La brebis galeuse. La voix ouverte de l’innocence

Christian Mazzuchini sur une corde juste sensible et drôle. Photo  Marie Clauzade

Christian Mazzuchini sur une corde juste sensible et drôle. Photo Marie Clauzade

SortieOuest. La brebis galeuse de Celestini mis en scène par Dag Jeanneret.

Associée à SortieOuest, la Cie In situ vient de présenter  La brebis galeuse en sortie de chantier d’Ascanio Celestini, auteur italien contemporain engagé dans le renouveau du théâtre récit. Une forme de monologue où le narrateur vient remplacer la figure de l’acteur dans la lignée de Dario Fo.

Avec cette pièce, le metteur en scène Dag Jeanneret poursuit ainsi un parcours débuté avec Radio clandestine du même Ascanio Celestini interprété par Richard Mitou en 2011. Le texte revenait sur le massacre des fosses ardéatines perpétré par les nazis et resté dans la mémoire des Romains comme l’événement le plus tragique de l’occupation allemande.

La brebis galeuse, accessible en français grâce au travail de la Maison Antoine Vitez, se situe une quinzaine d’années plus tard. Dans les années 60, celles de l’essor économique induit par la nouvelle logique géopolitique de la guerre froide. Celle de l’accès à la société de consommation, du boum industriel qui laissa le niveau de salaire italien loin derrière la croissance de la production qui s’effectua au détriment du monde agricole.

L’histoire est là, mais le point de vue se déplace dans le théâtre de Celestini qui la restitue à travers le prisme d’un inadapté, Nicola, enfermé dans un asile psychiatrique. Nicola remarquablement interprété par Christian Mazzuchini rêve de supermarchés merveilleux, de films intergalactiques de chansons à la guimauve et de femmes dociles. Son langage, sa gestuelle et ses formules idiomatiques occupent une place centrale qui nous plonge de plein pied dans le monde rural en train de disparaître.

JMDH

Source : La Marseillaise 02 01 2016

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Poison de Dag Jeanneret. Un regard lucide et sensible

10469867_553956651406058_3636817543679018096_nSortieOuest. Dag Jeanneret signe la mise en scène de « Poison », texte contemporain saisissant de Lot Vekemans.


Dag Jeanneret met en scène un texte contemporain de Lot Vekemans. Il est question d’un moment clé dans la vie d’un couple d’aujourd’hui. Un homme et une femme qui ne se sont pas vus depuis plusieurs années semblent se rencontrer fortuitement. Ils échangent des mots, apparemment anodins, dans un lieu qui s’avère être le bâtiment d’accueil d’un cimetière. Petit à petit, leurs vies se dessinent à la fois dans ce qui les a unis et dans leur présent, et les paroles creusent ce qui n’a jamais pu être dit.

Tout commence par un silence. Un homme seul dans un endroit vide. Un vide assez brutal qui pourrait être celui d’une vie passée qui remonte. Ca commence assez brutalement. Une femme arrive. « C’est bizarre de se retrouver là tous les deux » dit la femme. Celle qui dit cela est quelqu’un qui pourrait avoir cessé d’exister, assez longtemps, à la suite d’un drame.

Le titre Poison fait référence à quelque chose qui est à côté, tout près, mais on ne sait pas grand chose là-dessus. Le texte nous plonge dans une région nouvelle de la langue théâtrale. Ce qu’en fait la mise en scène de Dag Jeanneret reste fidèle à cette sobriété percutante, directe, qui respire le vrai. Tout comme la scénographie minimale de Cécile Marc. Le jeu d’Hervé Briaux et Sophie Rodrigues est à la fois réaliste et sensible sans effet dramatique. On explore les périodes crépusculaires de la vie des personnages. L’oeil lucide du metteur en scène et des comédiens aboutit à une forme absolue du temps, pas seulement du passé, du présent ou de l’avenir mais de toujours, l’essentiel.

JMDH

Lot Vekemans a reçu en 2005 le prix « Van der Vies », décerné tous les trois ans au meilleur texte théâtral de la période écoulée. Edition Espace 34

Source : L’Hérault du Jour 15/11/2014

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L’opportunisme en rupture avec la fiction

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Théâtre. Après Béziers et avant Alès, on peut voir «Tambours dans la nuit» de Bertolt Brecht au CDN de Montpellier dans une mise en scène de Dag Jeanneret.

« Ne trouvez pas naturel ce qui se produit sans cesse ! »  écrit Brecht en 1930, dans L’Exception est la règle. L’avertissement marque un engagement déjà présent dans sa seconde pièce Tambours dans la nuit créée en 1922 à Munich. On (re) découvre cette oeuvre de jeunesse avec plaisir en ce moment au Treize Vents dans une mise en scène de Dag Jeanneret.

Le théâtre didactique brechtien nous est restitué dans son jus. Tout part de la salle à manger familiale, de l’opulent ennui des bourgeois qui ont su prospérer avec la Grande guerre qui s’achève. Dehors gronde le début de la révolution allemande. L’auteur dessine avec une causticité jubilatoire l’ambivalence opportuniste qui préside.

On ne se soucie pas plus du bonheur de ses enfants que des revendications populaires. « La fin du cochon c’est le début du saucisson », s’enchante le patriarche qui impose un mariage d’intérêt à sa fille Anna. L’affaire semble dans le sac quand débarque Kragler l’ex fiancé d’Anna disparu sur le front africain depuis quatre ans.

La sincérité du soldat s’oppose à la désillusion ambiante et le pousse à rejoindre la révolution spartakiste qui court, avec coeur, au massacre. Alors qu’il s’apprête à rejoindre les insurgés, sa fiancé lui revient. Kragler décide alors de rentrer à la maison avec elle.

« Bretch fait partie de ces auteurs dont on apprend beaucoup, qui interrogent positivement notre pratique », indique Dag Jeanneret. Il y a dans cette affirmation l’intention d’un travail honnête sans lequel toute tentative brechtienne se mue en imposture.

Intention perceptible d’un bout à l’autre du spectacle qui comporte certaines faiblesses comme les malhabiles entrées et sorties dans le premier acte ou la force collective excessive et généreuse du groupe qui l’emporte parfois sur le drame intérieur des personnages. Mais l’oeuvre impose ici un exercice où ce dosage s’avère bien plus délicat que dans une comédie de caractère. Ces petites imperfections relèvent de réglages techniques qui ne trahissent pas l’horizon de nos attentes.

Les retrouvailles qui nous sont proposées avec ce texte, peuvent comme le souligne le metteur en scène, résonner avec notre incapacité à agir contre un monde déshumanisé. Elles rappellent aussi à quel point les effets du nihilisme politique nous menacent.

Jean-Marie Dinh

A Montpellier jusqu’au 22 nov à Alès les 28 et 29 novembre

Source : L’Hérault du Jour 22/11/2013

Vous dans le public « Ne faites donc pas des yeux si romantiques ! »

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Camus Nobel Pinter : Deux auteurs face à leur œuvre

Théâtre. Camus Nobel Pinter par Stéphane Laudier au Théâtre des 13 Vents.

Stéphane Laudier présente actuellement Camus Pinter au Théâtre des 13 Vents.  La pièce parle de la création en s’appuyant sur les discours prononcés par Albert Camus et Harold Pinter lorsque ceux ci reçurent le prix Nobel de littérature, en 1957 pour le premier et 2005 pour l’autre. Le pari s’avère à la fois modeste et ambitieux. Il touche l’abîme des écrivains. En saisissant un moment particulier où l’auteur parle publiquement de son travail. Un instant précis où  la reconnaissance internationale s’accompagne de responsabilités et d’interrogations.

Le discours de Pinter est recontextualisé. L’auteur, interprété par Dag Jeanneret, s’était exprimé depuis son lit d’hôpital. Dans la pièce, il expose sa réflexion sur la vérité depuis l’intimité de sa loge. Passant de part et d’autre du miroir de Narcisse, Pinter explique comment l’auteur  joue avec les facettes insaisissables de la vérité. Il rappelle que son exigence est tout autre en tant que citoyen avant de dénoncer les mensonges permanents générés par la politique étrangère américaines.

Une élégante transition donne la parole à Camus, interprété par Fanny Rudelle. En pleine exposition, statique comme le son les stars dans ce genre de situation, la comédienne fait preuve d’un remarquable pouvoir de captation pour traduire l’humanisme sensible d’un homme révolté. Camus convoque la fonction universelle de l’auteur qui doit rester ouvert au monde et être à l’écoute des hommes sans voix.

Le choix de ces deux écrivains correspond à des affinités électives. Malgré le demi-siècle qui les sépare, Stéphane Laudier tisse de solides correspondances. En moins  d’une heure, tous l’univers de la littérature entre dans un théâtre, presque de poche. Il n’est pas question d’habileté stylistique  ou de la stratégie si chère aux auteurs de supermarché mais de démarches littéraires engagées dans la réalité qui brisent les barrières de l’espace et du temps.

Jean-Marie Dinh

Au Théâtre des 13 Vents jusqu’au 16 décembre. Rens : 04 67 99 25 00

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Littérature Littérature  française, rubrique Littérature anglo-saxone,

Christopher Crimes : « Une vraie menace plane sur la création en Europe »

Nommé par André Vezinhet Christopher Crimes est directeur du Domaine d’O depuis 2009. Il a participé à l’ouverture d’équipements culturels reconnus Le Quai d’Angers, La Filature de Mulhouse, ou la Maison de la culture du Havre …. Créatif, Christopher Crimes aime les symboles. Au cours de sa carrière, il a développé un vaste réseau au niveau européen.

Pouvez-vous évoquer les  grands axes de votre partition d’hiver…


« Nous poursuivons le parcours de découvertes dans le domaine de la création étrangère européenne, en accueillant Grace Ellen Barkey du collectif Needcompany basé à Bruxelles, tg Stan installé à Anvers ou encore l’artiste associée suisse Gisèle Sallin et le théâtre des Osses. La Belgique et la Suisse partagent certaines similitudes dans les esthétiques mais aussi une belle diversité. La question de l’identité constitue un autre axe de cette saison  avec le  spectacles Invisible de Nasser Djemaï que nous avons accueilli en résidence l’année dernière et Nous habitons ici, une rencontre théâtrale qui évoque tous les peuples qui sont en nous, proposée par l’artiste associé François Cervantes. Nous suivrons aussi la volonté d’approfondir la notion de conflit. D’évoquer à notre façon ce que l’on ressent en tant que citoyens dans ce monde plutôt malade. Dans cette idée de clarification nous reprenons le spectacle Radio Clandestine, mis en scène par Dag Jeanneret. Nous accueillons aussi Jean-Claude Fall pour une lecture du texte de Falk Richter « Le système » qui aborde les imbrications de la politique américaine avec le pouvoir de la finance.

Vous recentrez l’intérêt sur l’humain en vous éloignant des grands thèmes qui portaient votre volonté initiale comme l’Europe ou l’écologie qui sont aujourd’hui dans une impasse politique ?

Ces thèmes demeurent dans les strates de l’action que nous conduisons. En 2012, nous défendrons des projets autour du changement climatique. Mais en ces temps de grande incertitude, je pense en effet qu’il est important de se rapprocher des gens, de la façon dont ils vivent, de leurs préoccupations… Notre fête de fin d’année tournera autour des années 30, une période de crises, de conflits et d’appauvrissement de la population qui présente des similitudes avec notre époque. C’était en même temps un moment où les gens éprouvaient le besoin de faire la fête. Nous avons limité les entrées à 600 personnes pour vivre un moment créatif et conviviale en toute simplicité. C’est l’antithèse des réseaux sociaux, nous voulons permettre aux gens de partager et d’être ensemble.

Stan’s café, la compagnie anglaise associée au Domaine d’O est une des victimes de la crise ?

Oui nos amis ne peuvent plus travailler en Angleterre où la crise frappe de plein fouet les artistes. Ils n’ont pas pu monter de création cette année et doivent faire des animations scolaires pour survivre.

Comment la  crise financière et politique de l’UE impacte-t-elle la culture qui n’était déjà pas une de ses priorités ?

Il y a une vrai menace qui se fait sentir aussi aux Pays-bas et en Allemagne où l’on assiste à des coupes budgétaires qui ont lieu sans discernement. Cette année, on a imposé d’un coup au plus grand théâtre de Rotterdam d’arrêter toute production. Il ne font plus que de la diffusion. Dans certains pays on a tendance à réduire la culture à des spectacles populaires, voir populistes. Un peu comme si on se mettait ici à subventionner les spectacles de variétés commerciales. Ce n’est pas  le rôle des établissements publics.

L’UE a réalisé d’importants investissements dans le domaine culturel. Notamment à travers le programme des capitales de la culture européenne. Cela a profité à certaines villes. Dans d’autres cas les investissements n’ont pas toujours été bien employés. A Glasgow la ville a placé la culture au cœur de sa politique de régénération urbaine, économique et sociale. C’est aussi une réussite à Lille où Martine Aubry a eu l’intelligence de jouer la continuité avec Lille 3000.

Le domaine d’O est aussi un lieu de recherche. Quelles sont les expériences qui ont marché et celles qui n’ont pas abouti ?

Lors de mon arrivée un peu précipitée, je n’avais pas tous les moyens de compréhension. Je me suis rendu compte depuis, que mon objectif d’ouvrir vers de  nouveaux publics n’était pas forcément bien entré dans les esprits des spectateurs. Je me suis mis à l’écoute en découvrant parallèlement la richesse créative du territoire. Sans dévier du projet artistique nous sommes passés à un taux de remplissage de 85% pour la deuxième saison.

Pour les créations, j’invite des artistes. Je passe du temps, j’observe, j’accompagne différentes étapes dans la durée. A la fin, on fait le point ensemble et je prends la décision de poursuivre ou pas le projet. Ce qui n’a pas suffisamment marché, ce sont les rencontres du dimanche présentant des aspects scientifiques ou patrimoniaux. Nous les poursuivons cette année mais à un rythme mensuel. Il y a également de la philosophie, des lectures dramatiques ou poétiques, de la chanson et des spectacles jeunes publics ponctués d’ateliers pour découvrir l’envers du spectacle. Cet ensemble orienté vers le public réserve d’étonnantes rencontres. Le premier rendez-vous est fixé au 23 septembre avec la nuit des chercheurs où il sera question de vie et de fin du monde ! »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi :  Rubrique Politique culturelle, rubrique Festival,   rubrique Rencontre, Olivier Poivre d’ArvorJérome Clément,