Exposition.
Comme la lumière, la photo traverse les frontières. Après l’Amérique, retour en Europe au Pavillon Populaire dont l’ambition est de s’affirmer comme un lieu qui compte pour la photographie d’art à l’échelle nationale et internationale. Le succès de la dernière l’exposition Les Suds profonds de l’Amérique qui a rassemblé 20 000 visiteurs, réjouit l’adjoint à la culture de Montpellier Michaël Delafosse très impliqué dans la nouvelle dynamique impulsée par Gilles Mora.
« A la différence de l’Amérique, la photographie européenne de rue est marquée par son implication sociale, politique, et par une dimension plus fun, explique le directeur artistique du Pavillon Populaire. La ville apparaît pour certains comme un lieu de plaisir, alors qu’elle est revendiquée par d’autres comme un lieu de douleur. » Une impression dont on découvre les contrastes palpables dans le parcours de l’expo consacrée aux figures de la photographie urbaine en Europe depuis 1970.
Gilles Mora a confié le premier volet d’une série de quatre expos sur le thème de la photographie urbaine à la conservatrice en chef du Musée de l’Albertina à Vienne, Monika Farber, qui assure le commissariat de Aires de jeux champs de tensions à voir jusqu’au 24 avril prochain. « J’avais trois grands artistes en tête, Bogdan Dziworski, Michael Schmidt, Christ Killip, qui me semblaient répondre à la proposition de Gilles Mora, puis j’ai ouvert à des artistes talentueux que j’apprécie pour la singularité de leur travail. Je voulais mettre en avant la qualité. La différence de reconnaissance entre ceux qui vendent très bien sur le marché de l’art et des artistes qui disposent de peu de notoriété n’a pas d’importance. J’ai voulu aussi adjoindre la vidéo aux possibilités photographiques »
Jeux et tensions
L’expo propose trois vidéos dont le travail très percutant du Suisse Christoph Rütimann qui fixe des roulettes à sa caméra pour attaquer, façon skater, les rambardes du mobilier urbain. De Londres à Zurich, on fuse sur les lignes à grande vitesse et on évite la chute grâce à un montage cut ingénieux.
Face à la ville, l’approche du photographe varie pour effectuer ses prises de vue. Pour le Japonais Seiichi Furuya qui brave l’interdiction en vigueur et photographie le mur de Berlin côté Est dans les années 70, les images sont saisies à la sauvette. En photographiant les manifestations officielles en noir et blanc et les activités de loisirs dominicales en couleur, l’artiste joue sur les tensions et montre comment le gouvernement utilise la rue. A la même époque, le réalisateur polonais Dziworski dont on découvre l’œuvre photographique remarquable dans le travail sur le mouvement, saisit l’instant.
A l’inverse, le photographe français David Rosenfeld présent à Montpellier lors du vernissage s’arrache au mythe d’une photographie de rue hors d’usage. « Mon regard est fuyant. Je travaille sur des petits formats. Pour sortir de l’inflation des grands formats et du regard sociologique. Ce qui m’attire c’est l’intemporalité dans le temporel. Ce qui est antérieur à ce que l’on voit. Je recherche le désir dans la neutralité. Je traite la dimension urbaine comme un décor de théâtre. Pour moi la ville est formelle. L’humain est comme un comédien dans sa scène. Je m’intéresse à cette fausse absence. Au simulacre par exemple sur certaines de mes photos. On croit voir des gens qui marchent, mais ils ne marchent pas. »
Juxtaposition des réalités
On retrouve un peu de cette juxtaposition simultanée des réalités dans les photos de la photographe tchèque Jitka Hanzlovà dont les portraits sont baignés d’une lumière radieuse mais où les visages sont fermés. L’artiste accentue l’ambivalence des sentiments avec des cadres sans horizon.
Côté tension, le regard de l’Anglais Chris Killip osculte les effets des années Thatcher à travers le sombre quotidien des chômeurs. La qualité narrative de ses mises en scène de rue traduit l’impossibilité d’évolution de la classe des ouvriers sacrifiés. Celui de l’Ukrainien Boris Mikhailov nous transporte sur les traces amères et radioactives de l’effondrement économique de l’URSS avec un travail panoramique bien trash dont les effets cinématographiques donnent froid dans le dos.
L’Autrichien Octavian Trauttmans-Dorff est peut-être le seul à revendiquer un regard plus sociologique sans se départir d’une esthétique singulière. Il présente un échantillon de la population viennoise grandeur nature photographiée dans la même rue sur une toile de 18 mètres de long avec des effets obtenus par absence de fixateur. L’artiste affirme pour sa part être arrivé à ce résultat en effectuant ses tirages avec l’eau polluée du Danube.
Jean-Marie Dinh
Aires de jeux champs de tensions au Pavillon Populaire jusqu’au 24 avril prochain.
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