L’arrestation du journaliste d’investigations et défenseur des droits de l’homme, Hossam Bahgat, est un nouveau signal inquiétant adressé aux critiques du régime du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi. « Un nouveau coup porté à la liberté d’expression en Egypte », dénonce l’organisation Amnesty international. Dimanche 8 novembre, après sept heures d’interrogatoire au sein des renseignements militaires à Nasr City, au Caire, M. Bahgat a été déféré devant le procureur militaire et pourrait être inculpé pour « publication de fausses informations portant atteinte aux intérêts nationaux. » Il est maintenu en détention jusqu’au prononcé de la décision lundi, a précisé sur Twitter la défenseure des droits de l’homme, Heba Morayef.
Sur la Toile, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’arrestation de M. Bahgat, à l’heure où l’Egypte fait face à une menace terroriste bien réelle de la part du groupe Province du Sinaï. Le groupe djihadiste lié à l’Etat islamique (EI), actif dans le nord de la péninsule du Sinaï, a revendiqué le crash de l’avion russe, samedi 31 octobre, avec 224 personnes à son bord. La piste de l’attentat et d’une bombe placée à bord est privilégiée par les services de renseignement américain et britannique, et les mesures de sécurité dans les aéroports égyptiens questionnées. La plupart des vols internationaux depuis et vers l’aéroport de Charm Al-Cheikh ont été suspendus. La Russie a commencé à procéder à l’évacuation de ses ressortissants. Les autorités égyptiennes continuent de dénoncer des « conclusions prématurées ».
Cible récurrente d’attaques
Militant par sa plume et au sein d’organisations de défense des droits de l’homme depuis le début des années 2000, Hossam Bahgat est devenu l’une des figures indépendantes les plus en vue en Egypte. Agé de 36 ans, il a milité tour à tour contre les violations des droits de l’homme commises sous le régime de l’ancien président Hosni Moubarak, puis pendant la révolution par le Conseil suprême des forces armées (CSAF, 2011-2012) et les Frères musulmans, ainsi que par les nouvelles autorités du président Abdel Fattah Al-Sissi après l’été 2013. Ses activités lui ont valu, sous les différents régimes, d’être la cible récurrente d’attaques et de campagnes de dénigrement dans la presse.
En 2002, M. Bahgat a fondé l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), devenue la plus importante organisation de défense des droits de l’homme en Egypte. En 2011, il a reçu, pour son travail « courageux et sans relâche » pour les droits de l’homme, le prix Alison Des Forges, de l’organisation Human Rights Watch (HRW). Lorsqu’il a quitté l’organisation pour étudier un an à l’école de journalisme de l’université de Columbia aux Etats-Unis, en 2013, l’EIPR comptait plus d’une centaine d’employés travaillant dans des domaines aussi variés que les droits personnels, sociaux, religieux ou politiques. Après le passage de la nouvelle loi sur les associations en 2014, considérée comme un outil pour museler la société civile par les défenseurs des droits de l’homme, l’EIPR a été contraint, tout comme une majorité d’organisations égyptiennes, à réduire ses activités.
En 2014, Hossam Bahgat a commencé à écrire pour le journal électronique indépendant égyptien Mada Masr. Il y a publié une série d’enquêtes, notamment sur la politique antiterroriste (« Qui a laissé sortir les djihadistes ? », qui révèle que les généraux du CSAF ont libéré des figures djihadistes) ou la corruption (« Les châteaux des Moubarak »). Sa dernière enquête (« Un coup déjoué ? »), publiée en octobre 2015, revient sur la condamnation, devant un tribunal militaire à la fin d’août, de 26 officiers accusés d’avoir conspiré avec les Frères musulmans pour « renverser le régime ».
« Nouveau clou dans le cercueil de la liberté d’expression »
L’organisation Amnesty international a condamné un « nouveau clou enfoncé dans le cercueil de la liberté d’expression en Egypte ». Depuis la destitution par l’armée du président islamiste Mohammed Morsi, en juillet 2013, les membres de la confrérie des Frères musulmans – déclarée organisation terroriste –, ainsi que les révolutionnaires et opposants de gauche font l’objet d’une répression sévère du régime. « Il est détenu et questionné par le procureur militaire pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression et doit être immédiatement libéré », a poursuivi Philip Luther, directeur Moyen Orient et Afrique du Nord de l’organisation. « L’armée égyptienne ne peut continuer à se considérer au-dessus des lois et exempte de toute critique. »
Depuis l’été 2013, l’Egypte a renforcé son arsenal antiterroriste, étendant notamment la juridiction des tribunaux militaires pour les atteintes aux intérêts nationaux – une catégorie jugée floue par les experts. Cet été, une nouvelle loi a été décrétée qui prévoit notamment une amende très lourde pour les journalistes et médias, y compris étrangers, qui rapportent des informations contredisant les communiqués et bilans officiels en cas d’attentats ou d’attaques. Les militants des droits de l’homme pointent par ailleurs de nombreuses violations commises par les forces de sécurité, à l’instar de disparitions forcées ou de tortures et mauvais traitements en détention et dans les commissariats.
En juin, le comité de protection des journalistes, basé à New York, a estimé que les journalistes égyptiens font l’objet de menaces sans précédent. Dix-huit journalistes sont actuellement sous les barreaux, le nombre le plus élevé depuis les années 1990. Les autorités utilisent la menace d’emprisonnement et la censure sur les sujets sensibles pour faire pression sur les médias pour qu’ils censurent les voix dissidentes, estime l’organisation.
Source : Le Monde.fr 08.11.2015
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