Les fêtes de fin d’année sont souvent l’occasion de retrouvailles familiales. Un moment sympa… à condition qu’il ne dure pas trop longtemps.
Qui dit fêtes de fin d’année, dit famille… Et réveillon de Noël. Un huis-clos au potentiel explosif où quelques mots, un geste ou une intonation peuvent parfois suffire à transformer ces retrouvailles pleines de promesses en véritable barnum.
« La Bûche », « Conte de Noël », « Festen »… Le cinéma se nourrit amplement de ces raouts intimes où petits secrets et rancœurs (re)surgissent au grand jour. Car les réunions et repas de famille (Noël, en tête), comme le décrit l’humoriste Nora Hamzawi, c’est aussi ça :
« Hier, j’ai eu droit au traditionnel repas du dimanche chez ma mère, c’était super, on était trop contents de se retrouver. Et, hop, trois heures plus tard, comme par magie, plus personne pouvait se blairer. »
Et vous, combien de temps s’écoule-t-il avant que l’euphorie de retrouver vos proches ne s’essouffle et laisse place à de l’agacement, voire de l’exaspération ?
Trois jours, grand max’
Pour Léa*, c’est trois jours max’. « Une théorie basée sur une longue expérience », plaisante la jeune femme de 32 ans. Chaque année pour fêter Noël, celle qui vit à Paris depuis dix ans fait le déplacement chez ses parents, en Picardie. Oncles et tantes, grands-parents, cousins de cinq à 45 ans… Ils seront une quinzaine autour de la table.
Pour « éviter le craquage », elle a « calibré » son séjour à trois jours « pile ». Un « temps raisonnable » permettant aussi à sa mère, qui voudrait la voir plus, de ne pas se dire qu’elle « passe en coup de vent ». Pourtant, ses parents sont « plutôt cools ». La trentenaire explique :
« Pendant les trois premiers jours, les parents sont tellement contents qu’on soit là qu’ils laissent passer plein de trucs. Et c’est pareil pour nous. On s’aime bien parce qu’on ne s’est pas vus depuis longtemps.
Au-delà de cette « période bénie » ? Ça se complique.
« Très vite, tu es obligée de te réacclimater à leurs règles, alors que le reste de l’année tu as tes propres habitudes. Ça reste tes parents : c’est toi qui t’adaptes, et non l’inverse. »
Quand elle sort fumer, il n’est pas rare que la jeune femme écope d’un regard de désapprobation, voire d’un « tu pues la clope ». Idem quand elle traîne sous la couette.
« S’il m’arrive de dormir jusqu’à 11 heures ma mère commence à faire du bruit pour me faire comprendre qu’il est temps de profiter de la famille. »
Respecter le rythme de la maisonnée, justifier son mode de vie…. « Il y a aussi un décalage entre les grandes villes (surtout Paris) et la province », analyse Léa. « On me demande pourquoi je n’ai pas d’enfant, pourquoi je ne suis pas casée’ ni propriétaire de mon logement, contrairement à la plupart des trentenaires ici… » L’été dernier, la jeune femme a outrepassé « la règle des trois jours », voulant s’offrir une petite semaine de repos. Force est de constater que ce n’était pas « le meilleur endroit ».
« Ma mère m’a fait une crise parce que j’avais fait une griffure sur l’aspirateur en l’utilisant. J’avais le sentiment d’avoir encore 15 ans…
Rapports de place…
Pour bien comprendre se qui se joue quand on se retrouve en famille, la psycho-sociologue Dominique Picard rappelle que « les relations humaines se situent dans ce qu’on appelle des rapports de place ».
« Lorsqu’on est avec les autres, on n’a pas une position fixe mais une certaine place par rapport à celle des autres. Quand vous êtes avec votre ami, votre patron ou votre mère, vous n’êtes pas exactement la même personne qu’avec votre voisin de palier ou votre frère.
Or, dans une famille, il y a des rapports de places très anciens et chargés affectivement. Et chaque fois qu’on est ensemble, on retrouve ces schémas-là, qu’on le veuille ou non. »
Pourquoi ces rapports, tels qu’on les a connus dans l’enfance, reviennent-ils inévitablement ?
« Parce que les premiers que nous avons vécus forment une sorte d’empreinte – comme un patron de couture – sur laquelle se créent les schémas relationnels futurs. Et ils sont chargés d’émotions aussi bien positives que négatives, donc nous avons du mal à les contrôler. »
Journaliste, Agathe* s’est elle aussi fixé trois jours « grand max' ». Il y a quelques années, la jeune adulte trouvait « plutôt cool » l’idée de passer du temps avec sa sœur chez leurs parents. Elle est donc arrivée la « fleur au fusil » dans leur village « au milieu de nulle part ». Mais « il s’est passé deux trucs », se souvient-elle.
Son père lui a d’abord fait une « blague » sur son poids. « En mode, j’étais trop grosse », rapporte-t-elle. La remarque ne passe pas pour Agathe, un peu moins fine que sa sœur ou son frère – qui l’appelait d’ailleurs « jambonneau sur pattes » lorsqu’elle était ado. Devenue depuis mère d’un petit garçon, cette trentenaire raconte :
« J’étais vexée. Je suis adulte : ça m’a gonflée d’être ramenée à cet état d’enfant, de bébé, dont on surveille la courbe de poids. »
Mais c’est une phrase anodine qui a précipité son retour à Paris. Agathe avait laissé traîner son bel appareil photo sur une commode, la lanière tombant dans le vide. Plutôt « du genre à faire gaffe aux affaires », son père lui fait remarquer : « Attention ! C’est un coup à le faire tomber ».
« Je l’ai regardé et j’ai pété un câble. J’ai fait mes bagages et je suis partie en stop jusqu’à la grande ville. Je me suis sentie libre, je reprenais le contrôle de ma vie. »
Et vieux réflexes…
Que ce soit quelques heures à peine ou plusieurs jours, on finit souvent par s’agacer les uns les autres, s’épuiser voire se disputer… Malgré tout l’amour que l’on se porte. Auteure du Que-sais-je ? « Les conflits relationnels« , Dominique Picard explique :
« Au fond, le monde est comme un théâtre : on joue une représentation et on se prépare en coulisses pour celle-ci. Ensuite, comme celle-ci a demandé des efforts, on a besoin de se reposer. »
Cette métaphore, c’est le sociologue canadien Erving Goffman qui l’a conceptualisée dans son ouvrage « La mise en scène de la vie quotidienne ». La psycho-sociologue poursuit :
« Plus la représentation est longue et compliquée, plus elle demande d’investissement. Or, plus elle dure, plus elle est fatigante et difficile à tenir : les vieux réflexes reviennent. »
Est-ce qu’on ne placerait pas aussi la barre un peu trop haut pour ces retrouvailles familiales ? De ce point de vue, la fête de Noël, ses cadeaux, son dîner interminable et fréquemment (trop) alcoolisé – « rillettes, pâté, coup de rouge, poulet froid, coup de rouge, coup de rouge », disait Pierre Desproges au sujet du réveillon –, offrent un terrain de jeu parfaitement glissant.
« Il y a autour de Noël une idéologie sociétale extrêmement forte qui veut que la fête se passe bien, dans la bonne entente et le plaisir d’être ensemble. Mais on arrive après avoir couru les magasins, subi les embouteillages… On est, sinon tendu, au moins excité. Tout comme la personne qui nous reçoit et qui s’est affairée à tout préparer », commente Dominique Picard.
Autant dire qu’on est déjà à bout de course avant que les trois coups de la grande représentation familiale ne sonnent. Et qu’il suffit que notre frère ou sœur reçoive un cadeau que l’on juge plus beau pour qu’une jalousie de l’enfance ressorte, explique la psycho-sociologue. Certes, nous sommes adultes, mais « c’est toujours le chouchou », pensera-t-on.
« On ouvre le gaz et chacun a une allumette »
Issu d’une famille où la « chamaillerie facile » a longtemps eu cours, Julien résume la situation :
« On ouvre le gaz et chacun a une allumette. Qui va craquer la première ? »
Pour éviter les clashs entre frères et sœurs, certains sujets sont à peine abordés : l’éducation des enfants, les niveaux de vie de chacun…
Des vacances tous ensemble ? « Jamais », éclate-t-il de rire à l’autre bout du fil. Pour Noël, le temps du réveillon s’avère suffisant. « A la maison, on s’apprécie tous. Mais, pendant longtemps, je m’effondrais en pleurs en rentrant chez moi », raconte cet homme de 36 ans, dont le père est décédé 15 ans plus tôt.
« Durant une décennie, ça a été lourd. On avait l’impression que tout le monde en voulait à l’autre, comme si on s’interdisait de s’aimer ou d’être heureux ensemble. »
Du fait de la pression sociale que l’on intègre, quand ça se passe mal, « l’écart ressenti est d’autant plus fort à Noël », dit Dominique Picard.
Depuis que les sœurs de Julien ont eu des enfants, la vie a repris le dessus, l’ambiance s’est allégée au pied du sapin. Cette année, les festivités auront lieu chez lui et son compagnon, ça le rassure. Il n’empêche :
« Ça me paraît toujours long. A minuit, quand la bûche sera servie, je n’aurai qu’une envie : que tout le monde rentre chez soi.
Entre « plaisir et obligation »
Louis*, lui, est parti de la capitale mardi dernier pour se rendre chez ses parents, en Bretagne. C’est la deuxième fois en cinq mois. Lorsque son père est venu le chercher à la gare, le premier truc qu’il lui a demandé, c’est si sa mère avait appelé. Le couple venait de se disputer. Le jeune homme de 28 ans nous écrit :
« En montant dans la voiture, je me suis dit, la semaine va être longue. On a acheté un faux sapin, car avec le poële à bois, on a peur que ça prenne feu.
– Tu es content ?
– Oui, maman, c’est l’apothéose. »
A peine est-il arrivé qu’elle souhaite lui parler. Louis décrit une famille où l’on discute peu « de nous, des sujets sensibles, un peu personnels ».
« Et là, ma mère me confie qu’elle veut être incinérée dans un cercueil en carton. »
Quand il évoque ses parents, âgés de 65 et 70 ans, la tendresse de Louis déborde. Il les voit vieillir, s’attacher désormais à de petits rituels, de nouvelles habitudes. Ne plus rentrer de balade la nuit. Ne pas dîner après 19h30. Tout ce changement a parfois quelque chose d’un peu étouffant.
Alors ces séjours chez les parents, le jeune homme les vit « entre plaisir et obligation » : « Quand j’arrive, je me sens toujours un peu oppressé. Puis, je me détends au fur et à mesure », développe-t-il. Car ce Parisien travaillant beaucoup trouve aussi « agréable d’être chez papa-maman, de se mettre les pieds sous la table » et d’entretenir le lien.
Mais il en convient, « faut pas que ce soit trop ». Sa durée maximale ? « Au-delà d’une semaine, c’est plus possible. »
Maria*, elle, a carrément décidé de ne pas faire le déplacement pour les fêtes. « C’était devenu une vraie contrainte », confie cette quadragénaire, issue d’une famille traditionnelle. Cette CSP+ installée dans le Sud Ouest se justifie :
« On m’a toujours reproché de ne pas m’être mariée, de ne pas avoir eu d’enfant, d’avoir tout donné à ma carrière professionnelle. »
Il y a quelques années, cette Espagnole résidant en France depuis 23 ans pouvait « tenir » jusqu’à quatre ou cinq jours chez ses parents ou ses frères qui vivent en Catalogne. Mais à chaque visite, ça ne loupait pas. Un jour qu’elle joue avec ses neveux, sa mère lui lâche :
« T’as qu’à faire le tien, comme ça tu laisseras tranquille ceux des autres. »
Maria estime que les fêtes de fin d’année doivent rester un temps joyeux. Pour le réveillon, elle retrouvera donc une dizaine d’amis et leurs enfants. Chacun amènera un plat. « Quelque chose de simple », dit-elle entre douceur et impatience.
L’ambassadeur Riyad Mansour, observateur permanent de la Palestine aux Nations-Unies, lors de l’assemblée générale à New York. / SPENCER PLATT/AFP
Une large majorité d’États membres a approuvé le texte dénonçant la décision américaine sur la Ville Sainte, un nouveau camouflet pour Washington
Comme prévu par les connaisseurs avisés de l’ONU, la résolution sur Jérusalem a recueilli une large majorité des suffrages parmi les 193 membres de l’Assemblée générale. Au total, 128 États ont approuvé ce texte soumis au vote jeudi 21 décembre, à New York, et condamnant la reconnaissance américaine de la Ville Sainte comme capitale d’Israël. Aussi, 35 pays ont décidé de s’abstenir et 9 l’ont rejeté.
Dans la foulée, les Palestiniens ont vu dans cette large majorité la preuve d’un soutien international dont ils se sont félicités. Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, avait quant à lui rejeté les résultats par avance, qualifiant les Nations unies de « maison de mensonges ».
Réaction au véto américain
Le vote résulte d’une proposition commune du Yémen et de la Turquie, que les deux pays ont faite au titre de la présidence du Groupe des pays arabes à l’ONU pour le premier, et du sommet de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) pour le second. Dans une lettre datée de lundi 18 décembre, leurs représentants aux Nations unies avaient demandé « la poursuite urgente » de la session spéciale de l’Assemblée à générale « à la lumière du véto des États-Unis » intervenu un peu plus tôt le même jour.
Une référence au rejet par Washington d’un projet de texte présenté au Conseil de sécurité par l’Égypte afin de rendre « nulle et non avenue » la décision de Donald Trump. Des quinze membres du Conseil de sécurité, les États-Unis avaient alors été les seuls à s’opposer à la résolution égyptienne. Les quatorze autres, qu’ils soient permanents comme la Chine, la Russie, la France et le Royaume-Uni, ou non, comme le Sénégal, la Suède ou le Japon, l’avaient approuvé. Un camouflet pour les États-Unis qui, malgré leur droit de veto, ont alors pu mesurer leur isolement diplomatique.
Menaces vaines
Pour éviter un nouveau revers jeudi 21 décembre, Washington avait multiplié les pressions à l’approche du vote de l’Assemblée générale où, si les textes approuvés ne sont pas contraignants, aucun veto n’est possible contrairement au Conseil de sécurité. « Nous nous en souviendrons quand on nous demandera encore une fois de verser la plus importante contribution », avait menacé Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU, avant même le scrutin. Plus tôt, elle avait déjà prévenu :« Le président observera attentivement ce vote et il a demandé que je lui signale les pays qui auront voté contre nous », avait ainsi prévenu Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU. Des menaces qui n’ont pas porté leurs fruits.
Soutien de l’opinion, opposition muselée, escadrons de la mort, tolérance internationale…, c’est l’état de grâce permanent pour le président philippin Rodrigo Duterte.
L’élection de Rodrigo (Digong) Duterte à la présidence de la République des Philippines en mai 2016 revêt une dimension nationale, mais aussi internationale. Duterte appartient au camp des nouveaux démagogues, comme Vladimir Poutine en Russie, Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou Viktor Orban en Hongrie. Ces leaders populistes qui, pour reprendre les termes du politologue allemand Jan-Werner Müller, « ne s’arrêtent pas à une simple critique des élites [mais] affirment qu’eux, et eux seuls, représentent le vrai peuple »1.
Rodrigo Duterte est un démagogue exceptionnel tant par la violence de ses propos et de son action, que par le niveau de popularité dont il bénéficie toujours aux Philippines. Ce constat devrait nous inciter à nous interroger sur la nature des trajectoires démocratiques et sur la spécificité de chaque pays. Son élection n’est en effet pas un accident de l’histoire. Elle s’inscrit dans celle des Philippines. Dans les îles qui, depuis la colonisation espagnole (1565-1898), constituent l’archipel des Philippines, l’ordre social s’organisait autour des datus (hommes de prouesse) qui possédaient un pouvoir spirituel, le kapangyariahn. Ces hommes étaient souvent nommés cabezas de barangay (chefs de village) ou gobernadorcilos (chefs de province) par l’administration espagnole.
Par la suite, lors de la colonisation américaine du pays (1898-1946), les plus talentueux sont devenus maires ou, s’ils faisaient partie de l’élite métissée, des élus de la Législature consultative créée par les Américains pour préparer à la démocratie les little brown brothers (petits frères bruns), selon l’expression des administrateurs américains de l’époque. Pour les plus modestes, ou les moins métissés, la fonction publique restait le seul salut. La création du fonctionnariat aux Philippines est donc antérieure à celle de la nation et, a fortiori, d’un Etat-nation philippin. Aujourd’hui encore, tout individu confronté à un fonctionnaire philippin fait face à l’arbitraire. Car la distinction entre le pouvoir réglementé par un statut légal et le pouvoir personnel reste floue. La personnalisation du pouvoir fonctionne à outrance.
À la fois shérif et Robin des Bois
Rodrigo Duterte s’est présenté comme le candidat du peuple, opposé aux trappos (politiciens traditionnels), à l’élite de Manille et aux oligarques du Makati Business Club (symbole du grand patronat). Certes, il est le premier président des Philippines venant de l’île (pauvre) de Mindanao, au sud de l’archipel, mais sa famille est originaire de Cebu, située au centre de l’archipel.
Rodrigo Duterte a lui-même succédé à son père en 1988 au poste de maire de Davao, la grande ville du sud-est de Mindanao, poste qu’il a conservé pendant presque trente ans. Il a enrayé la criminalité dans cette ville en créant les escadrons de la mort. Sous sa magistrature, Davao est devenue la ville la plus sûre des Philippines, au prix toutefois d’un total mépris pour la justice. En même temps, Duterte s’est rapproché de la minorité musulmane et des forces de gauche, améliorant la couverture sociale de ses administrés et le système éducatif de sa ville.
Les Philippins sont en général indulgents avec leurs présidents, qui bénéficient d’une sorte d’état de grâce pendant la première année de leur mandat. Malgré sa « guerre contre la drogue » (ou en raison d’elle), qui a fait entre 8 000 et 12 000 victimes, exécutées par la police ou par les milices, Rodrigo Duterte, à la fois shérif et Robin des Bois, ne fait pas exception. D’autant plus qu’il a engagé des actions appréciées par la partie de son électorat la plus à gauche. Par exemple, dès son élection à la présidence, il a entamé des négociations avec la guérilla communiste de la Nouvelle armée du peuple (NPA) et avec les séparatistes musulmans du Front Moro islamique de libération (FMIL). Il a en outre fait entrer d’anciens communistes dans son gouvernement.
Le chef de l’Etat a également annoncé une hausse significative des investissements dans les infrastructures publiques. Il a lancé la création d’un système national de couverture maladie, rendu gratuit l’accès aux universités publiques, augmenté le niveau des retraites et limité le recours aux contrats de travail de courte durée. Ces mesures ont été très appréciées par la classe ouvrière et par la petite bourgeoisie. Rodrigo Duterte bénéficie donc à la fois du soutien de la gauche et de celui du milieu des affaires.
Son nationalisme est ethnique et identitaire, ce qui rassure la gauche philippine anti-américaine, mais il n’est nullement économique. Ainsi, depuis son élection, Duterte a libéralisé l’économie. Il a également obtenu la démission de son ministre de l’Environnement, hostile à l’exploitation du nickel dans le pays.
Une certaine nostalgie de la dictature de Marcos
Il a aussi acheté le silence de la classe politique dans son ensemble et il ne reste guère de force d’opposition au Congrès philippin, Duterte évitant de s’attaquer au système néopatrimonial qui permet aux politiciens philippins de jouer les seigneurs dans leur circonscription. Il jouit ainsi d’un fort soutien au Congrès : les caciques ne sont pas inquiétés tant qu’ils se taisent, à défaut de quoi le président n’hésite pas à faire fonctionner la répression. Il a notamment fait emprisonner son unique véritable adversaire au Sénat, Leila de Lima, présidente de la Commission des droits de l’homme. Quant à la vice-présidente du pays, Maria Leonor Robredo, son élection de 2016 pourrait être invalidée.
Rodrigo Duterte a aussi facilité la réhabilitation de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos (1965-1986) en le faisant enterrer, dix-huit ans après sa mort, dans le cimetière des héros à Manille. Une certaine nostalgie de la dictature de Marcos est, du reste, encouragée par l’actuel chef de l’Etat. Par ailleurs, Duterte s’est emparé du Philippine Inquirer, l’un des seuls journaux qui a eu le courage de s’opposer à la guerre contre la drogue. Enfin, en augmentant les moyens de la police, et surtout de l’armée, et en accordant un blanc-seing aux militaires, Duterte est parvenu à les neutraliser, eux qui avaient longtemps été un pôle d’opposition, notamment en contribuant à la chute de Marcos en 1986. L’Eglise catholique, ou plutôt sa branche la plus libérale, est désormais la seule force à s’opposer au président.
Sur la scène internationale, Duterte bénéficie de la rivalité sino-américaine et de l’élection de son alter ego, Donald Trump. Le président américain se montre moins critique sur la situation des droits de l’homme dans l’archipel depuis que les Philippines sont devenues un nouveau front dans la guerre de Washington contre le terrorisme islamique après l’adhésion d’un des groupuscules islamo-séparatistes de Mindanao à l’Etat islamique.
Par ailleurs, pour attirer les investissements chinois, le président philippin a mis un voile sur le contentieux avec son voisin sur leurs zones de souveraineté respectives en mer de Chine du Sud. Il se garde donc bien de demander l’application du jugement du Tribunal d’arbitrage de La Haye du 11 juillet 2016 qui a pourtant donné gain de cause à son pays.
Il serait néanmoins trompeur de voir dans la popularité de Rodrigo Duterte le seul reflet de son populisme. Si plus des trois quarts des Philippins le soutiennent, c’est en raison de la défaillance de l’Etat. L’histoire montre que les méthodes expéditives des milices privées sont tolérées et même approuvées par la population lorsque l’Etat d’un pays est incapable d’assurer la sécurité et la justice de ses propres citoyens. Comment ne pas soutenir un justicier bienfaiteur du peuple ?
Voir Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace, par Jan-Werner Müller, Premier Parallèle, 2016, p. 40.
David Camroux
Source Hors série Alter Eco 01/01/2018
Repéres
Population : 103 millions
PIB : 305 milliards de dollars
Taux de croissance : + 6,9 %
Taux de chômage : 5,9 %
Espérance de vie : 69 ans
En égalant quasiment leur dernier score aux élections régionales, les indépendantistes catalans posent un défi majeur à l’unité de l’Espagne et au gouvernement de Mariano Rajoy qui tablait sur ce scrutin pour les affaiblir.
Les Catalans, qui ont battu avec près de 82% de votants le record historique de participation dans la région, ont accordé jeudi 47,6% des voix aux indépendantistes et près de 52% des suffrages aux partis défendant l’unité de l’Espagne.
La loi électorale catalane prévoit un système de pondération des voix qui avantage les provinces rurales, où les indépendantistes sont très implantés, d’ou leur victoire en sièges au parlement régional.
Les trois partis indépendantistes obtiennent 70 élus sur 135, deux de moins qu’en 2015, semblant avoir atteint un plafond. Ils pourront donc gouverner s’ils arrivent à former une coalition.
Au sein des sécessionnistes, les Catalans ont placé en tête, avec 34 sièges, la liste « Ensemble pour la Catalogne » de l’adversaire numéro un de Rajoy: Carles Puigdemont, président du gouvernement destitué par Madrid après la déclaration d’indépendance du 27 octobre et exilé en Belgique.
Après le référendum d’autodétermination interdit du 1er octobre, émaillé de violences policières, puis la proclamation de cette « république catalane » restée sans effets, la région avait été mise sous tutelle et le parlement dissous en vue de nouvelle élections.
« L’Etat espagnol a été vaincu. Rajoy et ses alliés ont perdu! », a clamé depuis Bruxelles M. Puigdemont.
– Président exilé, vice-président en prison –
Mais, si les indépendantistes arrivent à s’entendre pour gouverner, quels seront les membres du cabinet régional ?
M. Puigdemont est inculpé pour « rébellion » et « sédition » et s’il rentre en Espagne, il sera arrêté.
Le chef du deuxième parti indépendantiste, Oriol Junqueras, son vice-président, lui aussi poursuivi, et déjà en prison.
M. Puigdemont avait déclaré le 12 décembre qu’il reviendrait en Espagne s’il pouvait être investi président. Rien ne s’oppose en principe à ce qu’un dirigeant politique poursuivi soit investi, puisqu’il n’est pas condamné. Mais encore faut-il qu’il reste libre.
Et dans son entourage, on laissait entendre, avant le scrutin, qu’il faudrait « qu’on lui permette de rentrer », autrement dit qu’il n’y ait pas d’arrestation à la clef. Il « pourra alors commencer une négociation ».
Vendredi matin, M. Puigdemont devrait en dire plus lors d’une conférence de presse prévue vers 10H30 (09H30 GMT) à Bruxelles.
M. Rajoy, silencieux jeudi soir, pourrait s’exprimer dans l’après-midi après une réunion avec son Parti populaire, laminé en Catalogne où il est passé de 11 à 3 sièges.
Juste après l’annonce des résultats, un électeur indépendantiste de gauche évoquait « une sensation étrange »: « Nous gagnons en députés mais pas en nombre de voix », disait Fran Robles, médecin de 26 ans. « Donc chaque camp pourra se proclamer vainqueur. Cela reflète bien la réalité, qui est que la Catalogne est politiquement divisée et que la seule façon de trancher la question est de la poser clairement dans un référendum ».
« Avec ce résultat, le message à l’Espagne est: asseyez-vous pour parler », assurait un sympathisant indépendantiste à Barcelone, Francesc Portella, 50 ans, professionnel du marketing.
Il va bien falloir qu’à Madrid « ils cèdent sur des choses qui leurs déplaisent. S’asseoir et dialoguer », a dit aussi à l’AFP le sociologue Narciso Michavila, dirigeant d’un institut de sondages à Madrid.
Mais les Catalans partisans de l’Espagne, aussi, veulent être pris en compte.
Poussés à s’impliquer face au risque réel de rupture unilatérale, ils avaient finalement manifesté en masse depuis octobre, inondant aussi les rues de leurs drapeaux rouge-jaune-rouge.
Un parti libéral et anti-indépendantiste a obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement, Ciudadanos, avec 37 élus.
« Les partis nationalistes ne pourront plus jamais parler au nom de toute la Catalogne, car la Catalogne c’est nous tous », a martelé sa dirigeante catalane, Inès Arrimadas.
Selon Narciso Michavila, la réalité économique s’imposera aussi aux indépendantistes, qui devront mettre de l’eau dans leur vin pour stopper la dégringolade du tourisme et des investissements depuis début octobre.
L’élite catalane – dont certains membres sont proches du parti conservateur PDeCat de M. Puigdemont – « sait qu’elle doit récupérer le tourisme et l’économie », dit-il.
À l’occasion de la journée mondiale de la langue arabe, le lexicologue Jean Pruvost, evoque comment cette langue s’est inscrite dans l’Histoire et la langue française, et nous explique que chaque jour nous utilisons de nombreux mots arabes.
L’UNESCO fêtait la langue arabe ce 18 décembre, l’occasion de nous interroger sur les mots. Ce matin au petit déjeuner, vous avez peut-être commandé une tasse (mot arabe) de café (mot arabe), avec ou sans sucre (mot arabe) et un jus d’orange (mot arabe). Vous avez donc, sans le savoir, parlé arabe (ou plutôt français).
Notre langue est parsemée de mots arabes, comme l’explique Jean Pruvost, lexicologue, professeur émérite, auteur de « Nos ancêtres les Arabes, ce que notre langue leur doit » aux éditions JC Lattès.
Quelle est la place de la langue arabe dans la langue françaises ?
Jean Pruvost : La langue arabe est extrêmement présente dans la langue française. L’arabe est la troisième langue d’emprunt, puisque la première c’est l’anglais, ensuite l’italien. L’arabe n’a cessé d’enrichir notre langue entre le IXe siècle et aujourd’hui. Au départ, c’est principalement Al Andalus, l’Espagne musulmane qui a donné de nombreux mots courants et mots savants au XIIIe siècle en français. Plus tard, la colonisation et la décolonisation ont apporté une nouvelle vague de mots, avec notamment un volet important dans le domaine de la gastronomie.
Pouvez-vous donner des exemples des mots courants qui nous viennent de la langue arabe ?
J. P. : Si vous faites votre marché et que vous achetez des épinards, de l’estragon, du potiron, des artichauts… Tous ces mots sont arabes. Même le mot « artichaut » qui ne vient pas de Bretagne ! Avec l’arrivée des rapatriés d’Algérie en 1962, après la décolonisation, les mots merguez, méchouis, sont entrés dans le langage courant.
On retrouve aussi beaucoup de mots dans l’habillement. Si vous allez dans un magasin (mot arabe), acheter une jupe (mot arabe) de coton (mot arabe), un gilet et un caban (mots arabes), vous utilisez des mots arabes.
Et plus récemment, de nouveaux mots arabes sont apparus avec l’immigration récente ?
J. P. : Le mot « bled » a été tellement installé dans la langue que beaucoup ignorent que c’est un mot arabe. Les plus jeunes s’en sont à nouveau emparé avec le mot « blédard », qui désignait celui qui débarquait de la campagne algérienne ou marocaine et qui s’installait dans la région parisienne.
Avoir le « seum », c’est-à-dire le cafard en arabe, (« cafard », qui est aussi un mot arabe) a été repris en 2012 par une campagne de la sécurité routière.
Les mot « chouf » ou « kiffer » sont utilisés depuis longtemps, comme dans l’expression kiff-kiff bouricot. Au début, le kiff c’était la drogue et aujourd’hui, cela désigne le fait de prendre du plaisir.
Le mot toubib vient du mot toubab (qui désigne le blanc) et veut dire médecin. Ce mot est passé dans la langue familière et beaucoup de gens ne savent pas qu’il est issu de la langue arabe
En fait les Français parlent arabe ?
J. P. : Oui, ils parlent arabe beaucoup plus que gaulois… Le gaulois, c’est à peine un centaine de mots. Pour l’arabe, on est à 500 mots et même davantage si l’on compte les mots savants du côté de la faune et la flore. Un enfant qui part faire de l’algèbre et de la chimie dans son collège est dans le monde arabe.