Devant le Congrès, François Hollande n’a pas eu un mot sur le social. Signe d’une dérive libérale autoritaire, le « pacte de sécurité » est la nouvelle règle budgétaire.
Personne ne l’a relevé. Avec quelle facilité François Hollande a montré qu’un chef d’Etat européen pouvait mettre entre parenthèses le traité budgétaire européen… En quelques jours le Congrès est convoqué et les décisions immédiates sont tombées. Face à l’urgence, pas question de respecter la rigueur budgétaire européenne imposée par Bruxelles.
La Commission européenne s’est montrée très complaisante sur les moyens annoncés au Congrès. « Nous démontrons que le pacte (de stabilité) n’est ni rigide, ni stupide (…) Il est capable de faire face à bien des situations. C’est dans cet esprit que nous discuterons avec le gouvernement français », a assuré Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques.
Avec cette déclaration, un seuil est franchi. Les politiques néolibérales s’accommodent volontiers de cette volonté de lutter contre « cette guerre d’un autre type (qui) appelle un régime constitutionnel nouveau ». Peu importe le poids de la dette et des morts. Le moment est venu de renforcer l’Etat d’urgence devant le Congrès, réunis à Versailles le 16 novembre. Le Président veut aussi des moyens pour la justice et les forces de sécurité en France, pour lutter contre Daesh.
Pour appliquer ces mesures de politiques intérieures, François Hollande utilise une formule qui restera dans les mémoires : « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » budgétaire européen.
On en déduit que le « pacte de sécurité » accompagné de ce qui restera du « pacte budgétaire » l’emporte sur le « pacte social », sur lequel le président de la République n’a pas dit un mot. Que deviendront l’urgence sociale et les services publics, comme ces hôpitaux qui ont accueillis les victimes des attentats du 13 novembre ? On ne le saura pas.
Il faudra se contenter du « pacte de sécurité », une réponse partielle aux menaces. Le président de la République a certes voulu montrer qu’il avait pris la mesure du « terrorisme de guerre », mais il oublie que les radicalisations se nourrissent aussi du cercle vicieux des politiques d’austérité mises en œuvre à partir de 2010, renforcées par les règles du traité budgétaire européen.
Le bilan est accablant : chômage de masse, désindustrialisation et suppression de services publics, rejetant dans la marginalité une partie de la population d’origine immigrée ou non. Le chef d’Etat pouvait invoquer ce pacte social et républicain, socle de notre société, devant le Congrès pour ne pas appliquer des engagements budgétaires sapant la démocratie.
Les règles du pacte budgétaire enfoncent le modèle social européen, et plongent des millions d’européens, en premier lieu les jeunes, dans le chômage et des millions de famille dans la pauvreté. Le pire est que, devant le Congrès, François Hollande est resté muet sur cette question sociale et lui préfère un « Patriot Act », une loi antiterroriste votée par le Congrès des États-Unis et signée par George W. Bush en 2001.
Cette posture rappelle un choix politique assumé par François Hollande tout au long de son mandat et qu’il faut rappeler ici. Lors de sa campagne pour la présidentielle de 2012, le candidat socialiste promettait de renégocier le traité budgétaire européen introduisant une « règle d’or » d’équilibre budgétaire. Il avait assuré que d’autres pays européens soutiendraient sa démarche.
A peine intronisé président de la République, François Hollande a ratifié un traité enfonçant l’Europe dans le déni de démocratie, donnant corps aux thèses xénophobes et autoritaires de l’extrême droite. Loin de se doter des instruments nécessaires pour lutter contre les crises, François Hollande a basculé devant le Congrès dans ce libéralisme autoritaire, une impasse qui mène aux dérives sécuritaires et guerrières de cette fin de mandat.
« Nous avons la possibilité de frapper notre monnaie comme nous voulons. Le Franc CFA aujourd’hui c’est du papier. En deux ans, ça devient du chiffon, on peut même pas l’utiliser », estime le chef de l’Etat tchadien, Idriss Déby.
L’Afrique ne peut pas évoluer avec la monnaie Franc CFA. Le Président tchadien Idriss Déby est formel et l’a clairement fait savoir ce mardi, lors d’une conférence de presse à Abéché, deuxième plus grande ville duTchad où était célébré le 55ème anniversaire de l’Indépendance.« Les relations entre le Tchad et la France sont des relations historiques et anciennes. Le premier Président François Tombalbaye, le 11 août à 00h, a déclaré haut et fort : Le Tchad est indépendant et souverain. Cela a été applaudit. On ne peut pas négativer totalement les relations que nous avons avec la France, mais nous ne pourrons pas continuer le système France-Afrique ou le système paternaliste qui est dépassé, que les français eux-mêmes n’aiment pas. Les africains, c’est nous qui courrons derrière, à qui vous voulez donner la faute ? », a souligné le dirigeant tchadien.
« C’est une décision courageuse que nos amis français doivent prendre »
Le Franc CFA est une monnaie garantie par le trésor français qui n’est pas convertible avec les autres devises internationales.
Pour Idriss Déby, « il y a aujourd’hui le FCFA qui est garantit par le trésor français. Mais cette monnaie là, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits, que cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. Je crois que c’est une décision courageuse que nos amis français doivent prendre ».
Déby appelle à revoir avec la France « les clauses » qui tirent l’économie de l’Afrique
« L’Afrique, la sous-région, les pays africains francophones aussi, ce que j’appelle aujourd’hui la coopération monétaire avec la France, il y des clauses qui sont dépassés, ces clauses là, il faudra revoir, dans l’intérêt de l’Afrique, et dans l’intérêt aussi de la France. Ces clauses tirent l’économie de l’Afrique, ces clauses ne permettront pas à l’Afrique avec cette monnaie là de se développer. On a pas besoin de chercher de midi à 14 heures. Nous allons continuer à coeur l’amitié sincère avec la France. Mais il faudra avoir le courage de dire que le moment est venu de couper un cordon qui empêche à l’Afrique de décoller », a expliqué Déby. Et d’ajouter que « ce n’est pas une question cadeau. Aucun chef d’Etat, aucun ministre, aucun africain ne doit faire de cette question là une question cadeau. On se pose la question, si c’est notre monnaie. Pourquoi cette monnaie n’est pas convertible. Pourquoi tous les échanges passent par la Banque centrale de la France. Qu’est ce que nous gagnons en mettant nos ressources dans des comptes d’opérations ? Quel est le taux d’intérêt que nous gagnons ? »
L’Afrique doit « frapper sa propre monnaie »
« Nous avons la possibilité de frapper notre monnaie comme nous voulons. Le Franc CFA aujourd’hui c’est du papier. En deux ans, ça devient du chiffon, on peut même pas l’utiliser. Ça coûte cher pour frapper une monnaie, l’Afrique, les pays qui sont concernés doivent avoir la possibilité de faire un appel d’offre au meilleur offrant à qui l’on doit s’adresser pour frapper notre monnaie et cette monnaie doit être large sur toutes ses formes. Cette question n’est pas un tabou. Celui qui veut faire de cette question un tabou va tuer l’Afrique et demain on va être condamné par les générations futures », a conclut à ce sujet le Président de la République.
Cette décision historique n’a rencontré aucun écho dans les médias.
Souvent désigné comme la Suisse de l’Amérique du Sud, l’Uruguay a, de longue date, l’habitude de faire les choses à sa façon. Il a été le premier état-providence d’Amérique latine. Il dispose également d’une importante classe moyenne, ce qui est inhabituel dans cette partie du monde ; et on y trouve pas d’importantes inégalités de revenu, contrairement à ses très grands voisins du nord et de l’ouest : le Brésil et l’Argentine.
Il y a deux ans, durant le mandat du président José Mujica, l’Uruguay a été le premier pays à légaliser la marijuana en Amérique latine, un continent déchiré par le trafic de drogue qui engendre violence et corruption de l’État.
Aujourd’hui, l’Uruguay a fait quelque chose qu’aucun autre pays neutre de cette planète n’avait osé faire : il a rejeté les avances de la corporatocratie mondiale.
Le traité dont on ne prononce pas le nom
Au début de ce mois, le gouvernement de l’Uruguay a décidé de mettre fin à sa participation aux négociations secrètes relatives à l’accord sur le commerce des services (TISA pour Trade In Service Agreement). Après plusieurs mois de pression exercée par les syndicats et d’autres mouvements populaires, avec un point d’orgue lors de la grève générale sur ce sujet, la première de ce genre au monde, le président uruguayen Tabare Vazquez s’est incliné face à l’opinion publique et a abandonné l’accord commercial voulu par les États-Unis.
Bien qu’elle soit, ou plutôt parce qu’elle est symboliquement importante, la décision historique de l’Uruguay a été accueillie par un silence assourdissant. Au-delà des frontières du pays, les grands médias ont refusé d’évoquer ce sujet.
Ce n’est pas vraiment une surprise étant donné que le commun des mortels n’est même pas supposé connaître l’existence du TISA ; bien qu’il soit, ou plutôt, une fois encore, parce qu’il est sans doute le plus important volet de la nouvelle vague d’accords commerciaux internationaux. Selon Wikileaks, il s’agit « de la plus grande composante du trio de traités “commerciaux” stratégiques des États-Unis », trio qui inclut également le Partenariat TransPacifique (Trans Pacific Partnership ou TPP) et le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TransAtlantic Trade and Investment Pact (TTIP).
Le TiSA concerne plus de pays que le TTIP et le TPP réunis : les États-Unis et les 28 pays membres de l’Union Européenne, l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, Hong-Kong, l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Corée du Sud, la Suisse, Taiwan et la Turquie.
Ensemble, ces 52 pays forment le groupe joliment nommé des “Très Bons Amis de l’accord sur les Services” qui représente quasiment 70% du commerce mondial des services. Jusqu’à sa récente volte-face, l’Uruguay était censé être le 53e “Bon Ami”.
Un rassemblement politique réunit en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées six formations politiques pour les élections régionales de décembre. À leur tête, l’écologiste Gérard Onesta. Promettant une autre pratique de la politique, cette liste plurielle se place dans le sillage des victoires aux municipales d’Éric Piolle à Grenoble et d’Ada Colau à Barcelone, devant le PS.
Toulouse, reportage
« Je n’aurais jamais été candidat sur une liste uniquement EELV ou Front de gauche », assure Serge Regourd. C’est le rassemblement de ces deux formations politiques, en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, qui l’a convaincu. À un mois des élections régionales, l’ancien doyen de la faculté de droit et de sciences politiques de Toulouse a même accepté de mener cette liste plurielle, intitulée « Nouveau monde », dans le Tarn-et-Garonne. « Le département où le FN est le plus fort », précise celui qui ne revendique aucune appartenance politique ni syndicale. « Le rassemblement est la condition de l’alternative, le seul truc en lequel je peux encore croire. Sinon, c’est le désespoir politique. »
Une sinistrose contre laquelle veut lutter ce rassemblement « inédit », selon sa tête de liste, Gérard Onesta. Le candidat, estampillé EELV, conduit un liste unissant pas moins de cinq partis politiques aux côtés des Verts : le parti régionaliste occitan (Partit occitan), la Nouvelle Gauche socialiste – parti nouvellement fondé par l’ancien député européen et frondeur socialiste Liem Hoang Ngoc – mais surtout le Front de gauche, au complet. Avec PACA, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées est la seule région de France où les écologistes sont unis avec le Parti de gauche, le Parti communiste et Ensemble !
Mais n’allez pas parler de « ralliements » à Gérard Onesta : « Le mot est faux, personne n’a fait allégeance. On est égaux, on partage le projet. On parle de partenariat, pas d’ouverture : cela sous-entendrait qu’il y en a un qui tient la clé pour fermer. » Un partenariat qui fait justement grincer plus d’une dent du côté socialiste : « C’est une alliance contre-nature », soutient Laurent Méric, élu local et membre actif dans la campagne de Carole Delga, l’ancienne secrétaire d’État au Commerce et à l’Artisanat, qui mène la liste PS.
Un autre notable socialiste dénigre le « fantasme Onesta » : « Il n’y a aucun élément de convergence entre tous ces partis, si ce n’est celui de virer le PS. Ce sera leur seul slogan de campagne. Mais historiquement, on est en territoire radical-socialiste, on ne gagne pas en faisant campagne à l’extrême-gauche. » Pourtant, Gérard Onesta invoque d’autres héritages. « C’est un terre cathare, de révolte. C’est une terre de Larzac, pour ‘’un autre monde possible’’. C’est une terre de Sivens. »
Les deux difficultés : le nucléaire et le projet de LGV Sud-Ouest
Et pour cause. Le Testet a joué un rôle clé dans l’impulsion de cette dynamique politique. « Dès notre appel à moratoire d’octobre 2013, EELV, le Parti de gauche et le Parti communiste ont été des soutiens indéfectibles, de toutes les manifestations, en signature de chacun des communiqués », témoigne Ben Lefetey, le porte-parole du collectif du Testet. La lutte crée alors les conditions du travail commun, comme une première expérimentation de l’unité possible. « Il n’y avait pas d’enjeu fondamental de pouvoir et on veillait à les mettre strictement sur un pied d’égalité », poursuit M. Lefetey qui s’est, depuis, engagé à leur côté. Non comme candidat, mais comme coordinateur de la campagne dans le Tarn : « Cela fait quinze ans que je suis dans le contre-pouvoir. Mais pour mener une vraie politique de transition, il faut aussi changer les gens au pouvoir et être élu. En cela, l’action des partis politiques est légitime et importante. »
« Un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable »
« Là où il a été impossible de s’entendre avec les communistes sur des sujets comme Roybon ou le Lyon-Turin en Rhône-Alpes-Auvergne, la construction des échanges dans le Sud-Ouest a permis de lever tous les verrous pour un véritable accord écologiste », analyse Julien Bayou, porte-parole national d’EELV. Presque tous, car la fédération Haute-Garonne du Parti communiste – la plus importante de la région – ferait encore sécession. Mais le soutien officiel du PCF est désormais acquis, Marie-Pierre Vieu, porte-parole du parti dans la campagne, ayant joué un rôle important dans le rassemblement des troupes tandis que Martine Pérez, conseillère régionale communiste sortante en Aveyron, confiait son optimisme (à écouter ici).
Sur quelle base ont été trouvés ces accords ? « Sur l’emploi, explique Gérard Onesta. Pas n’importe lequel, mais un emploi utile et responsable, non-précaire et non-délocalisable. Ainsi redéfini, l’emploi réinvente l’agriculture, l’énergie ou le transport et dessine un nouveau paradigme. Voilà comment on se met d’accord sur un projet foncièrement écologiste sans jamais dire que nous le sommes. » Trouver les bons angles pour regarder les objets de débat autrement : selon Patric Roux, ancien directeur de l’Estivada (un festival inter-régional des cultures occitanes) et secrétaire fédéral du Partit occitan, c’est la méthode qui fait consensus, comme dans la lutte autour de l’usine de Malvési : « Il ne s’agissait plus de lutter ou non contre le nucléaire, mais d’extraire des emplois de la pression du néo-libéralisme qui domine ce secteur, explique la tête de liste dans l’Aude. Là-dessus, tout le monde était d’accord. »
Un projet trop à « contre-emploi », justement ? Gérard Onesta l’assure, « le projet écologiste est totalement respecté, nous n’avons rien retranché ». L’emploi ancre le projet écologiste dans le concret : « C’est la vraie préoccupation des gens, la première des dignités qui ouvre la porte à de la santé, du logement, de l’éducation… » Il traverse ainsi les autres thèmes de campagne, parmi lesquels les lycées, premier poste d’investissement du Conseil régional Midi-Pyrénées avec 2 milliards d’euros prévus entre 2001 et 2019. « Un symbole de la défense d’un idéal de service public », estime Myriam Martin, porte-parole d’Ensemble !.
« Une véritable aspiration à faire de la politique autrement »
Autre compétence majeure des conseils régionaux : les transports. « On veut montrer qu’on peut faire autrement en privilégiant la rénovation des lignes inter-régionales, avance Liem Hoang Ngoc. La LGV représente une logique de métropolisation poussée jusqu’au bout. » L’idée de solidarité entre les territoires, c’est la raison de l’engagement de Judith Carmona : « Il y a un vrai souci de la ruralité et de sa place dans le développement de la région, un souci qui se ressent dans la composition des listes. » Éleveuse dans les Pyrénées-Orientales, elle a dû se mettre en congés de ses fonctions nationales auprès de la Confédération paysanne pour s’engager comme porte-parole « citoyenne » dans la campagne. Afin de défendre, par d’autres voies, son modèle d’agriculture, dit-elle.
Comme elle, Pascal Dessaint se lance pour la première fois dans des élections. « On ne peut pas toujours être dans la contestation sans prendre de dispositions par rapport à la vie réelle. C’est la limite de la posture face aux menaces qui pèsent », justifie l’écrivain, réputé pour ses polars mêlant nature et critique sociale. Il raconte avec enthousiasme le premier meeting de campagne et les 2.000 personnes devant lesquelles il a lu sa profession de foi : « C’est excitant, il y a une véritable aspiration à faire de la politique autrement. »
Ce « citoyennisme » fait la fierté de la liste et se revendique l’héritage direct de Grenoble, où Éric Piolle avait emporté la mairie en mars 2014 sur la dynamique d’un mouvement similaire. La volonté de poursuivre ce laboratoire politique à plus grande échelle place la future troisième plus grande région de France (5,7 millions d’habitants) en possible jonction – pas seulement géographique – de Grenoble et de Barcelone.
Car de la cité catalane est né le « projet en commun » – l’intitulé étant directement inspiré du « Barcelona en Comú » qui a porté Ada Colau à la tête de la mairie au mois de mai. Sur cette plateforme publique, 4.000 contributions (consultables ici) ont été déposées de juin à août, à partir desquelles se sont construits les thèmes de campagne. La clef du succès pour Gérard Onesta : « Le juge de paix, c’est le projet, pas les tambouilles de parti. C’était un vrai défi : nous, formations politiques, étions-nous encore capables de pondérer ce qui fait combat commun chez les citoyens plutôt que ce qui fait différence entre nous ? »
Il en a tiré son slogan : Se rassembler, non se ressembler.
Duarte Rolo : «Dans les centres d’appels, les salariés expérimentent la trahison de soi»
Pour le psychologue clinicien, qui a enquêté dans des call centers, la tromperie généralisée, devenue une pratique managériale, génère non seulement «des formes de souffrances assez graves» pour les employés, mais aussi une rupture de confiance avec les clients.
Comment les salariés réagissent-ils à un environnement de travail basé partiellement sur le mensonge ? Psychologue clinicien, docteur en psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers, Duarte Rolo a enquêté avec Stéphane Le Lay pendant plusieurs années dans des centres d’appels téléphoniques. Il en publie les conclusions dans un livre qui vient de sortir, Mentir au travail.
Comment en être venu à étudier le mensonge dans ce centre d’appels ?
J’ai été alerté par une déléguée du personnel inquiète de la multiplication des manifestations de mal-être dans son entreprise : crises de larmes, recrudescence des arrêts maladies, notamment pour dépression, accident cardio-vasculaire. Très vite, les discussions se sont focalisées sur «les chiffres», en fait les indicateurs de performance qui rythment le travail des opérateurs. Pour y répondre, les salariés avaient l’impression de désobéir aux règles de leur métier, de pratiquer des ventes forcées, de devoir duper le client. Ce que notre enquête a montré, c’est qu’aujourd’hui, dans certaines situations, les salariés sont confrontés à l’injonction de mentir. Au risque de générer des formes de souffrances assez graves.
Comment en sont-ils arrivés là ?
Dans beaucoup d’entreprises – comme à La Poste, France Télécom ou EDF -, le cœur du métier des centres d’appels a changé. Alors que les conseillers devaient à l’origine répondre à une réclamation du client, créer une relation de confiance pour les fidéliser, ils se transforment aujourd’hui en vendeurs soumis à des objectifs commerciaux. Si le service marketing a lancé une campagne commerciale autour des Blackberry par exemple, ils doivent vendre le plus possible de ces téléphones, tant pis si le papi qui appelle ce jour-là ne verra pas ses touches parce qu’elles sont trop petites pour ses yeux fatigués. L’entreprise où j’ai enquêté organise régulièrement des challenges qui récompensent celui qui vendra le plus en lui offrant une pause PlayStation. L’infantilisation évite à beaucoup de se poser des questions sur leurs méthodes.
C’est selon vous un mensonge d’un type nouveau…
Ici, ce ne sont plus les salariés qui prennent l’initiative de mentir, mais l’organisation qui les y pousse. Dans les centres d’appels, l’injonction au mensonge est parfois explicite : on se présente sous un faux prénom – souvent un prénom francisé pour rassurer les clients français. Il y a aussi toute une série de mensonges explicitement demandés par la hiérarchie, mais sous forme d’euphémisme : «On va omettre de donner cette information aux clients»,«on va minimiser». Mais ce sont surtout les méthodes d’évaluation comme le benchmarking – établir un étalon de performance pour dresser des classements entre salariés sur lesquels sont indexées les primes – qui imposent aux salariés de mentir pour vendre plus. Quand ils voient que la réclamation de tel client va être trop longue à régler, certains leur raccrochent au nez pour que l’appel soit rebasculé sur le poste d’un collègue. Les contraintes organisationnelles font du mensonge une pratique nécessaire et banale.
Dans une entreprise, quelles conséquences peuvent avoir ce mensonge ?
Le problème, c’est qu’on ne peut plus faire confiance à personne. On sait que si untel est un bon vendeur, c’est qu’il ment bien, et qu’il peut donc nous mentir à nous aussi. De gros conflits se trament sur la plateforme entre les salariés qui acceptent de jouer le jeu et ce
ux qui refusent,«killers» contre «fonctionnaires», comme ils s’appellent. Les conseillères m’ont aussi décrit une évolution dans l’attitude des clients. Alors qu’ils appelaient autrefois avec une certaine bonhomie, ils sont désormais plus méfiants, refusant les conseils des conseillers, réclamant systématiquement un geste commercial. Les conseillers décrivent une évolution en miroir : des salariés qui profitent des clients, qui à leur tour veulent profiter des salariés.
Le mensonge rend-il malade ?
Les salariés qui souffrent de cette situation ne sont ni plus idéalistes ni plus moraux que les autres. Mais ils ont l’impression de trahir leur éthique personnelle et professionnelle. Le mensonge prend alors une dimension de conflit psychique : les conseillers expérimentent la trahison de soi. Ce mensonge imposé par l’organisation du travail amène à se conduire d’une manière qu’on désapprouve : c’est ce qu’on appelle la souffrance éthique. Certains vont tenter de l’oublier en se jetant dans une frénésie de travail. D’autres résistent à l’injonction à mentir. D’autres, encore, peuvent ressentir une haine de soi, jusqu’au dégoût, qui peut amener au suicide. C’est ce qui est arrivé à l’un des conseillers du centre d’appels où j’enquêtais. Il s’est suicidé alors qu’il avait sa déléguée du personnel au bout du fil.