« La vie sociale repose sur la confiance »

Dominique Shnapper?: "La liberté de la presse fait partie de la liberté politique." Photo Gallimard

Dominique Shnapper : "La liberté de la presse fait partie de la liberté politique." Photo Gallimard

La sociologue française, Dominique Schnapper est la fille de Raymond Aron. Elle a été membre du Conseil constitutionnel entre 2001 et 2010. Elle ouvre ce soir les 25e Rencontres Pétrarque avec la leçon inaugurale sur le thème En qui peut-on avoir confiance ? Entretien à la lumière d’une actualité qui met en évidence une certaine défiance des citoyens à l’égard de leurs institutions et suscitera des débats cette semaine à Montpellier dans le cadre des Rencontres Pétrarque de France Culture.

Vous êtes en charge de poser les termes des débats de cette semaine. Comment envisagez-vous cette question de la confiance dans sa dimension objective et surtout subjective ?

« Le contraste entre la confiance objective et la confiance subjective est au cœur des débats. Objectivement l’ensemble de nos relations repose sur une confiance accrue envers les autres. Les liens qui nous unissent à nos compatriotes et au monde entier sont à la fois plus nombreux, et plus forts. En même temps la démocratie suscite les interrogations et la confiance subjective ne suit pas nécessairement la confiance objective. C’est dans l’analyse de ce décalage que se situeront les débats.

Avec l’affaire Bettencourt qui mobilise le gouvernement, cette question de la confiance semble au cœur du problème. Elle évoque la méfiance des citoyens. Quel regard portez-vous sur ce feuilleton ?

« Les exigences de transparence de la vie publique ont augmenté au fur et à mesure que se sont développées les exigences démocratiques. Cela pose des problèmes parce que la vie publique est loin d’être toujours conforme aux idéaux de la démocratie. Il est inévitable qu’en exigeant la transparence on découvre des modes de fonctionnement qui ne sont pas parfaits. Ce qui paraissait normal hier suscite maintenant un sentiment de scandale.

L’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme garantit une libre communication des pensées et des opinions mais dans les limites déterminées par la loi, tandis que la Constitution américaine interdit l’adoption de lois restreignant la liberté de la presse. Existe-t-il une réelle liberté de la presse dans notre pays ?

La liberté de la presse fait partie de la liberté politique. Elle est essentielle. Sans elle, il n’y a pas de démocratie. A partir de là, il existe des traditions différentes d’encadrement ou de non-encadrement de cette liberté. Aux Etats-Unis, un amendement de la Constitution garantit une liberté absolue de la presse. La tradition française est un peu différente, mais les événements actuels montrent tout de même que la liberté de la presse est grande. C’est nécessaire. En même temps, les journalistes eux-mêmes ne sont pas au-dessus de la transparence qui est attendue des hommes politiques.

Les Français ne font pas plus confiance aux journalistes qu’aux hommes politiques…

Il serait souhaitable qu’ils fassent à la fois confiance aux journalistes et aux hommes politiques, mais les enquêtes montrent qu’en France la confiance faite aux uns et aux autres ainsi qu’aux institutions en général, est parmi les plus faibles d’Europe. Ce qui pose un problème profond, parce que la vie sociale repose sur la confiance que nous nous faisons les uns les autres.

N’est-ce pas lié à notre manque de confiance dans la justice, souvent décrite comme une institution socialement biaisée au détriment des populations défavorisées ?

Aucune des institutions humaines n’est rigoureusement conforme aux principes démocratiques. Malgré tout, l’égalité de droit n’est pas sans effet. C’est quand même dans les sociétés démocratiques que la justice applique le mieux ou, en tous cas, le moins mal les grands principes de l’égalité de tous devant la loi.

Max Weber soulignait au début du XXe siècle que le droit s’adaptait aux demandes du secteur économique. Le Conseil constitutionnel a retoqué le texte de la loi Hadopi en faveur de la liberté d’expression mais les intérêts des maisons de disques et des auteurs sont privilégiés aux détriments d’une prise en compte des pratiques de consommation culturelle…

Le Conseil constitutionnel n’a critiqué que l’un des aspects de la loi qui a été ensuite adoptée. Sur le fond, le texte tente de résoudre un problème lié à des intérêts contradictoires. La liberté des individus d’un côté, et d’autre part la production des auteurs, faute de quoi, il n’y aura plus de production intellectuelle. Le projet est celui du gouvernement. Le Conseil constitutionnel a seulement vérifié qu’il n’était pas contraire à la Constitution. Il a affirmé que la liberté d’expression sur Internet est une partie de la liberté politique. Personnellement, je ne suis pas sûre que cette loi sera aussi efficace que le gouvernement le souhaitait parce que la technique dépasse en général la législation.

A propos du bouclier fiscal, on lit dans la décision du Conseil constitutionnel que celui-ci tend à éviter une rupture de l’égalité devant les charges publiques, c’est un peu fort de café !

L’idée que le contribuable ne doit pas remettre à l’Etat plus de la moitié de ses revenus n’est pas en tant que telle contraire au principe de la redistribution. C’est une décision politique sur laquelle le Conseil constitutionnel n’avait pas à intervenir.

Cela signifie-t-il que le bouclier fiscal est gravé dans le marbre ?

C’est une décision politique. Comme toutes les décisions politiques, elle peut être remise en question par la situation économique ou par un gouvernement qui adopterait une autre politique. Mais, quelle que soit sa valeur symbolique, ce n’est pas le problème essentiel de la redistribution de la société française.

N’avez-vous pas le sentiment que la confiance des Français dans leurs institutions représentatives s’épuise ?

Ils croient encore aux institutions représentatives parce qu’il n’y en pas d’autres. Mais force est de constater qu’elles sont surtout respectées, pour aller vite, par les plus diplômés, les plus riches et les plus âgés. C’est ce que montrent les chiffres de l’abstention selon les catégories sociales. Ce qui est préoccupant. Pour l’instant nous ne connaissons pas d’autres moyens pour organiser les pratiques démocratiques. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Dernier ouvrage paru : Une sociologue au Conseil constitutionnel, éditions Gallimard

Voir aussi : Rubrique Politique Une institution fragile, Rubrique Rencontre Jean-Claude Milner,

La question religieuse dans l’espace social

inter-religieuxSociété. Dans sa dernière livraison, la revue le Sociographe éditée à Montpellier s’intéresse à la prise en compte des croyances dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux.

 

Au cœur des pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux, se loge une dimension religieuse. Mais souvent, la confession du bénéficiaire n’est pas prise en compte :  » Au nom d’une fausse dichotomie entre appartenance religieuse et laïcité « . On ne peut réduire les humains à leur pure fonctionnalité comprendra-t-on en se plongeant dans le dernier numéro du Sociographe.

La revue qui se nourrit des témoignages et des réflexions de travailleurs sociaux dans leurs pratiques professionnelles a choisi de revenir sur la question religieuse dans l’espace social.

La première partie qui porte sur la genèse situe l’action sociale comme un enjeu commun du politique et des cultures et croyances. S’appuyant sur l’affirmation souvent énoncée d’un retour du religieux, JD Causse, qui dirige le département de psychanalyse de l’Université Montpellier III, s’interroge sur le présupposé de ce retour qui impliquerait une absence. Le chercheur préfère y voir un redéploiement sous l’aspect d’une triple recomposition. Le fondamentalisme s’exprimant dans des mouvances très identitaires pour échapper aux dérives du monde moderne. Une forme narcissique détachée, collant aux aspirations d’auto thérapie du moment, et le transfert du religieux dans le pouvoir des technosciences selon l’idée chère à Foucault.

A partir d’un éclairage historique, J.M. Gourvil rappelle comment, à la fin du Moyen-Age, l’invention des  » bonnes œuvres  » permet à l’Eglise de s’approprier les pratiques solidaires des communautés locales qu’elle cédera plus tard à l’Etat providence. Ce qui lui permet de surgir dans la crise actuelle qui agite le débat autour de l’action sociale : entre l’appel à une intervention de l’administration centrale et une vision citoyenne laissant davantage de place au développement des cultures et des solidarités locales.

Les différents éclairages émanant de témoignages, qui constituent la seconde et la troisième partie de la revue, soulignent que des difficultés de compréhension émergent aux contacts de certaines minorités communautaires. L’expérience de terrain invite à la prise en compte de valeurs différentes autant qu’à une certaine réflexivité.

Gérald Dudoit.  » Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? « 

Gérald Dudoit enseigne la sociologie à l’IRTS-LR*. Il a coordonné ce trente-deuxième numéro du Sociographe.

Gérard Dudoit

Gérard Dudoit

 » La question religieuse dans l’espace social, par les temps qui courent, c’est un peu poser le pied sur un champ de mines. Avez-vous balisé le parcours ?

Le champs de mines, nous étions pressés de le déterrer en essayant de ne pas tomber dans un quelconque dogmatisme. Dans ce numéro consacré aux croyances dans le travail social, nous avons cherché des confessions pour lever un objet peu abordé par les travailleurs sociaux et les institutions. Nous avons d’ailleurs rencontré quelques difficultés. Sur la liste des personnes sollicitées, certaines n’ont pas souhaité répondre à notre proposition. C’est une question difficile qui renvoie inévitablement à nos propres croyances. Le mode d’expression est resté libre comme pour chaque numéro de la revue.

Le parallèle entre l’histoire sociale et religieuse apparaît clairement dans la première partie qui met en regard deux institutions parfois aliénantes…

Le champ abordé n’est pas seulement religieux, c’est aussi celui de la croyance qui participe au fondement de l’action sociale, comme le souligne l’intervention de Jean-Marie Gourvil. Le système religieux comme l’institution sociale sont aliénants lorsqu’ils dépassent la prise en compte de l’individu et de la différence pour imposer une société contre l’individu, une société de prêt-à-porter religieux ou social.

Dans la partie témoignages, une éducatrice évoque une expérience où elle se trouve confrontée à une croyance étrange qui marque un contrepoint aux représentations religieuses…

En effet, ce témoignage de l’éducatrice spécialisée, Brigitte Mortier, souligne notre volonté de ne pas se limiter à la religion en tant que dogme. En arrière plan, il soulève le fait que nous ramenons souvent l’objet de croyance à une confession qui nous est étrangère, qui vient de chez les autres. Là nous sommes face à une croyance surnaturelle issue de la France profonde qui renvoie et interroge le travailleur social à sa propre perspective scientifique.

Un autre témoignage de terrain évoque la perte de repères absolue, y compris de leur croyance, de demandeurs d’asile. Est-ce le rôle du TS de toucher au fondement identitaire ?

On touche ici le problème des situations extrêmes traversées par les demandeurs d’asile victimes de traumatismes générés par des persécutions qui ébranlent leur croyances. Entre l’acculturation et l’assimilation d’un nouveau mode de fonctionnement, il existe un entre deux où la réorganisation n’est pas possible parce que la personne a perdu le respect de son groupe d’origine, à la fois le contenant et le contenu.

Les travailleurs sociaux sont-ils formés pour faire face à ce type de situation ?

Par rapport à ces différences, l’usager vient globalement travailler le professionnel. L’altérité nous permet de bouger de déplacer nos valeurs. La formation s’apparente à une mise en conformité des travailleurs sociaux. Les institutions veulent-elles des individus ou cherchent-elles à fournir des rôles sociaux occupés par des individus ? Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? C’est un sujet toujours brûlant d’actualité. Après la formation, c’est en situation que se construit le positionnement professionnel et dans l’éthique que se situe ce qui se travaille en chacun « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : rubrique société il n’y a pas de société sans croyance , position de la LDH sur la burka, rubrique revue le travail social est-il de gauche ?,

Psychanalyse un douteux discrédit

warhol20freudLa question surplombe la thématique et la dépasse. Il s’agit de s’interroger sur la place de la psychanalyse dans notre société. On prend pour cela prétexte d’une commémoration. Celle du soixante dixième anniversaire de la mort de Freud. Tandis que l’activité éditoriale s’affaire a rééditer l’œuvre du père de la psychanalyse, le polémiste Michel Onfray, pond 600 pages (1) pour dénoncer la forfaiture freudienne. A gros traits, Onfray fait du penseur et de son œuvre un épouvantail. Freud serait un réactionnaire, anti-pauvre, misogyne, ayant pris ses fantasmes personnels comme une réalité universelle. Au regard de l’œuvre, on peut conserver une distance à l’égard de la psychanalyse et certaines de ses dérives, sans jeter le bébé et la mère avec l’eau du bain…

Car cet enterrement en grande pompe n’est évidemment pas anodin. Outre sa pachydermique dimension commerciale, l’entreprise Onfray s’inscrit dans un contexte où la psychologie cognitive, célèbre pour être à l’origine du fonctionnement informatique, c’est-à-dire pour modéliser dans un schéma binaire, étend dangereusement son emprise hégémonique dans la société. Dans ce contexte, il est intéressant de (re)découvrir les Conférences d’introduction à la psychanalyse rééditées en poche (2). Vingt-huit conférences prononcées entre 1915 et 1917 destinées à un public profane afin d’introduire les auditeurs à cette science naissante. Dès le début, Freud aborde l’aversion à l’encontre de l’investigation psychanalytique. « La société n’aime pas qu’on lui rappelle cette portion scabreuse de sa fondation, elle n’a aucun intérêt à ce que la force des pulsions sexuelles soit reconnue et à ce que soit mise à jour l’importance de la vie sexuelle pour l’individu. Dans une visée éducative, elle a pris le parti de détourner l’attention de tout ce champ. »

Dans la relation psychanalyse et démocratie, les contradicteurs d’hier sont encore ceux d’aujourd’hui.  Peut-on construire une société sans croyance ? Cette question était posée aux invités d’un Forum Fnac vendredi, réunissant le sociologue Daniel Friedman, le psychologue montpelliérain Henry Rey-Flaud, et l’initiateur de l’Appel des appels  Rolan Gori. Daniel Friedmann amorce ci-contre une réponse en posant au préalable une autre question : Qu’est ce que la croyance ?

Jean-Marie Dinh

(1) Le crépuscule d’une idole- l’affabulation freudienne, Grasset, 17,9 euros.
(2) Conférences d’introduction à la psychanalyse éditions Folio, Henry Rey-Flaud La vérité entre psychanalyse et philosophie, éditions Erès, Roland Gori,  L’Appel des appels, éditions Mille et une nuit.

Voir aussi : rubrique rencontre Daniel Friedman, Roland Gori, rubrique livre Qu’est ce que la critique ?, Todorov La signature humaine,

Daniel Friedmann« Il n’y a pas de société sans croyance »

Daniel Friedmann au Forum Fnac

Daniel Friedmanm est chargé de recherche au CNRS. Ayant une certaine pratique psychothérapeutique. Il se définit avant tout comme un chercheur. Il vient de faire paraître 13 entretiens filmés Etre psy aux éditions Montparnasse. Entretien avec un sociologue qui analyse les processus de l’inconscience à travers le monde.

Peut-on construire une société sans croyance ?

La société, on ne la construit jamais intégralement. On la trouve. On essaie de la transformer : ce peut être l’œuvre humaine d’une époque, d’une génération. Il n’y a pas de société sans croyance. La croyance se définit par opposition au savoir scientifique. C’est une adhésion affective qui peut recouvrir la dimension idéologique. En ethnopsychiatrie on s’intéresse aux croyances des autres, considérés ici comme des porteurs de croyances non traditionnelles. C’est une manière de saisir le lien de quelqu’un et sa croyance sur le plan affectif. L’identité est une croyance.

Vous avez travaillé sur le changement identitaire des immigrants, leur intégration n’implique-t-elle pas aussi, une adaptation de la société qui les accueille ?

Le changement le plus visible est celui de l’immigrant. Il doit apprendre une nouvelle langue, se trouver un travail « s’autonomiser » dans un contexte nouveau. C’est un processus difficile qui implique de trouver la force de mettre en question son identité d’origine. De manière symbolique c’est faire le deuil de sa culture ou du moins trouver le moyen de la réinvestir dans la société dans laquelle il s’intègre. Cela suppose aussi que cette société s’intéresse et s’ouvre à la culture dont il est le porteur. L’exilé opère deux initiations qui le renforcent et lui permettent d’acquérir une distance, un regard critique, souvent inaccessible si l’on demeure dans un système auto référentiel.

C’est un peu ce qui s’est passé pour Freud dans son combat contre les sciences exactes ?

Effectivement, Freud était issu de la culture austro-hongroise marquée par l’antisémitisme et se trouvait dans une position minoritaire de part son appartenance juive. Ce n’est pas un hasard si la psychanalyse est née dans la Vienne du début du XXe siècle. Celui que l’on considère comme son père était lié à une double position. Celle d’intégrer la société dans laquelle il se trouvait et la venue d’un ailleurs. La conscience n’est pas un empire. Il y a l’inconscient C’est ce combat critique qu’a mené Freud contre la souveraineté de la conscience.

L’amour est-il une croyance ?

L’amour comme l’amitié est une croyance. Si vous aimez quelqu’un vous développez un lien affectif très fort. Que se passe-t-il s’il n’y a pas de croyance ? Dans quoi est-on ? Dans la dépression…

Est-ce à dire que tous les amoureux du fric sont des dépressifs qui s’ignorent ?

Euh… c’est un choix… Harpagon, celui qui est dans l’avarice, est dans la rétention, contraint dans une certaine étape de la libido au-delà de laquelle il ne peut pas aller.

A quoi tient votre parti pris de filmer les psychanalystes ?

J’ai consacré l’essentiel de ma carrière à la recherche en sociologie sur les pratiques traditionnelles para psychanalytiques comme le chamanisme, le vaudou etc. Lorsque je suis arrivé aux psychanalystes, je me suis dit que les filmer permettrait la captation de la parole mais aussi du corps. Je souhaitais faire surgir leur individualité, quelque chose de leur subjectivité.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Daniel Friedmann Etre psy 13 entretiens thématiques aux éditions Montparnasse

Voir aussi : Rubrique débat Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique livre, Qu’est ce que la critique ?, société, la question religieuse dans le travail social,

Démocratie de quartier et légitimité politique

La démoctatie participative à construire

La démoctatie participative à construire

Essai. A la lumière de l’histoire, l’ouvrage d’Anne Lise Humain-Lamoure analyse les enjeux politiques et les pratiques sociales de la démocratie de proximité.

Faire une démocratie de quartier ? L’ouvrage d’Anne-Lise Humain-Lamoure tombe à pic à l’heure où Montpellier reconduit l’opération Printemps de la démocratie sur fond de bataille pour devenir kalif surdoué. Sur le papier, notamment celui de la presse institutionnelle, il est question  » d’aller à la rencontre de l’expression citoyenne, au plus près des habitants, et de consacrer la prise en compte de l’expertise d’usage des habitants dans l’acte décisionnel.  » L’objectif affiché ne pouvant être que louable et désintéressé, tout citoyen comprend naturellement que l’intérêt de nos élus locaux pour la démocratie locale s’inscrit avant tout dans un souci électoral. Ce dont convient l’auteur en pointant   » le souci de légitimation de leur représentativité dans le cadre d’un contexte politique qui valorise fortement le principe d’une proximité. « 

Qu’est ce que la proximité ?

democratie-particip-arbreCette proximité incontournable et cruciale, devenue en quelques années une valeur politique de premier plan sans que l’on puisse pourtant en donner une définition claire, trouve place dans la recherche pluridisciplinaire (géographie, aménagement, sociologie et sciences politiques ) d’Anne-Lise Humain-Lamoure. L’auteure y consacre un chapitre. Sous le titre Quartier et proximité une nouvelle idéologie ? elle analyse le mécanisme de production de légitimité politique comme une rupture symbolique avec une légitimité naguère liée à la distance. Distance de l’intérêt général par rapport à l’intérêt particulier, de l’administration rationnelle par rapport à la relation personnelle et de l’Etat par rapport à la société civile.

De quel quartier parle-ton ?

 Si le quartier apparaît unanimement comme le territoire à construire, la division spatiale administrative comme la pertinence de son échelle dans l’espace urbain ne sont ni discutées ni imposées par le cadre légal.  » Le quartier apparaît comme une catégorie abstraite dont l’échelle et les critères de délimitation ne sont jamais définis.  » En fonction du contexte, les acteurs municipaux peuvent ainsi mobiliser le quartier différemment pour le mettre en lien avec les axes politiques qu’ils entendent mettre en valeur. Tandis que les habitants font référence, dans leur grande majorité, à l’idée de rencontre et d’interaction sociale. Pour la population  » Le quartier se définit avant tout par la diversité des personnes qui s’y côtoient. « 

 Critique du mode électif

L’objet de la loi de démocratie de proximité, adoptée en février 2002 est de lier gestion de proximité et démocratie locale. Le texte se fixe pour objectif de renouveler le lien entre élus et citoyens pour renforcer la démocratie, améliorer l’efficacité de l’action publique, et retrouver un lien social considéré comme érodé.

mosquee-manifCette loi répond avant tout à la crise de représentation  » souligne la chercheuse, en fournissant un cadre  » pour mieux décider au nom des gens en refondant la légitimité des élus.  » Le régime représentatif assuré par les élections certifie théoriquement la légitimité des décisions prises et de ceux qui les prennent. Mais il est aujourd’hui de plus en plus contesté comme l’indique les records atteints par l’abstention dans toutes les élections intermédiaires aux présidentielles.  » L’élection suppose une compétition pour la conquête des mandats et des pouvoirs qu’ils confèrent. Or, cette compétition, organisée par et dans les partis politiques, est souvent ressentie comme des réseaux de pouvoir dans lesquels une part croissante de citoyens se sent exclue et oubliée.  » A cela s’ajoute la litanie des promesses non tenues, autant que l’impression d’une caste fermée de politique issue des classes les plus favorisées. La critique du modèle républicain revendique aussi l’ouverture des systèmes décisionnels, et la reconnaissance de la différence entre les groupes sociaux, sur la base de leurs origines ethniques et religieuses.

La démocratie de proximité aurait donc pour but d’abolir ou d’atténuer la domination politique, sociale et culturelle. Mais pour la plupart de ses promoteurs officiels, ce n’est guère concevable.  » Pour la première fois depuis la Révolution, on choisit de découper un des territoires de la République  » rappelle Anne-Lise Humain-Lamoure dont l’essai ausculte la démocratie à partir du plus petit des territoires. Un miroir édifiant sur les pratiques et les questions que suscite notre système politique.

Jean-Marie Dinh

Faire une démocratie de quartier ? Editions Le bord de l’eau, 22 euros

Voir aussi : Rubrique Montpellier Rubrique Politique locale : Frêche et le serment du Jeu de paume , Mandroux et le village Gaulois, Tramway ligne trois,  Un petit dernier avant les régionales, Un îlot de soleil sous un ciel menaçant Petit Bard Pergola rénovation urbaine,