« VatiLeaks » : la justice vaticane enquête sur deux journalistes italiens

Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels ». TONY GENTILE / REUTERS

Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels ». TONY GENTILE / REUTERS

Nouvelle secousse place Saint-Pierre. Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels », et examine d’autres complicités éventuelles.

Les deux journalistes, Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi, ont publié la semaine dernière deux livres, Chemin de croix (Flammarion) et Avarizzia (non traduit), jetant une lumière crue sur l’administration du Saint-Siège. Ils s’appuient sur des fuites de documents à l’intérieur du petit Etat, provenant nécessairement du proche entourage du pape. Les deux auteurs y décrivent également la mauvaise gestion et les dérives financières constatées par les équipes nommées par François.

Dans Chemin de croix, dont Le Monde a publié de larges extraits, Gianluigi Nuzzi, journaliste du Corriere della sera et auteur de Sa Sainteté et Vatican SA, dresse effectivement le tableau d’un Etat à la dérive, agité par un violent affrontement entre le pape, aidé d’une petite équipe d’ecclésiastiques et de laïques, et une administration vaticane jalouse de ses prérogatives, assise sur ses petits secrets et ses grands privilèges.

Le souvenir de 2012

A la fin d’octobre, le Saint-Siège a annoncé l’arrestation par la gendarmerie du Vatican, le 2 novembre, d’un prêtre espagnol, Vallejo Balda, et d’une experte des réseaux sociaux, Francesca Chaouqui, dans le cadre d’une enquête pour soustraction et divulgation d’informations et de documents confidentiels. Mme Chaouqui a été libérée en raison de sa collaboration avec la justice.

A Rome, cette double arrestation a fait resurgir le souvenir des VatiLeaks, tels qu’avaient été appelées, en 2012, les fuites, dans la presse, de documents confidentiels volés dans le bureau du pape par son majordome. Des faits qui avaient assombri les derniers mois du pontificat de Benoît XVI.

Dimanche, le pape François a pris à témoin les fidèles rassemblés place Saint-Pierre, à Rome, pour répondre à cet épisode :

« Je veux vous assurer que ce triste événement ne me détourne certainement pas du travail de réforme que nous effectuons avec mes collaborateurs et avec le soutien de vous tous. »

Source : Le Monde.fr avec AFP 11/11/2015
Lire Les extraits de « Chemin de croix », de Gianluigi Nuzzi

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Silence Radio | L’Uruguay fait l’impensable et rejette le TISA, équivalent du Tafta

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Cette décision historique n’a rencontré aucun écho dans les médias.

Souvent désigné comme la Suisse de l’Amérique du Sud, l’Uruguay a, de longue date, l’habitude de faire les choses à sa façon. Il a été le premier état-providence d’Amérique latine. Il dispose également d’une importante classe moyenne, ce qui est inhabituel dans cette partie du monde ; et on y trouve pas d’importantes inégalités de revenu, contrairement à ses très grands voisins du nord et de l’ouest : le Brésil et l’Argentine.

Il y a deux ans, durant le mandat du président José Mujica, l’Uruguay a été le premier pays à légaliser la marijuana en Amérique latine, un continent déchiré par le trafic de drogue qui engendre violence et corruption de l’État.

Aujourd’hui, l’Uruguay a fait quelque chose qu’aucun autre pays neutre de cette planète n’avait osé faire : il a rejeté les avances de la corporatocratie mondiale.

Le traité dont on ne prononce pas le nom

Au début de ce mois, le gouvernement de l’Uruguay a décidé de mettre fin à sa participation aux négociations secrètes relatives à l’accord sur le commerce des services (TISA pour Trade In Service Agreement). Après plusieurs mois de pression exercée par les syndicats et d’autres mouvements populaires, avec un point d’orgue lors de la grève générale sur ce sujet, la première de ce genre au monde, le président uruguayen Tabare Vazquez s’est incliné face à l’opinion publique et a abandonné l’accord commercial voulu par les États-Unis.

Bien qu’elle soit, ou plutôt parce qu’elle est symboliquement importante, la décision historique de l’Uruguay a été accueillie par un silence assourdissant. Au-delà des frontières du pays, les grands médias ont refusé d’évoquer ce sujet.

Ce n’est pas vraiment une surprise étant donné que le commun des mortels n’est même pas supposé connaître l’existence du TISA ; bien qu’il soit, ou plutôt, une fois encore, parce qu’il est sans doute le plus important volet de la nouvelle vague d’accords commerciaux internationaux. Selon Wikileaks, il s’agit « de la plus grande composante du trio de traités “commerciaux” stratégiques des États-Unis », trio qui inclut également le Partenariat TransPacifique (Trans Pacific Partnership ou TPP) et le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TransAtlantic Trade and Investment Pact (TTIP).

Le TiSA concerne plus de pays que le TTIP et le TPP réunis : les États-Unis et les 28 pays membres de l’Union Européenne, l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, Hong-Kong, l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Corée du Sud, la Suisse, Taiwan et la Turquie.

Ensemble, ces 52 pays forment le groupe joliment nommé des “Très Bons Amis de l’accord sur les Services” qui représente quasiment 70% du commerce mondial des services. Jusqu’à sa récente volte-face, l’Uruguay était censé être le 53e “Bon Ami”.

Lilian

Source News360x 09/11/2015

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L’AFP lance un nouveau mouvement de grève

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Dénonciation des accords, travailler plus pour gagner moins, la direction persiste:

 

GREVE DU PERSONNEL DE L’AFP DE LUNDI 9 NOVEMBRE À 14 HEURES JUSQU’A MARDI 10 14 HEURES

 

Les syndicats CGT toutes catégories, FO toutes catégories et CFE-CGC appellent à un mouvement de grève de 24 heures de lundi 9 novembre à 14 heures jusqu’à mardi 10 novembre à 14 heures.

 

Lors de la première réunion de négociation avec la direction après la suspension par la justice de la dénonciation des accords d’entreprise, la direction a maintenu sa volonté de faire table rase des acquis du personnel.

 

La direction a précisé aux organisations syndicales quelques-unes de ses intentions pour imposer au personnel de travailler plus pour gagner moins, comme la baisse, parfois considérable, des salaires d’embauche de plusieurs catégories de personnel.

 

Les syndicats ont réaffirmé qu’un nouvel accord ne pouvait pas être construit en sacrifiant les acquis sociaux du personnel: RTT, congés, horaires et conditions de travail, salaires, emploi, perspectives de carrière…

 

Les syndicats CGT toutes catégories, FO toutes catégories et CFE-CGC appellent en conséquence les personnels une nouvelle fois à la grève, apparemment le seul langage que comprend notre Pdg M. Hoog.

 

Seule la mobilisation de tous les salariés de l’AFP fera abandonner à la direction ses projets funestes.

 

Le 9 novembre 2015

CGT, FO et CFE-CGC de l’AFP

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L’arrestation du journaliste Hossam Bahgat, « un coup porté à la liberté d’expression » en Egypte

Amnesty international dénonce l’arrestation du défenseur des droits de l’homme, qui pourrait être inculpé pour diffusion de fausses informations portant atteinte aux intérêts nationaux. Lilian Wagdy/CC BY 2.0

Amnesty international dénonce l’arrestation du défenseur des droits de l’homme, qui pourrait être inculpé pour diffusion de fausses informations portant atteinte aux intérêts nationaux. Lilian Wagdy/CC BY 2.0

L’arrestation du journaliste d’investigations et défenseur des droits de l’homme, Hossam Bahgat, est un nouveau signal inquiétant adressé aux critiques du régime du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi. « Un nouveau coup porté à la liberté d’expression en Egypte », dénonce l’organisation Amnesty international. Dimanche 8 novembre, après sept heures d’interrogatoire au sein des renseignements militaires à Nasr City, au Caire, M. Bahgat a été déféré devant le procureur militaire et pourrait être inculpé pour « publication de fausses informations portant atteinte aux intérêts nationaux. » Il est maintenu en détention jusqu’au prononcé de la décision lundi, a précisé sur Twitter la défenseure des droits de l’homme, Heba Morayef.

Sur la Toile, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’arrestation de M. Bahgat, à l’heure où l’Egypte fait face à une menace terroriste bien réelle de la part du groupe Province du Sinaï. Le groupe djihadiste lié à l’Etat islamique (EI), actif dans le nord de la péninsule du Sinaï, a revendiqué le crash de l’avion russe, samedi 31 octobre, avec 224 personnes à son bord. La piste de l’attentat et d’une bombe placée à bord est privilégiée par les services de renseignement américain et britannique, et les mesures de sécurité dans les aéroports égyptiens questionnées. La plupart des vols internationaux depuis et vers l’aéroport de Charm Al-Cheikh ont été suspendus. La Russie a commencé à procéder à l’évacuation de ses ressortissants. Les autorités égyptiennes continuent de dénoncer des « conclusions prématurées ».

Cible récurrente d’attaques

Militant par sa plume et au sein d’organisations de défense des droits de l’homme depuis le début des années 2000, Hossam Bahgat est devenu l’une des figures indépendantes les plus en vue en Egypte. Agé de 36 ans, il a milité tour à tour contre les violations des droits de l’homme commises sous le régime de l’ancien président Hosni Moubarak, puis pendant la révolution par le Conseil suprême des forces armées (CSAF, 2011-2012) et les Frères musulmans, ainsi que par les nouvelles autorités du président Abdel Fattah Al-Sissi après l’été 2013. Ses activités lui ont valu, sous les différents régimes, d’être la cible récurrente d’attaques et de campagnes de dénigrement dans la presse.

En 2002, M. Bahgat a fondé l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), devenue la plus importante organisation de défense des droits de l’homme en Egypte. En 2011, il a reçu, pour son travail « courageux et sans relâche » pour les droits de l’homme, le prix Alison Des Forges, de l’organisation Human Rights Watch (HRW). Lorsqu’il a quitté l’organisation pour étudier un an à l’école de journalisme de l’université de Columbia aux Etats-Unis, en 2013, l’EIPR comptait plus d’une centaine d’employés travaillant dans des domaines aussi variés que les droits personnels, sociaux, religieux ou politiques. Après le passage de la nouvelle loi sur les associations en 2014, considérée comme un outil pour museler la société civile par les défenseurs des droits de l’homme, l’EIPR a été contraint, tout comme une majorité d’organisations égyptiennes, à réduire ses activités.

En 2014, Hossam Bahgat a commencé à écrire pour le journal électronique indépendant égyptien Mada Masr. Il y a publié une série d’enquêtes, notamment sur la politique antiterroriste (« Qui a laissé sortir les djihadistes ? », qui révèle que les généraux du CSAF ont libéré des figures djihadistes) ou la corruption (« Les châteaux des Moubarak »). Sa dernière enquête (« Un coup déjoué ? »), publiée en octobre 2015, revient sur la condamnation, devant un tribunal militaire à la fin d’août, de 26 officiers accusés d’avoir conspiré avec les Frères musulmans pour « renverser le régime ».

« Nouveau clou dans le cercueil de la liberté d’expression »

L’organisation Amnesty international a condamné un « nouveau clou enfoncé dans le cercueil de la liberté d’expression en Egypte ». Depuis la destitution par l’armée du président islamiste Mohammed Morsi, en juillet 2013, les membres de la confrérie des Frères musulmans – déclarée organisation terroriste –, ainsi que les révolutionnaires et opposants de gauche font l’objet d’une répression sévère du régime. « Il est détenu et questionné par le procureur militaire pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression et doit être immédiatement libéré », a poursuivi Philip Luther, directeur Moyen Orient et Afrique du Nord de l’organisation. « L’armée égyptienne ne peut continuer à se considérer au-dessus des lois et exempte de toute critique. »

Depuis l’été 2013, l’Egypte a renforcé son arsenal antiterroriste, étendant notamment la juridiction des tribunaux militaires pour les atteintes aux intérêts nationaux – une catégorie jugée floue par les experts. Cet été, une nouvelle loi a été décrétée qui prévoit notamment une amende très lourde pour les journalistes et médias, y compris étrangers, qui rapportent des informations contredisant les communiqués et bilans officiels en cas d’attentats ou d’attaques. Les militants des droits de l’homme pointent par ailleurs de nombreuses violations commises par les forces de sécurité, à l’instar de disparitions forcées ou de tortures et mauvais traitements en détention et dans les commissariats.

En juin, le comité de protection des journalistes, basé à New York, a estimé que les journalistes égyptiens font l’objet de menaces sans précédent. Dix-huit journalistes sont actuellement sous les barreaux, le nombre le plus élevé depuis les années 1990. Les autorités utilisent la menace d’emprisonnement et la censure sur les sujets sensibles pour faire pression sur les médias pour qu’ils censurent les voix dissidentes, estime l’organisation.

Hélène Sallon

Source : Le Monde.fr 08.11.2015

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“ Informer n’est pas un délit ” : 5 façons d’intimider les journalistes sans en avoir l’air

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Projet de loi, pression économique, tout est bon pour museler la presse. Sortir la moindre affaire est de plus en plus difficile. Seize reporters contre-attaquent dans leur livre collectif “Informer n’est pas un délit”. Et révèlent les grandes techniques de la censure.

Ils sont seize. Seize journalistes d’investigation, pour certains très connus comme Denis Robert, Fabrice Arfi (Mediapart) ou le tandem du Monde Gérard Davet-Fabrice Lhomme – leur nom rime avec Clearstream, Cahuzac ou Bettencourt. D’autres sont à l’origine de révélations sur les affaires de Vincent Bolloré au Cameroun, le système Estrosi à Nice ou les méthodes musclées du Front national. Ils se connaissent souvent, certains s’apprécient, d’autres se détestent… Tous ont décidé de ravaler un temps les rancoeurs pour défendre le droit des citoyens à l’information. Dans le livre Informer n’est pas un délit, ils racontent chacun à leur tour les difficultés, obstacles et pièges rencontrés au cours de leurs enquêtes les plus sensibles.

Le prolongement d’un combat mené depuis quelques mois par une partie de la presse, réunie au sein du collectif Informer n’est pas un délit, contre le projet de directive européenne sur le « secret des affaires ». Sous couvert de lutte contre l’espionnage industriel, ce texte, actuellement discuté au Parlement européen, dresse une barricade juridique entre le journaliste et l’entreprise. Une véritable arme de dissuasion massive : quiconque s’aventure à révéler des informations économiques s’exposerait à des poursuites, les amendes pouvant atteindre des centaines de milliers d’euros, voire plus. Résultat : adieu scandale de l’amiante, Mediator, Tapie-Crédit Lyonnais et autre affaire Karachi ! Cette censure serait inédite en Europe. C’est pour parer cette nouvelle attaque contre la liberté de la presse que ces journalistes aguerris ont décidé de prendre la plume. Harcèlement judiciaire, campagnes de dénigrement et de déstabilisation, rétention d’informations, pression psychologique, violences physiques… A partir d’expériences tirées du livre, Télérama fait l’inventaire des principales techniques pour museler la presse.

Discréditer le journaliste

Devoir parfois justifier son travail devant les tribunaux, quoi de plus normal ? La loi de 1881 sur la presse a été créée pour réglementer les droits et devoirs des journalistes, et les obliger à répondre de délits spécifiques, notamment la diffamation. Le hic ? Utilisée de manière abusive, cette procédure vire au harcèlement. Denis Robert en sait quelque chose. Pour s’être échiné, pendant dix ans, à démontrer l’existence d’un système de blanchiment au sein de la chambre de compensation Clearstream, il a fait l’objet de soixante-deux plaintes en diffamation de la part de la « banque des banques » et a reçu la visite d’un nombre incalculable d’huissiers. « La justice ne sert plus à rendre la justice, mais est utilisée pour faire plier les journalistes », déplore l’enquêteur dans le livre. S’il a finalement obtenu gain de cause – sa démarche ayant été reconnue comme légitime par la Cour de cassation –, Denis Robert aura vu la suspicion jetée sur son travail des années durant. Surtout, les manœuvres procédurières de Clearstream auront permis de faire diversion en détournant l’attention.

Pour avoir enquêté sur les activités du groupe Bolloré au Cameroun (gestion de ports, rail, plantations), le reporter de France Inter Benoît Collombat a, lui, été poursuivi pour la quasi-totalité de son reportage et non sur des points précis. Ultra procédurier, le milliardaire breton dégaine la diffamation aussi vite qu’il censure un doc sur Canal+. Un harcèlement destiné à décourager les journalistes de mettre le nez dans ses affaires.

En dehors des prétoires, la décrédibilisation mise sur la rumeur et la désinformation. Et le meilleur ennemi de la presse s’avère parfois… la presse elle-même. Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Le Monde) ont fait les frais de ces crocs-en-jambe confraternels au moment de l’affaire dite « des écoutes Sarkozy » (corruption à la Cour de cassation et mise sur écoute de l’ex-président). Alors qu’ils enquêtaient sur le sujet, Le JDD a publié un extrait de l’agenda privé de François Hollande dans lequel apparaissait un rendez-vous avec les deux journalistes. « Le but est de semer le trouble […] et de nous faire passer pour des agents à la solde du pouvoir », expliquent-ils. Valeurs actuelles n’a pas hésité à les présenter comme les « valets d’un cabinet noir contre Sarkozy ». Faire du journaliste un militant est l’arme la plus souvent utilisée pour délégitimer le travail d’investigation.

Traiter le journaliste et ses sources comme des délinquants

Abuser de la loi de 1881, c’est contestable. Mais faire comme si elle n’existait pas, c’est pire. Depuis quelques années, un glissement subtil s’est opéré. Au lieu de poursuivre le journaliste sur le fondement du droit de la presse – qui définit les conditions du libre exercice de sa profession –, on préfère le traiter comme n’importe quel délinquant, en utilisant les ficelles du droit commun. Ainsi Fabrice Arfi (Mediapart) est-il accusé, dans l’affaire Bettencourt, de « recel d’atteinte à l’intimité de la vie privée ». Situation ubuesque : le tribunal qui lui reproche d’avoir utilisé les enregistrements du majordome a pourtant exploité ces mêmes bandes comme « preuves judiciaires pour condamner huit personnes dans l’affaire Bettencourt », note-t-il. Un contournement de la loi sur la presse qui permet « d’ôter au journaliste les armes de sa défense […] et à la police et à la justice d’user de moyens d’enquêtes plus intrusifs, susceptibles de mettre à mal le secret des sources ». Sources qui, elles aussi, se voient de plus en plus souvent criminalisées. A la suite d’un article de Mathilde Mathieu (Mediapart) sur le train de vie des parlementaires, le Sénat a déposé plainte contre X pour « vol de documents » et « abus de confiance ». Une dizaine de fonctionnaires, considérés comme de possibles « taupes » de la journaliste, ont ainsi été embarqués par la PJ. Même chasse aux sources dans une affaire sur les notes de frais d’un élu socialiste. « Le Palais a préféré cibler les lanceurs d’alerte qui ont pris le risque de dénoncer un délit potentiel », explique Mathilde Mathieu. Manière de décourager le zèle citoyen et de bloquer les possibilités d’enquête.

Verrouiller l’info

Que fait un journaliste qui n’a pas accès aux éléments nécessaires à son enquête ? Réponse : pas grand-chose. Certains l’ont bien compris. La loi sur le renseignement votée en juin dernier, qui, au nom de la lutte antiterroriste, met le « secret défense » à toutes les sauces, rend désormais très difficile toute enquête sur les services secrets. « Jamais nos services de renseignements n’auront été aussi opaques, aussi difficiles à contrôler », estiment dans le livre Christophe Labbé et Olivia Recasens, du Point. Concrètement, si ce texte avait été en vigueur à l’époque, jamais on n’aurait entendu parler du Rainbow Warrior. Autre nouveauté de la loi : la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, ex-DCRI) peut désormais mettre sur écoute appartements, voitures, etc., et explorer les ordinateurs en dehors de toute procédure judiciaire. Un risque de dérives façon NSA aux Etats-Unis.

L’ouvrage pose aussi la question de l’accès aux documents administratifs. En France, contrairement à la Suède ou à la Grande-Bretagne, il est encore impossible au citoyen de vérifier les notes de frais d’un ministre ou d’un maire. Après le scandale Cahuzac, l’Etat a pourtant exigé des élus qu’ils déclarent leur patrimoine. On peut effectivement les consulter en préfecture… mais en aucun cas les publier, comme l’a constaté Mathilde Mathieu lors de ses enquêtes sur l’utilisation de l’argent public au Parlement. Pour fuir les questions qui fâchent, la stratégie la plus efficace est celle de l’évitement. Après plusieurs articles sur lui jugés négatifs par le maire de Nice Christian Estrosi, la journaliste indépendante Hélène Constanty s’est vue interdite de communiqués, de conférences de presse, de discours. Blacklistée ! Une technique très en vogue aussi chez les grands patrons. Lorsqu’il enquêtait sur Vincent Bolloré, Benoît Collombat n’a jamais pu l’interroger. « Ça s’appelle la “censure par abstention”, explique le journaliste. Dans toute enquête, vous êtes tenu au contradictoire. Si vous ne le faites pas, ça peut vous être reproché au tribunal. » Compliqué à respecter quand le principal intéressé ne veut pas parler.

Exercer une pression économique

Sucrer la pub pour faire pression sur un journal ? C’est vieux comme la réclame. Selon un article du Canard enchaîné évoqué dans le livre, Vincent Bolloré (encore lui), qui contrôle l’agence de pub Havas, aurait fait supprimer plusieurs millions d’euros d’achat d’espaces dans Le Monde (propriétaire de Télérama), à la suite de deux articles qui lui ont profondément déplu. Les médias réfléchissent à deux fois avant de s’attaquer à un annonceur puissant. Situation aggravée par la crise, qui fragilise encore un peu plus les journaux. En Région, c’est pareil. Dans le livre, le fondateur du site Montpellier Journal, Jacques-Olivier Teyssier, raconte comment mairie, département et Région sont devenus les principaux annonceurs des journaux locaux. En 2009, il a ainsi évalué l’investissement des collectivités locales à environ huit millions d’euros, dont quatre millions et demi pour les seuls titres de Midi Libre. Fâché par un papier critique sur son bilan, Georges Frêche, alors président du conseil régional, avait coupé la pub au journal. Tout simplement.

Menaces, voire plus si affinités

Lorsqu’on manque d’arguments, reste la violence. Physique et psychologique. Au fil de leurs enquêtes, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont eu droit au grand chelem : menaces de mort, cambriolages, « lettres, balles, excréments, poudre explosive, cercueils » reçus par la poste… Dans la fachosphère, on tape sur les journalistes comme Obélix sur les Romains. En 2010, à l’occasion d’une commémoration de l’extrême droite radicale, Caroline Monnot et Abel Mestre, du Monde, ont essuyé menaces, crachats et intimidations. En février 2015, Marine Turchi et Karl Laske (Mediapart) ont été violemment pris à parti par des responsables de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen. Lors du défilé du 1er mai 2015 du FN, des équipes de France 5 et du Petit journal sont agressées par des militants, sous les insultes… Comme l’expliquent Caroline Monnot et Marine Turchi dans Informer n’est pas un délit, une dizaine de journalistes ont été violentés lors d’événements frontistes depuis que Marine Le Pen est présidente du parti. Beaucoup moins paraît-il que du temps de son père. Vraiment de quoi se réjouir ?

Informer n’est pas un délit, éd. Calmann-Lévy, 300 p, 17 €.

Bonnes feuilles Lisez un chapitre d’“Informer n’est pas un délit”

Source : Télérama 06/10/2015

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