Mobilisation contre l’arsenal répressif

Photo David Maugendre

Ils étaient une cinquantaine hier à 15h sous la pluie devant la préfecture a avoir répondu à l’appel de « Reste à quai » pour demander le retrait total du texte LOPPSI 2 adopté le 16 février dernier. Le collectif rassemble des citoyens, des associations, des partis politiques et des d’organisations syndicales de gauche, unis pour endiguer la dérive sécuritaire qui s’abat sur les libertés individuelles.

La récente décision du Conseil constitutionnel qui vient de censurer 13 articles de la loi Loppsi 2 est assurément un revers pour le gouvernement et le Président de la République. Parmi les articles jugés anticonstitutionnels qui font suite à la volonté de Nicolas Sarkozy exprimée dans son fameux discours de Grenoble, on relève pêle-mêle : la volonté qui permettrait à des personnes privées la surveillance générale de la voie publique et ainsi de leur déléguer des compétences de  police (art 18) ; celle d’étendre au mineurs des peines  minimales (plancher), jugée contraire à la justice pénale des mineurs (art 37) ; l’autorisation donnée au procureur de la République de convoquer un mineur sans saisir préalablement le juge des enfants (art 41) ; le fait de punir le représentant légal pour une infraction commise par un mineur (art.43) (bien que la possibilité pour le préfet d’instaurer un couvre feu pour les mineurs soit maintenue) ; l’autorisation donnée au préfet de procéder à l’évacuation forcée de terrains occupés illégalement, à toute époque de l’année, sans considération de la situation personnelle ou familiale de personnes défavorisées (art 90) ; l’extension à des agents de police municipale, qui relèvent de l’autorité communale, de procéder à des contrôles d’identité, disposition jugée contraire à la Constitution qui impose que la police judiciaire soit placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

Résister à l’édifice sécuritaire

« Le Conseil constitutionnel n’est pas resté totalement sourd à la mobilisation contre ce texte, ont estimé hier les manifestants, mais ne nous y trompons pas, il se prononce sur le droit et ne s’oppose pas dans le fond à la surcharge des lois sécuritaires. 129 articles de LOPPSI 2 restent encore valides. »

Le texte déposé par le gouvernement en mai 2009, comptait quarante-six articles. Il n’a cessé d’enfler au fil des lectures pour en compter 142 à l’arrivée. Il complète l’édifice sécuritaire qui s’est constitué avec Loppsi, LSQ (sur la sécurité quotidienne), les loi Perben 1 et Perben 2, la loi sur la sécurité intérieure et d’innombrables décrets.

« La droite et l’UMP peuvent encore se satisfaire. Car elles progressent dans leur entreprise d’aggravation continue de l’arsenal répressif, constate Gerard Arnaud du collectif « Reste à quai ». Nous ne voulons  pas dissocier les articles un à un mais avoir une vision d’ensemble. Ce qui se passe, c’est qu’on nous impose toujours plus de contrôle social et toujours moins de droits sociaux. Sarko et sa bande ne sont que les valets de l’ordre libéral. Ils mettent en place l’étau  qui nous comprime pour mieux nous exploiter et exploiter les ressources de  notre environnement. » Le collectif « Reste à quai » appelle à maintenir la mobilisation et à sensibiliser les citoyens à une résistance pour la préservation des libertés individuelles et collectives.

Jean-Marie Dinh

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Le Michael Jackson de Pierric Bailly

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« Montpellier propose une esthétique qui ne donne pas envie de souffrir, ni même de travailler. »

Pierric Bailly signe un étrange roman de jeunesse dont l’action qui se déroule à Montpellier n’a aucun rapport avec Michael Jackson. Débarqué de son Jura natal, Luc un jeune homme inadapté en tout atterrit en arts du spectacle à l’université Paul-Valéry. On se détourne vite de son cursus pour suivre ses pérégrinations amoureuses avec Maud. Celles-ci se fondent et se dégradent, en trois  étapes, entre 18 et 26 ans.

Michael Jackson  est un roman sur l’âge du désir et de l’ennui au sein d’une jeunesse sans souci matériel. Le rapport à l’argent est facile comme une soirée chanceuse au Casino de Palavas. Luc croise plein de « collègues » de son âge, Leonard, Suzy, Erwan, Eglantine et Ronan et Claire, seul couple vraiment actif qui projette de se lancer dans le porno. Leur expériences sexuelles assumées donnent le pendant au caractère réservé de Luc qui passe son temps entre abstinence et méditation. Premier ou second degré on ne sait pas toujours. D’ailleurs à cet âge on ne sait pas grand chose hormis le désir qui nous anime où au contraire nous repousse. Ce que l’on ne veut pas on apprend à le découvrir au contact des autres.

En quoi une chronique estudiantine ouvre t’elle sur la littérature ? Pierric Bailly use d’une expression stylistique objective voire, d’une pensée individuelle écrite, mais le « moi » éclate pour toucher le fond de l’être humain par la sensibilité.  Il décrit ces années, à peine pénibles, où la jeunesse, grande oubliée de la République, se construit sans rien faire. Au sein des répétitions quotidiennes, des codes générationnels et des questions identitaires s’immisce une analyse sociale.

L’auteur parle d’amour, de sexe et d’utopie, mais ce n’est pas parce qu’on a gommé la souffrance qu’elle a disparu. Tout l’art de Pierric Bailly est d’extraire l’essence parfois réjouissante de cette jeunesse condamnée à la banalité qui tente d’y échapper en 400 pages.


Jean-Marie Dinh

Michael Jackson, éditions P.O.L, 19,9 euros.

Voir aussi : Rubrique Livre, Rubrique Litterature française,

Expo photo : Optiques ouverts pour un voyage dans les villes

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Boris Mikhailov, Sans titre de la série "At Dusk" 1993.

Exposition. Le Pavillon populaire de Montpellier ouvre l’espace urbain à des interventions photographiques qui traversent l’histoire de l’Europe de ces quarante dernières années.

Comme la lumière, la photo traverse les frontières. Après l’Amérique, retour en Europe au Pavillon Populaire dont l’ambition est de s’affirmer comme un lieu qui compte pour la photographie d’art à l’échelle nationale et internationale. Le succès de la dernière l’exposition  Les Suds profonds de l’Amérique qui a rassemblé  20 000 visiteurs, réjouit l’adjoint à la culture de Montpellier Michaël Delafosse très impliqué dans la nouvelle dynamique impulsée par Gilles Mora.

« A la différence de l’Amérique, la photographie européenne de rue est marquée par son implication sociale, politique, et par une dimension plus fun, explique le directeur artistique du Pavillon Populaire. La ville apparaît pour certains comme un lieu de plaisir, alors qu’elle est revendiquée par d’autres comme un lieu de douleur. » Une impression dont on découvre les contrastes palpables dans le parcours de l’expo consacrée aux figures de la photographie urbaine en Europe depuis 1970.

Gilles Mora a confié le premier volet d’une série de quatre expos sur le thème de la photographie urbaine à la conservatrice en chef du Musée de l’Albertina à Vienne, Monika Farber, qui assure le commissariat de Aires de jeux champs de tensions à voir jusqu’au 24 avril prochain. «  J’avais  trois grands artistes en tête, Bogdan Dziworski, Michael Schmidt, Christ  Killip, qui me semblaient répondre à la proposition de Gilles Mora, puis j’ai ouvert à des artistes talentueux que j’apprécie pour la singularité de leur travail. Je voulais mettre en avant la qualité. La différence de reconnaissance entre ceux qui vendent très bien sur le marché de l’art et des artistes qui disposent de peu de notoriété n’a pas d’importance. J’ai voulu aussi adjoindre la vidéo aux possibilités photographiques »

Jeux et tensions

L’expo propose trois vidéos dont le travail très percutant du Suisse Christoph Rütimann qui fixe des roulettes à sa caméra pour attaquer, façon skater, les rambardes du mobilier urbain. De Londres à Zurich, on fuse sur les lignes à grande vitesse et on évite la chute grâce à un montage cut ingénieux.

Face à la ville, l’approche du photographe varie pour effectuer ses prises de vue. Pour le Japonais Seiichi Furuya qui brave l’interdiction en vigueur et photographie le mur de Berlin côté Est dans les années 70, les images sont saisies à la sauvette. En photographiant  les manifestations officielles en noir et blanc et les activités de loisirs dominicales en couleur, l’artiste joue sur les tensions et montre comment le gouvernement utilise la rue. A la même époque, le réalisateur polonais Dziworski dont on découvre l’œuvre photographique remarquable dans le travail sur le mouvement, saisit l’instant.

Les faux passants. Rosenfeld 1997/1998.

Les faux passants. David Rosenfeld Amiens 1997/1998.

A l’inverse, le photographe français David Rosenfeld présent à  Montpellier lors du vernissage s’arrache au mythe d’une photographie  de rue hors d’usage. « Mon regard est fuyant. Je travaille sur des petits formats. Pour sortir  de l’inflation des grands formats et du regard sociologique. Ce qui m’attire c’est l’intemporalité dans le temporel. Ce qui est antérieur à ce que l’on voit. Je recherche le désir dans la neutralité. Je traite la dimension urbaine comme un décor de théâtre. Pour moi la ville est formelle. L’humain est comme un comédien dans sa scène. Je  m’intéresse à cette fausse absence. Au simulacre par exemple sur certaines de mes  photos. On croit voir des gens qui marchent, mais ils ne marchent pas. »

Juxtaposition des réalités
On retrouve un peu de cette juxtaposition simultanée des réalités dans les photos de la photographe tchèque Jitka Hanzlovà dont les portraits sont baignés d’une lumière radieuse mais où les visages sont fermés. L’artiste accentue l’ambivalence des sentiments avec des cadres sans horizon.

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Chris Killip, Father and Son, Newcastle, 1980

Côté tension, le regard  de l’Anglais Chris Killip osculte les effets des années Thatcher à travers le sombre quotidien des chômeurs. La qualité narrative de ses mises en scène de rue traduit l’impossibilité d’évolution de la classe des ouvriers sacrifiés. Celui de l’Ukrainien Boris Mikhailov nous transporte sur les traces amères et radioactives de l’effondrement économique de l’URSS avec un travail panoramique bien trash dont les effets cinématographiques donnent froid dans le dos.

L’Autrichien Octavian Trauttmans-Dorff est peut-être le seul à revendiquer un regard plus sociologique sans se départir d’une esthétique singulière. Il présente un échantillon  de la population viennoise grandeur nature photographiée dans la même rue sur une toile de 18 mètres de long avec des effets obtenus par absence de fixateur. L’artiste affirme pour sa part être arrivé à ce résultat en effectuant ses tirages avec l’eau polluée du Danube.

Jean-Marie Dinh

Aires de jeux champs de tensions au Pavillon Populaire  jusqu’au 24 avril prochain.

Voir aussi : Rubrique Photo,

Neuf hommes dans une colère (ir)responsable…

L’habile  mise en scène favorise l’improvisation et la proximité.

« Notre terreur ». Sylvain Creuzevault et le collectif « D’ores et déjà » nous plongent au cœur du comité de Salut public.

L’histoire est une fiction et la révolution une accélération de l’histoire ou au contraire un ralentissement qui permet d’en décrypter les instants majeurs… La pièce Notre terreur présentée au théâtre de La Vignette interpelle les enfants de la République que nous sommes sur ses fondements en nous plongeant au cœur du comité de Salut public.

Après la mort du roi, la jeune République voit se dresser contre elle presque toute l’Europe. La nation est conviée à sacrifier le régime féodal. Mais la France révolutionnaire est menacée de l’extérieur et de l’intérieur. Elle est en guerre contre l’étranger et doit faire face à la contre-révolution dont les dangers prennent mille formes. La subsistance n’est pas assurée, les troupes ne sont pas ravitaillées. On manque d’hommes, de vivres, de chevaux et de poudre à canon. C’est dans ce contexte que la Montagne décide de prendre les mesures de salut public. Un décret organise les institutions : le tribunal révolutionnaire, le Comité de surveillance qui dresse la liste des suspects et le comité de Salut public qui délibère en secret pour  surveiller et  accélérer l’action de l’administration.

Mise en lumière des enjeux

La pièce débute où celle de Georg Büchner La mort de Danton s’achève. Les principes d’incorruptibilité de Robespierre viennent d’aboutir à l’exécution de son frère de lutte. Encore sous le choc, les hommes du comité de Salut public statuent sur la gestion politique de cette mort. Le spectateur témoin s’imprègne d’entrée de cette réalité. La  violence rebute d’autant plus qu’elle vient de s’abattre sur un être cher. Une violence aveugle non préméditée que les amis de Danton se reprochent sans le dire. Mais qui les dépasse comme nous dépassent toutes situations qu’il faut gérer dans l’urgence. Le mandat des hommes qui débattent est renouvelable. L’habile  mise en scène favorise l’improvisation et la proximité. Elle laisse le public citoyen se faire face dans la lumière, lui attribuant parfois le rôle de député de la Convention, ce qui pousse le spectateur à se prononcer intérieurement.

Ici, à cet instant, se joue la scène primitive de la République. Les débats s’enflamment et les opinions divergent.  Il importe tout à la fois d’éliminer les traîtres, de stopper l’inflation et la vie chère, de faire rendre gorge aux accapareurs et aux nantis et de maintenir un rapport de force politique favorable. L’idéal révolutionnaire prend le risque de devenir une tyrannie. Mais déjà la conscience politique amène à se concilier l’opinion publique. Barère qui cherche à donner un visage avenant à la terreur, interroge ses compagnons à propos d’une pièce qu’il est en train d’écrire.  On s’écharpe sur le sens symbolique du drame et la forme de représentation. On aborde la morale et la religion : faut-il donner une dimension sacrée à la légitimation politique ?

L’histoire dans le présent
Le rapport de force bascule et l’espace onirique de la pièce s’ouvre en couleurs et en musique autour de Robespierre en marche vers son exécution. Face à Saint Just qui lui suggère de mettre à profit son pouvoir, l’homme intègre refuse la dictature. Comme il a refusé de substituer l’Etat à l’équilibre du marché tout en combattant radicalement la corruption et l’exploitation. « Est-ce tyrannie de l’opinion que de se dresser seul contre tous ? Soutenir sa conscience comme le fit Robespierre, est-ce mettre en défaut l’idée de volonté générale ? » interroge le metteur en scène.

Tout en réhabilitant « l’expérience des vaincus de l’histoire » de nos jours, présentés par la pensée unique comme un clan de terroristes, Sylvain Creuzevault présente une création qui réactualise le théâtre politique en laissant une grande liberté de jeu aux acteurs et aux spectateurs. Sa note de présentation fait état d’une volonté d’inscrire l’histoire dans le présent. Pari réussi. Avec le collectif « D’ores et déjà », il parvient à mettre la politique sur scène. Les membres de son Comité arborent l’attitude des militants politiques d’aujourd’hui, la grandeur d’âme en plus.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Livre, Les Onze de Pierre Michon,

Dahmane Ouzid « Les jeunes respectent la tradition et transgressent en secret »

La Place, première comédie musicale algérienne réalisée par Dahmane Ouzid

Invité de la manifestation Regards sur le cinéma algérien, le réalisateur Dahmane Ouzid évoque son film La Place qui sort très prochainement en Algérie. Sous forme d’allégorie la comédie musicale exprime de manière très directe le malaise actuel de la jeunesse.

dahmane-ouzidOn est surpris par la liberté de ton du film qui colle à l’actualité, bien que l’idée de ce projet ne soit pas nouvelle…
La sortie prochaine du film consacré à la jeunesse fait événement. Les années noires ont repoussé le tournage. Nous devions faire ce film à 30 ans et on l’a fait trente ans plus tard. Ce n’est pas à notre âge que nous allons prendre des gants. Nous nous exprimons librement sans pour autant être politiquement agressifs.

Comment le film a-t-il été financé ?
C’est un projet privé financé par l’Etat. En Algérie, le cinéma public a montré ses limites. Moi par exemple en tant que jeune réalisateur du service public, on m’a payé à ne rien faire pendant vingt ans. Aujourd’hui on nous demande d’assurer le montage financier du film. C’est très bien mais  comment convaincre les investisseurs privés quand on connaît la carrière que font les films algériens à l’étranger et l’état du réseau de distribution algérien ? L’autre possibilité de financement ce sont les chaînes de télévision. A l’origine La Place est une série produite pour la TV, le retour financier sera assuré par une chaîne publique algérienne.

Comment favoriser l’accès au cinéma en Algérie ?
L’urgence est la réhabilitation des salles. Le mouvement est en cours. Il faut produire des films de qualité mais aussi faire en sorte que les Algériens retournent au cinéma. Les réalisateurs entreprennent dans ce sens un travail de prospection en se rendant dans les écoles pour montrer leurs films.

Comment le pouvoir a-t-il pu financer votre film qui pose un  regard réaliste sur la gestion du pays à travers le mal vivre de sa jeunesse ?
Paradoxalement, je crois que les conditions sont réunies pour la sortie du film. Nous avons le soutien de la ministre de la Culture. Avec Salim Aïssa qui signe le scénario, nous nous sommes efforcés de ne pas franchir la ligne rouge. Nous l’effleurons au maximum en la dépassant légèrement parfois. Sur le fond, je pense que le gouvernement est en train de donner des gages de son esprit d’ouverture, à nous d’en profiter.

La ligne rouge : c’est le sexe et la religion ?
Ca se résume à cela en effet. Notre rôle n’est pas d’être des Fassbinder ou des Pasolini. Ces réalisateurs que j’adore, s’inscrivaient au sein d’une cinématographie où l’on s’éclatait jusqu’à en mourir. Nous, il nous revient de faire avancer les choses. Je peux devenir célèbre demain en faisant un film algérien qui s’appellerait « L’amour sur les dunes. » Mais ce n’est pas mon cinéma ni de l’autocensure. Personne ne reproche à Hitchcock ses baisers pudiques. Mais dès qu’un cinéaste vient de l’autre rive de la Méditerranée, il faut qu’il brise les tabous. Moi je montre qu’en Algérie les jeunes sont en prise avec une société conservatrice et pudique.

Quelle différence faites-vous entre ce qui relève de la tradition et de la religion ?
Il y a un grand respect de la tradition en Algérie y compris chez les jeunes où la transgression se fait en secret. On regarde la chaîne algérienne en famille dans le salon et TF1 dans sa chambre. Le poids de la tradition n’est pas lié à l’islamisme. Il appartient aux fondamentaux culturels, même si on observe un regain de la religiosité. Nous montrons les jeunes danser et chanter dans un pays où on ne chante plus et on ne danse plus. Nous n’avons pas voulu parler de la question religieuse pour ne pas la noyer  dans le propos. Cela mérite un sujet à part entière.

Dans le  film on voit des jeunes qui veulent des visas se casser le nez devant les grilles des ambassades. Quel est le message ?
L’occident prend pour prétexte l’immigration clandestine pour refuser aux jeunes de nos pays d’aller à la rencontre du monde. Etre systématiquement considéré comme un travailleur au noir, alors que vous êtes un étudiant qui veut voyager, cela produit un sentiment de haine. D’ailleurs, on rencontre de plus en plus d’intellectuels islamistes. La seule possibilité  de partir est de prendre un risque, souvent mortel. L’hypocrisie de l’occident, c’est qu’elle trouve dans les quotas de ceux qui passent les besoins de sa main d’œuvre non déclarée.

« La Place », ce terrain non aménagé  occupé par des jeunes désœuvrés est une allégorie du pays et un réquisitoire terrible contre le pouvoir. Quel regard portez-vous sur les révoltes d’Alger ?
Gouverner c’est prévoir et le pouvoir n’a pas prévu. A sa décharge il n’en avait pas la compétence. Les premières manifestations de la jeunesse étaient spontanées. Elles ont été suivies par des manifestations officiellement organisées par des partis politiques et des associations. A Alger le pouvoir a fait preuve de son savoir-faire  en quadrillant le périmètre urbain pour empêcher les manifestants de rejoindre la ville. Mais les jeunes qui étaient sur place n’ont pas rejoint la société civile. Ils se méfient de tout ce qui est organisé, y compris des partis d’opposition.

L’avenir ne passe-t-il pas par une prise en charge politique ?
Oui, c’est la raison pour laquelle les partis ont un travail de proximité à faire à l’égard de la jeunesse. Mais chaque pays a ses spécificités. L’Algérie a déjà donné : 200 000 morts. Les drames ça nous connaît. On ne fera pas la révolution à Alger comme sur la place Tahrir.

Les intellectuels ont-il un rôle à jouer ?
Je ne me considère pas comme un intellectuel. Je constate qu’il n’y a pas d’opposition réelle en terme d’idées. J’espère que mon film permettra de faire réfléchir. Je ne suis pas naïf, comme je l’ai dit, il peut servir le pouvoir mais ce n’est pas une commande. Nous n’avons pas écrit de scénario, ce qui nous a permis d’éviter la censure.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La sortie française du film est attendue en septembre 2011

Voir aussi Rubrique Cinéma, rubrique Algérie,