Un manifeste pour que la « génération de la crise » ne soit pas « celle de la guerre »

4821684_6_0282_des-jeunes-gens-chantent-le-15-novembre-2015_c9a4929f521ad884f354c34f4a1045e0« La génération de la crise ne sera pas celle de la guerre ! » : dans un manifeste lancé mardi 1er décembre, douze organisations de jeunes appellent à une autre réponse aux attentats du 13 novembre. Refusant un « état d’urgence permanent » et la rhétorique guerrière, ils entendent « renforcer la démocratie » pour lutter contre le fanatisme et la violence.

 

« L’Etat de droit n’est pas désarmé face au terrorisme. Il est indispensable de revoir les moyens humains et les missions des services de renseignement, de police et de justice. Mais ces mesures ne nécessitent en aucune façon de remettre en cause les libertés individuelles et collectives. Elles doivent s’accompagner, au contraire, de plus de libertés, de démocratie et de solidarité. Pour lutter contre le terrorisme, la responsabilité de notre génération est de construire la paix et la justice en France et partout dans le monde », font valoir les signataires.

Inquiets des risques de dérapage

Bien que d’horizons divers, ceux-ci sont tous marqués à gauche : le syndicat étudiant UNEF, l’organisation lycéenne UNL, les Jeunes CGT, des associations comme la Maison des potes, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), le DIDF-jeunes (travailleurs jeunes issus de l’immigration turque et kurde), tout comme les jeunes radicaux de gauche (JRG), les jeunes écologistes, communistes (JC), le Parti de gauche ou le mouvement Ensemble.

Réunis mardi dans un café parisien, les représentants de ces mouvements s’inquiètent de la révision programmée de la Constitution, des risques de dérapages liés à la surcharge d’activité policière alors que les moyens manquent, et de l’usage non contrôlé des procédures dérogatoires que permet l’état d’urgence. Et de citer la mise en garde à vue, dimanche, de manifestants pacifiques ayant participé à la chaîne humaine place de la République pour le climat, alors qu’ils « ne feraient pas de mal à une mouche ».

« Peur de la paranoïa ambiante »

« Nous réfutons l’alternative fermée : soit une société sécuritaire et du repli sur soi, soit le terrorisme », martèle le président de l’UNEF, William Martinet, qui a dénoncé dans une récente tribune la logique de la « guerre contre le terrorisme ». « Beaucoup de jeunes sont morts dans ces attentats, mais les politiques n’écoutent pas la jeunesse. Nous proposons un pacte de cohésion sociale, fondé sur nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité », poursuit le président du premier syndicat étudiant : ne pas seulement investir dans la sécurité, mais aussi dans les services publics éducatifs, et dans la politique de l’emploi ; lutter contre les discriminations, notamment par l’instauration du « récépissé de contrôle d’identité », évitant la répétition stigmatisante de ces demandes policières.

« Les jeunes n’ont pas peur du prochain attentat, mais de la paranoïa ambiante, des jugements dans la société. Il faut mener le débat avec eux pour comprendre et agir, et trouver des réponses ensemble », soutient Samya Mokhtar, présidente de l’UNL.

Leur texte met aussi en garde contre une politique étrangère qui reproduirait « les interventions militaires américaines désastreuses de l’après-11-Septembre ». « Nous défendons la diplomatie et non pas les bombardements aléatoires : une action de la communauté internationale et une coalition avec tous ceux qui peuvent agir en faveur d’une solution politique et de reconstruction avec les peuples concernés », précise Nordine Idir, secrétaire général des Jeunesses communistes.

Adrien de Tricornot

Source : Le Monde.fr  01/12/2015

Voir aussi : Actualité France, Rubrique SociétéMouvement sociaux, Jeunesse, rubrique Politique, La France dérogera à la convention européenne des Droits de l’Homme, rubrique Education,

Comment le discours médiatique sur l’écologie est devenu une morale de classe

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On nous conseille d’éteindre les lumières mais pas de remiser les 4×4. On culpabilise les individus mais pas les entreprises. Entretien avec le sociologue Jean-Baptiste Comby.

 

Jean-Baptiste Comby est sociologue, maître de conférences à l’Institut Français de Presse de l’Université Paris-2. A quelques jours de la COP21, il vient de publier «la Question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème public» aux éditions Raisons d’agir.

BibliObs. Votre ouvrage analyse la montée en puissance de la question climatique dans les médias généralistes depuis la grande conférence de Kyoto, en 1997. Comment avez-vous travaillé et qu’avez-vous découvert ?

Jean-Baptiste Comby. J’ai regardé et analysé les sujets consacrés aux enjeux climatiques des journaux télévisés du soir de TF1 et France 2 entre 1997 et 2006, soit 663 sujets. J’ai également examiné les campagnes de communication des agences publiques, notamment l’ADEME, et de façon moins systématique les articles consacrés à la question par la presse quotidienne nationale, notamment lors de la ratification du protocole de Kyoto en 2005, ou encore les nombreux documentaires, débats ou docu-fictions diffusés entre 2005 et 2008.

J’ai également réalisé des entretiens avec une quarantaine de journalistes chargés de la rubrique «environnement» ainsi qu’avec une trentaine de leurs «sources» (scientifiques, militants, fonctionnaires, etc.). Il se dégage de ce corpus que, si la question du climat occupe une place de plus en plus importante dans le débat médiatique au cours des années 2000, la présentation qui en est faite connaît une torsion significative: l’accent est mis sur les conséquences de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, beaucoup moins sur ses causes. Plus les journalistes traitent la question climatique, plus ils contribuent à la dépolitiser.

Pouvez-vous donner des exemples ?

Les sujets télévisés que j’ai analysés se servent d’effets esthétiques assez répétitifs: le soleil qui brille, la tempête, le symbole du thermomètre, le contraste bleu/rouge qui représente le froid et le chaud. Du reste, on parle de «réchauffement climatique», comme si le seul enjeu était la température, alors qu’on devrait parler de « changements climatiques », puisque seront également altérés les régimes pluviométriques, la dynamique des courants marins ou des vents, etc.

Une autre expression consacrée attribue la responsabilité du dérèglement aux «activités humaines», comme si toutes les activités polluaient de façon équivalente. Enfin, très majoritairement, ces reportages incitent plus ou moins explicitement les citoyens à changer leurs comportements, relayant à leur manière la politique de l’Etat (crédits d’impôt, prêts à taux zéro, etc.). On tient un discours de morale individuelle. Toute cette grammaire évacue la question de savoir quelles décisions politiques et mécanismes économiques sont à l’origine d’activités polluantes.

En quoi cela dépolitise-t-il la question climatique ?

Dépolitiser, c’est passer sous silence les causes collectives et structurelles de la pollution: l’aménagement des villes et des transports, l’organisation du travail, le fonctionnement de l’agriculture, le commerce international, l’extension infinie du marché. La politique, c’est l’organisation de la vie collective, le choix de nos valeurs, le mode de répartition de la richesse, etc.

Or, le discours actuel revient à placer la question de l’environnement en dehors de ce champ de discussion. Certes, les discours officiels préparatoires à la COP21 en appellent à une transformation des sociétés pour les «dé-carboner». Mais si l’énoncé est politique, aucun de ces mots d’ordre ne jugent nécessaire d’interroger l’emprise croissante des logiques marchandes qui sont désormais au principe de la vie sociale. En somme, on nous propose de changer de société… sans modifier les structures sociales !

Au fond, politiser, ce serait montrer le lien entre le changement climatique et le capitalisme.

Comment faire face au changement climatique sans changer de modèle économique ? Pour «digérer» la crise écologique et faire croire qu’un «capitalisme vert» est possible, plusieurs logiques sont mobilisées : l’innovation technique, le recours au marché (par la création des droits à polluer) ou encore la militarisation de l’accès aux ressources naturelles. Dans mon livre, je m’intéresse plus particulièrement à une quatrième tendance, qui consiste à dépeindre la question environnementale comme un problème de morale individuelle.

Il reviendrait à chacun de nous de sauver la planète en changeant son comportement. Or c’est plutôt en imaginant et en luttant pour d’autres organisations sociales que nous rendrons possible l’adoption durable de styles de vie à la fois moins inégaux et plus respectueux des écosystèmes naturels.

Pourtant, n’est-il pas exact que nous sommes tous un peu responsables de notre environnement ?

On retrouve à propos de l’environnement le schéma du discours néolibéral: il n’existerait que des individus agissant rationnellement et vivant comme en apesanteur du social. Séparer ainsi l’individu du collectif n’a aucun sens et finit par déformer la réalité.

Par exemple, au milieu des années 2000, le ministère de l’Environnement a mis en avant une affirmation clairement discutable: «Les ménages sont responsables de 50% des émissions de gaz à effet de serre.» Ce chiffre a été fabriqué à partir d’une statistique qui calcule la part des grands secteurs producteurs de CO2: énergie, industrie manufacturière, agriculture, résidentiel-tertiaire, transport routier, autres transports, etc. L’astuce consiste à attribuer aux ménages toutes les émissions de CO2 qui ne viennent pas de l’énergie, de l’industrie et de l’agriculture. Ce qui revient à oublier que les avions et les trains transportent d’abord des hommes d’affaires ; que les camions sont en général affrétés par les entreprises ; que les déchets sont fabriqués par l’industrie…

Surtout, en parlant des «ménages» en général, cette statistique laisse entendre que tous les individus ont la même part de responsabilité. Or, un riche pollue généralement plus qu’un pauvre. Il n’est pas juste de mettre sur un pied d’égalité un cadre de direction qui possède deux voitures et prend l’avion trois fois par mois et une personne touchant le RSA qui circule principalement en bus. Un tel discours occulte les inégalités sociales.

Que sait-on sur les inégalités sociales d’émissions de CO2 ?

Les statisticiens commencent tout juste à construire des outils pour les mesurer rigoureusement. Une étude réalisée en 2010 par François Lenglart montre qu’un ouvrier produit 5 tonnes de CO2 par an et un cadre 8,1. Début octobre, les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont publié une étude qui montre que les 10% d’individus les plus polluants au niveau mondial (c’est-à-dire les classes moyennes et supérieurs des pays industrialisés et les classes supérieures des pays émergents), émettent 50% des gaz à effet de serre, tandis que les 50% les moins polluants n’en produisent que 10%. Mais il y a encore beaucoup de travail pour évaluer et expliquer de façon scientifique la contribution des groupes sociaux à la dégradation de l’environnement.

Pour autant, n’allons-nous pas devoir en effet changer nos comportements, y compris sur un plan individuel ? Ces messages permettent peut-être d’amorcer une prise de conscience ?

Dans mon travail, j’ai aussi mené des entretiens collectifs et analysé des données statistiques pour étudier comment les personnes, en fonction de leurs milieux sociaux, pensent, discutent et se comportent vis-à-vis de ces enjeux. Cela permet de comprendre le paradoxe suivant: si les classes supérieures sont les plus disposées à faire valoir leur attitude «eco friendly», ce sont aussi elles qui tendent à polluer le plus. Partageant les valeurs véhiculées par les campagnes de «sensibilisation», elles seront plus facilement portées à mettre en œuvre une bonne conscience écologique en triant leurs déchets ou en fermant le robinet.

Mais ces quelques gestes et ce verdissement partiel de leur quotidien, dont elles peuvent tirer une certaine reconnaissance sociale, ne remettront pas en cause leur mode de vie et elles continueront à polluer plus qu’un ouvrier. Et l’on remarquera que la morale écocitoyenne, si prompte à nous dire qu’il faut éteindre la lumière, s’abstient de dévaloriser par exemple le fait de rouler en 4×4 en ville, un comportement pourtant très énergivore.

Tout cela explique, du reste, l’agacement de plus en plus vif suscité par ces injonctions écocitoyennes: on nous vend comme une morale universelle ce qui n’est qu’une morale de classe. Dans mes entretiens, je constate que de nombreuses personnes, plutôt au sein des milieux populaires, démasquent intuitivement cette hypocrisie.

Propos recueillis par Eric Aeschimann

Source : Le Nouvel Obs 26/11/2015

Livre : La question climatique
Genèse et dépolitisation d’un problème public
par Jean-Baptiste Comby
Raisons d’agir, 242 pages, 20 euros.

Etat de siège, finis tes carottes.

– C’est la guerre !

Mon père a claqué la porte d’entrée. Il a crié ces mots sans enlever son manteau. Il a répété  » la guerre  » sur le seuil de chaque pièce. Le salon, la salle à manger. Nous étions dans la cuisine, ma mère et moi.

– C’est la guerre.

Mon père, immense, occupant tout le chambranle. J’épluchais trois carottes, ma mère préparait un poireau.

-Qu’est-ce que tu racontes ?

Il l’a regardée, sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent. Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

– Ce que je raconte ?

Geste brusque. Le journal est tombé sur la table, au milieu des épluchures.

 » Coup de force militaire à Alger  » titrait France Soir, publiant les photos de trois soldats.     » Les militaires rebelles proclament l’état de siège. »

J’ai regardé le titre à l’encre noire, mon père, ma mère.

– C’est la guerre, maman ?

Ma mère a plié le journal et l’a posé sur l’évier.

– Finis tes carottes.

– C’est ça, finis tes carottes, s’est moqué mon père.

Elle grattait la terre du poireau, coupait ses racines à petits gestes secs, découpait le blanc en fine rondelles. Moi je râpais les légumes avec un économe. Et lui nous observait.

– C’est tout ce que tu apprends à ton fils ? La cuisine ?

Ce dimanche 23 avril 1961, j’étais un enfant. Né douze ans, un mois et six jours plus tôt. Je préparais la soupe de la semaine avec ma mère et baissais la tête devant mon père.

Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Extrait de Profession du père, son dernier roman paru aux Editions Grasset.

Voir aussi : Rubrique Livres, Lecture, littérature française, Rubrique Rencontre, Sorj Chalandon,

Un Non retentissant à la guerre

Ada Colau Ballano

Ada Colau Ballano

« Si le bombardement d’un pays était une solution efficace pour mettre fin au terrorisme, il n’y aurait plus de terrorisme. Si c’était une solution efficace  pour en finir avec les guerre, il n’y aurait plus de guerre. Il n’y a pas de chemin vers la paix, la paix est le chemin. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Gandhi qui le disait.

Il existe d’autres moyens de lutter contre cette terreur : le démantèlement de l’économie de la guerre, obstruer les voies par lesquelles le terrorisme se finance, poursuivre les mafias qui pratiquent le trafic de personnes, accueillir ceux qui fuient la terreur, ces « autres » qui deviennent « un nous qui peut isoler les violents.

Toutes ces victimes sont nos victimes, que se soit à Paris, au Liban, au Yémen, en Irak, ou en Afghanistan. Dire un Non retentissant à la guerre n’est pas naïf ou idéaliste. C’est courageux.

Si la terreur arrive à ce que la peur nous blinde et que la vengeance nous aveugle, ils auront gagné.

Le lendemain des attentat de nombreux parisiennes et parisiens ont repoussé la peur et sont sortis dans la rue avec des fleurs, avec de la musique. Ils nous ont donné une grande leçon : En célébrant la vie, nous sommes invincibles.  »

Ada Colau Ballano

Maire de Barcelona

Source Diagonal Magazine Nov 2015

Régionales : dans le Sud-Ouest, l’union de la gauche écologiste pourrait battre le PS

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Un rassemblement politique réunit en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées six formations politiques pour les élections régionales de décembre. À leur tête, l’écologiste Gérard Onesta. Promettant une autre pratique de la politique, cette liste plurielle se place dans le sillage des victoires aux municipales d’Éric Piolle à Grenoble et d’Ada Colau à Barcelone, devant le PS.

Toulouse, reportage

« Je n’aurais jamais été candidat sur une liste uniquement EELV ou Front de gauche », assure Serge Regourd. C’est le rassemblement de ces deux formations politiques, en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, qui l’a convaincu. À un mois des élections régionales, l’ancien doyen de la faculté de droit et de sciences politiques de Toulouse a même accepté de mener cette liste plurielle, intitulée « Nouveau monde », dans le Tarn-et-Garonne. « Le département où le FN est le plus fort », précise celui qui ne revendique aucune appartenance politique ni syndicale. « Le rassemblement est la condition de l’alternative, le seul truc en lequel je peux encore croire. Sinon, c’est le désespoir politique. »

Une sinistrose contre laquelle veut lutter ce rassemblement « inédit », selon sa tête de liste, Gérard Onesta. Le candidat, estampillé EELV, conduit un liste unissant pas moins de cinq partis politiques aux côtés des Verts : le parti régionaliste occitan (Partit occitan), la Nouvelle Gauche socialiste – parti nouvellement fondé par l’ancien député européen et frondeur socialiste Liem Hoang Ngoc – mais surtout le Front de gauche, au complet. Avec PACA, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées est la seule région de France où les écologistes sont unis avec le Parti de gauche, le Parti communiste et Ensemble !

Mais n’allez pas parler de « ralliements » à Gérard Onesta : « Le mot est faux, personne n’a fait allégeance. On est égaux, on partage le projet. On parle de partenariat, pas d’ouverture : cela sous-entendrait qu’il y en a un qui tient la clé pour fermer. » Un partenariat qui fait justement grincer plus d’une dent du côté socialiste : « C’est une alliance contre-nature », soutient Laurent Méric, élu local et membre actif dans la campagne de Carole Delga, l’ancienne secrétaire d’État au Commerce et à l’Artisanat, qui mène la liste PS.

Un autre notable socialiste dénigre le « fantasme Onesta » : « Il n’y a aucun élément de convergence entre tous ces partis, si ce n’est celui de virer le PS. Ce sera leur seul slogan de campagne. Mais historiquement, on est en territoire radical-socialiste, on ne gagne pas en faisant campagne à l’extrême-gauche. » Pourtant, Gérard Onesta invoque d’autres héritages. « C’est un terre cathare, de révolte. C’est une terre de Larzac, pour ‘’un autre monde possible’’. C’est une terre de Sivens. »

Les deux difficultés : le nucléaire et le projet de LGV Sud-Ouest

Et pour cause. Le Testet a joué un rôle clé dans l’impulsion de cette dynamique politique. « Dès notre appel à moratoire d’octobre 2013, EELV, le Parti de gauche et le Parti communiste ont été des soutiens indéfectibles, de toutes les manifestations, en signature de chacun des communiqués », témoigne Ben Lefetey, le porte-parole du collectif du Testet. La lutte crée alors les conditions du travail commun, comme une première expérimentation de l’unité possible. « Il n’y avait pas d’enjeu fondamental de pouvoir et on veillait à les mettre strictement sur un pied d’égalité », poursuit M. Lefetey qui s’est, depuis, engagé à leur côté. Non comme candidat, mais comme coordinateur de la campagne dans le Tarn : « Cela fait quinze ans que je suis dans le contre-pouvoir. Mais pour mener une vraie politique de transition, il faut aussi changer les gens au pouvoir et être élu. En cela, l’action des partis politiques est légitime et importante. »

Suffit-il cependant de lutter ensemble pour porter un projet commun ? « Communistes et écologistes ne partagent rien sur les dossiers de fond, ce serait une majorité impossible à gouverner », insiste Laurent Méric, en référence directe aux deux principales dissensions : le nucléaire et le projet de LGV Sud-Ouest. Ces derniers mois pourtant, des responsables politiques des différentes formations ont signé des tribunes communes pour dénoncer l’absurdité de l’investissement public dans ce projet d’infrastructure ferroviaire et pour porter un projet alternatif de restructuration de l’usine Areva-Malvési de traitement de l’uranium.

« Un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable »

« Là où il a été impossible de s’entendre avec les communistes sur des sujets comme Roybon ou le Lyon-Turin en Rhône-Alpes-Auvergne, la construction des échanges dans le Sud-Ouest a permis de lever tous les verrous pour un véritable accord écologiste », analyse Julien Bayou, porte-parole national d’EELV. Presque tous, car la fédération Haute-Garonne du Parti communiste – la plus importante de la région – ferait encore sécession. Mais le soutien officiel du PCF est désormais acquis, Marie-Pierre Vieu, porte-parole du parti dans la campagne, ayant joué un rôle important dans le rassemblement des troupes tandis que Martine Pérez, conseillère régionale communiste sortante en Aveyron, confiait son optimisme (à écouter ici).

Sur quelle base ont été trouvés ces accords ? « Sur l’emploi, explique Gérard Onesta. Pas n’importe lequel, mais un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable. Ainsi redéfini, l’emploi réinvente l’agriculture, l’énergie ou le transport et dessine un nouveau paradigme. Voilà comment on se met d’accord sur un projet foncièrement écologiste sans jamais dire que nous le sommes. » Trouver les bons angles pour regarder les objets de débat autrement : selon Patric Roux, ancien directeur de l’Estivada (un festival inter-régional des cultures occitanes) et secrétaire fédéral du Partit occitan, c’est la méthode qui fait consensus, comme dans la lutte autour de l’usine de Malvési : « Il ne s’agissait plus de lutter ou non contre le nucléaire, mais d’extraire des emplois de la pression du néo-libéralisme qui domine ce secteur, explique la tête de liste dans l’Aude. Là-dessus, tout le monde était d’accord. »

Un projet trop à « contre-emploi », justement ? Gérard Onesta l’assure, « le projet écologiste est totalement respecté, nous n’avons rien retranché ». L’emploi ancre le projet écologiste dans le concret : « C’est la vraie préoccupation des gens, la première des dignités qui ouvre la porte à de la santé, du logement, de l’éducation… » Il traverse ainsi les autres thèmes de campagne, parmi lesquels les lycées, premier poste d’investissement du Conseil régional Midi-Pyrénées avec 2 milliards d’euros prévus entre 2001 et 2019. « Un symbole de la défense d’un idéal de service public », estime Myriam Martin, porte-parole d’Ensemble !.

« Une véritable aspiration à faire de la politique autrement »

Autre compétence majeure des conseils régionaux : les transports. « On veut montrer qu’on peut faire autrement en privilégiant la rénovation des lignes inter-régionales, avance Liem Hoang Ngoc. La LGV représente une logique de métropolisation poussée jusqu’au bout. » L’idée de solidarité entre les territoires, c’est la raison de l’engagement de Judith Carmona : « Il y a un vrai souci de la ruralité et de sa place dans le développement de la région, un souci qui se ressent dans la composition des listes. » Éleveuse dans les Pyrénées-Orientales, elle a dû se mettre en congés de ses fonctions nationales auprès de la Confédération paysanne pour s’engager comme porte-parole « citoyenne » dans la campagne. Afin de défendre, par d’autres voies, son modèle d’agriculture, dit-elle.

Comme elle, Pascal Dessaint se lance pour la première fois dans des élections. « On ne peut pas toujours être dans la contestation sans prendre de dispositions par rapport à la vie réelle. C’est la limite de la posture face aux menaces qui pèsent », justifie l’écrivain, réputé pour ses polars mêlant nature et critique sociale. Il raconte avec enthousiasme le premier meeting de campagne et les 2.000 personnes devant lesquelles il a lu sa profession de foi : « C’est excitant, il y a une véritable aspiration à faire de la politique autrement. »

D’autres, telles Marie-France Barthet, la présidente de l’Université fédérale de Toulouse ou Anne-Marie Faucon, cofondatrice des cinémas Utopia, ont suivi la promesse d’une autre pratique de la politique, promesse incarnée par la proposition de Charte éthique à destination des élus et ses 43 articles fixant des règles de transparence ou de non-cumul des mandats.

« Se rassembler, non se ressembler »

Ce « citoyennisme » fait la fierté de la liste et se revendique l’héritage direct de Grenoble, où Éric Piolle avait emporté la mairie en mars 2014 sur la dynamique d’un mouvement similaire. La volonté de poursuivre ce laboratoire politique à plus grande échelle place la future troisième plus grande région de France (5,7 millions d’habitants) en possible jonction – pas seulement géographique – de Grenoble et de Barcelone.

Car de la cité catalane est né le « projet en commun » – l’intitulé étant directement inspiré du « Barcelona en Comú » qui a porté Ada Colau à la tête de la mairie au mois de mai. Sur cette plateforme publique, 4.000 contributions (consultables ici) ont été déposées de juin à août, à partir desquelles se sont construits les thèmes de campagne. La clef du succès pour Gérard Onesta : « Le juge de paix, c’est le projet, pas les tambouilles de parti. C’était un vrai défi : nous, formations politiques, étions-nous encore capables de pondérer ce qui fait combat commun chez les citoyens plutôt que ce qui fait différence entre nous ? »

Il en a tiré son slogan : Se rassembler, non se ressembler.

Barnabé Binctin (Reporterre)

Source Reporterre 04/11/2015

Voir aussi : Actualité France, Actualité Locale, rubrique Ecologie, rubrique Politique, Politique locale, rubrique Société, Consommation,