Ce n’est pas jouer les cassandres que de rendre comptes des menaces mortelles qui pèsent sur la culture en France. Avec la révision générale des politiques publiques, La réforme des collectivités territoriales et le régime sec des restrictions budgétaires nationales et locales, celles-ci s’amoncèlent comme de gros nuages à l’approche de l’orage. Pourtant le Languedoc-Roussillon semble peu enclin à venir grossir les troupes qui défendront la culture à Paris le 17. Ce troisième appel à une journée d’action en trois mois n’est pas jugé inutile mais priorité est donnée à trouver des réponses stratégiques face à l’offensive.
Le pire est devant nous
Sur le champ de bataille de la réforme territoriale, les milieux du spectacle craignaient que les régions et les départements perdent leur possibilité d’intervention » Sur ce point la mobilisation a abouti à réintroduire la culture et le sport comme compétences générales. Mais la lutte n’est pas finie. Après les coupes dans les budgets 2010 nous redoutons celles qui se préparent en 2011. Le pire est devant nous « , indique Jean-Marc Uréa du Syndicat national des entreprises artistiques (Syndeac).
Archive mouvement intermitents de 2003. Photo David Maugendre
Depuis octobre 2009, un ensemble d’organisations professionnelles et syndicales auxquelles sont associés des réseaux et des collectifs se sont rassemblés pour créer le Comité régional d’action pour la culture et la connaissance en Languedoc Roussillon (CRACC). Cette union régionale regroupe en Languedoc-Roussillon des acteurs de tous les secteurs : spectacle vivant, lecture publique, arts plastiques, musées, structures ou associations patrimoniales, cinéma et l’audiovisuel, multimédia, administration culturelle et la recherche… On songe à la citation de Valéry : « ?Deux dangers ne cessent de menacer le monde l’ordre et le désordre. » En la circonstance, face au désordre orchestré au nom de la concurrence libre et non faussée, les acteurs culturels se sont mis en ordre de bataille pour faire front.
Peser sur les élus locaux
La journée d’action du 17 juin pour protester contre la cure d’austérité sans précédent promise au spectacle vivant et à la création artistique était à l’ordre du jour d’une réunion du Cracc la semaine dernière au Centre national chorégraphique de Montpellier. Rapidement les acteurs présents s’entendent pour ne pas répondre à l’appel national. » On est épuisé. Il faut garder des forces pour aller à l’efficace. On ne pas se contenter de négocier les conditions de la défaite explique Eva Loyer de la CGT spectacle, ce qui marche c’est l’interpellation des politiques. Les élus locaux clament qu’ils ne sont pas d’accord mais ils appliquent… La désobéissance civile ça existe aussi pour les élus. » L’assemblé décide d’engager une démarche auprès des cinq Présidents des conseil généraux. Il est aussi question d’une action auprès des parlementaires de l’UMP. » De part le fait qu’il détient actuellement la majorité l’UMP demeure le cœur de cible, mais ce n’est pas le seul parti concerné, souligne la représentante du Syndicat national des arts vivants (Synavi), en cas d’alternance en 2012, ils faut que le PS nous dise s’il reviendra en arrière…? »
Lever l’opacité législative
Autre chantier et pas des moindres, l’action en direction des élus suppose de décrypter les multiples textes législatifs dont le point convergent abouti à la destruction organisée du service public de l’art, de la culture et de la connaissance. Line Colson de la boutique d’écriture, (membre du mouvement d’éducation populaire Peuple et Culture) évoque la circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations qui s’est fixé pour objectif de clarifier les exigences que doit respecter une collectivité publique pour sécuriser l’octroi d’une subvention à une association. » Selon le texte entré en vigueur pour prendre en compte les exigences libérales de l’UE, au-delà d’un budget annuel de 66 000 euros, emploi aidé et mise à disposition de salle ou de matériel compris, ont ne pourra plus percevoir de subvention émanant des collectivités publiques à moins de faire certifier son activité en tant que service d’intérêt économique général. Ce qui revient à considérer la culture comme une marchandise. » Sur ce sujet les acteurs décident d’organiser des réunions d’information.
Les menaces qui pèsent sur la culture portent aussi sur la démocratie. D’où la nécessité soulevée par la secrétaire régionale du syndicat des arts de la rue LR, Fatma Nakib d’informer le public des festivals. Et peut-être au-delà de concerner les citoyens. Autant de chantiers à mener au niveau local par les membres du Cracc qui s’abstiendront, pour cette fois, de marcher sur Paris.
L’écrivain haïtien Gary Victor était cette semaine de passage pour présenter son dernier roman Saison des porcs et débattre de la situation à Haïti à l’invitation de La Librairie Sauramps. L’auteur, qui réside à Port-au-Prince, connaît Montpellier pour y avoir été accueilli en résidence d’auteur par La Boutique d’écriture d’où est né son livre Banal Oubli (éd, Vent d’ailleurs 2008).
Dans Saison de porcs, on retrouve l’inspecteur Dieuswalwe Azémar, un personnage foncièrement humain et attachant qui noie son honnêteté dans l’alcool.
C’est vrai, il est honnête, confirme Gary Victor, mais cette honnêteté qui est habituellement considérée comme une fierté, est chez lui, vécu comme une tare. D’ailleurs, il ne perd jamais l’occasion de fustiger la bonne éducation qu’il tient de ses parents, simplement parce qu’à Haïti la corruption est érigée en vertu. Mais lui, est incapable de se dépouiller de son humanité, alors il boit.
Azémar est homme intelligent qui aime son métier. Dans le cadre de ses fonctions il est amené à faire entrer de l’imaginaire dans la logique implacable de sa raison. Faut-il lui prêter un penchant spirituel ?
C’est un cartésien. Mais dans son travail d’enquête, il ne rejette pas de prime abord les autres explications parce qu’à Haïti on vit l’invisible et l’imaginaire comme réel. Azémar ne fait pas obstacle à cela pour avancer et en même temps il cherche une logique à ce qui arrive.
Port-au-Prince apparaît dans le livre comme un personnage avec lequel l’antihéros entretien une relation particulière.
« Azémar évolue dans cet environnement urbain en portant des lunettes noires. Au début c’était pour se cacher les yeux de la forte luminosité, puis pour se protéger de la laideur qu’engendre la misère avec toutes ses conséquences qui l’agresse terriblement. Un proverbe haïtien dit que la nuit est comme un manteau qui cache la misère. »
L’inspecteur a une fille adoptive qu’il souhaite envoyer à l’étranger. Il l’a confie dans ce but à une secte évangélique chargé d’assurer son avenir mais se rétracte lorsqu’il apprend les mystérieuses activités de l’organisation. Cette intrigue est-elle le pur fruit de votre imagination ?
Nous avons à Haïti beaucoup de cliniques qui s’ouvrent pour donner des soins sans le moindre contrôle du gouvernement. Je suis certain que sous couvert de venir en aide aux gens pauvres il se passe des choses inavouables et effrayantes. Il y a de nombreuses rumeurs relatives au trafic d’organes qui est devenu un véritable marché international. Je ne crois pas hélas, que les gens fantasment.
La description que vous nous donnez là n’est pas très rassurante quant à l’acheminement de l’aide suite au séisme …
Nous avons observé un assez bon acheminement de l’aide d’urgence, même si je connais des quartiers qui n’ont rien vu du tout. Les ONG comme Médecins sans frontières qui étaient déjà là avant fonctionnent bien. Mais concernant la reconstruction aujourd’hui 75% des gens déclarent que l’aide ne sert à rien. Elle n’arrive pas ou il faut ou on distribue du riz pendant deux semaine puis plus rien ne se passe et on se retrouve dans la même situation. La population n’a pas le sentiment que l’on engage un projet d’avenir. Peut-être faut-il plus de temps ? Il faut néanmoins rester optimisme sinon on cesse de se battre.
recueilli par Jean-Marie Dinh
Saison de porcs, éditions Mémoire d’encrier, 19 euros.
Conduit par la compagnie Sin, le Chap’au théâtre est un espace nomade dédié à la diffusion d’écritures contemporaines. On les a vus donner du Edward Bond en milieu rural, voilà désormais qu’ils font étape au Petit Bard pour recueillir le témoignage des habitants et le restituer artistiquement. Avec la Cie Les Boucans, ils profitent de leur passage pour ouvrir les écoutilles des enfants du quartier à l’art de la scène, et aussi pour nourrir leur propre pratique artistique. C’est une escale de longue durée prévue pour deux ans s’ils parviennent à boucler le budget du projet qui a été entamé par les restrictions budgétaires.
Entre temps, ils repartiront ailleurs, en Palestine où ils se sont déjà rendus à six reprises depuis 2002 pour exercer le même type d’opération dans un autre cadre. Mais pour l’heure, ils sont ici. Depuis six mois, sur ce territoire autour de la ville et sous sa dépendance, ils vont à la rencontre des habitants, sans tenir compte des représentations stigmatisantes. Ils s’intègrent. L’automne dernier, on les a vus au Forum social des quartiers, ils sont aussi allés à la rencontre des familles qui occupaient la Maison pour Tous. Ils sont même venus dans les immeubles faire du porte à porte. Leur discours n’est pas politique. Ce qui les intéresse c’est qu’on leur raconte l’histoire de ce qui se vit ici. Alors petit à petit un rapport de confiance s’instaure et les langues se délient.
Cette opération est singulière dans sa démarche. Elle permet un rapport de proximité des acteurs de la culture avec la population intouchable pour une partie par les structures sociales et culturelles œuvrant sur le terrain à l’année. Il n’y a pas pour autant d’opposition ou de concurrence avec le secteur socio-éducatif mais complémentarité d’approche. L’action du Chap’au Théâtre n’a en effet pas vocation à se pérenniser dans le temps, à la différence des institutions dont la présence demeure indispensable dans le quartier.
Un travail artistique contemporain nourrissant
Emilien Urbach
« Notre vocation n’est pas d’aider la population mais d’entrer au cœur de la matière », affirme Emilien Urbach qui signe avec cette affirmation l’engagement qu’il conduit avec sa compagnie (Sin). Il ne s’agit ni d’apaiser ni d’exacerber les problématiques. « Je ne suis pas contre l’idée qui veut que parce qu’on est artiste on est de gauche, mais il faudrait peut-être arrêter de parler du public et parler de populations. » On n’est plus ici dans le théâtre militant des années 70 qui revient en force comme un phénomène de mode. On se trouve dans une démarche de recherche d’écriture qui questionne. Au carrefour de l’intime et du monde des autres, celui des cités, comme celui des Palestiniens là où il y a une nouvelle humanité à créer, là où justement, l’humanité se brise.
Un travail qui s’inscrit dans la lignée du dramaturge britannique Edward Bond. Face à l’histoire qui donne une image si basse de l’humanité, le théâtre doit montrer ce que l’homme est capable de faire et ce qu’il est. La frontière entre théâtre et politique s’est déplacée. Il ne s’agit plus d’aller faire de l’agit-prop en allant chercher les ouvriers dans les usines. Le politique est devenu intime. Après s’être confronté aux autres, l’artiste va chercher les moyens au plus profond de sa propre expérience. Sans avoir l’ambition de changer le monde…
Deux grandes idées ressortent des nombreux débats consacrés à la littérature américaine. La première, est celle d’un destin partagé. Depuis l’origine du Nouveau Monde se dessine une vision commune aux civilisations de l’Europe et à leur prolongement outre-atlantique. Liens renforcés aujourd’hui par une même appartenance au bloc occidental dans un environnement mondial en pleine mutation qui renforce nos dépendances. La seconde est liée à l’inévitable perdition de la fin du capitaliste qui nous entraîne à la ruine matérielle et morale.
La place de la littérature dans tout ça semble être à la fois partout et nul part. Aux Etats-Unis, les effets de la crise dans une société déjà constituée sur de fortes inégalités sociales pourraient bien venir à bout de l’Américan Dream. Ce n’est pas encore le cas témoignent les auteurs invités. « Si vous dites à un américain que le rêve américain est mort : il va le nier, explique le fin psychologue William Bayer, ce rêve est bâtit sur l’exception, le courage individuel. L’image du petit vendeur de rue qui grâce à sa lutte personnelle parvient à ouvrir son restaurant. » « On aime l’idée romantique de la misère, confirme l’auteure Dana Spiotta, le problème c’est qu’aujourd’hui cela ne suffit pas. Si vous êtes pauvres vous n’avez aucune chance de vous en sortir. Il faut un système politique plus équitable parce que le concept individualiste qui est typiquement américain évolue vers la détresse économique.
La crise a mis un terme à l’idée de progrès. Elle est en train de faire disparaître la classe moyenne et amorce un changement profond des valeurs outre-atlantique. L’avènement d’Obama en est sans doute une des conséquences. « L’ère de Zola est finie, affirme pourtant l’écrivain Wells Tower. Les intellectuels n’ont plus aucun impact aux Etats-Unis. On n’existe pas. » Reste à espérer qu’il pèche par modestie.
JMDH
Le choc des littératures source de richesse et de questionnement…
Auteurs américains à Montpellier. Photo David Maugendre
Rencontre. La nouvelle génération des auteurs américains se réfère toujours aux classiques de la littérature française, faute de traduction et peut-être d’intérêt pour les écrivains d’aujourd’hui.
C’est le 55e anniversaire du jumelage entre Montpellier et Louisville et la 25e édition de La Comédie du livre. Faut-il y voir une correspondance naturelle ? Elle existe en tout cas de l’avis des organisateurs qui souhaitent tisser un lien symbolique entre l’ouverture internationale de la ville et sa politique culturelle.
Vendredi, dix heures, sur le stand municipal, une bonne partie des auteurs américains invités se retrouvent, au meilleur de leur forme, face aux journalistes. Les écrivains sont prêts pour l’incontournable test de personnalité. Il y a là Joseph Boyden, Eddy Harris, Danielle Trussoni, Nikolai Grozni, Peter Fromm, bref un riche panel de la nouvelle génération. Il ne fait aucun doute que la plupart d’entre eux ne se connaissent pas. Tout le monde semble épanoui et sociable et en même temps assez peu habitué à la vie de groupe, mais chacun est bien conscient de partager la même pathologie : être américain et écrire.
Première question (il faut bien se lancer) : comment avez-vous été contacté pour vous rendre à la Comédie du Livre ? Réponse de Pete Fromm (après un court instant de réflexion) : « par mail. » Dans ce genre de situation, on ne sait pas trop pourquoi, l’idée intemporelle de comparer deux grandes littératures du monde, prend soudain chez les journalistes une actualité aiguë. Mais lorsqu’on les questionne sur la littérature française qu’ils apprécient le plus, la tête de nos invités ploie sous le poids de souvenirs lointains qui défilent… Victor Hugo, Balzac, Colette, Sartre, Simone de Beauvoir… Et au milieu de cette liste d’immortels, le nom de Muriel Barbéry arrive comme l’élégance d’un cheveu sur le hérisson. L’auteur française est citée à trois reprises. On apprend très vite que très peu d’écrivains français actuels sont traduits outre-Atlantique et que le livre de Barbéry y est un best seller, donc un passage obligé pour un écrivain américain invité en France. D’ailleurs, personne ne précise si le livre lui a plu et chacun reprend un air contemplatif.
A leur décharge, on tente de faire valoir qu’une bonne partie de lecteurs français seraient bien en mal de citer des auteurs contemporains américains, ce que récuse Eddy Harris qui habite Paris. Il explique que le secteur de l’édition américaine fonctionne exclusivement sur des critères de rentabilité et qu’à la différence des Français, les lecteurs américains ne manifestent aucune curiosité intellectuelle au-delà de leurs vastes frontières, raisons pour lesquelles les écrivains américains sont très heureux d’être en France.
Etre de son époque
Pour le reste, cette approche réciproque des paysages littéraires confirme que la littérature a changé ses valeurs et ses perspectives. Le marché qui promettait la prospérité matérielle n’a jamais promis celle de l’imaginaire. Et il impacte de toute évidence les écrivains d’aujourd’hui de part et d’autre de l’Atlantique. On peut penser que les grands auteurs d’hier fossilisent quelque peu la représentation que nous nous faisons des littératures étrangères, mais ces classiques furent conscients de leur époque. Cela semble plus difficile aujourd’hui. A la question : « quelles seront les conséquences de L’Ipad sur le marché du livre ? » Danielle Trussoni répond : « Je ne sais pas, mais je sais que tous les éditeurs dans le monde font semblant de savoir ce qui va se passer. » Etre de son époque c’est justement prendre conscience de ce qu’il se passe.
Mais un auteur a-t-il besoin d’être de son temps ?
Entretien avec Philippe Lapousterle. Le responsable de la Comédie du livre renoue avec sa vocation d’avertisseur public.
« Des questions plutôt que des réponses »
Le délégué général de La comédie du Livre, Philippe Lapousterle, évoque les travaux préparatoires de cette 25e édition, soulignant l’importance de l’espace de réflexion et d’échanges entre les auteurs et le public.
Sur quel squelette s’est bâti cette 25e édition ?
Nous partons d’un budget constant pour le fonctionnement. Il a fallu faire un effort obligatoire directement lié au pays invité, en sachant que faire venir des auteurs américains coûte quatre fois plus cher que pour des auteurs espagnols. Nous avons fait un autre effort, choisi celui-là, en direction de la BD. Nous renforçons, cette année encore, la place de ce secteur de l’édition pour porter Montpellier au diapason de ce qui se fait ailleurs. Cela en conservant la dimension citoyenne liée à la Comédie du livre. Cette année, nous organisons un concours de boules avec les auteurs de BD.
A la différence du Salon du livre de Paris, vous maintenez l’intérêt d’une thématique ouvrant sur une grande littérature mondiale ?
On ne peut pas, à mon sens, organiser une manifestation de ce type en restant autocentré sur le franco-français. Mais je récuse la qualification de thématique. Nous n’avons pas de thématique. Sur 350 auteurs invités, une quinzaine seulement sont américains. Nous ouvrons seulement une fenêtre sur l’Amérique à l’intérieur de laquelle nous essayons de proposer le meilleur panel possible de ce qui se fait aujourd’hui. On nous a reproché de ne pas avoir de têtes d’affiche, ce qui est relatif si l’on se réfère aux 450 pages du presse book qui concerne les auteurs invités. Par ailleurs, faire venir spécialement des stars comme Auster, Roth ou Ellroy est quasi impossible. Il n’y a pas aux États-Unis de circuit fédéré. Les agents décident souverainement de l’agenda de leur auteur. Et si vous en décrochez un, les autres ne viendront pas sur le même événement…
Les écrivains américains confortent-ils ou déconstruisent-ils plutôt les représentations que l’on se fait ici de l’Amérique ?
Je ne sais pas vraiment quelle image nous avons de l’Amérique. L’arrivée d’Obama annonce un changement profond. C’est l’Amérique culturelle qui a élu Obama. Parmi les auteurs invités, beaucoup se sont impliqués dans ce sens. Je pense que ce mouvement a joué un rôle important. Nous avons souhaité privilégier deux axes très spécifiques de cette littérature avec le courant lié au grand espace qui marche très fort. Et un angle sur la crise, qui a rendu cette littérature mondiale relayée plus tard par la littérature urbaine. Aujourd’hui cette littérature se compose d’auteurs qui viennent de partout dans le monde.
Quel regard portez-vous sur l’imbrication du système médiatique dans le domaine littéraire ?
Le monde médiatique ne s’intéresse plus qu’aux polémiques. Les littéraires comme Orsenna, Schmitt, ou Serge Michel, qui sont invités, ne passent plus à la télé. Certains essayistes s’ouvrent des portes en choisissant des grands sujets de société. La parole est confisquée par les chroniqueurs et les politiques, si bien qu’au bout de six mois, le vocabulaire et le questionnement des gens se conforment à ce qu’ils ont entendu. Les gens ne lisent plus de livres sur les grandes questions de société. Ils ne lisent plus les journaux. Je m’en rends compte en circulant dans les grandes villes françaises. La population est complètement déconnectée. C’est très préoccupant pour la démocratie. Les gens ne disposent plus d’aucun repère pour se fonder un jugement. Dans la préparation des rencontres publiques, je suis très attentif à ce que mes invités soient heureux de venir comme à l’électricité qui règne dans la salle lors des débats. J’ai fait de la phrase de Louis Malle une devise : « Je préfère les débats desquels on sort avec des questions que des réponses. »
BD. Nicolas Otéro, auteur d’Amerikkka, sur le stand Sauramps
KKK terreur du nouveau monde
De la perdition à l’émerveillement, les images de l’Amérique sont plurielles. La série Amerikkka nous entraîne sur le terrain de la terreur et de la pauvreté du nouveau monde en abordant un de ses aspects les plus redoutables, la toujours très active organisation du Ku Klux Klan.
A l’occasion de la sortie de l’intégrale de la série, on peut rencontrer aujourd’hui le dessinateur Nicolas Otéro, auteur de cette bande dessinée engagée contre l’extrême droite américaine. Une série captivante et très bien documentée dont le scénario est signé par le romancier Roger Martin, considéré mondialement comme l’un des plus grands spécialistes de l’organisation du Klan. Si l’on découvre avec effroi l’influence de l’organisation secrète, à travers ses codes, son langage et la complaisance consternante d’une partie de la police, on se rassure, un peu en suivant le combat du couple d’agents très spéciaux Steve et Angela, membres de l’Anti-Klan Net work, l’organisation la plus efficace aux USA dans le combat contre l’extrême droite. La dimension de l’aventure est au rendez-vous, ce qui ne gâche rien. On entre avec plaisir dans cette BD qui marie les ingrédients du roman noir avec ceux du documentaire. Une très bonne idée qui allie fiction et réalisme et permet à un public jeune de s’informer sur le danger de la certitude totalitaire.
JMDH
Nicolas Otéro l’intégral de Amerikkka , Emmanuel Proust éditions
Retour sur une rupture de classe
Hanté par le fantôme de son passé après la mort de son père, Didier Eribon, retourne à Reims. Il y retrouve le milieu ouvrier de son enfance qu’il avait laissé derrière lui avec son ascension sociale. Didier suit un parcours gay en s’inscrivant dans un nouveau réseau de sociabilité. « J’ai en même temps suivi le parcours social cette fois, l’itinéraire de ceux l’on désigne habituellement comme des transferts de classe. La démarche courageuse et honnête aboutit sur un récit intime où se mêle une réflexion sur les classes, la fabrication des identités, la sexualité et la politique. Didier Eribon s’interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance.Ses travaux dans ce domaine lui ont valu d’être le lauréat 2008 du prestigieux James Robert Brudner Memorial Prize décerné chaque année par l’université Yale (Etats-Unis) pour couronner une « contribution éminente à l’échelle internationale, dans le champ des études gays et lesbiennes ». Il était l’invité du Collectif contre l’Homophobie.
Didier Eribon a signe sur le stand Sauramps Retour à Reims édition Fayard 18 euros<
Rencontre : L’auteure haïtienne Elvire Maurouard signe son livre sur Hugo et défend son pays
Debout dans les ruines
Elvire Maurouard à la Comédie du Livre
Dans Les voix nègres de Victor Hugo * d’Elvire Maurouard, on apprend que Hugo a eu Haïti en tête sa vie durant. A seize ans, alors qu’il se trouve lui-même en exil, il intervient auprès de l’Angleterre en faveur de l’abolitionniste blanc John Brown. Celui-ci sera jugé et pendu en 1859 pour avoir attaqué une gendarmerie afin de libérer des esclaves. L’auteur des Misérables ne l’oubliera pas. Il aborde la question de la traite dans son premier roman Bug Jagaldès 1820.
» Le nom de John Brown revient à vingt sept reprises dans son oeuvre » , souligne Elvire Maurouard. L’écrivaine avait déjà consacré un ouvrage à la compagne haïtienne de Baudelaire (La joconde noire, ed du Cygne), épluche dans son dernier livre le rapport de Victor Hugo avec l’Amérique négre. « J’explore ce qu’il y a de moi dans le patrimoine français. En approfondissant la passion d’un homme pour le lointain, on découvre finalement que celui qu’on appelle l’étranger n’est pas si loin. »
Solidarité : Un théâtre à Haïti avec le Printemps des Comédiens
Elvire Maurouard assure la coordination de l’action solidarité menée par le Printemps des Comédiens à Haïti dans le cadre du réseau Conti. » On a beaucoup tendu la main pour Haïti. Je crois que le séisme nous donne l’occasion d’inscrire ce pays dans notre identité commune. L’île est aujourd’hui à l’an zéro. Ce ne sont pas seulement les enfants qu’ils faut sauver. Il faut s’occuper des adultes, se soucier de la jeunesse. Le support d’Haïti c’est l’art. Breton disait qu’il s’en est inspiré pour créer le mouvement surréaliste. Beaucoup de jeune Haïtiens font du théâtre là-bas. C’est aussi important que de financer un soutien psychologique. »
*Les voix nègres de Victor Hugo éditions Karthala
La Comédie du Livre : premier bilan
Il est encore tôt pour disposer d’un regard chiffré, qui n’est d’ailleurs pas le meilleur indicateur pour évoquer un évènement conçu pour l’univers des lettres. on sait que cette 25e édition de la Comédie du Livre a une nouvelle fois porté au cœur de la ville la diversité et la richesse des rencontres et des pensées croisées. La mission que s’est assignée le Délégué Général Philippe Lapousterle est donc remplie. Le coup de pouce donné cette année à la BD fait apparaître une nouvelle génération d’auteurs qui peinent à trouver une place en dehors de la presse spécialisée. La jeunesse a répondu présente et les stands BD ont fait carton plein.
Dans la fenêtre consacrée à l’Amérique se sont ouverts de beaux horizons. On peut regretter de ne pas y avoir vu figurer l’égérie américaine de l’underground post punk, Lydia Lunch chanteuse poétesse écrivaine invitée par Le Diable Vauvert qui publie Déséquilibre Synthétique. L’invitation d’une littérature étrangère crée et maintient le dialogue entre les cultures qui ouvre et grandit la compréhension de l’autre. Elle peut conduire des éditeurs à se lancer plus en avant dans la traduction d’œuvre en français. Les auteurs américains mis à l’honneur ont porté témoignage de l’immense diversité qui compose les Etats-Unis.
Comme de coutume les grands débats ont satisfait à la curiosité et nourri le besoin toujours croissant de la population de mieux comprendre la société dans laquelle elle vit. La composante citoyenne de la manifestation n’a pas été en reste avec une très large représentation de la société civile par le biais du tissu associatif. L’association des Américains pour la paix et la justice a opportunément saisit l’occasion pour rendre hommage à l’historien et politologue Howard Zinn décédé en janvier 2010. Un acteur de premier plan du mouvement des droits civiques comme du courant pacifiste aux Etat-Unis dont l’œuvre reste ici à découvrir. L’évolution souhaitée par l’adjoint à la culture Michaël Delafosse* mérite d’être mieux définie, car jusqu’ici les principes fondateurs de cette Comédie citoyenne s’avèrent plutôt en phase avec ce qui se passe.
Habituellement les éditeurs interpellent les chroniqueurs pour qu’ils parlent des livres qui vont sortir. Samedi à la Comédie du Livre de Montpellier, la démarche de Charles Kermarec, fondateur de la librairie brestoise Dialogues devenu éditeur, était tout autre. Il venait d’apprendre que les labos Servier, premiers laboratoires pharmaceutiques français indépendants, avaient déposé une plainte en référé * contre sa maison d’édition au motif de préjudice grave et éminent.
En cause, la sortie du livre de la pneumologue Irène Frachon et son titre sans équivoque : Médiator 150 mg Combien de morts ? qui doit paraître jeudi prochain. « Le labo ne peut pas faire valoir un préjudice commercial puisque le Médiator a été retiré du marché français en novembre dernier explique l’éditeur. Certains consommateurs pourraient les attaquer en justice mais cela relève de l’exercice d’un droit garanti par notre constitution. Ils n’ont pas connaissance du contenu et attaque juste sur la couverture. Ils veulent que le livre passe au pilon. »
Le Médiator est un coupe faim commercialisé en France depuis plus de trente ans. Le 25 novembre dernier, lorsque l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – Afssaps – annonce la suspension de l’autorisation de mise sur le marché il est alors consommé quotidiennement par près de 300 000 Français.
Cette décision fait suite à la révélation d’une toxicité grave directement liée au médicament : une atteinte des valves du cœur, aux conséquences parfois mortelles. Ce médicament était vendu comme un adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale. La revue indépendante Prescrire, souligne les effets indésirables du médicament « Troubles neuropsychiatriques, dépendances, hypertensions artérielles pulmonaires, et précise : sous benfluorex : des patients restent exposés à des effets indésirables injustifiés.«
Le livre menacé d’Irène Frachon nous éclaire sur certaines décisions de santé publique et souhaite contribuer « au débat public constitutif de l’exercice de la démocratie. » mais verra-t-il le jour…