En Iran, poussée des alliés du président Rohani aux législatives, pas de majorité claire

Le président iranien Hassan Rouhani le 27 février 2016 à Téhéran

Le président iranien Hassan Rouhani le 27 février 2016 à Téhéran

Les alliés réformateurs et modérés du président iranien Hassan Rohani qui compte sur eux pour accélérer sa politique d’ouverture ont fortement progressé aux législatives face aux conservateurs, mais aucun des deux camps n’obtient de majorité claire dans l’attente des derniers résultats.

Sur les 290 sièges du Parlement élu pour quatre ans, les réformateurs et modérés en ont pour l’instant obtenu 89 contre 86 pour les conservateurs, selon des résultats partiels publiés dimanche par l’agence de presse Isna. Dix candidats indépendants ont également été élus mais sont pour l’instant inclassables.

Les résultats pour une soixantaine d’autres sièges devraient être annoncés d’ici mardi.

En revanche, un second tour devra être organisé en avril ou en mai pour départager les candidats briguant 51 autres sièges, et dont aucun n’a récolté suffisamment de voix pour être élu au premier tour.

D’ores et déjà, les réformateurs et modérés peuvent se targuer d’avoir trois fois plus d’élus au Parlement, où ils en comptaient trente jusqu’à présent contre environ 200 pour les conservateurs.

Ils ont réalisé une percée remarquable à Téhéran où ils raflent la totalité des 30 sièges qui étaient jusqu’alors détenus en grande partie par les conservateurs.

Parmi ces derniers, plusieurs étaient de farouches opposants à l’accord conclu en juillet 2015 entre les grandes puissances et l’Iran sur son programme nucléaire. L’accord est entré en vigueur mi-janvier, entraînant la levée de la plupart des sanctions économiques qui asphyxiaient l’économie iranienne.

– ‘Lourdes charges’ –

« Le progrès du pays est l’objectif principal » et le « prochain Parlement aura de lourdes charges », a estimé dimanche le guide suprême Ali Khamenei, dans un message lu à la télévision, en mettant en garde contre « un progrès superficiel sans indépendance ni intégrité nationale ».

Le président Rohani a pour sa part affirmé dans un tweet que « les électeurs ont créé une nouvelle atmosphère ».

Religieux modéré, il misait sur l’avancée majeure qu’a été l’accord nucléaire et les investissements étrangers attendus par son application, pour engranger un maximum de députés favorables à sa politique au Parlement.

Il entend mettre en place une série de réformes économiques et sociales avant la fin de son premier mandat de quatre ans en 2017.

Autre motif de satisfaction pour le président iranien: son élection et celle de son allié Akbar Hachemi Rafsandjani, ancien président de la République islamique, à l’Assemblée des experts après être arrivés en tête à Téhéran.

Cette chambre, composée de 88 religieux élus pour huit ans, est chargée de nommer le guide suprême iranien et pourrait être amenée à jouer un rôle déterminant durant son mandat puisque le guide actuel, Ali Khamenei, est âgé de 76 ans.

L’élection pour son renouvellement a eu lieu vendredi en même temps que les législatives. Le taux de participation aux deux scrutins a été d’environ 60%.

Deux religieux conservateurs connus pour leur hostilité envers les réformateurs, les ayatollahs Mohammad Yazdi, actuel chef de l’Assemblée des experts, et Mohammad Taghi Mesbah Yazdi, ne seraient pas en position d’être élus, selon des résultats partiels portant sur la presque totalité des bulletins dépouillés.

En revanche, l’ayatollah Ahmad Janati, chef du puissant Conseil des Gardiens de la constitution (conservateur), serait élu.

– Un vote contre ‘les radicaux’ –

M. Rafsandajani a affirmé dans un tweet que « personne ne peut résister à la volonté de la majorité du peuple et ceux dont il ne veut pas doivent se retirer ».

La percée des pro-Rohani est d’autant plus notable que la plupart des grandes figures du camp réformateur avaient été écartées de la course aux législatives par le Conseil des gardiens de la Constitution, qui a un droit de veto sur les candidatures.

Analyste iranien indépendant, Amir Mohebbian, interrogé par l’AFP, a jugé que ces résultats sont « une réaction (des électeurs) contre les radicaux ».

A Téhéran, le chef de liste des conservateurs, Gholam-Ali Hadad-Adel, un ancien président du Parlement, n’arrive qu’en 31e et est battu.

En tête de liste des candidats élus figurent Mohammad Reza Aref (réformateur) et Ali Motahari (modéré conservateur).

Les réformateurs avaient inclus dans leur liste trois conservateurs modérés, dont M. Motahari, qui ont tous été élus.

La liste des réformateurs/modérés à Téhéran était menée par Mohammad Reza Aref, ancien candidat réformateur à la présidentielle de 2013, qui s’était retiré en faveur du candidat Rohani.

Stéphane BARBIER, Siavosh GHAZI 

Source : AFP 29/02/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Iran,

Considérant Calais

img-5721Par Sébastien THIERY

Vu la République, la fraternité en ses fondements, l’hospitalité à l’horizon.

Vu les bouleversements des temps présents, la perspective de mouvements migratoires extraordinaires à venir, la démultiplication annoncée de « jungles » dans les plis et replis de nos métropoles.

Considérant que la « jungle » de Calais est habitée par 5 000 exilés, non pas errants mais héros, rescapés de l’inimaginable, armés d’un espoir infini.

Considérant qu’ici-même vivent effectivement, et non survivent à peine, des rêveurs colossaux, des marcheurs obstinés que nos dispositifs de contrôle, procédures carcérales, containers invivables s’acharnent à casser afin que n’en résulte qu’une humanité-rebut à gérer, placer, déplacer.

Considérant que Mohammed, Ahmid, Zimako, Youssef, et tant d’autres s’avèrent non de pauvres démunis, mais d’invétérés bâtisseurs qui, en dépit de la boue, de tout ce qui bruyamment terrorise ou discrètement infantilise, ont construit en moins d’un an deux églises, deux mosquées, trois écoles, un théâtre, trois bibliothèques, une salle informatique, deux infirmeries, vingt-huit restaurants, quarante quatre épiceries, un hammam, deux salons de coiffure, des histoires d’humanité reléguées au statut d’anecdotes dans l’histoire officielle de la « crise des migrants ».

Considérant qu’ici-même l’on habite, cuisine, danse, fait l’amour, fait de la politique, parle une vingtaine de langues, chante l’espoir et la peine, pleure et rit, contredit ô combien les récits dont indignés comme exaspérés s’enivrent, assoiffés des images du désastre, bourrés de plaintes, écoeurés par ce qui s’invente, s’affirme et déborde.

Considérant que chacun des habitats ici dressé, tendu, planté, porte l’empreinte d’une main soigneuse, d’un geste attentif, d’une parole liturgique peut-être, de l’espoir d’un jour meilleur sans doute, et s’avère une écriture bien trop savante pour tant de témoins dont les yeux n’enregistrent que fatras et cloaques, dont la bouche ne régurgite que les mots « honte » et « indignité ».

Considérant que quotidiennement depuis début septembre 2015 des centaines de britanniques, belges, hollandais, allemands, italiens, français, construisent dans la « jungle », distribuent vivres et vêtements, organisent concerts et pièces de théâtre, créent radios et journaux, dispensent conseils juridiques et soins médicaux, et le soir venu occupent les lits des campings alentours et de l’Auberge de Jeunesse de Calais, haut-lieu d’une solidarité active extraordinaire, centre de l’Europe s’il en est.

Considérant que jamais les associations calaisiennes n’ont enregistré autant de propositions de dons et de bénévolat, et que ne cesse pourtant d’être narré le récit d’une unanime exaspération collective, d’une violence et d’un racisme prétendument généralisés, d’une pourriture surexposée salissant une ville autant que les kilomètres de barbelés la défigurent.

Considérant que Calais est, de facto, une ville-monde, avant-garde d’une urbanité du 21e siècle dont le déni, à la force de politiques publiques brutales, témoigne d’un aveuglement criminel à l’endroit de ce qui vient, d’un mépris mortifère de ce qui s’affirme.

Considérant que la « jungle » ne disparaîtra pas, ni à la force d’une violence légale déployée comme si s’organisait là une bande de criminels, ni par la grâce des « solutions » abstraites de « l’hébergement pour tous », dont les containers du « Centre d’Accueil Provisoire » à 20 millions d’euros exposent, sidérante, l’absurdité.

Considérant que la faillite des acteurs publics et l’incurie de leurs solutions sont si vastes, que dans une semaine, un mois, un an, la « jungle » de Calais apparaîtra au centuple, et que demeurera comme seul trésor public le fruit de ce que calaisiens et exilés auront cultivé malgré tout, à savoir ce qui nous rapproche.

Déclare :

– 1 : Que la destruction annoncée par la Préfète du Pas-de-Calais de la partie sud de la « jungle » de Calais, comprenant notamment une école resplendissante, s’avère une infamie, un acte de guerre irresponsable conduit non seulement contre des constructions, mais aussi contre des hommes, des femmes, des enfants, des rêves, des solidarités, des amitiés, des histoires, une opération militaire écervelée conduite non seulement contre le bidonville, mais contre ce qui fait ville à Calais.

– 2 : Que résister nécessite de riposter enfin au déni de réalité généralisé, de contredire les professionnels de la plainte comme les promoteurs de l’exaspération, de rendre célèbre ce qui s’affirme aujourd’hui à Calais, de faire retentir le souffle européen qui s’y manifeste, de s’avérer autrement attentifs aux promesses d’avenir qui s’y dessinent, à la beauté des bâtisseurs, à la vie qui toujours invente.

– 3 : Que penser et agir de nouveau à Calais, au devant d’une situation-monde nous concernant tous, c’est s’inspirer des gestes de celles et ceux qui construisent inlassablement en dépit de la haine qui porte le nom de « politique publique », c’est poursuivre l’édification d’une cité-oasis du 21 siècle où trouver abris de droits, de culture, de joie et de fraternité, c’est risquer d’autres formes d’écritures politiques de l’hospitalité, de ce que nous avons en commun, de notre République.

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

NB : Le PEROU développe à Calais des « actes documentaires » associant huit équipes de chercheurs et étudiants d’universités et d’écoles d’enseignement supérieur ainsi que des photographes. Intitulé « New Jungle Delire » (voir sur le site du PEROU : www.perou-paris.org), ce travail est soutenu par le PUCA et la Fondation de France. Il est présenté chemin faisant au Pavillon de l’Arsenal (21 boulevard Morland, 75004 Paris) dans le cadre d’Ateliers Publics bi-mensuels. Le troisième Atelier Public du PEROU aura lieu le mardi 23 février à 18h30.

Sébastien THIERY

Source : Blog de Madiapart 14 févr. 2016

Voir aussi : Actualité France,  Rubrique Politique, Politique de l’immigration, Le camp de Grande-Synthe, rubrique Société, Justice,

La France au bord du burn-out… et nos résignations

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Par Cyrille de Lasteyrie, alias Vinvin

J’ai atteint un tel niveau d’exaspération politique que j’ai l’impression d’être au bord du burn out. Chaque jour je prends directement dans le ventre la honteuse réalité. Je vis dans un pays malade de partout, avec à sa tête des petits Français, élus par la magie de tous nos renoncements, assis sur leurs privilèges, vidant les caisses à tour de rôle et à tours de bras sous nos yeux ébahis, se moquant allègrement de nos conversations et de nos avis, s’octroyant des primes, des salaires, des taux, des toits et des avantages généreux, inventant des lois scélérates sous la panique, chantant la Marseillaise au Congrès de Versailles, la larme à l’oeil entre deux mises en examen, désertant leur poste à l’Assemblée, démissionnant de leurs ministères pour retrouver leur mairie, profitant de leur poste, les yeux dans les yeux, pour placer l’oseille au frais, écrivant des livres de promesses malodorantes, courant de plateaux en plateaux pour déverser leurs éléments de langage, vidant le langage de tous ses éléments, bafouant la vérité au profit du profit, mentant le mardi pour se repentir le jeudi et se représenter le dimanche, la gueule enfarinée, rasant gratis et sans état d’âme, bénis par leurs camarades de promotion, coudes à coudes, soudés, calés dans les dorures, au son de la trompette républicaine lustrée par notre impôt massif et notre dette souveraine.

J’ai la nausée, elle est là et elle ne me quitte plus, elle s’intensifie

Je cherche des traces de l’intérêt général, je ne le trouve pas. Il a été noyé sous les partis, les syndicats, les associations, les lobbies, les groupes, les intérêts particuliers, les privilèges des uns qui font les bénéfices des autres. Le blocage est total, les verrous sont rouillés et les flambeurs continuent de parader devant six millions de chômeurs, une école qui se délite, une santé attardée, un indice de bonheur qui s’écroule au 29ème rang derrière le Qatar et une consommation d’anti dépresseurs qui fait le délice de nos laboratoires, eux aussi bien placés dans la course aux bien placés. Je dégueule ma peine et je pisse dans un violon. Comme vous. Français impuissant à qui l’on fait croire tous les cinq ans qu’ils ont leur destin en main, comme des veaux qu’on mène à l’abattoir en leur caressant le flanc sous une musique douce pour faciliter l’anesthésie. Cinq ans à nous déchirer pendant qu’une petite bande de petits Français joue avec nos vies, nos économies, nos rêves de bonheur simple et de paix sociale. De temps en temps ils nous filent un os à ronger, qui d’un mariage pour tous, qui d’une loi de renseignement, qui d’une déchéance ou d’une indignité, et nous sautons dessus comme prévu, en bons petits soldats. Ils nous divisent à l’intérieur de nos familles, à l’heure où nous devrions plus que jamais nous aimer. Je suis écoeuré et perdu, silencieux, tétanisé par le sentiment d’impuissance. Les gens comme moi n’appartiennent à aucun intérêt particulier, hors celui de vivre bien ensemble, sans se déchirer, sans se méfier les uns des autres, tranquillement vivants sans faire de vague. Mais ça ne se passe plus comme ça… Cet hiver, l’un des nôtres est mort à trois cents mètres de l’Elysée. Je dis bien l’un des nôtres. Un membre du village, un cousin de cousin, certainement. On l’a laissé crever comme un rat aux pieds du Palais. Sans domicile. Pendant ce temps-là l’Élu assistait à des matchs de rugby et commémorait les chrysanthèmes, s’asseyait sur l’Histoire pour laisser une trace, de frein. Je n’en veux plus, de ces simulacres d’un temps passé et révolu.

Je ne veux plus d’un homme qui dit « moi je », il est temps que nous disions Nous. Aucune raison morale, technique et même de bon sens, qu’un seul homme du haut de ses petits arrangements entre amis, puisse décider d’envoyer le pays dans la guerre, et même de nommer la guerre, sans que nous, NOUS, ayons dit qu’il le pouvait. Aucune raison de modifier notre constitution sur l’autel de la peur. Aucune raison de prendre seul des responsabilités plus grandes que lui. Sommes-nous donc fous d’oublier sans cesse de fermer les yeux comme ces femmes battues qui voudraient fuir mais ne le peuvent pas, prisonnières d’une peur qui les paralyse? Si peu de choix entre l’incompétence, la malhonnêteté et la résignation? Nous irons bientôt, en 2017, comme des moutons sous morphine, choisir entre trois personnages, glissant dans l’urne le nom d’un comédien, maquillé, média-trainé, porté par des intérêts qui nous sont étrangers. Le goût des jeux, même sans le pain, nous donnera quelques temps notre dose d’adrénaline et comblera notre sens du débat. Le lendemain, les trois quarts de la population auront la gueule de bois et retourneront tête baissée vaquer à leurs espoirs corrompus, jusqu’en 2022.

J’ai perdu le goût de ce cirque. Le pays est au bord du burn out et à la fin de cet article, je ne sais toujours pas ce que je peux faire. Cercle vicieux et vertigineux. Ce qui me fait peur, c’est ma propre résignation et cette colère stérile qui ne fait qu’engendrer de la colère stérile. À quel moment la somme de ces colères pourra-t-elle produire un son commun, un premier pas vers une remise au goût du jour de notre dignité ?

Source sur Clairon.tv, le blog de Vinvin. 12/02/2016

Voir aussi ; Actualité France, Rubrique Politique, Citoyenneté, rubrique Société, Opinion,

Un Wikileaks est en train de naître à Nantes : le projet GOleaks

Lanceurs d’alerte, projet artistique « Quelque chose à dire ? » à Berlin, le 1er mai 2015 - Michael Sohn/AP/SIPA

Lanceurs d’alerte, projet artistique « Quelque chose à dire ? » à Berlin, le 1er mai 2015 – Michael Sohn/AP/SIPA

La région Grand Ouest va bientôt disposer de sa plate-forme d’alertes, permettant aux sources et aux journalistes de communiquer de manière sécurisée et confidentielle. Projet unique et novateur, porté par un binôme nantais, le journaliste Romain Ledroit et le hacker Datapulte.

A l’origine du projet de l’association GOleaks, la conférence d’un confrère, hacker nantais, à destination de journalistes locaux. Et ce constat sans appel de Datapulte, qui y assiste  : à l’aune de la loi sur le renseignement, les pratiques numériques des journalistes sont parfois obsolètes et souvent peu, voire pas, sécurisées.

«  La majorité des journalistes ne semble avoir aucune idée des traces qu’ils peuvent laisser derrière eux sur le Web. Ils ne connaissent pas, ou ne se servent pas des outils existants, capables de les protéger et de protéger leur source.  »

Mais ils savent pourtant qu’ils en ont besoin. Qu’il est temps pour eux, à l’heure des débats sur la protection des données, de s’y mettre aussi. Et de se rappeler que le Web est aussi ouvert qu’une porte de lupanar un samedi soir.

A peine l’idée émise, qu’elle semble trouver écho. Et les langues se délient. Ce journaliste influent de la région qui explique recevoir de nombreuses lettres, anonymes. Parfois à son domicile. Des lanceurs d’alerte qui ne savent pas comment faire autrement. Et se tournent vers le papier, faute de mieux. Faute d’outils numériques appropriés.

Mais encore faut-il savoir à qui, et où, adresser ses découvertes. Quel journaliste, pour quelle histoire.

Le hacker et le journaliste

Romain Ledroit, journaliste, rejoint alors aussitôt Datapulte l’hacktiviste pour «  le versant journalistique.  » Et ainsi créer le lien entre deux communautés qui se méconnaissent, mais qui ont pourtant tout intérêt à travailler ensemble. Entre hackers et journalistes, la frilosité disparaît rapidement, pour laisser place à un désir commun  : offrir aux lanceurs d’alerte l’outil qui leur manque.

«  Sensibiliser, c’est utile certes, mais au final pas très concret », remarque Datapulte. De là est née l’idée de créer cet outil concret, rassembleur, pour une corporation «  dont les pratiques sont souvent plutôt individualistes  », souligne Romain Ledroit. Ce sera donc GOleaks, pour Grand Ouest leaks. De la Normandie aux Pays de la Loire, en passant par la Bretagne, une plateforme sécurisée entièrement dédiée aux lanceurs d’alerte locaux. Avec, à l’autre bout, des journalistes volontaires pour recevoir ces alertes.

Et un peu affolés, au début, d’entendre parler mail chiffré et clé PGP. Pourtant, à écouter attentivement Romain et Datapulte, rien de bien compliqué. Un logiciel à télécharger pour le lanceur d’alerte. Soit Tor, navigateur qui protège son utilisateur. Pour le journaliste, une petite formation afin de savoir manier le chiffrage des données. Et au final, un mail chiffré, accessible par lui seul. Et une source protégée, leitmotiv obsessionnel de GOleaks.

Car à travers cette plate-forme, il s’agit bien de proposer un double service. Le journaliste est identifié par la source, qui va ainsi pouvoir choisir son destinataire selon ses domaines de prédilection. En utilisant cette plateforme, le professionnel, lui, vient signifier au lanceur d’alerte son souhait de protéger ses sources. Ce qui n’est pas rien. Et rassure le citoyen, souvent inquiet d’être reconnu. Ce dernier va donc choisir le journaliste en fonction de sa spécialité tout en sachant, second point important, que le journaliste qu’il aura choisi sera le seul à pouvoir lire les documents envoyés.

Pour Datapulte :

« Il s’agit avant tout de désacraliser le statut du lanceur d’alerte. La majorité des gens ne se sentent pas l’âme d’un héros. Sécuriser la source revient à évacuer la pression sur les épaules du lanceur d’alerte. On a trop vu de lanceurs d’alerte être propulsés contre leur gré sur le devant de la scène médiatique. »

La priorité de la plateforme, «  c’est la sécurité de la source  », confient les deux instigateurs du projet.

«  La crédibilité du projet repose sur une sûreté maximale, et donc un hébergeur de confiance.  »

Déjà trouvé. Au local évidemment. Et prêt à s’embarquer dans l’aventure GOleaks.

L’intérêt d’une plateforme régionale

La question soulevée en filigrane est celle de l’intérêt d’une nouvelle plateforme de leaks, au vu de celles déjà existantes des «  grands  » médias, tels Le Monde ou Mediapart. Pour Datapulte, la réponse se trouve elle aussi au niveau local. GOleaks ne vient en aucun cas remettre en cause l’hégémonie des médias de référence, ce n’est pas une plateforme de leaks de plus, mais bien une plateforme qui offre de nouvelles possibilités, jusqu’ici inexplorées.

Datapulte constate que «  les citoyens se sentent concernés par ce qui les touche de près, dans leur ville, leur région ». Certaines problématiques sociétales soulevées par les médias nationaux leur paraissent loin. Et ce qui les touche directement, une subvention culturelle, un pot-de-vin, un conflit d’intérêt, ne semblent pas forcément intéresser lesdits médias nationaux. L’aspect local, lui, est donc à portée du citoyen. Pour Romain Ledroit, journaliste, la difficulté est aussi d’ordre économique. La déliquescence du travail d’investigation au niveau local est frappante, et semble-t-il pérenne.

«  Les économies de moyens au niveau local ne permettent plus ce type de pratiques journalistiques.  »

L’intérêt est donc multiple, autant que les problématiques que viendront soulever les lanceurs d’alerte. Bien sûr, on ne peut que penser au dossier patate chaude de la région, à cet enlisement incessant du conflit autour de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Les documents risquent de fuser. Ce sera alors au journaliste destinataire de faire son travail de vérification. Avec la possibilité, bien sûr, de pouvoir rencontrer la source.

Datapulte, lui, a déjà été contacté par rapport à un problème d’hygiène au sein de l’usine d’un gros groupe industriel, usine implantée au local. Par une personne ayant entendue parler de GOleaks. Mais il rappelle que lui n’est pas journaliste, qu’il va juste rendre viable cet outil, pour que ces lanceurs d’alerte se sentent moins seuls avec ce qu’ils savent. Et le hacker d’insister :

«  Romain et moi n’aurons aucun accès aux données et documents envoyés.  »

Une fois la plateforme lancée, elle a sa vie propre. Entre sources et journalistes seulement. Eux vérifieront juste, avec l’hébergeur, cette sécurité qui leur est si chère. Et apprécieront la satisfaction d’avoir donné un outil en plus à la liberté d’expression.

« Pas une plateforme de délation »

Il est aussi question d’offrir de nouvelles possibilités, à portée de main. Le tissu local est la source de nombreuses interrogations des citoyens. Et pas forcément là où on l’attend : les intéressés viennent aussi d’autres sphères, ni journalistiques, et encore moins hacktivistes. Mais aussi du syndicalisme, de la fonction publique ou du milieu associatif. Bref, là où les réseaux bien en place sont parfois en vase clos. L’opportunité d’un débouché sécure et anonyme apparaît comme une priorité dans le Grand Ouest.

S’il est question de transparence, il ne s’agit pas d’une simple citoyenneté numérique avec GOleaks. Il y a encore peu de temps, les métropoles s’offraient une communication publique avec l’open data (l’ouverture des données publiques à toutes et tous). Derrière les lumières tapageuses, des tableaux Excel aussi communicants qu’un guichet automatique de la Banque postale. Et assez peu d’informations. GOleaks, en misant sur des émissions d’informations anonymes, entend aussi donner un autre visage à cette transparence, voulue par une frange grandissante de la population. Les deux garçons insistent  :

«  GOleaks n’est pas une plateforme de délation, il ne s’agit pas de régler des comptes, mais bien de pouvoir créer le tuyau sécurisé entre la source et le journaliste dans l’intérêt public.  »

Lorsqu’on aborde la politique, ils sourient et secouent la tête. Ce projet est certes «  militant  » reconnait le duo, «  mais il est avant tout apolitique. Ce qui est en revanche politique, si l’on peut dire, c’est ce désir pour nous d’un Internet ouvert et d’une liberté d’expression qui est fondamentale.  »

L’association GOleaks n’est affiliée ni à un parti politique ni à un média régional. Un outil autosuffisant en somme, qui mise sur la confiance et le professionnalisme des journalistes rencontrés, et qui fait de la construction de GOleaks «  une aventure humaine avant tout ».

Une aventure qui ne s’arrête pas là. Dans un souci de transmission, et pour faire vivre le projet, Romain Ledroit et Datapulte ont en commun le souhait de former les journalistes aux outils de protection des données. Tous les journalistes ou rédactions qui en feront la demande, et pas seulement au niveau régional cette fois.

Désankyloser l’investigation

Mais GOleaks ne veut pas se contenter d’attendre le leak comme d’autres le like. Un board associatif composé de journalistes et d’hacktivistes de l’association éponyme proposera une saisonnalité des leaks, c’est-à-dire un appel public sur une thématique. Afin de mutualiser les pratiques. Ne plus se retrouver seule avec des bribes d’informations, mais bien penser autrement, en collectif, l’évolution des pratiques. Et peut-être remettre au centre une investigation ankylosée, avec des projets innovants comme le projet 102h, qui permettrait de suivre des journalistes dans leur quotidien.

La plus-value de GOleaks réside dans l’apport d’une certaine expertise et d’une expérience de travail bénéfique journaliste-hacker.

Pour ce faire, un crowdfunding a été lancé sur Kickstarter, et s’est terminé mardi 16 février, recueillant plus de 6 000 euros, au-delà de la somme demandée.

A Nantes, au gré des rencontres et des questions, ils organisent également des «  crypto-parties  » gratuites à destination du grand public, afin de sensibiliser tout un chacun à la protection de la vie privée sur le Web. Ce qui n’est pas une mince affaire, en ces temps d’extimité exacerbée.

Déjà, d’autres régions intéressées ont contacté le binôme. SOleaks (pour Sud-Ouest leaks) pourrait également voir le jour. Pour continuer l’aventure, encore. Parce que GOleaks se veut comme un soutènement à une liberté d’expression mise à mal. Une solution sûre, dans une société aujourd’hui insécure.

Elsa Gambin.

Source Rue 89 18/02/2016

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Internet, rubrique Médias, rubrique Société, Citoyenneté,

L’envers du décor paradisiaque de Tahiti

file6og9qwepn8jiakkbo71François Hollande est attendu à Tahiti le 22 février. Il sera le premier chef d’Etat français depuis treize ans à s’y rendre. Une visite attendue car, cinquante ans après le premier essai nucléaire, la Polynésie française paye les conséquences sociales et environnementales de la présence des fonctionnaires et des soldats de la métropole

Un vent léger venu du large fait bruisser les arbres fruitiers qui entourent la maison de Marie-Noëlle Epetahui, dans la presqu’île de Tahiti iti, au sud-est de l’île de Tahiti. «Les femmes m’appellent de jour comme de nuit, quand elles se font frapper. Ma porte est toujours ouverte.» Dans la ville de Taravao, à une cinquantaine kilomètres de Papeete, la responsable de l’antenne locale de l’association Vahine Orama («Femme debout») accueille chaque année plusieurs centaines de victimes de violence domestique sous son toit. «Les coups ont toujours existé, mais ils sont de plus en plus nombreux. La société polynésienne est en profonde mutation, les structures traditionnelles sont en train de disparaître», explique-t-elle.

Depuis la fin des essais nucléaires, en 1995, et le départ des militaires de métropole, le travail se fait rare en Polynésie française. L’alcool et la drogue, le paka, la marijuana locale, forment un cocktail détonnant qui prospère avec la misère. «En presqu’île, la plupart des problèmes se produisent dans les lotissements sociaux de Taravao, construits en 2006 et 2007 par l’Office public de l’habitat (OPH)», poursuit Marie-Noëlle Epetahui. Ces logements accueillent des familles originaires d’archipels éloignés, venus à Tahiti dans l’espoir d’être embauché quelque part. Faute d’emplois à Papeete, beaucoup de ces déracinés ont été déplacés à Taravao, sur l’isthme qui sépare la presqu’île de la grande île de Tahiti Nui.

«Les populations des archipels des Tuamotu ou des Marquises ont commencé à arriver à Tahiti après l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), en charge des essais nucléaires français, dans les années 1960. A cette époque et jusqu’au milieu des années 1990, l’argent coulait à flot», souligne Maiana Bambridge, ancienne directrice de l’OPH, aujourd’hui vice-présidente de la Croix-Rouge de Polynésie française. «En l’espace de quarante ans, les gens ont oublié comment pécher et se nourrir des fruits de la forêt, ils sont devenus manutentionnaires ou sont passés derrière des bureaux. Et puis tout s’est écroulé d’un jour à l’autre

Les Polynésiens cultivent souvent le mythe d’un «âge d’or», antérieur aux essais nucléaires, mais il n’est pas facile pour autant de revenir vivre dans les îles les plus isolées. «Il n’existe pas de lycée généraliste dans les archipels des Gambier ou des Australes, poursuit Maiana Bambridge. Les jeunes viennent à Tahiti pour étudier, ils se logent chez des parents, mais la cohabitation est souvent difficile. Les femmes enceintes sont poussées à venir accoucher à l’hôpital de Papeete, afin de réduire en théorie la mortalité infantile. La Protection sociale rembourse les évacuations sanitaires, mais cet éloignement contribue à faire éclater les cellules familiales.»

Sur un modèle très français, le gouvernement autonome du «pays» a fait le choix de la centralisation, en concentrant toutes les infrastructures à Tahiti, alors que les 138 îles qui forment la Polynésie française sont éparpillées sur un immense territoire maritime de 5,5 millions de km2, aussi grand que l’Europe occidentale.

A proximité de Papeete, les pistes de l’aéroport de Faa’a ont été construites sur des terrains remblayés: d’un côté, le lagon, désormais inaccessible à la population, de l’autre le quartier de squatteurs de Hotuarea, que l’Etat veut évacuer depuis des années. «Ces gens se sont installés il y a plusieurs décennies, souvent avec l’accord tacite des propriétaires, explique Moetai Brotherson, adjoint au maire de la ville, l’indépendantiste Oscar Temaru. Aujourd’hui, cela pose des difficultés. Beaucoup de familles veulent récupérer leurs terrains.»

Drogue, obésité et diabète

 

La commune de Faa’a concentre tous les problèmes sociaux de la Polynésie: drogue mais aussi obésité et diabète, «la» maladie du pays, qui toucherait près d’un Polynésien sur deux. En quelques décennies, le régime alimentaire des îles a été totalement transformé, alors que presque tous les produits sont importés. Le beurre, l’huile et les boissons gazeuses occupent désormais une place de choix sur les tables de la population.

«Les essais nucléaires ont bien sûr contaminé le Pacifique et causé des dommages environnementaux irréversibles, mais ils nous ont aussi enfermés dans une terrible dépendance économique et culturelle à l’égard de la France», s’indigne Roland Oldham, un militant qui a participé à sa première manifestation contre les essais en 1966, l’année de ses 16 ans et du premier tir sur l’atoll de Moruroa. Il dirige aujourd’hui l’association des anciens travailleurs du nucléaire, qui se bat pour l’indemnisation des victimes. «Nous avons déposé près de 900 dossiers, mais la plupart ont été rejetés, en raison de l’article 4 de la loi de 2010, qui introduit la notion de «risque négligeable»: les victimes doivent apporter la preuve que leur cancer est bien dû aux essais, ce qui scientifiquement impossible!» Pour lui, le programme nucléaire français, pourtant arrêté depuis vingt ans, est un «cancer» qui continue de ronger la société polynésienne.

Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Papeete

Source : Le Temps, 15/02/2016

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