C’est à un vrai banquet auquel nous convie Jean-Marie Besset avec sa dernière création mise en chantier actuellement au Treize Vents avec la complicité de Gilbert Désveaux et de Régis de Martrin-Donos. Le Banquet d’Auteuil, écrit par l’ex et controversé directeur du CDN de Montpellier, s’attache à révéler la face libertine de Molière.
On connaissait Jean-Baptiste Poquelin pour sa liberté de pensée et son athéisme qui lui valurent quelques déboires avec Tartuffe mais l’idée d’un Molière en vertueux disciple de l’épicurien Gassendi et fervant pratiquant du libertinage est moins répandue. La pièce donne ainsi matière à pousser notre réflexion sur le rapport entre Dom Juan et son auteur.
Le Banquet d’Auteuil est le lieu qui sanctionne le rang de ces illustres et turbulents convives parmi lesquels se retrouvent Chapelle, Dassoucy, Lully… artistes réputés aux moeurs très libérés.
Au cours du banquet s’instaure un cérémonial guidé avec panache par le spectre de Cyrano. Après avoir orchestré quelques truculentes animations, l’ancien libertin tentera de tromper sa solitude. Le jeu d’acteur se déploie avec une belle énergie ordonnant hiérarchiquement et rhétoriquement l’état social des convives, comme les manières et postures de l’époque.
Besset puise dans l’histoire avec une érudite précision mais il s’accorde la liberté du langage et celle de dépeindre les moeurs de son temps. Son goût pour la provocation s’exerce avec jubilation sans peur de malmener les références sacrées.
Après les quelques secousses du démarrage, un jeu de miroir se met en place qui bouscule nos représentations. On découvre que l’invention dramatique de Molière s’appuyait sur des inventions narratives originales dont la pièce nous dévoile quelques secrets.
On l’avait compris et Mathieu Bauer, qui met en scène, l’avait précisé : en adaptant le livre d’entretiens de Legs McNeil et Gillian McCain, Please kill me au théâtre, il ne s’agissait pas de reconstituer un concert punk. Ce bouquin feuilleté sur la scène du Rockstore sert de matière première. Les anecdotes des protagonistes célèbres qu’il renferme, suffisent à faire rêver. Elles nous propulsent au coeur d’un univers de dingue peuplé d’hallucinés, des Stooge aux New York Dolls, en passant par MC 5 Télévision, Ramones ou les Talking Heads. On croise des figures singulières comme Lou Reed, Sid Vicious ou Malcom McLaren… Il est même question de cette étrange et historique collision entre l’underground new-yorkais et le punk anglais. Désœuvrement d’une jeunesse dont tout le monde se foutait aux States et lutte des classes en Angleterre. Deux visions témoignant surtout d’un état d’esprit, que les acteurs ne visent pas à faire revivre. Et c’est tant mieux.
« La musique punk ce n’est pas ma tasse de thé » considère Mathieu Bauer qui revendique une esthétique de la fragmentation. La mise en scène joue habilement sur les tableaux mythiques pour passer de l’extrême au convenu en réduisant le fossé qui sépare le théâtre des scènes nationales des concerts trashs. Sur scène les rixes ne sont pas crédibles, pas plus que l’arrachage de Tee-shirt. Bref, ça manque un peu de rage authentique. Le play-back et le sens de l’auto-dérision sont salvateurs. Le long plan cinématographique final est très réussi. Entre célébration et implication, le public campe un peu entre deux chaises. Il est jeune et semble percevoir le décalage entre l’intensité vécue par les jeunes à cette période et le patinage actuel. Punk is dead. Aujourd’hui les aspirations de la jeunesse prennent bien d’autres formes mais savons-nous bien lesquelles ?
Beckett transforme et retrouve le sens de l’altérité
« Têtes mortes » , au théâtre de la Vignette, mise en actes par Marie Lamachère.
Marie Lamachère et la Cie Interstices mettent en voix actuellement à la Vignette de Montpellier, Têtes mortes de Samuel Beckett. Un recueil de cinq textes non théâtraux tirés d’un ouvrage abandonné.
La démarche vaut le déplacement pour découvrir ces fragments de prose écrits en anglais en 1956 par l’auteur de Fin de partie. Elle rejoint à bien des égards la critique de Badiou : « Il faut répudier les interprétations de Beckett qui passent à travers la mondanité nihiliste du clochard métaphysique. Ce dont Beckett nous parle est beaucoup plus pensé que ce désespoir de salon. »
Fidèle à sa recherche autour de l’acteur, Marie Lamachère passe de la pensée à une mise en pratique théâtrale aussi périlleuse qu’intense à travers un rapport au langage qui répudie les automatismes. Les acteurs se délestent de tout présupposé pour jouer sur les mots, leur sens, le temps. La défiance adoptée à l’égard des règles habituelles du langage ouvre en grand l’espace d’interprétation des signes linguistiques cher à Saussure.
C’est souvent en repoussant les dogmes que l’on parvient au sacré, ou du moins à de nouvelles formes, loin de la représentation du fameux clochard métaphysique. On est touché, interpellé dans notre « conscience agissante ». « Beckett est redoutable, affirme Marie Lamachère, il défait les points d’adhésion identitaires du langage ».
Et nous voilà transportés plus loin dans le rien, ou le presque rien. Quand la notion rituelle se dissout, reste à nager ou à périr noyé.
JMDH
Le troisième volet est interprété ce soir par Damien Valero à 19h15 au Théâtre de La Vignette. Tel : 04 67 14 55 98.
Carnages de François Cervantes. Photo : Christophe Raynaud
Politique Culturelle. A l’occasion de la présentation de la saison d’hiver duDomaine d’O, la question de la gouvernance prend des contours incertains.
Une présentation de saison d’hiver peu ordinaire s’est tenue jeudi au Domaine d’O. Le vice-président du conseil général Jacques Atlan et le directeur par intérim Marc Lugand entourés des directeurs artistiques des festivals d’été : Jérôme Pillement pour les Folies lyriques, Habib Dechraoui pour Arabesques, une collaboratrice de Sabine Maillard pour les Nuits d’O, Jean Varéla pour le Printemps des comédiens et Isabelle Grison pour Saperlipopette, ont écouté religieusement l’équipe du service de communication présenter l’offre culturelle du Domaine d’O jusqu’en avril prochain.
Une situation cocasse dont le plus sûr mérite fut sans nul doute d’entrer dans le vif du sujet : la question de la gouvernance du Domaine après le départ de Christopher Crimes qui cumulait, non sans quelques difficultés, la responsabilité de la direction artistique et celle de l’Epic.
« Il n’y aura pas de directeur artistique », a annoncé Jacques Atlan comme pour couper court aux espoirs de ceux qui attendaient encore une fumée blanche. « Marc Lugand assurera la cohérence et la vision départementale dans la gestion administrative et financière du domaine ». Pour le délégué départemental à la culture, la question de la cohérence artistique ne semble pas se poser. « Nous ne nous contentons pas d’être un guichet. Nous voulons plus de publics et de diversité artistique. Nous avons demandé aux directeurs de festival qui connaissent bien le domaine et le font vivre, de proposer des spectacles. C’est une année de transition. »
Si les différents directeurs de festival affichaient une solidarité de rigueur, la tension et l’inquiétude étaient perceptibles chez les acteurs en charge de faire vivre ce lieu incontournable qui concentre, avec SortieOuest, le budget culturel départemental.
La question du budget artistique n’a pas été abordée avec beaucoup de précisions. « Il sera le même, à 90%… » Faut-il entendre que le nouveau théâtre Jean-Claude Carrière de 600 places assises qui complète l’équipement structurel du domaine depuis deux mois doit enrichir l’offre artistique à fonds constants ?
Il serait regrettable que le développement du Domaine d’O et ses acquis en termes d’accessibilité, de fréquentation, et de qualité de l’offre, se réduisent à un mode de gestion patrimoniale. Par ailleurs, la volonté de « sanctuariser les acteurs » habituels ne peut pas tenir lieu de politique. L’économie d’un poste de directeur artistique, correspond aussi à la suppression d’une fonction qui touche l’identité du lieu. Et tous le monde croise les doigts pour que cette identité demeure à la hauteur des ambitions culturelles affichées.
Jean-Marie Dinh
Les planches qui chaufferont l’hiver 2013/2014
Opéra Rock : Les ailes du désir
Spectacles vivants. Les rendez-vous du Festival d’hiver au Domaine d’O.
En 2014, dix-huit spectacles ponctueront nos fraîches soirées d’hiver 2014. ça commence le 11 janvier avec l’Orchestre national de Barbès pour se clôturer par Idir le 12 avril prochain. La plus grande part de cette programmation a été programmée par l’ancien directeur Christopher Crimes. Ce n’est donc qu’à partir du printemps que vont se dessiner les vrais premiers pas de la programmation multipolaire. Rétrécie par les contraintes budgétaires, la programmation d’hiver passe de trente-six dates à vingt-quatre.
Plus de champagne ni fête du nouvel an dans le domaine départemental cette année mais une série de rendez-vous à ne pas manquer. Le Domaine d’O privilégie l’ouverture à de nouvelles formes de spectacles vivants et les relations dans la durée avec les artistes. Ainsi retrouverons-nous la Cie l’Entreprise de François Cervantes avec Carnages : une fête collective des grands clowns du XXe siècle. Toujours en janvier Thomas Fersen est attendu avec Ginger Accident dans une rencontre qui promet d’être surprenante. On aurait tort de manquer le spectacle de Josse De Pauw autour de Monk, le 4 février. Nasser Djemai sera lui aussi de retour, après sa création sur les Chibanis en 2011, avec une pièce réaliste sur la jeunesse : Immortels le 7 février. La clown Emma taquinera la mort, pour en rire, et Mulatu Astatke nous emportera dans les profondeurs de l’Ethio-Jazz le 20 février.
Réservation : n°Vert 0 800 200 165
Source l’Hérault du Jour : 23/11/2013
Théâtre. Après Béziers et avant Alès, on peut voir «Tambours dans la nuit» de Bertolt Brecht au CDN de Montpellier dans une mise en scène de Dag Jeanneret.
« Ne trouvez pas naturel ce qui se produit sans cesse ! » écrit Brecht en 1930, dans L’Exception est la règle. L’avertissement marque un engagement déjà présent dans sa seconde pièce Tambours dans la nuit créée en 1922 à Munich. On (re) découvre cette oeuvre de jeunesse avec plaisir en ce moment au Treize Vents dans une mise en scène de Dag Jeanneret.
Le théâtre didactique brechtien nous est restitué dans son jus. Tout part de la salle à manger familiale, de l’opulent ennui des bourgeois qui ont su prospérer avec la Grande guerre qui s’achève. Dehors gronde le début de la révolution allemande. L’auteur dessine avec une causticité jubilatoire l’ambivalence opportuniste qui préside.
On ne se soucie pas plus du bonheur de ses enfants que des revendications populaires. « La fin du cochon c’est le début du saucisson », s’enchante le patriarche qui impose un mariage d’intérêt à sa fille Anna. L’affaire semble dans le sac quand débarque Kragler l’ex fiancé d’Anna disparu sur le front africain depuis quatre ans.
La sincérité du soldat s’oppose à la désillusion ambiante et le pousse à rejoindre la révolution spartakiste qui court, avec coeur, au massacre. Alors qu’il s’apprête à rejoindre les insurgés, sa fiancé lui revient. Kragler décide alors de rentrer à la maison avec elle.
« Bretch fait partie de ces auteurs dont on apprend beaucoup, qui interrogent positivement notre pratique », indique Dag Jeanneret. Il y a dans cette affirmation l’intention d’un travail honnête sans lequel toute tentative brechtienne se mue en imposture.
Intention perceptible d’un bout à l’autre du spectacle qui comporte certaines faiblesses comme les malhabiles entrées et sorties dans le premier acte ou la force collective excessive et généreuse du groupe qui l’emporte parfois sur le drame intérieur des personnages. Mais l’oeuvre impose ici un exercice où ce dosage s’avère bien plus délicat que dans une comédie de caractère. Ces petites imperfections relèvent de réglages techniques qui ne trahissent pas l’horizon de nos attentes.
Les retrouvailles qui nous sont proposées avec ce texte, peuvent comme le souligne le metteur en scène, résonner avec notre incapacité à agir contre un monde déshumanisé. Elles rappellent aussi à quel point les effets du nihilisme politique nous menacent.
Jean-Marie Dinh
A Montpellier jusqu’au 22 nov à Alès les 28 et 29 novembre
Source : L’Hérault du Jour 22/11/2013
Vous dans le public « Ne faites donc pas des yeux si romantiques ! »