Pour Olivier Roy, auteur du « Djihad et la mort », la filiation première du djihadisme contemporain n’est pas l’islam mais une « radicalité » qui s’apparente surtout au terrorisme européen des années 1970 et 1980.
événement est rare mais il arrive qu’une opinion minoritaire, exprimée avec compétence, probité et clarté, fasse basculer le point de vue jusque-là dominant. Les plus âgés se souviennent encore de ce mythique numéro d' »Apostrophes » du 27 mai 1983. A l’époque, une bonne partie des intellectuels français – Philippe Sollers et Roland Barthes en tête – font encore les yeux doux au maoïsme et à la Révolution culturelle. Laquelle fit plusieurs millions de morts. Ce jour-là, Bernard Pivot reçoit, entre autres, « la » figure du maoïsme à la française : la sociologue Maria Antonietta Macciocchi. En face d’elle, Pivot a placé un jeune chercheur belge, Pierre Ryckmans, qui a publié, douze ans auparavant, sous le pseudonyme de Simon Leys, « les Habits neufs du président Mao », un livre dénigré par les spécialistes de l’époque (un « ramassis de ragots »), notamment les animateurs de la revue « Tel Quel ». Or, en quelques minutes, d’une voix très douce, voilà que le jeune Belge décortique l’ignorance abyssale, et la bêtise, des conjectures pieuses alignées par « la » Macciocchi. L’effet d’anéantissement est immédiat. Non seulement on n’entendra plus jamais parler de la dame, mais plus personne n’osera mythifier la « révolcul » chinoise. Quant à la revue « Tel Quel », elle fera amende honorable.
En lisant le dernier livre d’Olivier Roy, « le Djihad et la mort » (Seuil, 2016), on peut se demander si – toutes proportions gardées – la même mise à jour n’est pas en train de se produire au sujet du terrorisme et de l’islam. C’est bien, cette fois encore, un point de vue dominant (surtout à droite) qui se voit dépiauté et contredit. A peine le livre est-il sorti qu’on a d’ailleurs vu naître des reproches analogues à ceux réservés à Simon Leys voici quelques décennies. Il est vrai que l’auteur ne manque pas d’audaces « incorrectes ». Pour Olivier Roy, il ne s’agit pourtant pas d’exonérer l’islam de sa responsabilité, loin s’en faut, mais à condition de ne pas se tromper. A ses yeux, la filiation première du djihadisme contemporain n’est pas l’islam mais une « radicalité » qui s’apparente surtout au terrorisme européen des années 1970 et 1980 : en Allemagne, la Fraction Armée rouge ; en France, Action directe ; en Italie, les Brigades rouges ; au Japon, le Nihon Sekigun (Armée rouge). Plusieurs centaines de victimes au total. Pour les terroristes d’aujourd’hui, dont la culture musulmane est proche de zéro, le recours à un islam fantasmatique est un « habillement », comme le fut jadis le recours à une vulgate marxiste. Depuis l’effondrement du communisme, du maoïsme et du socialisme arabe, écrit l’auteur, « les nouveaux rebelles en quête d’une cause n’ont plus qu’ Al-Qaida et Daech sur le marché ». Au passage, Roy pointe quelques poncifs produits par notre seule ignorance. On impute par exemple au salafisme les attentats-suicides alors même que les salafistes condamnent sans nuance cette « offense au Tout-Puissant ».
On objectera qu’il suffit malgré tout de compulser les sourates du Coran ou les hadiths du Prophète pour trouver des appels au meurtre et à la guerre. C’est ce que font méticuleusement, chez nous, des pourfendeurs de l’islam comme Michel Onfray, Jacques Julliard, Caroline Fourest ou, de manière plus rustique, Manuel Valls. A cela, l’auteur répond qu’il est toujours vain de « chercher à définir une orthodoxie musulmane dont les djihadistes représenteraient soit la quintessence, soit la perversion. […] C’est la pratique des croyants qui décide. La question n’est pas : “Que dit vraiment le Coran ?”, mais : “Que disent les musulmans sur ce que dit le Coran ?” »
A fouiller les textes saints dans leur « littéralité », on peut trouver des appels au meurtre dans le Premier Testament juif, dans les livres sacrés de l’hindouisme ou les professions de foi des catholiques intégristes. Quant à la défense d’une « laïcité française » qui serait menacée, Olivier Roy, d’origine protestante, en approuve le principe. Hélas, par le biais d’une dénonciation de l’islam, on en est venus à caricaturer ladite laïcité. Selon l’article 1 de la loi de 1905, elle est censée garantir le « libre exercice des cultes ». Or, aujourd’hui, n’importe quel signe religieux, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, devrait être expulsé de l’espace public et cantonné à l’espace privé. Autre défaillance du langage : il est absurde de parler d’une religion « modérée ». La foi religieuse est toujours un absolu, c’est sa pratique qui doit être « modérée ». Au final, nos sociétés ne comprennent plus le religieux, voilà le vrai problème pointé par Olivier Roy.
Jean-Claude Guillebaud
Source : Téléobs 7/11/2016
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