Même si notre travail reste très perfectible, cette journée mondiale de la Liberté de la Presse, donne l’occasion de rappeler que la liberté d’info est vitale pour la démocratie.
Nous devons notamment avancer sur l’indépendance des rédactions, la protection des sources, un recul du droit des affaires…
COMMUNIQUE SNJ-CGT
Pourquoi êtes-vous mal informés ou désinformés ?
Main basse sur les me?dias
1 – Augmentation du nombre de grands me?dias entre les mains de groupes industriels dirigeés par des millionnaires ;
2 – Recul de la concurrence entre les médias, écrits et audiovisuels, économiquement dépendants de quelques groupes (Drahi, Bolloré, Arnault, Dassault, Lagardère) ;
3 – Promotion circulaire entre les différents médias d’un même groupe ;
4 – Confusion grandissante entre information, publicité et relations publiques ;
5 – Aides à la presse prioritairement accordées aux grands groupes entre les mains des industriels ;
6 – Réduction du nombre d’emplois de journalistes inversement proportionnelle à l’accroissement du nombre de supports à alimenter en information, notamment sur le web.
Main basse sur l’information
1 – Précarisation de la profession de journaliste et, en corollaire, perte d’alternatives d’emplois pour les journalistes, favorisant l’autocensure ;
2 – Priorité affichée aux intérêts des propriétaires des médias et de leurs annonceurs publicitaires (aux intérêts croisés) ;
3 – Perte d’autonomie des journalistes et standardisation des contenus rédactionnels ;
4 – Accroissement de la productivité des journalistes et de leurs tâches techniques ;
5 – Perte de confiance des citoyens envers les médias et les journalistes ;
6 – Disparition des rubriques d’information sur les médias ou adoption d’un discours exempt d’esprit critique ; faiblesse de l’apprentissage aux média dans les écoles.
Main basse sur l’espace public
1 – Appauvrissement du discours public et du discours politique, notamment en matière économique, en raison du poids grandissant des intérêts particuliers et des domaines d’influence des propriétaires des médias ;
2 – Pression des groupes industriels contrôlant les médias sur les politiques publiques en matière de régulation et d’encadrement des concentrations, pouvant aller jusqu’au blocage de lois
3 – Politiques publiques, en matière fiscale et législative, favorables aux intérêts des groupes industriels de l’information et de la communication, aux dépens de l’intérêt public ;
4 – Absence de pluralisme et influence grandissante des médias dominants détenus par les groupes industriels de la communication favorisent le façonnement de l’opinion publique ;
5 – Recul des formes d’expression culturelles créatives sous la pression de la pensée unique, imposée à toutes les couches de la société, y compris à la jeunesse ;
6 – Priorité donnée au divertissement et à « l’infotainment », aux faits divers et aux stars autoproclamées (les « people »), de préférence aux débats traversant la société.
L’engagement du 3 mai
Le 3 mai a été proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993. Le thème retenu pour cette année 2016 est : « Accès à l’information et aux libertés fondamentales – C’est votre droit ! » Le défi est d’imposer un nouvel ordre de l’information, pour une véritable information citoyenne. Pour cela, le SNJ-CGT appelle à couper « les liens incestueux entre notre profession et les puissances d’argent », comme l’écrivait Albert Camus.
Dans Combat, le 24 août 1944 celui qui devait être couronné du Prix Nobel de littérature, écrivait aussi : « Notre désir, d’autant plus profond qu’il était souvent muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui. Nous pensions alors qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse ». Le combat d’Albert Camus n’a jamais été autant d’actualité et les journalistes français sont prêts à le mener à nouveau avec tous les citoyens qui ne s’accommodent plus de la pensée unique et de médias qui se vautrent dans la désinformation.
Tous ensemble, en cette journée mondiale de la liberté de la presse, prenons la résolution de relever le défi de libérer les médias et l’information et de retrouver notre droit de citoyen.
L’historienne et psychanalyste s’exprime sur la situation politique française et sur la vie intellectuelle de notre pays, passée en trente ans des maîtres-penseurs aux essayistes ultradroitiers.
Elisabeth Roudinesco. Je crois que l’échec du communisme réel a joué un rôle décisif dans cette affaire. Dans le débat d’idées, on a entamé alors une grande révision de l’histoire de la Révolution française. François Furet nous avait expliqué que 1917 était déjà dans 1793, et que 1793 était déjà dans 1789. Mais avec les «nouveaux philosophes», on a commencé à nous dire que le goulag était déjà dans Marx. Certes, ils étaient beaux, brillants, par ailleurs très différents les uns des autres, certains sérieux, d’autres pas du tout. Mais enfin, il y avait cette thèse qui leur était commune, qu’a fort bien dénoncée Pierre Vidal-Naquet, et qui reposait sur l’illusion rétrospective et l’anachronisme: le goulag est déjà dans Marx, voire dans Hegel ! Or il n’y a pas de goulag dans Marx.
A partir de ce moment-là, on s’est mis à rejeter l’idéal révolutionnaire qui avait été porté pendant la seconde moitié du XXe siècle autant par Sartre que par des philosophes comme Foucault, qui était pourtant anticommuniste. Les médias se sont mis à émettre un doute sur la totalité des rébellions possibles puis à rejeter tout un savoir qui avait nourri ma génération. J’avais été l’élève de Deleuze, suivi les cours de Foucault et de Barthes, j’admirais profondément Lévi-Strauss. La position de la «nouvelle philosophie», c’était l’opinion contre le savoir, déjà. C’était bien visible dès ce moment-là.
Et aujourd’hui, donc, nous récoltons les fruits de ce travail de destruction ?
A partir du moment où, en quelque sorte, la Révolution française devient l’équivalent du totalitarisme, la révolution russe étant, elle, pire encore que le nazisme, alors c’est une cacophonie qui s’installe, on ne sait plus de quoi on parle. Tout cela s’est instauré tranquillement, escorté par le triomphe du libéralisme économique, des idées toutes faites, et nous avons assisté à la grande inversion de tout. Chacun s’est mis à brandir des slogans : «Sartre s’est trompé entièrement» ! Chacun s’est mis à expliquer que tout ce qui avait porté l’idéal progressiste des masses populaires était à bannir.
Or, moi, à l’époque, j’étais capable de lire Aron autant que Sartre, de penser qu’Aron avait raison à propos de Machiavel, et en même temps que Sartre avait raison d’être ce qu’il était. La pensée complexe s’est littéralement effondrée. Et, aujourd’hui, on atteint littéralement des records.
Les plus grands penseurs post-sartriens se voient insultés tous les jours. Regardez la façon dont un Zemmour attaque Foucault dans ses best-sellers, sans parler de Derrida, présenté comme un obscurantiste. Le signifiant «goulag» est partout: en 2005, dans «le Livre noir de la psychanalyse», Freud a été accusé d’avoir orchestré un goulag clinique sous prétexte qu’il n’avait pas guéri ses patients.
Tout ça est apparu depuis les années 1980, avec le risque d’une droitisation radicale de la France. Et cela parce que dans notre pays jacobin, si l’on tue l’espoir du peuple, il part vers l’extrême droite. Il faut le savoir : nous avons des démons, en France. Nous avons eu l’affaire Dreyfus, nous avons eu depuis Drumont un antisémitisme virulent, mais on a aussi l’antithèse de cela, un élan d’émancipation : Valmy ou Vichy. Je crains qu’on ne soit entré dans une période qui n’est rien d’autre que le retour des idées de l’extrême droite.
Vous pensez ainsi que nous pourrions n’être qu’au début d’un processus historique puissamment réactionnaire ?
C’est possible. Intellectuellement, je pense toutefois que tous ces polémistes réactionnaires sont déjà battus. Leurs livres n’ont aucune reconnaissance académique, ni en France ni à l’étranger. Zemmour, Onfray, Finkielkraut existent plus par leur personne et leurs opinions que par leurs travaux. C’est pour ça qu’ils sont furieux du succès de Badiou dans les universités américaines.
Mais au lieu de se mettre en colère, il faut comprendre la raison pour laquelle aujourd’hui Bruno Latour, Jacques Rancière, Tzvetan Todorov et bien d’autres sont les auteurs français vivants les plus traduits. Même chose pour la psychanalyse : les travaux d’histoire ou de critique de la culture, comme ceux de Fethi Benslama ou les miens, ont le vent en poupe, alors qu’en France, la pratique de la psychanalyse décline. Ses représentants sont, hélas, trop centrés sur le passé.
Du reste, à l’étranger, personne ne comprend pourquoi la France connaît une telle paralysie intellectuelle. Vous qui avez été proche de Lacan et de Derrida, qu’est-ce que ça vous fait de vivre au temps d’Eric Zemmour ?
Je trouve déplorable une telle apologie de la France de Vichy. Je suis fille de résistants, j’ai un récit national qui m’accompagne depuis ma naissance, en septembre 1944. Mes parents étaient gaullistes, ma mère a travaillé avec des réseaux communistes. Je ne supporte pas que l’on mette sur le même plan la Résistance et la collaboration. Ni cette apologie des écrivains collaborationnistes à laquelle on assiste. Il est de bon ton désormais de trouver que Rebatet, c’était mieux qu’Aragon ! Eh bien non. Je considère, pour les avoir lus, que Rebatet, Brasillach et Drieu La Rochelle ne sont justement pas de grands écrivains.
Certes, on a le droit de tout publier, y compris «Mein Kampf». Mais la revalorisation de Vichy accompagnée de la haine du PCF qui, bien que stalinien, a été un grand parti de la Résistance, ça ce sont des choses que je ne peux pas accepter. Je ne tolère pas davantage qu’on commence à me demander si mon nom est roumain ou pas, si je suis juive ou pas. Oui, certainement, mais je ne veux pas être assignée à résidence. On assiste aujourd’hui à une hystérisation des identités. Ce n’est pas cette France-là que j’aime, ni celle qu’on aime dans le monde, mais celle qui est porteuse de notre singularité, la France des intellectuels universalistes, celle des droits de l’homme, de Diderot à Hugo. Là, nous bafouons notre propre tradition. C’est terrible à dire, mais je sens un désir inconscient de fascisme dans ce pays.
Notre pays a aussi dû affronter l’année dernière des attentats djihadistes sans précédent. Que pensez-vous de la réponse qui a été apportée à ce climat par le gouvernement socialiste actuel ? Cette espèce d’exhortation permanente à l’union nationale, cette demande faite par le président de la République de « pavoiser » de bleu-blanc-rouge les appartements particuliers, ou encore le fameux projet de loi avorté sur la déchéance de nationalité, tout cela était-il adapté ?
Je suis une patriote, «la Marseillaise» me fait vibrer. Si c’était de Gaulle ou même Mitterrand qui nous avaient exhortés à cela, nous aurions tous vibré, d’ailleurs. Et il est tout aussi vrai que, dans les périodes comme celles-là, nous devons dire clairement qui est l’ennemi principal, à savoir l’islamisme radical, qui est contraire à nos valeurs. Oui, nous sommes en guerre, d’autant que cet islamisme nourrit les thèses détestables du Front national.
Ce troisième monothéisme est théologico-politique, il veut instaurer le califat dans le monde entier. Mais raison de plus pour ne pas renoncer à nos principes fondateurs. Je n’ai pas du tout apprécié à cet égard le projet sur la déchéance de nationalité. On peut être très ferme sur la question de l’islamisme, sur celle du voile, comme c’est mon cas, et en même temps ne pas supporter cette façon pernicieuse de diviser la gauche. Toute volonté de liquider le socialisme et de recréer une social-démocratie sans contours est de toute façon un projet voué à l’échec. Je ne peux pas accepter davantage qu’un Premier ministre se mêle de savoir qui est un bon philosophe et qui ne l’est pas, s’il faut préférer BHL ou Onfray. Ou encore ce qu’il faut penser de Houellebecq et de Todd. Laissons les intellectuels débattre entre eux.
Il n’est pas davantage acceptable d’entretenir une confusion entre antisémitisme et antisionisme. Freud n’était pas pour la création d’un Etat des Juifs, il n’était pas pour le retour à une terre promise. Cela en fait-il un antisémite ? A l’inverse, des sionistes historiques comme Zeev Sternhell critiquent férocement le gouvernement israélien, et cela n’en fait ni des antisémites ni des antisionistes. Les concepts grossiers, les caricatures de la position adverse, tout cela détruit l’esprit public. Nous devons combattre les antisémites et non pas tourner autour du pot avec des mots fourre-tout.
De la même façon, le terme «islamophobie» vous semble particulièrement inapproprié aux différentes luttes à mener aujourd’hui.
Il est source d’extrêmes confusions. Cela a été une erreur monumentale de l’extrême gauche de le mettre ainsi en avant. La seule chose contre laquelle on doive lutter, c’est le racisme antiarabe. Quant au reste, dans les pays laïques occidentaux, on a le droit d’insulter Dieu et d’être absolument intransigeant sur la question de la liberté d’expression.
Je respecte Emmanuel Todd pour la valeur de ses analyses, mais je ne suis pas d’accord avec sa présentation de l’islam comme religion des faibles qui devrait être protégée. Il faut défendre notre modèle laïque. On nous vante tous les jours le modèle anglais qui a de grandes qualités. Pourtant, à Londres, on croise dans la rue des petites filles avec des niqabs. L’ultralibéralisme, c’est aussi ça : chacun dans sa communauté. Ce n’est pas la France dont nous voulons, et nous devons lutter pour que ce communautarisme-là ne s’impose pas.
Un haut gradé français disait récemment de façon assez mélancolique : cette guerre contre Daech, nous allons la gagner, et cependant nous n’aurons pas la paix. Que pensez-vous des réponses actuelles que notre pays apporte au terrorisme ?
Je suis surtout frappée quand je vois des responsables publics se présenter au 20-heures devant les Français pour dire : il va y avoir d’autres attentats, surtout restez chez vous, on vous protège. Je crois que là, ce qui s’imposerait, plutôt que des cellules psychologiques et des anxiolytiques, c’est un discours churchillien : sortez, prenez des risques, nous sommes en guerre, oui, mais nous allons nous mobiliser, tous ensemble, contre cette forme d’atteinte à nos idéaux. C’est là où l’on voit resurgir une forme d’inconscient français issu de Vichy. Nous avons collaboré pour ne pas avoir la guerre. Résultat, nous avons eu le déshonneur et la guerre. La leçon à tirer de ces errances, c’est qu’il ne faut pas faire peur aux gens mais plutôt les pousser à adopter un esprit de résistance. J’aime décidément mieux qu’on dise «debout» que «couché». «La Marseillaise», c’est debout que ça se chante.
Certains signaux, comme Nuit debout justement, montrent que des forces contraires à l’ultradroite intellectuelle que vous dénonciez tout à l’heure sont aujourd’hui à l’œuvre en France. Quels sentiments vous inspire ce mouvement ?
Nuit debout, c’est le spectre de la révolution qui vient hanter les nuits de ce capitalisme financier arrogant et mondialisé, en crise depuis 2008, et qui crée de nouveaux misérables, version Victor Hugo. Le choix de ce lieu [la place de la République, NDLR] n’est pas anodin. C’est celui des tourmentes révolutionnaires parisiennes (dont les dates sont inscrites au pied de la statue). Mais c’est aussi là que se sont réunis, le 11 janvier 2015, des millions de gens qui, comme moi, venaient soutenir «Charlie» contre l’obscurantisme religieux. Lieu de recueillement, de révolte joyeuse et d’imprévisibilité : c’est l’abolition des tranquillisants au profit de l’insomnie. Nuit debout, c’est le signe avant-coureur de quelque chose qui se prépare et qui n’a pas fini de venir déranger les nuits tranquilles de l’ordre établi. Quels que soient les débordements, j’y vois en soi un signe positif.
J’ai notamment trouvé magnifique ce soir où des musiciens ont joué le quatrième mouvement de la «Symphonie du Nouveau Monde» de Dvorak. La nuit, c’est à la fois le rêve d’un monde meilleur et le retour du refoulé: le cauchemar de ceux qui croyaient avoir enterré définitivement 1789 et Mai-68. C’est enfin la meilleure réponse à une récente couverture du «Figaro Magazine» où l’on nous présente la même cohorte de polémistes (Zemmour, Finkielkraut, Houellebecq) qui, sous la houlette de Michel Onfray, seraient les seuls à s’engager courageusement contre l’islamisme meurtrier. Eh bien non ! On peut défendre fermement la laïcité républicaine et tout autant l’idée de révolution. Entre les deux, il n’y a pas à choisir.
Propos recueillis par Aude Lancelin
Elisabeth Roudinesco est historienne de la psychanalyse, et chercheur associée au département d’histoire de l’université Paris-VII. Dernier ouvrage paru : «Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre» (Seuil, 2014), prix Décembre et prix des Prix. A signaler, la rééditionen «Points poche» de son «Retour sur la question juive» (Albin Michel, 2009), avec une postface inédite.
Deux enfants défilent, lors d’une manifestation contre le candidat républicain Donald Trump, à Manhattan (New York), le 14 avril.
Et les enfants ? Les hommes politiques ont-ils pensé aux enfants ? Aux Etats-Unis, les adultes ont l’habitude de la surenchère anti-immigration qui s’empare du camp républicain à l’occasion des primaires. Il y a eu les Minutemen en 2005-2006, les vigiles autoproclamés qui surveillaient la frontière mexicaine. Puis le Tea Party, en 2008-2010. Les candidats s’opposaient à toute « amnistie » pour les sans-papiers, mais rares étaient ceux qui allaient jusqu’à réclamer l’expulsion de tous les clandestins. Et la rhétorique extrémiste retombait après les élections.
Cette année, le phénomène est différent, du fait de la virulence de Donald Trump et de son omniprésence dans les médias. Et les enfants en pâtissent. En quelques mois, ses propositions de construction d’un mur et de « déportation » des sans-papiers ont ramené la peur dans la communauté latino. Et semé l’inquiétude jusque dans les cours de récréation, si l’on en croit un rapport publié, mercredi 13 avril, par le Southern Poverty Law Center (SPLC), une association qui traque les groupes extrémistes et suprémacistes blancs depuis 1971. « Nous avons vu Donald Trump se comporter comme un enfant de 12 ans. Maintenant, nous voyons des enfants de 12 ans se comporter comme Donald Trump »,se désole Richard Cohen, le directeur du centre.
« Est-ce que le mur est là ? »
Le SPLC reconnaît sans difficulté que son enquête,faite en ligne entre le 23 mars et le 2 avril par le projet Teaching Tolerance, n’a pas de valeur scientifique. Mais il souligne que 2 000 enseignants ont apporté leurs témoignages sur l’impact du climat électoral au sein de leurs classes. Et que plus de 5 000 commentaires ont été recueillis. Pour préserver l’anonymat des fonctionnaires, le SPLC a éliminé les précisions concernant les identités ou les établissements concernés.
« Mes élèves blancs de milieux pauvres se sentent maintenant en droit de faire des commentaires racistes »
Harcèlement des jeunes issus de minorités,
Harcèlement des jeunes issus de minorités, agressivité du discours, libéré des contraintes habituelles… Selon le rapport, les pratiques contre le harcèlement (anti-bullying), laborieusement mises en place en milieu scolaire, font les frais du climat politique. « Nombre de mes élèves reprennent les discours de haine contre les réfugiés et les pauvres, affirme un professeur. Et les préjugés contre la religion [musulmane] ont augmenté. » Un instituteur de maternelle du Tennessee raconte qu’un enfant latino qui s’est entendu annoncer par ses camarades qu’il allait être expulsé et qu’on l’empêcherait de revenir aux Etats-Unis par un mur demande tous les jours où en est le projet : « Est-ce que le mur est là ? »
Ailleurs, un écolier musulman a demandé s’il devrait porter une puce électronique si M. Trump était élu. Certains utilisent le nom du milliardaire comme cri de ralliement avant de s’en prendre à d’autres. Des enfants musulmans se font traiter de « terroriste » ou de « poseur de bombes ». « Je suis pour Trump, a expliqué un enfant de CM2. Quand il sera président, il va tuer tous les musulmans. »
Un autre enseignant témoigne : « Mes élèves latinos sont écœurés par le discours de Trump, mais aussi par le nombre de gens qui ont l’air d’être d’accord avec lui. Ils sont persuadés que leurs camarades et même leurs professeurs les détestent. » Dans les copies, les enseignants trouvent parfois le nom de M. Trump entouré d’un cercle et barré d’une croix comme sur les panneaux d’interdiction de circuler.
Mais M. Trump n’est pas sans attrait dans les milieux défavorisés. « Mes écoliers viennent de familles pauvres, relate un professeur. Comme Trump est connu pour sa fortune, ils ont demandé à discuter du bénéfice qu’il y aurait à avoir un président riche. » Autre remarque : « Mes élèves blancs de milieux pauvres se sentent maintenant en droit de faire des commentaires racistes. » Et ils demandent pourquoi leur professeur les sanctionne, étant donné qu’ils ne font que reprendre ce qu’ils ont entendu à la télé. Plusieurs enseignants disent que dans leur établissement les élèves les plus chahutés sont en fait ceux qui affichent leur soutien à l’homme d’affaires.
Alternative
Selon Maureen Costello, la directrice du projet Teaching Tolerance, qui aide les enseignants à gérer la diversité dans les classes, les professeurs se sentent confrontés à une alternative : parler des élections ou protéger leurs élèves. Dans les classes élémentaires, une moitié d’entre eux préfère éviter les sujets politiques. « Je suis incapable de maintenir la civilité de la discussion », avoue un enseignant. Dans les lycées, il s’en trouve de plus en plus qui décident de ne pas se départir de leur neutralité habituelle, souligne-t-elle.
Lire aussi : Présidentielle américaine, J – 203 : Donald Trump menace en cas de convention contestée
Les conclusions du rapport sont d’autant plus préoccupantes, souligne le centre, qu’elles sont porteuses de conséquences à long terme dans les écoles multiethniques. Or le climat des primaires ne reflète pas l’état de la société. Selon une étude du Pew Research Center du 31 mars, 59 % des Américains estiment que les immigrants constituent une « force » pour le pays. Un changement spectaculaire depuis 1994, quand 63 % d’entre eux estimaient qu’ils représentaient au contraire un « fardeau ».
Selon le même institut, les trois quarts des habitants sont favorables à la régularisation des sans-papiers, et 62 % sont opposés à la construction du mur proposé par M. Trump à la frontière mexicaine. Le clivage républicain-démocrate n’a cessé de s’amplifier depuis 2006, mais dans l’ensemble la société américaine est plus tolérante sur l’immigration qu’il y a vingt ans. Encore faut-il en convaincre les enfants. « Est-ce que c’est comme ça que l’Allemagne a élu Adolf Hitler ? »,s’est enquis un élève.
Des étudiants de l’université catholique de Lyon prennent des notes sur leurs portables, le 18 septembre 2015 – JEFF PACHOUD/AFP
L’association Droit des lycéens demande à ce que soit rendu public l’algorithme du logiciel d’Admission post-bac. Contacté par Rue89, le ministère assure qu’un document sera diffusé avant le 31 mai.
Comme plusieurs centaines de milliers d’élèves, Clément Baillon, en terminale ES au lycée Gustave Eiffel de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), a consciencieusement saisi ses vœux d’orientation sur Admission post-bac (APB). Le logiciel, sorte de plateforme d’aiguillage, gère l’affectation des lycéens dans les filières d’enseignement supérieur.
Clément et les autres ont désormais jusqu’au 31 mai pour ordonner leurs souhaits sur le site, chose cruciale pour maximiser leurs chances d’obtenir la formation souhaitée.
Pour accomplir l’exercice, il faut être un peu sioux. Quelle stratégie adopter pour hiérarchiser ses vœux ? Comment être sûr d’être pris dans telle filière ? Pour certains futurs bacheliers, cela ressemble à un casse-tête, d’autant que les principaux intéressés ne connaissent pas précisément les critères pris en compte par le logiciel pour générer les propositions d’admission.
« Une boîte noire magique »
L’algorithme d’APB n’est connu en détails que des services du ministère de l’Education. Le flou autour de cette sorte de formule de maths mystère génère suspicions et rumeurs. « Admission post-bac est souvent considéré comme une boîte noire magique ou démoniaque, selon les cas », plaisantait en décembre dernier Thierry Mandon, secrétaire d’Etat en charge de l’Enseignement supérieur.
« Nous allons donc dévoiler l’un des secrets défense les mieux gardés : l’algorithme d’APB ! »
Le secret n’a pas encore été éventé. L’association Droit des lycéens a donc publié le 30 mars dernier un communiqué de presse [PDF] pour demander au ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur de rendre enfin public les critères de l’algorithme d’APB.
Clément Baillon est le fondateur et président de Droit des lycéens. Durant l’été 2013, il avait témoigné sur Rue89 d’un conseil de discipline auquel il avait assisté en tant que délégué de classe et qui lui avait semblé profondément injuste. Il nous explique que c’est en partie ce qui l’a poussé à créer une association qui défend les lycéens et les informe de leurs droits.
Demande de transparence
Quand le lycéen a été confronté à sa liste de vœux sur Admission post-bac, il a eu le réflexe de faire quelques recherches sur les textes qui régissent le logiciel.
« Je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien. Quelque chose d’aussi important devrait être transparent. »
Assisté gracieusement par un avocat en droit public, Jean Merlet-Bonnan, l’association de lycéens a formulé sa demande de transparence dans un courrier adressé au ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (lire ci-contre). Elle n’a pas encore reçu de réponse.
En dernier recours, l’association veut saisir la Commission d’acce?s aux documents administratifs (Cada). Clément Baillon :
« On ne voit pas ce qu’ils pourraient nous opposer à cela, je ne crois pas qu’il [l’algorithme de l’APB] soit classé secret défense. »
Le Syndicat général des lycéens (SGL), la première organisation lycéenne, soutient l’initiative.
Pas de « scandale panaméen »
« On n’est pas en train de cacher un scandale panaméen », exagère-t-on au ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
« On va tenir la promesse. Il faut juste qu’on trouve la bonne manière de communiquer. »
La mise en ligne de la description « technico-technique » de l’algorithme n’est pas envisagée, plutôt celle d’un document d’une ou deux pages, illustré d’exemples concrets, qui expliciterait son fonctionnement. Le document sera diffusé avant le 31 mai prochain, nous assure-t-on.
Pour le ministère, cette publication ne devrait pas changer le cours des inscriptions : les lycéens ont déjà les infos principales. Qui sont parfois contradictoires selon les profs et les conseillers d’orientation, notait Clément Baillon.
La faute au hasard
Il y a quelques mois, Rue89 avait consacré un article à l’algo décrié : « L’orientation de vos enfants ne tient qu’à une formule de maths. » Une mère racontait comment l’orientation de sa fille s’était jouée sur un coup de dés.
Cette dernière, pourtant bonne élève, avait postulé avant à une double licence Sciences-Po-anglais dans une fac située en dehors de son académie. Une demande rejetée.
La faute au hasard : quand le nombre de candidatures pour une licence non sélective est supérieur au nombre de places, le logiciel d’Admission post-bac procède à un tri en fonction de plusieurs critères, puis à un tirage au sort pour départager les ex æquo. L’association Droit des lycéens dénonce :
« Les modalités de ce choix sont extrêmement opaques. Une telle opacité rend très difficile la possibilité d’effectuer des vœux de façon éclairée. »
Tirage au sort
Le guide du candidat 2016 [PDF] ne parle pas de « tirage au sort » mais de « traitement automatisé critérisé ». Dans le document, deux critères de sélection sont portés à la connaissance des lycéens :
l’’académie de passage du baccalauréat ou de résidence (le « ou » fait tiquer Clément Baillon : est-ce l’un ou l’autre ?) ;
l’ordre des vœux.
Pour une licence non sélective, le logiciel sélectionne en priorité les candidats de l’académie. Puis à l’intérieur de ce groupe, ceux qui ont classé la formation en vœu 1, puis en vœu 2, etc. Même logique ensuite pour les candidats d’autres académies.
Quand une filière enregistre trop de demandes par rapport à sa capacité, un tirage au sort départage les ex-æquo. Le droit, la psychologie, la première année commune aux études de santé (Paces) et les Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) sont les quatre principales filières en tension.« Psychologiquement, le tirage au sort est mal perçu, on le comprend très bien », acquiesce-t-on au ministère.
« Mais on ne peut pas ouvrir le dossier de l’élève. Par rapport au peu de critères dont on dispose, on a besoin d’avoir recours à l’aléatoire. […] Il y a déjà eu des recours et les tribunaux n’ont pas remis en cause la légalité du tirage au sort. »
Code source des impôts
La demande de transparence de l’association de lycéens fait écho au projet de loi « Pour une République numérique », discuté ces jours-ci au Sénat. Il comprend un article qui ouvre le droit aux citoyens de prendre connaissance d’un algorithme public quand celui-ci conditionne des décisions individuelles. C’est le cas notamment d’Admission post-bac.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Dans l’étude d’impact du projet de loi, on peut lire :
« Si un citoyen en fait la demande, l’administration devra donc être en mesure de communiquer les caractéristiques du traitement, notamment les objectifs, les finalités et les contraintes du système, et communiquer à l’individu concerné par la décision un exposé des paramètres, principales caractéristiques et des règles générales de l’algorithme, ainsi que celles qui lui ont été appliquées particulièrement. »
Le 1er avril, Bercy a précédé l’adoption du projet en rendant public le code source de son calculateur d’impôts sur le revenu. Un citoyen réclamait depuis plus de deux ans que le fisc le lui communique.
La mémoire et l’histoire de l’esclavage sont des affaires sérieuses ! S’il faut encore le rappeler de façon si péremptoire, c’est que la vigilance doit être soutenue, encore et toujours, pour que les luttes des esclaves qui ont participés à la construction de la République et des valeurs qui nous rassemblent, ne disparaissent pas sous l’effet du souffle de la méconnaissance ou de l’idéologie nocive sur l’inégalité des acteurs de l’Histoire. La loi du 21 mai 2001, première loi Taubira, a déclaré l’esclavage et la traite dans l’Atlantique et l’Océan Indien comme crime comme l’humanité et aussi inscrit dans son article 2, que leur enseignement était obligatoire. Les programmes en ont tenu compte … sept ans plus tard, en 2008, pour le collège et le lycée mais il a fallut toute la ténacité du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage pour que la question ne disparaisse pas des nouveaux programmes du primaire et du collège. Les contempteurs de cette histoire arguent que finalement ce phénomène historique n’était pas si important ni au niveau de la France, ni au niveau du monde, simplement treize millions de personnes africaines déportées vers les Amériques et un million vers l’Océan Indien.
Outre le mépris que ce jugement manifeste vis-à-vis de ces personnes, ces chiffres ne disent rien de l’importance de l’histoire de l’esclavage dans l’histoire de France, surtout dans ce moment fondateur du récit national qu’est la Révolution française. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et surtout Saint-Domingue (futur Haïti) ont cru pleinement au combat pour les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité et l’ont porté si haut que la Convention nationale a aboli l’esclavage pour la première fois, le 4 février 1794 dans l’ensemble des colonies françaises de l’époque. Pendant la bataille de La-Crête-à-Pierrot menée lors de la tentative de rétablissement de l’esclavage par Napoléon, autant les esclaves de Saint-Domingue que les troupes françaises qui s’affrontaient, chantaient la Marseillaise ! Plus de cinquante ans plus tard, le 27 avril 1848, la deuxième République abolissait pour la seconde fois l’esclavage, cette fois-ci définitivement pour les colonies de l’Atlantique et de l’Océan Indien. La France célèbre chaque 10 mai la « Journée nationale des mémoires des traites, de l’esclavage et de leur abolitions » en hommage aux esclaves et aux abolitionnistes.
En effet, les esclaves qui s’étaient révoltés continuellement depuis le XVe siècle mais encore plus depuis la fin du XVIIIe siècle et qui, par leurs soulèvements contre le pouvoir colonial, avaient nourri la réflexion abolitionniste sur l’égalité du genre humain, ont accueilli l’émancipation légale au cris de « Vive la République ». Les esclaves n’avaient jamais renoncé à leur humanité, même au sein du cadre contraint et violent de l’esclavage. Ils l’ont imposée par la force ou par la résistance quotidienne. Ils croyaient à l’égalité, ils la réclamaient, et ce d’autant plus qu’au sein des sociétés coloniales esclavagistes de l’Atlantique se sont construites ces équivalences de termes entre noirs/esclaves et blancs/maîtres. Avant cette expérience, il n’y avait pas de « Blanc » (ce qualificatif utilisé dans les colonies atlantiques devait être expliqué au public européen) et pas de hiérarchies socio/raciales en Europe. C’est bien dans ces colonies de sucre, de café et de coton que la « race » n’a plus été le marqueur d’une appartenance familiale ou lignagère mais s’est transmuée en élément biologique qui, par le sang, transmettait un statut.
L’origine de l’idéologie raciale et du racisme
Ce récit sur les sociétés esclavagistes n’est pas simple détour, il souligne l’origine de l’idéologie raciale et du racisme. Les mémoires -définies comme expériences sociales du passé dans le contemporain- se sont précisément opposées – parfois, souvent – à la jauge de l’expérience du racisme produite par les événements de violence extrême de l’histoire. Alors que faire ? Si l’urgence actuelle de créer du collectif dans l’égalité des droits et des devoirs est bien réelle, les conditions doivent en être posées. Elles ne passent pas, me semble-t-il, par des combats auto-déclarés comme « anti-racistes » -dont le pluriel est suspect et qui sont parfois aporétiques- mais bien par la reconnaissance mutuelle des phénomènes historiques qui ont engendré des faits de racisme (mise en discours, idéologie, de l’exclusion et de la dépréciation de l’autre). Les mémoires ne doivent pas se croiser mais faire « causes communes » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicole Lapierre ou mieux encore « Histoire commune ». Peut-être alors pourrait-on sortir de la « race » comme totalitarisme c’est-à-dire d’un système où la « race » et conséquemment le racisme ne peuvent être dénoncés et combattus qu’en utilisant les propres catégories qui les créent. C’est faire ici le pari de la connaissance et de l’enseignement, de la recherche universitaire, d’une certaine exigence de la pensée qui se partage.
C’est aussi celui que font de nombreuses associations de citoyens qui souhaitent fermement dépasser la mémoire pour aller vers l’histoire. Quoiqu’on cherche à la leur imposer, certaines d’entre elles ne se reconnaissent pas dans des identités sans espoir comme celle de « victimes de l’esclavage colonial ». Elles veulent avoir leur place dans le monde, à égalité…
* Myriam Cottias est directrice de recherche au CNRS, présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage