Qui est Tom Price, le ministre de la Santé de Trump qui veut démolir l’Obamacare ?

 Le nouveau ministre de la Santé américain Tom Price, le 30 novembre dernier lors d'un discours à Washington (© Alex Wong/Getty Images/AFP)


Le nouveau ministre de la Santé américain Tom Price, le 30 novembre dernier lors d’un discours à Washington (© Alex Wong/Getty Images/AFP)

Aux Etats-Unis, sa nomination à la tête du ministère ayant le plus gros budget fédéral a surpris les uns, sidéré les autres. Tom Price, nouveau ministre de la Santé, n’est pas seulement un farouche opposant à l’avortement, à la contraception, et aux droits des LGBT, il est aussi l’un des républicains les plus engagés contre Obamacare, qu’il compte abroger. Portrait.

Ce lundi, Donald Trump a été officiellement élu président des Etats-Unis, et il a promis “l’unification” et le “rassemblement” du pays. Pourtant, il a nommé à la tête du ministère de la Santé une personnalité extrêmement clivante, Tom Price. L’année dernière, ce chirurgien orthopédiste de 62 ans a soutenu un pompier licencié après avoir assimilé l’homosexualité à la bestialité et à la pédophilie.

Républicain ultra-conservateur, Tom Price est anti-contraception et anti-avortement. Elu à la Chambre des représentants depuis 2005, il s’est engagé sans relâche contre le contrôle des naissances, mais aussi contre les droits des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres).  L’Human rights campaignune association américaine luttant pour les droits des homosexuels, lui a donné un score de “zéro” pour son activité au Congrès durant les trois dernières années.

Démanteler Obamacare 

Pendant ses six dernières années au Congrès américain, Tom Price s’est surtout fait remarquer pour sa ferme opposition à Obamacare. Il a été l’un des républicains les plus engagés contre cette réforme de santé, votée en 2010 sous l’impulsion d’Obama et permettant à tous les Américains à souscrire à une assurance santé. Dès mai 2015, Price avait conçu et proposé au Congrès un plan complet de remplacement d’Obamacare.

Nommer Tom Price a la tête du ministère de la Santé est donc un signal sans équivoque lancé par Trump : fidèle à sa promesse de campagne, il compte bien abroger Obamacare. Oublié, le temps où Donald Trump avait concédé réfléchir à conserver deux dispositions d’Obamacare, les jours suivant son élection. Dans un communiqué annonçant la nomination de Tom Price à la tête du ministère de la Santé, Donald Trump s’est ainsi réjoui :

“Price est exceptionnellement qualifié pour mettre en œuvre notre engagement de supprimer et remplacer Obamacare, et d’offrir des soins abordables et accessibles à tous les Américains.”

Premier médecin devenu ministre de la Santé depuis 1993

Si les prises de position de Trump sont aussi indécises qu’imprévisibles, le choix de ses ministres est définitif et sans appel. Et Tom Price ne semble pas prêt au compromis après s’être tant battu au Congrès contre la réforme de santé d’Obama. Permettre aux médecins d’être les plus indépendants possible vis-à-vis du gouvernement fédéral a même été l’une des raisons de son engagement en politique, rappelle le New York Times.

Après avoir été chirurgien orthopédiste pendant plus de vingt ans – et même directeur d’une clinique privée d’Atlanta –, il est ainsi devenu en 1997 sénateur dans son Etat d’adoption, la Géorgie. Une fonction qu’il a exercée jusqu’à être élu au Congrès en 2005, où il a présidé la Commission budgétaire. A ce titre, il n’a cessé de militer pour une refonte du budget américain, sans oublier de porter les revendications de ses collègues de l’American Medical Association. Désormais, Tom Price s’apprête à devenir le premier ministre de la Santé ayant exercé la profession de médecin depuis 1993 et le mandat de George Bush père.

Anti-avortement et anti-contraception

Fervent opposant à l’avortement et à la contraception, il s’ancre très à droite de l’échiquier politique. Il est d’ailleurs l’un des membres du Tea party au Congrès. Si le Comité national pro-life, une association luttant contre l’IVG, lui a donné une note de 100 %, le Planning familial américain lui accorde un score de zéro. Et pour cause, il a plusieurs fois voté contre l’accès à la contraception à la Chambre des représentants, et contre le financement public du Planning familial, la principale organisation américaine offrant des services gynécologiques dans 700 centres à travers le pays.

Selon Tom Price, les subventions accordées au Planning familial n’ont pas lieu d’être. En 2012, il a bien soutenu que toutes les femmes ont les moyens de se procurer des moyens de contraception, même celles aux faibles revenus. Quelques années plus tôt, alors qu’il commençait à peine sa (longue) carrière de parlementaire en 2005, il a défendu une loi proposant de définir l’embryon humain comme une personne humaine dès la conception de “l’œuf”. Si cette loi avait été adoptée, elle aurait rendu illégal tout moyen de contraception pris après le rapport sexuel, comme la pilule du lendemain.

Trump choice for HHS Sec Tom Price rejected that some women can’t get/afford birth control. “Bring me one woman.” https://t.co/r8FNv55lUP

— Beth Reinhard (@bethreinhard) 29 novembre 2016

Théories conspirationnistes

Le combat de Price contre la liberté sexuelle des femmes ne s’arrête pas là. Il est aussi membre de l’Association des docteurs et chirurgiens américains (AAPS), une organisation médicale diffusant notamment des théories conspirationnistes. En 2003, l’AAPS a prétendu que l’avortement augmente le risque du cancer du sein – une affirmation démentie par l’Institut national du cancer. Et en 2008, l’association a clamé que Barack Obama pourrait avoir remporté la présidence des Etats-Unis en hypnotisant ses électeurs.

Déconcertée à l’annonce de la nomination de Price, la Présidente du Planning familial américain Cecile Richards a regretté :

“Price représente une menace grave pour la santé des femmes. Il pourrait faire revenir les [droits des] femmes des décennies en arrière.”

En matière de droit des minorités sexuelles (LGBT), Tom Price ne se distingue pas non plus par son progressisme. L’Human rights campaignune association américaine luttant pour les droits des LGBT, note qu’il a, entre autres, voté contre l’abrogation de la loi interdisant aux LGBT de servir dans l’armée, ou encore contre l’élargissement de la définition des crimes de haine à ceux commis en raison du genre, de l’orientation sexuelle ou du handicap d’un individu.

Price, “complètement inapte au poste de ministre de la Santé”

Et quand le mariage homosexuel a été autorisé en 2015, Tom Price a soutenu que ce n’était “pas seulement un jour triste pour le mariage, mais aussi pour la future destruction de notre système judiciaire d’équilibre des pouvoirs”. 

Trump’s pick for Secretary of Health and Human Services, Tom Price, earned a 0 on @HRC‘s Congressional Scorecards https://t.co/57Pw7CsS8z pic.twitter.com/M5yZkOEShm

— HumanRightsCampaign (@HRC) 14 décembre 2016

Sarah Kate Ellis, présidente de GLAAD, une association de défense des LGBT, s’est exclamée après la nomination de Price :

“Les actes et déclarations passées de Price sur la cause LGBT montrent qu’il ne comprend pas les droits humains les plus fondamentaux et la notion de dignité humaine. […] Ceci le rend complètement inapte au poste de ministre de la Santé.”

Tom Price, “un renard pour garder le poulailler”

Incarnation de la campagne caricaturale de Trump, Tom Price n’est pas un ministre de la Santé capable d’apaisement. “Il est bien loin de ce que veulent la majorité des Américains pour Obamacare, Medicare et le Planning familial, a regretté Chuck Schumer, futur leader de la minorité démocrate au Sénat. Nommer Tom Price ministre de la Santé, c’est comme demander au renard de garder le poulailler.”

Alternate caption: “Wait, he meant it literally?” pic.twitter.com/nz34hU0IZ7

— Matt O’Brien (@ObsoleteDogma) November 29, 2016

Si Price mettait en place son plan de remplacement d’Obamacare, cela priverait de toute couverture santé14 millions d’Américains. Parmi eux, cinq millions sont des électeurs de Trump, d’après les calculs de l’économiste et prix Nobel d’économie Paul Krugman, qui s’est exprimé dans les colonnes du New York Times :

“Des millions de travailleurs et d’électeurs de Trump vont bientôt découvrir ce qu’ils se sont eux-mêmes infligé. Les Blancs issus de la classe ouvrière, qui ont apporté un soutien écrasant à Trump, sont sur le point d’être trahis. Les supporters les plus enthousiastes de Trump seraient parmi les plus grands perdants de la fin de l’Obamacare.”

 

 

Source : Les InRocks 26/12/2016

 

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Adonis : « Le problème, c’est la tyrannie théocratique »

Photo : Patrick Kovarik/AFP

Adonis prend fait et cause pour le poète dont la vie est menacée. Il fournit des explications sur la situation de la pensée dans certains pays arabes et voit dans leurs peuples la seule raison d’espérer à long terme.

Quelle est donc cette société, ce pays où l’on peut condamner à mort un poète ?

Adonis Il n’y a pas que les poètes qui soient condamnés. Il y a aussi les penseurs, les peintres, les hommes tout court. Dans le wahhabisme, l’homme n’est pas défini par son humanité mais par sa croyance. S’il est musulman, et qui plus est  wahhabite, il est du côté du bien. Sinon… la mort guette le musulman qui tente de quitter cet islam-là. Le problème gît dans les structures culturelles et religieuses qui gèrent le pays. Modifier un régime arabe, remplacer un tyran par un autre, ne résoudra rien. Ce qu’on appelle révolution et opposition dans le monde arabe n’est que l’autre face du régime. Cette soi-disant opposition n’a aucun projet ni pour la laïcité, ni pour la libération de la femme, ni pour les droits de l’homme.

Pensez-vous que la protestation internationale soit assez forte ?

Adonis Les poètes doivent réagir. Cela pourrait aussi encourager les forces progressistes en Arabie saoudite. Je connais beaucoup de gens contre le régime saoudien qui écrivent sur leur blog mais tout est censuré.

Le fait qu’Ashraf Fayad soit palestinien a-t-il influencé la sévérité de la condamnation ?

Adonis Non, au contraire. Cela va peut-être aider à sa libération. Ce serait une façon pour l’Arabie saoudite de dire aux Palestiniens : « Nous ne sommes pas contre la Palestine. » La cause palestinienne, bien qu’elle soit délaissée par les Arabes, reste symboliquement présente, au moins dans le cœur et dans l’imaginaire. Cette cause n’est pas morte.

Pensez-vous qu’en s’en prenant à un poète qu’on accuse d’athéisme, on veuille faire un exemple terrifiant ?

Adonis Pour la France, pays des droits de l’homme, l’individu, qu’il soit ou non croyant, doit avant tout être libre. Or, pour nous, Arabes, la question religieuse est première. J’attends des intellectuels français qu’ils interviennent, qu’ils réfléchissent aussi à ce que nous sommes dans cette perspective. Les Français doivent sentir qu’ils ne sont pas tout à fait libres si un autre peuple ne l’est pas. Un régime qui peut tuer au nom d’une idéologie relève de la tyrannie mais un régime qui tue au nom de Dieu est plus tyrannique encore. Notre problème actuel, c’est la tyrannie théocratique.

Vous dites que l’islam est la négation de la poésie, laquelle participe toujours d’une subjectivité et d’une remise en doute de toute vérité préétablie ?

Adonis À l’époque préislamique, les poètes croyaient exprimer la vérité. Avec l’arrivée de l’islam, ils ont subi le sort que Platon leur réservait dans la cité grecque. L’exil. Par bonheur, les poètes n’ont pas écouté l’injonction du texte coranique. Ils ont continué à écrire. La plupart d’entre eux étaient contre la religion. D’ailleurs, dans toute l’histoire de la poésie arabe, on ne trouve pas un seul grand poète dont on ait pu dire qu’il était aussi un croyant, comme ce fut le cas, en France, avec un homme comme Claudel, poète et catholique.

Pensez-vous qu’une protestation internationale à l’échelle des chefs d’État pourrait avoir une quelconque influence sur ce jugement ? Et iront-ils jusque-là, compte tenu des rapports financiers et autres qui les lient ?

Adonis Je ne crois pas que les politiques américaine et européenne puissent reculer. Elles sont coincées. Elles disent une chose et en pratiquent une autre. Combien de pays sont dans la coalition contre Daech ? Quarante ? Plus ? Tout le monde  ! Et personne n’en vient à bout ? C’est stupéfiant. Cela dit, si l’on ne peut qu’être pessimiste au sujet des pays arabes, il faut être du côté du peuple et garder confiance en lui.

 

Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Derniers livres parus?: Violence et islam, le livre III (al-Kitâb) au Seuil
à paraître en janvier?: Soufisme et surréalisme, éditions de La Différence
Source L’Humanité : 10/12/2016

Et si l’on se trompait sur le terrorisme ?

 Photo Saeed Khan © AFP)

Photo Saeed Khan © AFP)

Pour Olivier Roy, auteur du « Djihad et la mort », la filiation première du djihadisme contemporain n’est pas l’islam mais une « radicalité » qui s’apparente surtout au terrorisme européen des années 1970 et 1980.

événement est rare mais il arrive qu’une opinion minoritaire, exprimée avec compétence, probité et clarté, fasse basculer le point de vue jusque-là dominant. Les plus âgés se souviennent encore de ce mythique numéro d' »Apostrophes » du 27 mai 1983. A l’époque, une bonne partie des intellectuels français – Philippe Sollers et Roland Barthes en tête – font encore les yeux doux au maoïsme et à la Révolution culturelle. Laquelle fit plusieurs millions de morts. Ce jour-là, Bernard Pivot reçoit, entre autres, « la » figure du maoïsme à la française : la sociologue Maria Antonietta Macciocchi. En face d’elle, Pivot a placé un jeune chercheur belge, Pierre Ryckmans, qui a publié, douze ans auparavant, sous le pseudonyme de Simon Leys, « les Habits neufs du président Mao », un livre dénigré par les spécialistes de l’époque (un « ramassis de ragots »), notamment les animateurs de la revue « Tel Quel ». Or, en quelques minutes, d’une voix très douce, voilà que le jeune Belge décortique l’ignorance abyssale, et la bêtise, des conjectures pieuses alignées par « la » Macciocchi. L’effet d’anéantissement est immédiat. Non seulement on n’entendra plus jamais parler de la dame, mais plus personne n’osera mythifier la « révolcul » chinoise. Quant à la revue « Tel Quel », elle fera amende honorable.

En lisant le dernier livre d’Olivier Roy, « le Djihad et la mort » (Seuil, 2016), on peut se demander si – toutes proportions gardées – la même mise à jour n’est pas en train de se produire au sujet du terrorisme et de l’islam. C’est bien, cette fois encore, un point de vue dominant (surtout à droite) qui se voit dépiauté et contredit. A peine le livre est-il sorti qu’on a d’ailleurs vu naître des reproches analogues à ceux réservés à Simon Leys voici quelques décennies. Il est vrai que l’auteur ne manque pas d’audaces « incorrectes ». Pour Olivier Roy, il ne s’agit pourtant pas d’exonérer l’islam de sa responsabilité, loin s’en faut, mais à condition de ne pas se tromper. A ses yeux, la filiation première du djihadisme contemporain n’est pas l’islam mais une « radicalité » qui s’apparente surtout au terrorisme européen des années 1970 et 1980 : en Allemagne, la Fraction Armée rouge ; en France, Action directe ; en Italie, les Brigades rouges ; au Japon, le Nihon Sekigun (Armée rouge). Plusieurs centaines de victimes au total. Pour les terroristes d’aujourd’hui, dont la culture musulmane est proche de zéro, le recours à un islam fantasmatique est un « habillement », comme le fut jadis le recours à une vulgate marxiste. Depuis l’effondrement du communisme, du maoïsme et du socialisme arabe, écrit l’auteur, « les nouveaux rebelles en quête d’une cause n’ont plus qu’ Al-Qaida et Daech sur le marché ». Au passage, Roy pointe quelques poncifs produits par notre seule ignorance. On impute par exemple au salafisme les attentats-suicides alors même que les salafistes condamnent sans nuance cette « offense au Tout-Puissant ».

On objectera qu’il suffit malgré tout de compulser les sourates du Coran ou les hadiths du Prophète pour trouver des appels au meurtre et à la guerre. C’est ce que font méticuleusement, chez nous, des pourfendeurs de l’islam comme Michel Onfray, Jacques Julliard, Caroline Fourest ou, de manière plus rustique, Manuel Valls. A cela, l’auteur répond qu’il est toujours vain de « chercher à définir une orthodoxie musulmane dont les djihadistes représenteraient soit la quintessence, soit la perversion. […] C’est la pratique des croyants qui décide. La question n’est pas : “Que dit vraiment le Coran ?”, mais : “Que disent les musulmans sur ce que dit le Coran ?” »

A fouiller les textes saints dans leur « littéralité », on peut trouver des appels au meurtre dans le Premier Testament juif, dans les livres sacrés de l’hindouisme ou les professions de foi des catholiques intégristes. Quant à la défense d’une « laïcité française » qui serait menacée, Olivier Roy, d’origine protestante, en approuve le principe. Hélas, par le biais d’une dénonciation de l’islam, on en est venus à caricaturer ladite laïcité. Selon l’article 1 de la loi de 1905, elle est censée garantir le « libre exercice des cultes ». Or, aujourd’hui, n’importe quel signe religieux, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, devrait être expulsé de l’espace public et cantonné à l’espace privé. Autre défaillance du langage : il est absurde de parler d’une religion « modérée ». La foi religieuse est toujours un absolu, c’est sa pratique qui doit être « modérée ». Au final, nos sociétés ne comprennent plus le religieux, voilà le vrai problème pointé par Olivier Roy.

Jean-Claude Guillebaud

Source : Téléobs 7/11/2016

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La révolution est davantage qu’un fait divers

Le Cri du peuple,par Jacque Tardi et Jean Vautrin

Le Cri du peuple,par Jacque Tardi et Jean Vautrin

« À l’aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune ! Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l’entendement bourgeois à si dure épreuve ? Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques… Le prolétariat… a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir. Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte. (…)

Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d’État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l’outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d’asservir le travail au capital. L’antithèse directe de l’Empire fut la Commune.(…)

Paris s’était débarrassé de l’armée et l’avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C’est cet état de fait qu’il s’agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes. La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière.

La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes.

Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune. Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres.

La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée. Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. »

Dans « La guerre civile en France » Karl Marx

Ossements des communards dans les catacombes de Paris

Ossements des communards dans les catacombes de Paris

Voir aussi :  Rubrique Société,  rubrique Histoire, rubrique Politique, L’Assemblée réhabilite les communards victimes de la répression,

Selon Houellebecq, “la France est très proche d’une sortie de l’Europe”

21372294344_c7a6bd5b9a_cLe Brexit a secoué la communauté européenne, voilà quelques mois, et c’est avec un aplomb prophétique que Michel Houellebecq, voyageant en Argentine, envisage que la France suive le même chemin. Parlera-t-on de Francie – sortie de la France de l’Europe? ? L’écrivain y croit fermement…

À l’occasion d’une rencontre qui se déroulait à Buenos Aires, Michel Houellebecq était interrogé par l’écrivain Gonzalo Garcès ce 10 novembre, rapporte l’agence EFE. Neuf années après son premier voyage en Argentine, ce grand retour du romancier français était manifestement très attendu. Au menu, trois journées de rencontres et d’échanges, pour parler de son œuvre littéraire, mais également de sa relation aux arts.

Le Brexit aurait dû donner des idées…

Comme toujours, Houellebecq n’était pas vraiment là où l’on pouvait l’attendre, et c’est plutôt une vision politique qu’il a livrée. « La France est très proche de quitter l’Europe […]. Les Français sont dans l’Europe contre leur volonté », a-t-il asséné. En juin dernier, le romancier bichait déjà de ce que l’Angleterre puisse donner, avec le Brexit, le grand signal de départ « pour le démantèlement. J’espère qu’ils ne me décevront pas. J’ai été contre l’idée européenne dès le début. Ce n’est pas démocratique, ce n’est rien de bon ».

Maintenant, il jubile, avec un peu de retenue : « Il est dommage que le Brexit n’ait pas fait abandonner l’idée d’une Union européenne définitivement. Je ne comprends pas pourquoi avoir tant de regrets. Je n’ai jamais constaté de points positifs dans le projet européen : tout est basé sur de faux fondements. […] L’Union européenne n’est qu’une idée de technocrates qui ne saisissent pas pleinement les spécificités de chacun pays ».

Cependant, peu de chances que l’on voit dans l’Hexagone surgir un personnage tel que Donald Trump, estime-t-il. Ce serait d’ailleurs « une erreur d’associer Trump à Marine Le Pen », indique-t-il. S’il a assisté à la présidentielle américaine en y voyant « quelque chose d’ennuyeux », c’est avant tout parce qu’il est fatigué « de voir le vide de ce spectacle » politique.

Marine Le Pen pourrait atteindre la présidence en France, mais probablement pas en 2017. « Bien qu’elle gagne toujours plus de voix, elle est encore loin d’avoir les voix nécessaires pour remporter une élection présidentielle. »

Depuis longtemps, Houellebecq clame de toute manière que l’Europe, et la France en priorité doivent se déconnecter des États-Unis. La Chine ou l’Inde représente des enjeux bien plus importants, et des partenaires plus considérables. Trump, avait-il dit, n’est qu’un affreux, mais c’est l’affreux problème des Américains, uniquement.

La France se meurt, mais moins que d’autres

Et de poursuivre : « La France est un pays en train de mourir [mais] se débat plus que les autres pays européens », tout en cherchant à revenir à ses origines. Or, contrairement à d’autres États comme l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, « où les populations déclinent rapidement, ce n’est pas le cas en France : la démocratie est en croissance ».

Affirmant qu’il a conscience de ce que son travail entraîne des polémiques, partout où il passe, le prix Goncourt 2010 jure cependant ne pas rechercher ces controverses.

Et revenant sur Soumission, le roman sorti le jour des attentats perpétrés chez Charlie Hebdo, il précise qu’il n’y a aucune critique de la religion, mais de la politique. « Il n’y a aucun vrai musulman dans ce roman. Il y a des personnalités politiques qui ont des ambitions politiques et l’idée de se servir de l’islam pour accomplir leurs ambitions. Aucun fanatique. Aucun pratiquant : juste des politiques. »

Pour autant, les attaques d’islamistes radicaux se poursuivront, prophétise-t-il.

Lui-même ne s’intéresse à la politique que pour ce qu’elle représente de tactique, de stratégie, mais certainement pas pour son contenu, reconnaît-il. Avec une idée toutefois : « Le système politique suisse, de démocratie directe, je l’apprécie. C’est un pays qui fonctionne mieux que la France et où l’on tire le français vers le haut. »

 

  El Patagonico, Epoca

Source ActuaLitté 12/11/2016

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature, rubrique Politique, rubrique UE, rubrique Société, Religion, On Line, À Zurich, Houellebecq expose son bulletin de santé comme une œuvre d’art