Faut-il que les travailleurs sociaux mettent du cœur à l’ouvrage ? En cette période de rentrée, la question des sentiments opportunément par le Sociographe n’est pas seulement conjoncturelle. Elle prend tout son sens dans une société où le dogme du résultat balaye toute humanité sur son passage.
Sous le titre Malaise dans la relation, la revue des travailleurs sociaux qui œuvre à l’articulation entre réalités sociales, pratiques professionnelles et prescriptions politiques, ausculte la question complexe des sentiments chez les professionnelles pour associer au mieux les contraintes de l’institution et l’intérêt de l’usager.
Composé de témoignages, et d’analyses, le dossier coordonné par Guy Schmitt s’organise en trois parties. La première aborde la dimension de l’éros et d’un amour possible de l’usager. Dans l’article Faut-il aimer pour accompagner, Didier Morel apporte d’utiles repères en opposant l’éthique aux sentiments spontanés envers autrui. Que la présence de l’autre nous soit agréable ou pas. « On peut dire que l’éthique, la raison, le recul réflexif, la vigilance d’esprit sauvent ce que n’assure pas seul l’aspect « sensible » de la rencontre », pose le spécialiste en sciences de l’éducation. Sans exclure la sensibilité dans le rapport à l’autre qui nourrit l’intelligible, l’éthique met en forme la relation en dosant sa propre présence. « La conscience éthique réfléchit notamment à la place potentiellement excessive, sinon nuisible, occupée par le moi dans la relation avec l’autre. »
Ne pas être dupe
La seconde partie s’intitule « ne pas être dupe », elle présente des articles qui mettent en avant l’évolution et les enjeux de l’action sociale. On y interroge notamment la tentation du politique à considérer l’aide à domicile uniquement d’un point de vue marchand. « Les sentiments font partie intégrante de la pratique professionnelle de l’aide à domicile, comme la plupart des pratiques d’intervention sociale. Ils sont bien souvent convoqués pour justifier d’une moindre valeur au travail et surtout à l’accompagnement fournit », constate l’ingénieur social Anne-Sophie Hosking qui interroge les critères de recrutement qui déconsidèrent le métier et les usagers.
La dernière partie questionne la qualité des exigences. Est-il raisonnable de se contenter de critère pré-définis pour évaluer ses actions quand chaque situation vécue conduit à un accompagnement particulier ? Comment considérer le temps de la rencontre qui semble sans importance ?
Les idées et les pistes de travail de ce 36e numéro du Sociographe sont riches et nombreuses pour éclairer les travailleurs sociaux dans la gestion du doute relationnel. Elle dévoilent en creux un certain isolement où il faut faire face avec les moyens qui se présentent. Guy Schmitt plaide pour « un triptyque de la sensibilité, des sentiments et de l’intelligence. »
JMDH
Le Sociographe n° 36 septembre 2011, 10 euros, 04 67 07 82 73
La conscience éthique réfléchit à la place potentiellement excessive, sinon nuisible, occupée par le moi dans la relation avec l’autre.
Société. Dans sa dernière livraison, la revue le Sociographe éditée à Montpellier s’intéresse à la prise en compte des croyances dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux.
Au cœur des pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux, se loge une dimension religieuse. Mais souvent, la confession du bénéficiaire n’est pas prise en compte : » Au nom d’une fausse dichotomie entre appartenance religieuse et laïcité « . On ne peut réduire les humains à leur pure fonctionnalité comprendra-t-on en se plongeant dans le dernier numéro du Sociographe.
La revue qui se nourrit des témoignages et des réflexions de travailleurs sociaux dans leurs pratiques professionnelles a choisi de revenir sur la question religieuse dans l’espace social.
La première partie qui porte sur la genèse situe l’action sociale comme un enjeu commun du politique et des cultures et croyances. S’appuyant sur l’affirmation souvent énoncée d’un retour du religieux, JD Causse, qui dirige le département de psychanalyse de l’Université Montpellier III, s’interroge sur le présupposé de ce retour qui impliquerait une absence. Le chercheur préfère y voir un redéploiement sous l’aspect d’une triple recomposition. Le fondamentalisme s’exprimant dans des mouvances très identitaires pour échapper aux dérives du monde moderne. Une forme narcissique détachée, collant aux aspirations d’auto thérapie du moment, et le transfert du religieux dans le pouvoir des technosciences selon l’idée chère à Foucault.
A partir d’un éclairage historique, J.M. Gourvil rappelle comment, à la fin du Moyen-Age, l’invention des » bonnes œuvres » permet à l’Eglise de s’approprier les pratiques solidaires des communautés locales qu’elle cédera plus tard à l’Etat providence. Ce qui lui permet de surgir dans la crise actuelle qui agite le débat autour de l’action sociale : entre l’appel à une intervention de l’administration centrale et une vision citoyenne laissant davantage de place au développement des cultures et des solidarités locales.
Les différents éclairages émanant de témoignages, qui constituent la seconde et la troisième partie de la revue, soulignent que des difficultés de compréhension émergent aux contacts de certaines minorités communautaires. L’expérience de terrain invite à la prise en compte de valeurs différentes autant qu’à une certaine réflexivité.
Gérald Dudoit. » Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? «
Gérald Dudoit enseigne la sociologie à l’IRTS-LR*. Il a coordonné ce trente-deuxième numéro du Sociographe.
Gérard Dudoit
» La question religieuse dans l’espace social, par les temps qui courent, c’est un peu poser le pied sur un champ de mines. Avez-vous balisé le parcours ?
Le champs de mines, nous étions pressés de le déterrer en essayant de ne pas tomber dans un quelconque dogmatisme. Dans ce numéro consacré aux croyances dans le travail social, nous avons cherché des confessions pour lever un objet peu abordé par les travailleurs sociaux et les institutions. Nous avons d’ailleurs rencontré quelques difficultés. Sur la liste des personnes sollicitées, certaines n’ont pas souhaité répondre à notre proposition. C’est une question difficile qui renvoie inévitablement à nos propres croyances. Le mode d’expression est resté libre comme pour chaque numéro de la revue.
Le parallèle entre l’histoire sociale et religieuse apparaît clairement dans la première partie qui met en regard deux institutions parfois aliénantes…
Le champ abordé n’est pas seulement religieux, c’est aussi celui de la croyance qui participe au fondement de l’action sociale, comme le souligne l’intervention de Jean-Marie Gourvil. Le système religieux comme l’institution sociale sont aliénants lorsqu’ils dépassent la prise en compte de l’individu et de la différence pour imposer une société contre l’individu, une société de prêt-à-porter religieux ou social.
Dans la partie témoignages, une éducatrice évoque une expérience où elle se trouve confrontée à une croyance étrange qui marque un contrepoint aux représentations religieuses…
En effet, ce témoignage de l’éducatrice spécialisée, Brigitte Mortier, souligne notre volonté de ne pas se limiter à la religion en tant que dogme. En arrière plan, il soulève le fait que nous ramenons souvent l’objet de croyance à une confession qui nous est étrangère, qui vient de chez les autres. Là nous sommes face à une croyance surnaturelle issue de la France profonde qui renvoie et interroge le travailleur social à sa propre perspective scientifique.
Un autre témoignage de terrain évoque la perte de repères absolue, y compris de leur croyance, de demandeurs d’asile. Est-ce le rôle du TS de toucher au fondement identitaire ?
On touche ici le problème des situations extrêmes traversées par les demandeurs d’asile victimes de traumatismes générés par des persécutions qui ébranlent leur croyances. Entre l’acculturation et l’assimilation d’un nouveau mode de fonctionnement, il existe un entre deux où la réorganisation n’est pas possible parce que la personne a perdu le respect de son groupe d’origine, à la fois le contenant et le contenu.
Les travailleurs sociaux sont-ils formés pour faire face à ce type de situation ?
Par rapport à ces différences, l’usager vient globalement travailler le professionnel. L’altérité nous permet de bouger de déplacer nos valeurs. La formation s’apparente à une mise en conformité des travailleurs sociaux. Les institutions veulent-elles des individus ou cherchent-elles à fournir des rôles sociaux occupés par des individus ? Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? C’est un sujet toujours brûlant d’actualité. Après la formation, c’est en situation que se construit le positionnement professionnel et dans l’éthique que se situe ce qui se travaille en chacun « .
Dans son numéro de septembre, la revue de l’Institut régional du travail social (IRTS L.R) ne fait pas que fêter ses 10 ans. Fidèle à une démarche située au carrefour de la recherche de terrain, de la réflexion et du témoignage, le numéro 30 du Sociographe se penche sur l’attachement idéologique présupposé de gauche des travailleurs sociaux pour le confronter à la réalité de leur fonction.
A l’heure où le mythe émancipateur de l’insertion s’écroule sous le joug de la politique libérale en disqualifiant la profession pour la renvoyer à de l’assistance, la question posée est plutôt d’actualité. Elle s’inscrit avec pertinence au moment où la politique de répression et de contrôle social rend les plus démunis responsables de leur propre échec. Sous-tendu par des valeurs de justice sociale, le travail social se retrouve de fait projeté comme un maillon du système de domination économique. Alors que faire ?
Les différents contributeurs mettent le doigt sur l’incertitude identitaire qui transparaît tant dans les définitions du travailleur social – dont les fonctions se caractérisent par des contours flous comprenant l’accompagnement, le contrôle, l’assistance, l’insertion, la rééducation, la médiation, l’action thérapeutique, le soutien juridique… – que dans celle, non moins incertaine d’être de gauche.
» Sortir du romantisme de gauche «
Vision paradoxale du travail social à la Maison Blanche, d'Emmaüs au Gouvernement Fillon.
Tout attachement idéologique à une identité gauchiste condamne à l’immobilité, constate Dominique Depenne, qui invite » à sortir du romantisme de gauche pour devenir acteur du politique. » Sans offrir de prise politicienne, la ligne de front ne se situant pas toujours entre droite et gauche. » Tant que le travail social relèvera de la catégorie politicienne, il ne sera rien d’autre qu’un moyen utilisable et utilisé, manipulable et manipulé à d’autres fins que les siennes. » Le sociologue prône un retour vers l’impulsion première dans la rencontre avec l’autre. L’évolution indispensable du travail social n’est pas condamnée à céder aux sirènes du libéralisme, précise Pierre Savignat. Pierre Boiral souligne, lui, l’inversion des priorités, en précisant que le travailleur social n’a pas aujourd’hui qu’une fonction d’assistance. » Il a aussi, nécessairement, celle de créer de l’activité économique dont les destinataires réels, les bénéficiaires, ne sont pas les assistés. «
Le travailleur social ne peut pas être » de gauche » lorsqu’il intervient auprès des publics en difficultés. Le travail social doit promouvoir une vision indépendante, défend Philippe Roppers. » Il convient de promouvoir et de soutenir dans le respect d’une éthique susceptible de structurer des libertés de penser et d’agir. Et cela, ce n’est être ni de droite, ni de gauche. «
Jean-Marie Dinh
Le travail social est-il de gauche ? Le Sociographe, septembre 2009, 10 euros, disponible en librairie ou via www.lesociographe.org