à la rencontre de l’autre. ». Un projet qui tente de se mettre en œuvre à l’échelle de la petite Camargue, un territoire où les paradoxes soufflent parfois comme le mistral.
Interactions territoriale
Pour cette troisième édition qui se poursuit jusqu’au dernier week-end d’avril, le festival étend sa programmation aux communes voisines d’Aimargues, St-Laurent, et Lunel, et bénéficie d’une partie de la dotation parlementaire du député Christophe Cavard. L’ Education nationale, l’Académie et le Conseil général du Gard sont partie prenante, ainsi que plusieurs communes, ce qui permet au Printemps de l’éducation de faire vivre les valeurs de l’éducation populaire, en déclinant son offre pédagogique des écoles communales à l’université nîmoise.
L’année dernière, le préfet s’était déplacé pour apporter le soutien de l’État. « Les rencontres mobilisent un réseau associatif représentatif, certains services de l’État entérinent notre vision en s’impliquant dans une démarche qui vise à favoriser le dialogue, explique Eric Krzywda le directeur de l’Espace social vauverdois, mais on ne parvient pas à toucher tout le monde.» La ségrégation s’ancre dans les dialectiques de l’intérieur et de l’extérieur, celle du privé et du public, du pur et de l’impur, de l’intégration et de l’exclusion.
Sur un territoire historiquement ouvert, disposant d’une culture forte, comme la petite Camargue, la crise et le manque de réflexion en terme d’aménagement du territoire ont laissé s’opérer une division sociale qui impacte le champ des valeurs traditionnelles en éloignant et en isolant les populations. Des modèles simplistes se sont imposés, des lignes de démarcations érigées.
La lutte menée par le Printemps de Vauvert contre le racisme qui peut aussi s’exprimer entre voisins de même appartenance culturelle, passe par l’éducation. « En sensibilisant la jeunesse nous concernons leur parents », indique Eric Krzywda. Il passera également par les livres avec l’implication résolue de la librairie Vauverroise La fontaine aux livres et l’association 1Différences qui reconduisent le festival du livre contre les discriminations.
Jean-Marie Dinh Renseignements www.fives.asso.fr
Dans le contexte La Marseillaise partenaire de toutes les cultures
Vu de loin, la petite Camargue peut être perçue comme un point noir. Une terre de liberté passée dans le camp réactionnaire. La fédération d’acteurs que nous avons rencontrée autour du 3ème Printemps de l’éducation contre les discriminations et le racisme nuance ce regard. Issus du milieu associatif, de services publics ou du secteur privé, tous défendent l’ouverture d’esprit et la diversité. Tous se sont engagés, et agissent concrètement dans leur discipline, autrement dit combattent en s’appuyant sur l’évolution des esprits et des représentations que développe l’éducation. Nous avions largement relayé l’an passé le festival in/différences initié par les éditions au Diable Vauvert et la librairie La fontaine. Nous l’accompagnons cette année en tant que partenaire média. Il est temps que la presse prenne sa part pour sortir de la névrose nationale et donner du sens… Qu’elle contribue à sortir d’un temps aveugle qui éblouit. Le thème de cette année : Révolution sexuelle !
Ayerdhal. L’auteur de Rainbow Warriors invité du festival à Vauvert
La SF, puissant outil pédagogique
Ayerdhal est né à Lyon dans le quartier de la Croix-Rousse. Il commence par écrire de la science-fiction (SF) avant de se lancer dans le thriller. Auteur d’une vingtaine de romans, il a entre autres obtenu deux grands prix de l’Imaginaire, deux prix Ozone, et le prix Cyrano pour l’ensemble de son œuvre. Ayerdhal considère la science-fiction comme un puissant outil pédagogique, un véhicule idéologique non négligeable et la plus riche expression de l’imagination créatrice…
Il sera à Vauvert pour en débattre les 11 et 12 avril prochains. Si vous n’êtes pas déjà fans, on vous conseille Rainbow warriors (éditions Au diable Vauvert, 2013). Un thriller dédié à celles et ceux qui, sous prétexte de leurs préférences sexuelles ou de leur genre, sont privés du droit premier de la déclaration des droits de l’homme.
Rainbow warriors a tout d’un bon livre de guerre, avec l’originalité et l’humour en plus. Un général à la retraite se voit proposer de diriger une armée privée pour intervenir militairement, dans un pays d’Afrique, le Mambési. La mission non officielle consiste à renverser la dictature en place, pour y instaurer la démocratie.
L’armée privée qui intervient doit être nombreuse et motivée : cette dictature étant à l’origine d’une des politiques de répression les plus féroces envers les personnes ayant des orientations sexuelles différentes. L’opération Rainbow sera menée par des troupes composées essentiellement de lesbiennes, de gays, de bisexuels et de transgenres regroupées sous l’acronyme LGBT.
Zoom sur les acteurs du festivalMarion Mazauric Fondatrice des éditions du Diable
Pour cette seconde édition, Au diable Vauvert et la librairie La fontaine aux livres organisent, le festival 1Differences du livre pour la fraternité et contre les discriminations. Il s’agit d’apporter par le livre et les rencontres avec des auteurs, des réponses pour comprendre les victimes de discriminations, dans un esprit fraternel de partage, de découverte et d’ouverture à l’autre. Il s’agit aussi de soutenir l’action de la librairie en petite Camargue. Le livre crée du lien social, il favorise l’ouverture à l’autre. Car la diversité est l’essence même du livre, ce dont il se nourrit au quotidien, via tous ses acteurs. Décidé au printemps 2013, ce thème incarné par le mouvement LGBT, a confirmé depuis qu’il était d’une actualité incontournable. Le rapport Teychenné remis en juin 2013 au ministre de l’Éducation nationale a fait apparaître combien est nécessaire, dès l’école et la formation de l’identité sexuelle, un travail de pédagogie et de sensibilisation à l’homophobie et à la lutte contre les discriminations ordinaires liées à l’orientation sexuelle et l’identité des genres.
Jérémy Patinier : Touche-à-tout sans choisir
Jérémy Patinier est un journaliste et éditeur de 30 ans, originaire de Dunkerque mais Lillois d’adoption. Parce qu’il ne voulait pas attendre en vain qu’on s’intéresse à ses poèmes d’ado, il crée un atelier d’écriture en 2004, un festival littéraire sur les sexualités en 2005, puis une compagnie de théâtre contemporain fin 2005. Il rédige et met en scène « Mon corps avec un –e à la fin », écrit, joue et met aussi en scène le two-man-lecture-show-musical « Les Hommes aussi parlent d’amour ». Il en est de même pour « Parano », une pièce-chorale. Journaliste, danseur, auteur et comédien, « ne pas choisir » entre les disciplines, c’est un choix. Jérémy travaille pour un magazine féminin en ligne, et comme correspondant pour Tetu. Il préside la compagnie Des ailes sur un tracteur et crée les éditions du même nom en 2011 pour publier essais, BD, et ouvrages de référence sur les cultures LGBT. Le créneau de Jérémy Patinier : traquer la poésie dans la bêtise et proposer une politique du divertissement. Il participera aux tables rondes et sera l’éditeur invité du stand SOS Homophobie.
Coralie Trinh Thi : Le sexe rebel et assumé
Fille d’un hells angel qu’elle a très peu connu, élevée par sa mère, Coralie Trinh Thi grandit en banlieue parisienne. Elle a des origines vietnamiennes par sa grand-mère maternelle dont elle emprunte le nom de jeune fille. Elle se fait baptiser à l’âge de onze ans. Elle reparle de son rapport à la religion vu par les yeux d’enfant à travers l’héroïne de son premier roman Betty Monde (2002) qui sera suivi de La voie humide en 2007 tous deux publiés au Diable Vauvert. Adolescente, elle fréquente assidûment les soirée gothiques en arborant un style batcave (tendance punk chez les ghotiques). Actrice, elle a tourné sous le nom de Coralie une soixantaine de films pornographiques pour lesquels elle a notamment reçu l’Award de la meilleure actrice française de X, et le prestigieux Hot d’or. Coralie Trinh Thi est co-auteur avec Virginie Despentes du film Baise-moi, censuré en France. À la différence de Virginie Despentes, elle rejette le terme « féministe » et préfère se dire « antisexiste ». Auteur invité du festival, elle participera aux tables rondes.
Stéphanie Nicot Présidente de la fédé LGBT
Licenciée en lettres modernes et en information-communication, Stéphanie Nicot – qui n’aime guère rappeler qu’elle est née en 1952 – a autrefois exercé divers petits métiers (ouvrière intérimaire, fonctionnaire au ministère des Finances, attachée parlementaire) avant d’enseigner les lettres et l’histoire en lycée professionnel puis de se consacrer à la littérature. Spécialiste incontestée des littératures de l’imaginaire, elle participe et anime, quand elle en a le temps, débats, conférences et formations, ce sera le cas à Vauvert. Critique littéraire, essayiste, formatrice, anthologiste, rédactrice en chef de la revue Galaxies de 1996 à 2007, Stéphanie Nicot compte parmi les meilleurs spécialistes des littératures de l’imaginaire. Elle assure depuis sa création, en 2002, à Épinal, la direction artistique du festival Imaginales, grand rendez-vous de tous les amateurs de fantasy. Transgenre, lesbienne, féministe, elle a fait sa transition tardivement, en 1984-1985, et a découvert à cette occasion la violence de la transphobie d’État. Elle vient d’être élue présidente de la fédération LGBT.
Concert : Deborah. Dégoûts, M. Marlène, Manuel
Un concert hot qui décoiffe pour clôturer le festival samedi soir en présence de Déborah Dégoûts, chanteuse de punk rock, une diva post-tout avec des textes qui chantent l’amour, le crime, la folie, la beauté des ports, sur une musique nerveuse et accrocheuse. En attendant la sortie de son premier opus, Déborah se donne sur scène en power trio pour que son public adoré puisse dévisser pendant les concerts. Sous ses airs nonchalants elle aborde des thèmes universels tels que la corruption avec son tube Je couche. Déborah Dégouts, égérie underground parisienne, se décide maintenant à quitter les ordres pour débarquer en Camargue. Dans un autre genre, on pourra voir aussi le groupe Merci Marlène, dont les chansons françaises sont teintées d’humour et de dandysme. Et on ne passe pas sur Manuel, accompagné de Géraldine Masson au piano, qui donne dans un répertoire cabaret expressionniste mêlant farce et mélancolie. Après s’être retourné les méninges, on ne résistera pas à faire bouger les corps. Samedi 12 avril 21h à la Salle Bizet rue Louise Désir à Vauvert.
Les personnages de La Mouette dans leur quête improbable. Photo dr
Théâtre des 13 Vents. Christian Benedetti nous plonge dans l’univers tchekhovien avec La Mouette et Oncle Vania.
Christian Benedetti met en scène La Mouette d’Anton Tchekhov ce soir au Théâtre des Treize Vents et enchaîne à partir de samedi avec Oncle Vania. A propos de La Mouette, on peut penser que Tchekhov règle à travers le personnage de Trigorine quelques comptes avec le théâtre réaliste de son temps. Celui-ci souhaite montrer le réel sans médiation.
Benedetti fait de même. Il cite la sociologue Marie-José Mondzain : « C’est la barbarie qui menace un monde sans spectateur ». La place du spectateur qui fut un enjeu pour l’auteur l’est aussi pour le metteur en scène. « Il y a un combat à mener avec le théâtre et l’acte de création contre ce qui assigne, capture fige…L’institution culturelle, par exemple, définit le rôle de chacun : ceux qui regardent et subissent, devant ceux qui imposent et qui font, dans une nécessaire hiérarchie du sens qui laisse l’expert dominer le jeu des images offertes aux spectateurs silencieux. »
La traduction de Markowicz restitue parfaitement le bouillonnement de l’oeuvre. L’intention de Benedetti, qui a eu Vitez comme professeur, est de « prendre en charge pleinement la nécessité » et « le questionnement » posés par le texte de Tchekhov en l’occurrence l’interrogation face à la mort que le metteur en scène reformule ainsi : « Pourquoi on ne sait pas pourquoi on va mourir ? »
On le ressent sur la scène chaque fois que le récit fait place au silence où lorsqu’un coup de feu retentit près du lac ou dans la campagne que l’on s’imagine sinistrement verte. Le hors scène est exploité de manière judicieuse.
Sans décor, tout est dans le rythme et dans l’engagement total des comédiens. L’ironie qui se dégage s’appuie sur la force et la sincérité de chaque personnage. On rapporte que la troupe qui a joué pour la première fois la pièce en 1896 au Théâtre Alexandra a été déconcertée par les traits parodiques à l’œuvre dans la pièce. Cela semble toujours d’actualité.
Un torse de femme nu en couverture et voilà un livre refusé
Au moins ne reprochera-t-on pas à Amazon de fauter par excès de zèle : c’est une fois de plus Apple qui se fait prendre au jeu de la pudibonderie. La couverture d’un ouvrage a été jugée choquante par le revendeur américain, et voilà que le livre de Bénédicte Martin, publié aux Editions des Equateurs se retrouve interdit de séjour dans la librairie numérique. La couverture présente en effet un buste de femme nue prolongée par une lame de couteau. Tranchant, et d’autant plus que le livre ne doit sortir que le 20 mars : censure par anticipation, sacré cadeau.
L’éditeur a été alerté par son diffuseur numérique, Interforum, du refus d’Apple, strictement motivé par ladite couverture. «Apple ne censure pas le livre en raison de son contenu, par ailleurs un récit littéraire et poétique sur la féminité, mais le censure juste parce qu’il y a une femme aux seins nus sur la couverture. C’est à la fois absurde et grave. Un exemple affligeant des excès de la pudibonderie américaine », enrage Olivier Frebourg, cité par l’AFP.
Et d’ajouter : « Et vous pouvez diffuser les oeuvres les plus hard sur Apple du moment que vous avez une couverture neutre. »
Bien entendu, il refuse catégoriquement de modifier sa couverture, et accuse Apple de jouer « à Big Brother ». Selon lui, la liberté de création, associée à la couverture qu’a réalisée le maquettiste Stéphane Rozencwajg, est menacée par le comportement de la firme. Et d’interpeller dans la foulée pouvoirs publics et instances de l’édition pour qu’elles réagissent. Il demande en effet « à la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, ainsi qu’au Syndicat national de l’édition, et à la Commission européenne de réagir et de prendre position sur cette question fondamentale de la liberté d’expression ».
Il y a à boire et à manger, dans cette affaire. Les histoires de censure chez Apple, il suffit de taper dans une poubelle pour en faire sortir une centaine. Bien entendu, la censure n’est pas acceptable, il ne reste malheureusement qu’à pousser des cris d’orfraie pour se faire entendre. Et faire prendre conscience du problème.
Dans la série des célèbres censure d’Apple, on peut évoquer :
Les hippies dénudés, dont on avait recouvert les parties choquantes d’une pomme d’amour (véridique)
Etc., ad nauseam.
Sauf qu’après tout, travailler avec un revendeur implique d’accepter ses conditions de commercialisation. Et la firme est connue pour être particulièrement frileuse : plutôt que de risquer le procès d’un client mécontent, la société a toujours pris le parti de sanctionner en amont, et tant pis pour la liberté d’expression, de création et le reste. De ce point de vue, strictement juridique, on fait la somme des dépenses liées à une procédure, et on conclut chez Apple qu’il est préférable de censurer. Comportement de bêtise crasse, certes, et qui n’est pas sans conséquence.
S’autocensurer, ou lutter contre un moulin à vents ?
Que la firme censure sur le territoire américain, c’est stupide, mais qu’ils interviennent en France, avec les approches américaines, cela vire à l’absurde. Sauf que c’est ainsi. Vincent Montagne, président du Syndicat des éditeurs nous le signalait, à l’époque de la censure Lucky Luke : «Notre métier, c’est de servir des lecteurs et de provoquer la rencontre avec des auteurs. Par conséquent, le support est toujours second par rapport à la création éditoriale.Pour que cela fonctionne bien, il faut que l’accès à la création éditoriale vers les tablettes ne passe pas par un guichet unique ni un opérateur unique. »
Le problème, donc, c’est que certains opérateurs commencent à anticiper les réactions d’Apple, et à censurer au préalable les éditeurs qu’ils distribuent, voire, pour le créateur, s’autocensurer. Ce fut le cas avec un comics, en avril 2013, où l’on voyait une fellation administrée par un homme. ComiXology, le distributeur de ce titre, avait préféré censurer par avance, plutôt que de soumettre à Apple, et de se faire censurer…
« En tant que partenaire d’Apple, nous avons l’obligation de respecter ses politiques pour les applications et les livres proposés dans les applications. En s’appuyant sur notre compréhension de ces conditions d’utilisations, nous avons considéré que SAGA #12 ne pourrait pas être disponible dans notre application, aussi avons-nous décidé de ne pas la diffuser ce jour », avait clairement expliqué David Steinberg, PDG de comiXology.
Visiblement la lecture de BD sur les écrans d’iPad séduit le lecteur nomade. Seulement, il y a un bémol : ces impitoyables détecteurs de tétons et autres parties dénudées qui condamnent certains titres adultes à être bannis de l’Apple Store sans que la mesure de censure ne soit toujours justifiée. L’an passée, ils n’étaient pas moins de 59 albums à avoir ainsi été écartés de la boutique en ligne d’Apple.
Évoquant la politique d’Apple en novembre dernier, Eric Stephenson, éditeur chez Image Comics, regrettait également : « Leurs normes sont un peu vagues, vraiment. J’ai l’impression qu’ils n’ont pas beaucoup pensé la façon dont ils traitent les contenus pour adultes, ou pire, qu’il y a un ordre du jour visant à positionner Apple comme une forme d’arbitre moral pour des choses comme la bande dessinée. »
L’exercice de la pire des censures : économique
« Ce qui est scandaleux, c’est qu’ils jugent sur la couverture, de prime abord », précise l’éditeur. « Si encore c’était un ouvrage au contenu érotique, on pourrait le comprendre, mais c’est une oeuvre strictement littéraire. Toute forme de censure est condamnable, mais ici, c’est une censure économique qui s’applique. Apple représente 20 % du chiffre d’affaires numérique, et c’est un acteur majeur sur le marché. Son poids économique implique que l’on ne peut pas s’en passer. Mais on ne peut pas laisser faire non plus ! »
Olivier Frébourg a pleinement conscience de n’être pas le premier frappé par cette traque aux éléments qui dérangent. « Mais enfin, sur Facebook, sur internet généralement, les enfants sont bien plus exposés à des choses violentes, ou ayant un contenu sexuel. Et ils ne viennent certainement pas sur l’iBookstore pour voir des couvertures avec une femme à demi nue. »
Le diffuseur-distributeur, Interforum, ne peut que constater : « Apple a une politique éditoriale, et décide de ce qui peut être commercialisé, et ce qui ne peut pas l’être. » Il ne s’agit pas de résignation, simplement, la firme impose ses décisions. « Soit on accepte, soit on fait sans eux : ils ne laissent pas d’alternative », constate-t-on. Et d’ajouter : « Leur regard sur les oeuvres s’exerce d’ailleurs autant sur les couvertures que les contenus, et parfois, sur les deux. »
Au niveau européen, on se souviendra de l’intervention du député danois, Morten Løkkegaard, alors vice-président de la Commission européenne pour la Culture et l’Éducation. « C’est une société qui est entièrement contrôlée depuis la Californie », et à ce titre, aucun représentant dans les différents pays du globe n’est en mesure de négocier quoi que ce soit. Et c’est bien entendu la liberté d’expression qui est mise à mal.