Docteur en sociologie et anthropologie, professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, délégué national à la culture au PCF, conseiller régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur (groupe Front de Gauche), ancien vice-président de la Région Paca délégué à la Culture et à la Recherche (1998 – 2010), Alain Hayot a été un acteur important du combat victorieux contre le couple Mégret à Vitrolles.
On assiste au retour de l’extrême droite qui, bien que n’ayant jamais disparue du paysage hexagonal, resurgit avec vigueur. A quoi doit on attribuer cette réémergence ?
La droite française a toujours était marquée par une radicalité sur son aile droite qui revient à différentes époques de son parcours, le boulangisme à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus, les années 30, la période de Vichy ou encore le poujadisme sont là pour le rappeler. C’est pourquoi je soutiens que la réémergence que vous évoquez est un peu facilement attribuée au contexte de crise que nous traversons. Si celle-ci touche une partie croissante de la population avec la peur du déclassement qui l’accompagne et nourrit les rangs de l’électorat frontiste, je pense que la réémergence de l’extrême droite ne relève pas seulement de la crise socio-économique. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une véritable crise de civilisation, une crise du sens qui concerne le devenir même de la société humaine. L’extrême droite s’engouffre dans cette crise du sens. Voter FN n’est pas un simple moyen d’exprimer son mécontentement. L’extrême droite se construit comme une alternative à la société, d’autant mieux que la sociale démocratie démontre son impuissance à incarner une alternative au néolibéralisme. La droite nationaliste est engagée dans la reconquête idéologique et culturelle. Elle est en capacité de s’inscrire durablement dans le paysage français.
Elle bénéficie pour cela d’un certain nombre d’éléments politiques et médiatiques qui assurent sa légitimation…
En effet, le processus de reconquête se voit légitimé par une forme d’hégémonie culturelle. Très vite une partie de la droite s’est mise à courir après les thèses de la droite extrême : Sarkozy, Copé, Fillon ont vu là un facteur de recomposition pour l’UMP en crise. A droite, on a assisté à une convergence idéologique qui a trouvé sa traduction électorale dans les urnes lors des dernières municipales. A gauche, depuis l’attitude purement tactique de Mitterrand qui prenait en compte la notion de « seuil de tolérance », le boomerang nous est revenu. On voit aujourd’hui que le FN ne divise plus la droite. Au PS, il y a eu aussi : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde » de Rocard, « Le FN pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses », de Fabius, Valls et les Roms… Je montre dans ce livre que le FN ne pose ni les bonnes questions ni n’apporte les bonnes réponses.
La diabolisation du FN ou le sempiternel pacte républicain comptent à vos yeux parmi les pièges à éviter pour combattre le FN…
La diabolisation est une pratique qui renoue exclusivement l’extrême droite au passé. Il faut garder l’histoire en mémoire, mais cela ne suffit pas parce que le FN a mis à jour sa pensée. L’extrême droite n’est plus une réplique du passé, elle tente de répondre aux enjeux actuels. Le national socialisme parle aux Français d’aujourd’hui et prétend apporter des solutions. Dans le cas du débat sur les Européennes, on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les libéraux et de l’autre les nationaux populistes anti-européens. Dans ce schéma simpliste, le FN apparaît comme une alternative crédible. Il prône le retour à un capitalisme national, protectionniste, chrétien et identitaire, ce qui s’avérerait dans les faits, un projet politique barbare. C’est une escroquerie intellectuelle qu’il faut dénoncer en expliquant vraiment de quoi il retourne.
Et en ce qui concerne la base d’un front républicain…
Je suis contre la mise en place d’un cordon sanitaire autour du FN. F comme fasciste, N comme nazi, ça fait trente ans que l’on entend ces thèmes. Le FN porte un projet qui s’inscrit dans l’histoire de la droite, pas en dehors du système capitaliste, il adopte une autre position que celle du libéralisme mondialisé qu’il faut combattre sur le terrain politique. Laisser penser que le FN est hors système permet au PS d’évacuer le débat de fond. Par ailleurs, il paraît difficile d’évoquer un pacte républicain dans une société qui exclut le peuple du champ de la politique. La réponse à la crise démocratique passe selon moi par la refondation d’un projet politique émancipateur du peuple et de l’individu. Aujourd’hui le pouvoir dépossède les citoyens de la décision. C’est la grande question posée au projet communiste qui a été porteur d’une émancipation collective mais pas individuelle. Le coeur du projet émancipateur aujourd’hui c’est la question de la démocratie, lieu d’émancipation collective et individuelle.
Sur quel terrain le combat doit-il se mener ?
L’extrême droite se réclame du peuple mais l’entraîne dans des voies contraires à ses intérêts. La contre offensive doit se mener sur le terrain social. Il faut relier, reconstruire des liens de solidarité entre les générations, entreprendre une reconquête idéologique et culturelle, rappeler que la nation est une construction historique qui ne se base pas sur l’exclusion, refonder la République laïque, penser l’exercice de la citoyenneté. Bref il faut oser la politique. Marine Le Pen, le PS et l’UMP gèrent le pays avec une boîte à outils, on gère un pays avec des idées, des valeurs.
Ces perspectives sont-elles applicables à l’ensemble de l’UE qui disposera très vraisemblablement d’un groupe d’extrême droite au sein de son Parlement ?
Ce qui se passe en Europe confirme globalement mon analyse. On assiste à une montée impressionnante des populismes qui sont déjà au pouvoir dans certain pays. En France, dans le grand Sud-Est, le Marinisme a de sérieuses chances d’arriver en tête. Il faudra bien se poser les questions que je pose dans mon bouquin…
Propos recueilli par Jean-Marie Dinh
Source : La Marseillaise 19/05/2014
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