Festival Arabesques. Rabah Mezouane : « Le mouvement de l’histoire s’est accéléré « 

 

Rabah Mezouane est journaliste, critique musical spécialisé dans les musiques du monde. Il est aussi conférencier et chargé  de programmation pour l’Institut du Monde arabe. Fidèle du festival Arabesques, il anime aujourd’hui salle Pétrarque une table ronde sur le thème « Réinventer l’esprit andalou ».

On ne peut parler de la culture arabe sans évoquer le vent de démocratie qui souffle sur l’autre rive de la Méditerranée. Quelle y est la place des artistes ?

Elle est prédominante. Du raï au rap en passant par les folksong, les chansons contestatrices sont en prise avec le réel. Comme le festival Arabesques qui a toujours laissé une large place aux artistes engagés dans sa programmation. Avec ce qui s’est passé, on peut dire que le mouvement hip hop en total osmose avec la jeunesse network est entré dans l’histoire de la musique.

Qu’est ce qui a changé ces derniers mois au sein du couple aspiration démocratique/ expression artistique ?

Le mouvement s’est globalisé. Il ne concerne pas seulement l’Egypte et la Tunisie. Il secoue tout le bassin méditerranéen l’Algérie, la Lybie, Bahreïn, la Jordanie… Dans tous ces pays on trouve des artistes qui affirment de façon plus ou moins virulente les attentes légitimes de la jeunesse, souvent au péril de leur vie. Les jeunes ont déjoué la censure. Leur parole s’est libérée. Les luttes anciennes de l’indépendance ne sont plus d’actualité. Elle représentaient l’idéologie du pouvoir qui était de se replacer dans le passé sans jamais considérer l’avenir.

On évoque le rôle d’Internet et la force de la jeunesse. Mais à quel type d’acteurs cela correspond-il ? De quels  leviers d’action les jeunes disposent-ils pour construire l’avenir ?

En Tunisie, la classe moyenne est assez cultivée, ce qui a facilité la prise de conscience. Le problème vient du fait que la jeunesse est numériquement majoritaire mais socialement minoritaire. L’anti-jeunisme est un phénomène assez commun dans les pays de la zone méditerranéenne où l’on trouve beaucoup de jeunes diplômés sous-employés. On a assisté à un mouvement sans leader. En Egypte, les Frères musulmans apparaissent comme la seule force organisée qui peut tenir les rênes. La jeunesse a réussi à déboulonner l’autoritarisme réfractaire mais le chemin de la reconstruction promet d’être long.

L’autre constat de taille de ces soulèvements populaires, c’est le postulat d’échec de l’islamisme…

C’est en effet un élément marquant. En Egypte et en Tunisie, les mouvements populaires reflètent en grande partie des conditions de vie où la pauvreté est écrasante, mais le peuple luttait clairement pour la démocratie et pas pour un Etat islamique. C’est un camouflet de plus pour les pouvoirs en place qui ont toujours brandi l’arme extérieur de l’impérialisme, de  l’islamiste, du néo-colonialisme ou du sionisme.

Dans le cadre du festival, vous animez la rencontre « Réinventer l’esprit andalou » dont l’intitulé invite à partager une nouvelle aventure culturelle …

A l’aube des révoltes que nous venons de connaître, la question de renouer ou de réinventer cet esprit mérite d’être posée. L’histoire de cette brillante civilisation qui a fleuri aux portes de l’Europe moyenâgeuse comporte quelques imperfections. Il y a eu des relations conflictuelles, mais il existait un modus vivendi entre les trois religions monothéistes. Et les foyers multiculturels de Grenade, Séville ou Cordoue ont permis aux  universités, aux savants et aux artistes d’enrichir et de transmettre leur savoir-faire. A l’heure où l’Europe se replie sur elle même, où la montée de l’extrême droite est palpable, il n’est pas inutile de s’interroger sur les manières de vivre ensemble en nous nourrissant de nos différences.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

« Réinventer l’esprit andalou » à 16 h salle Pétrarque, entrée libre.

Voir aussi : Rubrique Méditerranée, rubrique Festival, Arabesques 2011,

Fukushima, de mal en pis

 

Malaise au sommet de l’Etat japonais. Les effets de la catastrophe de Fukushima sont «plus graves que prévu et plus importants qu’annoncé». C’est l’une des conclusions alarmantes tirées en toute discrétion, la semaine passée, par un panel de professeurs et de scientifiques de la prestigieuse université de Tokyo, consulté par la commission nucléaire du Parlement et par un comité interministériel. Pour l’un de ces scientifiques, soucieux d’anonymat, il y a pire : «On ment aux Japonais. Les données du ministère de l’Education, des Sciences et de la Technologie [qui annonce les relevés de radiations autour de Fukushima, ndlr], qui sont reprises chaque jour par les médias de notre pays, semblent incorrectes. Les relevés de nombreux scientifiques et laboratoires indépendants diffèrent quasi systématiquement des siens. Y a-t-il manipulation des chiffres ?»

Ce week-end, dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo, tandis que les autorités annonçaient une mesure de 0,064 microsieverts de l’heure, le compteur Geiger de Libération indiquait entre 0,16 et 0,23 microsievert de l’heure, selon les rues du quartier – des résultats ne posant pas de danger. Critiquant «l’autisme du pouvoir» et «les incapacités de Tepco [l’exploitant des réacteurs de Fukushima, ndlr]», un scientifique a quitté une réunion en larmes. Un autre a démissionné. Des éléments troublants corroborent l’idée qu’en haut lieu, dans les ministères, des hauts fonctionnaires cachent des faits et couvrent les intérêts du lobby nucléaire et du géant Tepco.

En annonçant la venue d’une vingtaine d’enquêteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), du 24 mai au 2 juin, le porte-parole du gouvernement nippon, Yukio Edano, a d’ailleurs gaffé avant-hier, en reconnaissant que le Japon faisait «tout son possible pour garantir la transparence» de l’information. Reconnaissant ainsi une certaine opacité…

Tétanisés. L’objectif est clair : éviter toute panique excessive des populations résidant autour des réacteurs. Soumis psychologiquement à rude épreuve depuis le 11 mars, des Japonais feignent d’y vivre normalement mais sont en vérité tétanisés. «Le problème est que les rejets radioactifs dans l’air, dans le sol et l’eau continuent. Or, plus ils se poursuivent, plus les rejets volatiles de césium menacent la santé des populations. Des centaines de milliers de personnes sont concernées dans un rayon de 100 kilomètres autour des réacteurs», assure-t-on à l’université de Tokyo. Quant aux risques posés par la contamination de la chaîne alimentaire, ils sont confirmés «dans un rayon de 300 kilomètres».

La semaine passée, les producteurs de thé de Kanagawa (à 270 km au sud de Fukushima) ont annoncé que leurs plantations étaient «contaminées» et impropres à la consommation. Pour Atsushi Kasai, un ancien membre de l’Institut de recherche de l’énergie atomique du Japon, «la catastrophe de Fukushima est plus grave que celle de Tchernobyl car cette fois, personne ne peut prédire comment la situation va évoluer». «Elle est aussi plus sérieuse, renchérit un expert, faisant allusion au million de personnes vivant à Sendai, à 80 km au nord des réacteurs. Or, nous constatons, ces jours-ci, de nouveaux dépôts de césium. Idéalement, pour un souci de santé publique, il faudrait pouvoir évacuer les enfants et les jeunes femmes de Sendai.»

Au même moment, Tepco, qui vient d’annoncer qu’il faudra encore «six à huit mois» pour sécuriser ses réacteurs, est une fois de plus montré du doigt pour sa gestion calamiteuse de la crise. «Le gouvernement et Tepco sont moins intéressés par le souci de protéger les gens que par celui de préserver le monopole de l’industrie nucléaire», dénonce le mensuel Sentaku, qui constate qu’on cherche à faire payer la facture au public. Tepco a en effet accepté six conditions menant à sa quasi-nationalisation. Les milieux d’affaires nippons et le Keidanren (le cercle du patronat) – dont le PDG de Tepco, Masataka Shimizu, est l’un des responsables – essaient quant à eux d’éviter la descente aux enfers du géant électrique.

Rescousse. Après avoir dévissé de 2 100 yens (18 euros) à 292 après le 11 mars, l’action Tepco vaut à peine 500 yens aujourd’hui. L’Etat nippon a décidé malgré tout de voler à sa rescousse, alors que ses avoirs sont estimés à 60 milliards d’euros. Surprenant ? A peine. Ils sont en effet détenus par les grandes compagnies d’assurance et institutions financières – privées ou publiques – du pays . Le premier financier de Tepco, la Banque de développement du Japon (propriété de l’Etat à 100%) lui a prêté, à ce jour, 300 milliards de yens. Après le 11 mars, les banques Sumitomo et Mitsui lui ont versé des lignes de crédit de 600 milliards de yens. Le capital de Tepco est détenu par 600 000 actionnaires, parmi lesquels de nombreux fonds de pension. 20% de ses avoirs sont détenus par des investisseurs étrangers. Jusqu’aux Etats-Unis, où certains se mordent les doigts d’avoir investi dans ce géant synonyme de fiasco.

Michel Temman (Libération)

Voir aussi :  Rubrique Japon, Fukushima désinformation, Comment vivre après Fukushima ?, Une légende à réinventer, L’accident nucléaire, On Line, Adieu Japon, Ça va bien aller

Le mouvement des jeunes gagne l’Europe

La jeunesse espagnole continue à s'indigner

 

Les élections régionales et municipales n’ont pas mis fin aux protestations de dizaines de milliers d’Espagnols, jeunes pour la plupart, contre le chômage massif et les deux grands partis. Pour la presse, les problèmes des manifestants concernent toute la population et des mouvements semblables sont possibles dans d’autres pays européens.

La manifestation de dizaines de milliers d' »indignés » dimanche soir à Athènes et ailleurs en Grèce « montre l’angoisse du peuple devant la situation » de crise traversée par le pays, a jugé lundi le porte-parole du gouvernement, Georges Pétalotis. « Dans la mesure où il s’agit d’un rassemblement spontané (…), je crois que c’est un signe positif d’exprimer notre angoisse devant la situation », a affirmé M. Pétalotis sur la station de radio Flash. Plusieurs dizaines de milliers de personnes, selon la police, se sont rassemblées dimanche soir sur Syntagma, la place centrale d’Athènes, et dans d’autres villes du pays à l’appel paneuropéen des « indignés », qui ont manifesté dans plusieurs villes du continent, à l’instar de ceux réunis à Madrid, sur la place de la Puerta del Sol.
Pour sa part le ministre grec des Finances, Georges Papaconstantinou, a estimé lundi à la chaîne de télévision publique Net que « la majorité écrasante » des manifestants éprouvaient « des angoisses réelles » et « s’inquiétaient de leur avenir et de celui de leurs enfants ». Le vice-président du gouvernement et vétéran socialiste Théodore Pangalos s’en était pris aux « indignés » dans un entretien publié dimanche par un journal grec, qualifiant le mouvement de « mode des nouvelles technologies sans idéologie ».
« Même la mode des nouvelles technologies est une idéologie », a rétorqué M. Pétalotis sur la chaîne TV Antenna, rapportait lundi la presse grecque. M. Pétalotis a toutefois jugé que le seul refus « ne menait nulle part » et mis en garde contre « les mouvements qui ne reposent que sur l’émotion ou la colère ». « Ils offrent soit une sorte de défoulement sans résultat (…) soit ouvrent la voie à une prise du pouvoir par des méthodes antidémocratiques ».
Organisés via les réseaux sociaux, les « indignés » grecs ont installé un campement sur la place Syntagma, devant le Parlement, où depuis une semaine affluent tous les soirs des milliers de personnes protestant contre une vague de privatisations et de nouvelles mesures d’austérité que le gouvernement s’apprête à adopter sous la pression de ses créanciers, l’Union européenne et le Fonds monétaire international.
AFP 30/05/11

 

L’UE pousse les citoyens à protester

Le mouvement de protestation espagnol pourrait s’étendre à d’autres pays européens, estime le quotidien de centre-gauche libération : « La démocratie est née sur des places publiques. C’est-à-dire des espaces où, dans les cités antiques et les villes, les citoyens pouvaient se tenir assemblés pour débattre de questions qui dépassaient les individus et concernaient la communauté dans son ensemble. Les ‘Indignés’ de la Puerta del Sol rejouent à Madrid cette scène fondatrice. … Les ‘Indignés’ de la Puerta del Sol ne se font aucune illusion quant à leur prochaine évacuation par la police. Les tentes des manifestants et leurs cuisines en plein air risquent en effet de disparaître. On fera place nette. Mais la cause de ce mouvement spontané, inédit, elle, restera intacte. Et pourrait rapidement se trouver traduite dans de nombreuses langues européennes si les gouvernements de l’Union, de droite comme de gauche, n’ont à offrir à leurs citoyens que la perspective infinie de la rigueur économique. » (24.05.2011)

» article intégral (lien externe, français)

El Periódico de Catalunya – Espagne 

Des problèmes communs à tous

Le mouvement des indignés qui descendent sur les places d’Espagne pour protester depuis le 15 mai continuera à exister et à s’engager pour les changements sociaux même après les élections de dimanche dernier, estime le quotidien de centre-gauche El Periódico de Catalunya : « Aucun mouvement de jeunes n’a jusqu’à maintenant destitué un gouvernement ou renversé un système économique. Mais ils sont nombreux – à commencer par les Américains qui ont protesté contre la guerre du Vietnam jusqu’aux Islandais dernièrement – à avoir réussi à propager leur rage à une grande partie de la société. Cela a alors provoqué des changements politiques de grande ampleur. Les porte-parole du mouvement du 15 mai en ont fait leur objectif. Pour cette raison, ils ne mentionnent jamais dans leurs revendications les problèmes de la jeunesse mais toujours ceux de tous les citoyens. Leur action pacifique joue probablement également un rôle, car ils ne veulent effrayer personne. » (24.05.2011)



Süddeutsche Zeitung – Allemagne 

Les Espagnols doivent se mettre à la tâche

Les Espagnols mécontents veulent un nouveau système politique, mais ils doivent faire preuve d’initiative et mettre en œuvre chez eux les connaissances souvent acquises à l’étranger, demande le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung : « L’une des principales revendications du mouvement de protestation est d’autoriser pour les élections des listes ouvertes pour les candidats indépendants. De nombreuses banderoles à la Puerta del Sol prennent l’Islande pour modèle car du crash est né un mouvement politique actif. Mais avant d’en arriver là, les personnes insatisfaites préfèrent ne pas se rendre aux urnes ou donner leur voix à des partis régionaux – en période de crise son propre clocher est encore ce qu’il y a de plus proche. C’est une erreur, car c’est bien le régionalisme déviant qui, par sa prodigalité, a provoqué en grande partie le désastre financier espagnol. … Il existe depuis longtemps une nouvelle vague d’émigration vers les entreprises allemandes, italiennes, britanniques et françaises. Seuls ces émigrés ont le pouvoir de recréer leur pays en s’appuyant sur les connaissances acquises à l’étranger. » (24.05.2011)

Politiken – Danemark 

Merkel enterre l’Europe

Les jeunes Espagnols qui manifestent par milliers à Madrid doivent se préparer à de nombreuses années de chômage massif, estime le quotidien de centre-gauche Politiken, qui rend l’UE responsable de cette situation : « Les dirigeants européens ont prescrit une cure complètement inadaptée. Au lieu de mener une politique financière tournée expansive combinée à des réformes structurelles, Merkel et consorts veulent sortir de la crise en infligeant un remède de cheval aux pays en crise, ce qui élargit encore le fossé. La Banque centrale européenne n’a le regard fixé que sur l’inflation alors que c’est actuellement un moindre mal, comparé au développement du chômage massif. De plus, elle encourage l’augmentation des intérêts, ce qui ne fait qu’aggraver la situation de l’Espagne. » (24.05.2011)

Réseaux sociaux : atout pour le changement mais risque pour la vie privée

 

Les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte ont dans une large mesure été rendus possibles grâce aux réseaux sociaux, notamment Facebook. Des militants prodémocratiques y ont publié des appels à se rassembler pour protester contre le régime en place, qui se sont propagés d’un réseau à l’autre en quelques clics. Les foules de manifestants qui ont envahi les rues à la suite de ces appels ont montré, peut-être plus clairement que jamais, que les connexions établies dans le monde virtuel – à une échelle et à une vitesse sans précédent – peuvent se traduire par des changements sociaux dans la vie réelle.

Ce constat pose cependant aussi une question du point de vue des droits de l’homme : si l’information circule assez librement sur les réseaux sociaux pour entraîner une révolution, de quelles protections disposons-nous pour éviter que nos données à caractère personnel figurant sur ces réseaux soient utilisées à des fins totalement différentes et nettement moins salutaires ?

Cette question doit être examinée notamment sous l’angle du droit de chacun au respect de sa vie privée, qui est consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Nous avons tendance à considérer que les réseaux sociaux servent les intérêts des utilisateurs et qu’ils ne risquent donc pas d’être à l’origine d’atteintes à notre vie privée. Mais cette impression de sécurité est trompeuse.

Une masse considérable  de données à caractère personnel

Pour nous rendre compte de l’ampleur du phénomène, prenons une comparaison : si Facebook était un pays, il serait, avec ses plus de 600 millions d’« habitants », le troisième pays le plus peuplé du monde, derrière la Chine et l’Inde mais loin devant tous les pays européens.

Chaque membre de Facebook ou d’un autre réseau social livre en fait au réseau toute une série de données à caractère personnel : adresse électronique, numéro de téléphone, traces des contacts et des conversations en ligne, passe-temps favori, photos et documents vidéo ; ces données concernent non seulement l’utilisateur, mais aussi ses amis ou des membres de sa famille. En conséquence, les réseaux sociaux disposent d’une masse considérable – et en augmentation constante – de données à caractère personnel sous forme numérique.

Les réseaux sociaux sont vulnérables à la « dataveillance »

Plus souvent que ne l’imaginent la plupart de ceux qui livrent leurs données, celles-ci sont surveillées, archivées, scrutées et analysées, partagées et utilisées en permanence. Nombre des entités qui exploitent les données à caractère personnel sont des acteurs commerciaux, non étatiques, qui cherchent à vendre leurs produits. Mais ces mêmes données pourraient aussi être utilisées par des autorités gouvernementales.

Cela fait plusieurs années que se développe, sous l’impulsion des Etats, une surveillance de masse qui s’appuie sur des outils allant de la télévision en circuit fermé aux logiciels espions. Les informations ainsi collectées ont contribué à la mise en œuvre de nombreuses actions répressives, notamment de mesures antiterroristes toujours plus rigoureuses et de moins en moins respectueuses de la vie privée.

De la même manière, les données publiées sur les réseaux sociaux sont vulnérables à la « dataveillance » (surveillance des personnes par les données), qu’elle s’inscrive dans le cadre d’un contrôle général ou soit effectuée par des organismes qui ciblent des personnes correspondant à un « profil » générique. Le plus grand flou entoure la nature et la portée potentielles de cette « dataveillance » et les mesures étatiques que cette pratique pourrait légitimement favoriser.

Renforcer la protection des données

Cela fait longtemps que des dispositions visent à garantir la « protection des données » : des limites ont été fixées à l’ingérence de l’Etat dans notre vie privée et des règles encadrent les modalités de traitement de nos données à caractère personnel par les autorités. De fait, la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des données à caractère personnel (convention n° 108) a déjà 30 ans.

Nous devons absolument mettre à jour nos instruments de protection des droits de l’homme pour tenir compte des évolutions les plus récentes, et notamment du développement inexorable des réseaux sociaux. A cet égard, il convient de saluer la procédure actuelle de « modernisation » de la convention n° 108, fondée sur de vastes consultations publiques, et d’encourager la participation des réseaux sociaux comme Facebook.

Il incombe aux autorités nationales et internationales de s’employer à éviter que les droits individuels à la protection de la vie privée et des données ne soient sacrifiés au profit des  réseaux sociaux ; il s’agit bien au contraire de renforcer ces droits pour prendre en compte et relever les nouveaux défis que représentent ces puissants nouveaux médias.

Thomas Hammarberg 

Voir aussi : Rubrique Internet La révolution de l’info,

Fukushima information et désinformation

Tel qu’annoncé la semaine passée par le Japon, Fukushima a été classé au niveau 7, le plus haut échelon de l’échelle en terme de gravité des accidents nucléaires civils. Les gens qui suivaient la situation de proche en étaient déjà conscients depuis des semaines, mais il aura fallu un mois aux autorités japonaises pour révéler au public ce qu’il savait depuis un mois.

En effet, les autorités japonaises ont été contraintes d’expliquer pourquoi il leur a fallu un mois pour rendre public les rejets à grande échelle de matières radioactives à la mi-Mars, provenant de la centrale nucléaire de Fukushima. Lorsque le gouvernement a annoncé le 12 avril qu’il avait relevé le niveau de la gravité de l’accident dans le complexe nucléaire de Fukushima Daiichi à 7, le pire à l’échelle internationale, le Japon a fondé cette décision en grande partie sur des modèles informatiques montrant les lourdes émissions d’iode radioactif et le césium entre le 14 et le 16 mars, peu de temps après le séisme d’une magnitude de 9,0 et du tsunami qui a rendu les systèmes refroidissement d’urgence de l’usine inopérants. Ce retard de près d’un mois avant de reconnaitre publiquement l’importance de ces émissions est un nouvel exemple de données et d’analyses portant à confusion, ce qui a mis les autorités sur la défensive quant à savoir si elles ont retardé ou bloqué la diffusion de l’information pour ne pas alarmer le public. Seiji Shiroya, un commissaire de la Commission de la sûreté nucléaire du Japon, un groupe indépendant qui supervise l’industrie nucléaire du pays, a suggéré une raison d’ordre public pour avoir gardé le silence. « Certains étrangers ont fui le pays même s’il semblait y avoir que peu de risque, dit-il. Si nous avions immédiatement décidé d’annoncer que la situation était de niveau 7, nous pourrions pu déclencher une réaction de panique». Les émissions de particules radioactives ont atteint un sommet après les explosions d’hydrogène dans trois des réacteurs de Fukushima. (Seattle Times/New York Times)

La majorité des Japonais ne font pas confiance à ce que leur gouvernement et Tepco leur racontent concernant la situation à Fukushima, et avec raison. D’autant plus que le gouvernement du Japon vient officiellement d’émettre une ordonnance aux sociétés de télécommunications ainsi qu’aux webmestres de censurer les rapports qui contredisent les communiqués de presse de l’État selon lesquels la catastrophe nucléaire de Fukushima est terminée. La nation a officiellement donné l’ordre aux sociétés de télécommunications et aux webmestres de supprimer le contenu des sites Internet qui contrent la position officielle du gouvernement que la catastrophe est sous contrôle et qu’il n’y a plus de menace provenant des radiations.

Le gouvernement affirme que les dommages causés par les tremblements de terre et par l’accident nucléaire sont amplifiés par les rumeurs irresponsables, et qu’ils doivent prendre des mesures pour le bien du public. L’équipe du projet a commencé à envoyer des « lettres de requête » à des organisations comme les compagnies de téléphone, fournisseurs d’accès à l’Internet, chaînes de télévision par câble, ainsi qu’à d’autres, exigeant d’eux qu’ils « prennent les mesures appropriées, basées sur les lignes directrices, en réponse à des informations illégales ». Les mesures comprennent d’effacer toutes les informations provenant de sites Internet que les autorités jugent nuisibles au moral et à l’ordre public. (Asia Pacific Journal)

La Commission de la sûreté nucléaire du Japon a publié seulement deux simulations par ordinateur des estimations de la dispersion de substances radioactives depuis l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima Daiichi, alors que plus de 2000 d’entre elles ont été réalisées, selon les déclarations de sources proches de ce dossier.

The Christian Science Monitor notait récemment que Iouli Andreev, un spécialiste russe dans le domaine des accidents nucléaires, qui en tant que directeur de l’agence de nettoyage Soviet Spetsatom ayant contribué il y a 25 ans aux efforts pour nettoyer Tchernobyl, a également accusé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’être trop près des entreprises. « Il ne s’agit que d’une fausse organisation parce que chaque organisation qui dépend de l’industrie nucléaire – et l’AIEA dépend de l’industrie nucléaire – ne peut pas fonctionner correctement. »

En fait, les gens de l’AIEA n’ont même pas eu le courage d’entrer sur les lieux de Fukushima pour se rendre compte de la situation et les grands patrons de Tepco se défilent sans cesse. À la fin de cette vidéo, on peut voir des images normalement dissimulées des braves travailleurs de Tepco qui sont envoyés à leur mort en différé, à bord d’un autobus, en route pour aller réparer les dégâts à Fukushima. Tout cela pendant que le grand patron de Tepco disparait en se plaignant de stress et d’être sous énorme pression, et que les gens de l’industrie de l’énergie nucléaire nous chantent qu’elle est propre et sécuritaire, comme ce fût le cas dernièrement encore, de la part du directeur de General Electric Jeffrey Immelt qui était en visite au Japon, suite à la déconfiture des réacteurs Mark-1 que GE a construits. Eux, ils engrangent des milliards de dollars en profits avec cette industrie nucléaire, mais lorsque ça tourne au vinaigre, ils ne vont jamais régler leurs désastres eux-mêmes. Bien sûr que non. Ils envoient de pauvres petits travailleurs qui ont un courage et une dignité qu’ils n’auront jamais. Des travailleurs ayant décidé de sacrifier leurs vies pour tenter d’éviter le pire. Pourquoi ne pas forcer ces patrons, ces gens du gouvernement et du lobby de l’industrie nucléaire aller constater les dégâts et les nettoyer eux-mêmes?

Et que dire de la dépendance de General Electric à l’égard des relations publiques pour couvrir leurs dégâts? De 1990 à 2005, General Electric a dépensé plus de $122 millions en relations publiques, lobbying et efforts juridiques « pour lutter contre les demandes de nettoyer trois sites contaminés aux biphényles polychlorés (BPC) » rapporte O’Dwyer’s. Les trois sites sont « une bande de 320 kilomètres de la rivière Hudson, Housatonic (Pittsfield, MA) et un centre de transformateurs (Rome, GA) ».

Bien que ce soit difficile à imaginer, Tepco avait prévu de construire deux réacteurs supplémentaires sur le site de la centrale de Fukushima Daiichi, les n° 7 et 8 et en avait fait la demande officielle les jours suivant le début de la crise le 11 mars 2011. Les réacteurs de la centrale devaient entrer en opération en 2016 et 2017. Le président Masataka Shimizu a annoncé lundi que la société avait annulé leur plan de construire deux nouveaux réacteurs à sa centrale de Fukushima Daiichi, dans le nord du Japon. Ce n’est que la première fois depuis le 11 mars que la compagnie reconnait qu’elle abandonnera définitivement son projet de construire de nouveaux réacteurs. Shimizu a déclaré dans son témoignage devant le Parlement qu’il serait difficile de justifier la poursuite du projet d’ajouter ces deux réacteurs suite au tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé la centrale. Il a dit que Tepco présentera bientôt un nouveau plan au gouvernement, sans les nouvelles unités.

Lorsque c’est rendu que même Fox News accuse le gouvernement japonais d’agir de manière plus secrète que la CIA, c’est tout dire! Et cela se poursuit de plus belle: le Secrétaire général du gouvernement, Yukio Edano, a présenté ses excuses au public à propos des déclarations faites aux médias concernant les zones  autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi qui seraient inhabitables à long terme. Un conseiller du Cabinet, Kenichi Matsumoto, a déclaré aux journalistes hier que le Premier ministre a fait remarquer que des zones autour de la centrale nucléaire seraient inhabitables pendant une longue période. Plus tard, il est revenu sur ses commentaires et le Premier ministre a lui aussi nié avoir fait une telle déclaration. Mais les rapports ont mis en colère les dirigeants locaux, dont le gouverneur de Fukushima. Edano a déclaré qu’il est regrettable que les rapports aient suscité des inquiétudes pour les résidents ayant évacué la zone autour de la centrale nucléaire. (NHK)

C’est le langage orwellien: Kan déclare quelque chose qui est approximativement vrai, mais il est forcé de se rétracter!

Une chose semble assez claire pour certains, comme le géant bancaire Morgan Stanley, cependant: c’est que la situation au Japon est assez sérieuse pour partir de là, même si cela signifie de perdre beaucoup d’argent. Morgan Stanley a simplement décidé de plier bagage et de faire défaut sur la dette qu’il possédait pour un édifice situé à Tokyo. Morgan Stanley a remis les clés le 15 avril, sans tapage médiatique. Pourtant, il s’agit du plus important défaut de paiement de l’histoire du Japon: 3,3 milliards de dollars. Le bon sens nous dicte qu’ils savent quelque chose que nous ne savons pas, ou ils peuvent lire les signes. Tokyo reçoit une quantité importante de retombées nucléaires provenant de la fusion nucléaire de Fukushima. Ils ont décidé de quitter leurs investissements là-bas.

Mais pour le reste de la population, autant au Japon qu’ailleurs, une seule phrase résonne partout: « Il n’y a aucun risque pour la santé et la sécurité humaine ».

François Marginean (Les 7 du Québec)

 

Voir aussi : Rubrique Japon, Une légende à réinventer, L’accident nucléaire, On Line, Adieu Japon, Ça va bien aller