Comédie du livre 2014

Les littératures nordiques et le réel

Comédie du Livre. La 29ème édition débute ce soir. Tandis que l’on s’apprête à découvrir les passionnantes lettres du Nord, des interrogations planent sur la 30ème édition.

Grand événement culturel montpelliérain autour des livres et des pensées, légères ou profondes, qu’ils génèrent, La Comédie du livre débute ce soir avec une soirée d’ouverture* consacrée à l’écrivain islandais Arnaldur Indridason. Auteur emblématique des littératures nordiques invitées de cette 29 édition, Indridason donne dans le roman policier. Il est traduit dans trente-sept pays et édité aux éditions Métailié qui  fêtent cette année leurs 35 ans à Montpellier. Mais surtout, Indridason a construit son œuvre en l’imbriquant intimement dans le tissu de la réalité de son pays, comme la majeure partie de ses homologues nordiques invités à Montpellier.

Ce sont ces réalités, historiques, économiques, politiques, sociales culturelles et environnementales que vont nous donner à sentir et à lire, plus de trente écrivains venus de la Norvège, d’Islande, de Suède, de la Finlande ou du Danemark. A noter que ce lien étroit entre littérature et réalité, propre aux écrivains du nord, n’est pas l’apanage du roman noir qui reste  brillamment représenté. A commencer par Maj Sjöwall qui en a fait dès 1965 une arme politique en dessinant une virulente critique de la société suédoise.

Katja Kettu

Katja Kettu

Les orfèvres de la blanche

La littérature dite blanche ne se trouve pas en reste pour faire voler en éclat le fameux modèle social scandinave. On se délectera avec l’écriture des Finlandaises  Johanna Sinisalo, qui mêle adroitement drame intime et catastrophe écologique, et Katja Kettu dont la voix éclatante nous plonge en pleine guerre de Laponie dans La Sage-femme. De même que la nature, l’histoire est souvent présente, dans les récits scandinaves. La suédoise Katarina Mazetti en donne une brillante illustration. Le monde entier peut s’effondrer, le grand arbre du monde résiste décrit la prophétesse. Depuis les lointaines sagas, l’univers surnaturel traverse les littératures du nord. Jusqu’au réalisme magique de Sjon, qui incarne la nouvelle génération d’auteur islandais. Parolier de Björk, il est aussi dramaturge. Il ne faudra pas manquer l’illustrateur suédois Lars Sjunnesson, devenu l’emblème de la communauté punk pour sa très irrévérencieuse manière de défier l’autorité et la bourgeoisie. Dans un autre registre on plongera au cœur de l’histoire norvégienne avec les six volumes du Roman de Bergen de Gunnar Staalesen qui nous immerge dans cette ville de 250 000 habitants en explorant toutes les composantes historiques, sociales et politiques, sur plus d’un siècle. Arni Thorarinsson dissèque, lui, la société actuelle islandaise et la crise qui l’ébranle. L’occasion nous est offerte de fréquenter ces littératures et de découvrir la place prépondérante qu’elles occupent aujourd’hui.

Changements en perspective…

Depuis 2011, année où la direction de l’événement a été confiée à l’association Cœur de Livres composée de libraires, la Ville de Montpellier, via la direction des affaires culturelles, a recentré la manifestation autour de la littérature des pays invités. Voyant là un moyen de palier à la dispersion des propositions et d’approfondir le contenu littéraire. En quatre ans, la solidarité et l’organisation entre les libraires se sont renforcées et la manifestation a gagné en qualité, mais la situation économique des libraires, historiquement à l’origine de l’événement, s’est tendue. Chaque année un lot de libraires disparaissent en France, et Montpellier qui demeure une ville de grands lecteurs n’est pas épargnée. La crise on le sait, ne ménage pas non plus les fonds publics.

Le nouveau maire Philippe Saurel qui avait pris soin de ne pas s’engager sur la question en tant qu’adjoint à la culture, s’est fixé comme objectif d’étendre la manifestation à l’ensemble des quartiers de la ville. Lors de la présentation, il a insisté sur le coût actuel de la manifestation (500 000 euros) et sommé l’association Cœur de livres de trouver un(e) président(e). Cédric de Saint Jouan, l’adjoint à la culture de Montpellier a quant à lui pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre de tous les libraires. Pour la trentième édition, on s’attend à une redistribution des cartes. Dans quelle mesure les changements vont s’opérer, et quelles en seront les conséquences ? Difficile de le dire.

Le maire a rappelé à tous les acteurs la relation unissant la littérature au réel. Mais ce n’est pas une relation à sens unique. Le réel est aussi tributaire de la littérature. En attendant, les Montpelliérains ont ancré le rendez-vous sur leurs tablettes et personne ne songe un instant à leur couper l’accès aux livres. Ils vont découvrir avec bonheur la cohorte des écrivains nordiques et leur sens de la collectivité, ce qui pourrait leur donner l’envie d’écrire…

Jean-Marie Dinh

L’Hérault du Jour  22/05/2014

 *  A 19h Centre Rabelais.

 

Les éditions Gaïa : la connexion Landes-Grand Nord qui fait mouche

 

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Herbjorg Wassno

Vingt ans après la publication de La Vierge froide et autres racontars de Jorn Riel, Gaïa compte plus de 200 auteurs dans son catalogue. La majorité d’entre eux est originaire de l’Europe septentrionale mais la maison d’édition s’est ouverte à d’autres régions du globe en accueillant des auteurs des Balkans ou d’Allemagne.

 Basée dans les Landes, Gaïa fait partie des pionniers qui ont donné à voir le vrai visage des littératures du Nord. Des fictions qui ne signifient point frimas et âpreté, lieux communs longtemps véhiculés par l’imaginaire collectif, mais qui tend à disparaître depuis que l’excellente série Borgen a mis en lumière le dynamisme et la modernité de la démocratie danoise via le personnage fictif de Birgitte Byborg (qui n’est pas sans rappeler Helle Thorning-Schmidt), auprès du grand public.

Les lecteurs connaissent d’ailleurs plusieurs succès scandinaves publiés et remarquablement traduits sous l’œil avisé de Susanne Juul, la fondatrice de Gaïa. C’est probablement le cas du roman Le mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti, qui sera présente à Montpellier. Quatre autres auteurs de la maison d’édition seront également de la partie comme Jorn Riel ou la très populaire spécialiste des sagas, Herbjorg Wassno, dont la trilogie Le Livre de Dina fut adaptée au cinéma. L’auteur de polar Gunnar Staalesen viendra avec sa célèbre fresque à suspens Varg Veum, dont le dernier tome intitulé Face à Face ouvre sur la découverte d’un mystérieux cadavre dans la salle d’attente pourtant pas si hospitalière du détective. Enfin, Leif Davidsen sera accompagné de son tout dernier roman, Le gardien de mon frère, qui mêle avec ambition intrigues et grande histoire.

Pour Marion Lasalle, ce rendez-vous était incontournable : «Nous sommes très contents d’avoir des auteurs invités à la Comédie du Livre car c’est un événement à rayonnement national. Nos auteurs ne sont pas aussi connus que les têtes d’affiche, mais c’est l’occasion pour le public de découvrir qui se cachent derrière des romans qui ont eu un succès honorable et qui ne se déplace que très rarement en France.»

 Désireuse de suivre ses romanciers sur l’ensemble de leur œuvre plutôt que sur un seul livre, Gaïa défend une ligne éditoriale dont la cohérence repose sur la qualité plutôt que le marketing. «Nous comptons sur le bouche à oreille des libraires qui nous restent fidèles. En 2006, Le Mec de la tombe d’à côté démarrait très doucement en France et c’est leur engouement qui a fait décollé le roman. C’est pour cela que nous privilégions ce réseau, avant les ventes en ligne, même si on ne peut pas les négliger, souligne Marion Lasalle. Mais on se bat pour que les librairies indépendantes puissent nous représenter car, sans elles, une maison d’édition comme Gaïa n’existerait plus.»

 Géraldine Pigault

Rencontre dimanche 25 mai 11h30 au Centre Rabelais

En bref
Programme Modification et annulation
Changement d’horaires : la table ronde autour de la Fantasy aura lieu dimanche à 10h avec Jérôme Noirez et Laurent Kloetzer (toujours à l’auditorium du Musée Fabre). Annulation : les auteurs Étienne Klein, Valter Hudo Mae, Annie Pietri et Jean-Philippe Blondel ne pourront être présents.

Sélection vendredi
Anticipation et critique sociale
Avec Johanna Sinisalo , Rosa Montero et Thomas Day.Venue de Finlande, d’Espagne ou de France, les œuvres de ces trois écrivains illustrent la vitalité et la grande diversité du roman d’anticipation européen. Mais l’invention d’imaginaire ne doit pas occulter la dimension critique d’intrigues qui n’hésitent pas à mettre fortement en accusation les travers et dérives bien réelles de nos sociétés. Demain à 14h30 Centre Rabelais.

Grand Entretien avec Sjón
Sjón l’inclassable a récemment été qualifié de « Mage du Nord » par la grande romancière britannique A.S. Byatt. Considéré comme « le fer de lance du réalisme magique à l’islandaise », Sjón crée des fictions mêlant Histoire et surnaturel, légendes et souvenirs vécus, excelle dans l’art de la citation, multiplie les intrigues, avec pour seul principe le plaisir de raconter des histoires. À découvrir absolument. Demain à La Panacée à 11h30.

Nuit noire la tête perdue dans les étoiles

ipad_f_82327_204323_zat-montpellier-nocturne-printaniere-au-parc-malbo8ème Zat à Malbosc. Un voyage nocturne inoubliable samedi 19 avril de 20h à 7h du matin. Les enfants ont la permission de minuit et les grands peuvent jouer les performeurs.

Dans un quartier de Montpellier un piano dans la nuit joue les nocturnes de Chopin sans interprète. Cela ne provient pas d’une grille de programmation classique, on est à la ZAT, la huitième, qui se déroule dans le quartier Malbosc. Des surprises,la zone artistique temporaire nous en a gravé un paquet depuis son premier opus en 2010.

A raison de deux éditions par an,  la manifestation nous invite à ré-explorer notre univers urbain, secteur par secteur. Quartier à l’identité forte comme lors la dernière édition aux Beaux Arts, ou quartier neuf et en devenir comme Port Marianne ou encore Malbosc qui est né il y a dix ans et compte déjà 5 000 habitants. « Le mot Malbosc signifie mauvais bois, un endroit où les terres sont difficilement cultivables, peut-être une superstition car il est devenu un éco-quartier avec cinquante jardins familiaux », explique le directeur artistique Pascal Le Brun Cordier qui définit le thème des ZAT à l’issue de multiples pérégrinations dans les quartiers pour les mettre en récits.

Enquête sur l’ordinaire

Le format varie en fonction du contexte. Chaque ZAT donne lieu à différentes enquêtes – ethnologique, poétique, architecturale et humaine – à partir desquelles s’érige la ligne artistique. Les recherches, toujours longues visent au surgissement de  l’infra-ordinaire cher à Perec, le contraire de l’extra-ordinaire. Pour décrire et rendre compte du quotidien d’un quartier, de ce qu’il se passe chaque jour du banal, du commun, de l’ordinaire, n’est-il pas de meilleur moyen que de confier cela à des artistes  ? « A Malbosc, le projet des urbanistes est intéressant, la moitié du quartier se constitue d’un parc préservé de 33 hectares en partie aménagé et en partie sauvage. La ZAT ne plaque pas les projets. Elle les greffe à ce qui préexiste. » La manifestation se tiendra dans cet espace méconnu des Montpelliérains où la ville s’oublie. Beaucoup d’inédites surprises ponctuent la programmation qui s’articulera autour de la nuit de 20h à 7h du matin. Un pari risqué.

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Papillons de nuit

« La nuit crée la surprise, souligne le directeur artistique, c’est inédit et rare pour des projets culturels. La nuit ouvre un territoire poétique hautement désirable. Elle s’est métamorphosée depuis les romantiques passant du lieux d’effroi et de chaos à celui du senti, de la face cachée de l’âme, coloré d’une énergie singulière

L’événement les réjouit, mais il n’est pas réservé aux noctambules. La ZAT s’adresse à l’ensemble de la population dans toute sa diversité. Les artistes veilleront comme des guetteurs, ils diffuseront des images, des notes, des mots et contes, ils se feront relais de ferventes étoiles et de curieux extra-terrestres. On pourra les suivre toute la nuit, s’assoupir d’un lourd sommeil dans les transats prévus à cet effet ou ne fermer qu’un oeil en restant disponible à l’éveil onirique. « C’est une invitation à vivre une expérience. inoubliable, les enfants sont les bienvenus. » La ZAT, c’est un autre regard, une autre façon de révéler et décaler la ville, de la vivre !

JMDH

Programme : zat.montpellier.fr

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“Strange Fruit”, et Billie Holiday suspendit l’Histoire

New York, 1939. Une voix perfore le cœur d’une Amérique bipolaire. “Strange Fruit”, acte de naissance de la chanson contestataire, résonne pour l’éternité.

I feel like going home, de Muddy Waters, I got a woman, de Ray Charles, Zombie, de Fela ou encore War, de Bob Marley… Dans la continuité de l’expo « Great Black Music », à la Cité de la Musique, qui rassemble jusqu’en août cinquante ans de musiques noires, Télérama.fr vous raconte chaque semaine l’histoire d’une chanson qui a traversé les générations.

Le lynchage d'Abram Smith et Thomas Shipp à Marion, Indiana, le 07 aoüt 1930, © studio photographer Lawrence Beitler/ The Indiana Hisorical Society.

Le lynchage d’Abram Smith et Thomas Shipp à Marion, Indiana, le 07 aoüt 1930, © studio photographer Lawrence Beitler/ The Indiana Hisorical Society.

Les dernières notes de Strange Fruit sont souvent suivies d’un silence sidérant. Le night club est plongé dans le noir. Les serveurs ne doivent pas bouger, ni faire le moindre bruit. Chaque soir, le rideau retombe sur l’image de « ces corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud/comme d’étranges fruits aux branches des peupliers ». Le public new-yorkais ne sait pas comment réagir. Doit-il rester grave et recueilli dans un moment d’intense communion avec le peuple noir qui est encore victime des lynchages? Doit-il applaudir à tout rompre la performance sublime de Billie Holiday dont le tour de chant s’achève rituellement par cette lamentation déchirante ? L’intensité de l’instant n’a guère d’équivalent.

Les années 30 touchent à leur fin. New York est une ville vibrante, créative, illuminée. Le Cafe Society qui vient d’ouvrir ses portes sur Sheridan Square, à Greenwich Village, fait vœu d’être le premier night club d’Amérique où noirs et blancs peuvent se mélanger sans y penser. Les amoureux de jazz et les penseurs d’une gauche en verve y font bon ménage et Billie Holiday règne avec autorité sur ce beau monde hédoniste et raffiné. Sa voix est l’expression la plus pure d’une blessure grande ouverte. Elle donne à Strange Fruit une force que rien ne peut dompter. Son timbre est clair, à peine frissonnant, son interprétation lente et posée. La chanteuse qui, en ce printemps 1939, a tout juste vingt-quatre ans, dompte son souffle, impose son rythme, dévoile les images de la terrible scène de lynchage sans forcer le trait. L’émotion est nue. La chanson semble taillée pour elle. A tel point qu’elle a fini par croire qu’elle en était l’inspiration.

be Meeropol, l’auteur derrière le mythe

Dans sa biographie, Lady Sings the Blues, elle raconte que le jour où un certain Lewis Allen s’est présenté à elle avec cette ébauche de chanson, elle a compris immédiatement qu’elle mettait en musique toute l’infamie qui avait tué son père (il est mort d’une pneumonie après que plusieurs hôpitaux du sud ségrégationniste aient refusé de le soigner).

Strange Fruit restera LA chanson de Billie Holiday, mais elle n’a pas été écrite pour elle. Quand elle les interprète pour la première fois, ces trois couplets dépeignant, avec brutalité et ironie, le pourrissement du racisme dans l’air moite des campagnes du Sud (« l’odeur du magnolia, douce et fraîche/et soudain l’odeur de la chair qui brûle ») ont déjà fait leur chemin. Ils ont été publiés, au milieu des années 30, dans un bulletin syndical des enseignants new-yorkais par Abe Meeropol, professeur d’un lycée du Bronx.

A l’origine, Strange Fruit n’est qu’un court poème, Bitter Fruit, (« fruit amer »), inspiré par la photo du lynchage de deux jeunes garçons noirs, à Marion dans l’Indiana. Abe Meeropol, qui se fait appeler Lewis Allan (et non Allen, comme le retranscrit Billie Holiday) pour préserver son anonymat, est un juif américain proche du parti communiste. Il met lui-même son texte en musique et on le reprend régulièrement en chœur dans les meetings politiques. Jusqu’à ce que sa réputation parvienne aux oreilles de Barney Josephson, qui vient d’ouvrir le Cafe Society et n’imagine pas qu’on chante ailleurs ces quelques lignes qui font entrer la chanson contestataire dans un autre âge.

La plus grande chanson du XXe siècle

« C’est la plus affreuse des chansons, dira plus tard Nina Simone. Affreuse parce que violente et dévoilant crûment ce que les blancs ont fait aux miens. » Une des légendes accompagnant Strange Fruit veut que Billie Holiday n’ait pas été « bouleversée » quand Strange Fruit lui a été proposée par son employeur.  « Indifférente » ou « mal à l’aise » selon les sources. Elle n’a toutefois pas tardé à se l’approprier et à en faire l’apogée de son tour de chant. Son premier enregistrement date du printemps 1939. Sur le label Commodore, qui a élu domicile dans un petit magasin de la 52e rue, et non sur les disques Columbia avec lesquels elle a signé un contrat : John Hammond, qui a découvert la chanteuse à 17 ans à Harlem, n’a pas voulu se mouiller.

Strange fruit devient vite un succès, mais c’est un succès gênant. Les militants de gauche l’envoient aux membres du Congrès pour les mobiliser. Le Sud ségrégationniste est encore très influent au sein des partis politiques et des médias et la radio passe peu le disque. C’est le bouche-à-oreille qui fait circuler les refrains scandaleux, attire une foule de fervents au Cafe Society et vaut à son auteur une audience très spéciale… celle de la Commission de la Chambre sur les affaires anti-américaines, qui veut savoir si le parti communiste a financé l’écriture de la chanson. Abe Meeropol reste ferme face à ses accusateurs. Quelques années plus tard, il adoptera les enfants d’Ethel et Julius Rosenberg, exécutés pour « espionnage au profit de l’URSS ».

Billie Holiday ne connaîtra rien des avancées de son peuple. Les années 40 et 50 sont pénibles. Dans l’Amérique du maccarthysme, certains clubs refusent qu’on joue Strange Fruit. La chanteuse est obligée de l’imposer contractuellement. Certains soir, elle se plaint des serveurs qui font volontairement tinter leur caisse enregistreuse pendant toute la durée de la chanson. En 1944, elle est à deux doigts d’ouvrir la gorge d’un marin qui la traite de « négresse » A un ami qui l’interpelle, un jour sur une avenue de New York (« comment va la Lady Day ? ») elle répond : « Bof, tu sais, je suis toujours nègre ».

Dans la lente descente narcotique de ses dernières années, Strange Fruit est un morceau toujours plus pesant et douloureux qu’elle ne parvient pas toujours à le chanter. Elle meurt à 44 ans, en 1959. En 1999, Time Magazine décrète que Strange Fruit est la plus grande chanson du XXe siècle.

Laurent Rigoulet

Source Télérama 08/04/2014

Play list Strange fruit

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Les Iapodes une civilisation d’Europe orientale encore mystérieuse

fibule-musee-de-zagreb_1387889270928Les Iapodes refont surface au Musée Henri Prades de Lattes jusqu’au 8 septembre. Les non spécialistes découvriront avec intérêt la culture iapode qui voit le jour à la fin de l’âge du Bronze (fin du Xe siècle avant J.C.) sur une partie de l’actuelle Croatie.

Avec ce projet, conduit par le jeune conservateur Lionel Pernet, le Musée archéologique lattois démontre une nouvelle fois son aptitude à renouveler son offre en proposant des expositions temporaires de qualité. Ce qui n’est pas une sinécure dans le domaine archéologique. Cette capacité d’ouverture, qui associe pour l’occasion les musées archéologiques de Zagreb, de Catalogne et plusieurs unités de recherche en archéologie (CNRS) s’avère payante. On peut lire l’intérêt du public pour cette démarche à travers les chiffres de fréquentation en hausse significative (27 000 en 2013) depuis l’arrivée de la nouvelle équipe. Nicole Bigas, l’élue en charge de la Culture à l’Agglo s’en réjouit et assure un accompagnement de l’Agglo dans le développement du site : « Si l’avenir politique le permet, nous envisageons une extension du site.» Intention partiellement concrétisée par l’achat du terrain et des bâtiments annexes que vient de réaliser l’Agglo .

L’exposition demeure fidèle à la volonté du musée de faire découvrir les cultures qui précèdent l’époque romaine. Les 200 pièces iapodes exposées pour la première fois en France proviennent de l’imposant Musée archéologique de Zagreb fondé au milieu du XIXe siècle en 1846, «après la chute de l’empire austro-hongrois les musées devinrent indépendants, précise la commissaire Lidija Bakari qui a consacré trente ans de sa vie à l’étude de la culture iapode. Notre musée conserve 500 000 pièces dont 20 000 iapodes, nous avons opéré un important travail de sélection pour cette première exposition en France.»

Qui étaient les Iapodes ?

imagesLa culture iapode se concentrait dans une région montagneuse située au centre de l’actuelle Croatie qui reste peu peuplée. Le peuple autochtone émergea probablement à l’âge de Bronze. Il était voisin des Ibériens bien que culturellement plus proche des peuples italiques. Les Iapodes vivaient dans une région cloisonnée mais située au carrefour de routes marchandes. Ils disposaient d’une culture traditionnelle forte qui a su s’ouvrir aux influences des voyageurs de passage. Ainsi a-t-on trouvé dans les sépultures de grandes quantités d’ambre utilisée pour les parures (l’exposition présente trois parures de grande taille somptueuses), alors qu’on ne trouve pas d’ambre sur leur territoire. « L’ambre utilisée provient de gisements proches de la Mer Noire. On suppose que les Iapodes prélevaient une partie des matières premières qui transitaient sur l’axe commercial Mer Noire-Méditerranée.»

Dans la première partie, l’expo permet aux visiteurs de découvrir des objets en bronze et en céramique du début de la civilisation iapode, IXe-VIIIe siècles avant J.C. En poursuivant la visite, on tombe sur de très belles parures faites en fines feuilles de bronze ornées de dessins géométriques ainsi que sur de surprenantes figurines anthropomorphes qui surprennent par la richesse de leurs formes. Les bijoux en perles percées bleues et grises témoignent de l’habileté des artisans. Beaucoup de mystères planent toujours sur cette civilisation, sans doute matriarcale, dont les communautés, sans structure étatique et sans armée, révèlent une culture spirituelle tangible.

JMDH

 A voir jusqu’au 8 septembre

Source : La Marseillaise 18/03/14

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Histoire, rubrique Europe, rubrique Croatie,

Benjamin Millepied. Vous l’aimez gentil, noir ou joli ?

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Photo Laurent Philippe

Montpellier Danse programmait Benjamin Millepied, futur maître de l’opéra de Paris, au Corum cette semaine.

Un peu l’ambiance des grands soir mardi au Corum avec une soirée proposée par Montpellier Danse signée Benjamin Millepied, futur maître du ballet de l’Opéra de Paris et mari de l’actrice Natalie Portman pour le côté people.

Trois pièces au programme et deux heures de spectacle entrecoupé d’un entracte pour faire causette. La Cie L.A. Dance Project que le chorégraphe ramène dans ses bagages a vu le jour à Los Angeles où Millepied s’est installé après avoir été dix ans étoile au New York City Ballet.

Dans la première partie , Millepied présente sa création Reflections en jouant sur le contraste anachroniques : décor ready-made/virtuosité néoclassique. La liberté des danseurs, un brun autosuffisante, s’affiche avec une grande décontraction. Mais la beauté plastique révèle la pauvreté des âmes. Mouvements maniérés et dislocation du groupe sur l’autel du narcissisme nourri à la société de consommation. Millepied se contente de reproduire la misère du monde contemporain en usant d’un langage chorégraphique plutôt pauvre.

La pièce de Cunningham qui suit, Winter branch, (1964) nous plonge dans un noir quasi-total, brillamment mis en lumière par Robert Rauschenberg. Même si l’oeuvre de Cunningham a perdu de son pouvoir de fascination, elle conserve de sa puissance créative. Les danseurs s’agrègent dans un tableau comme des taches presque noirs sur fond noir.

Pour conclure on regrette que la pièce de Forsythe Quintett ait été très malheureusement remplacée par Murder Ballades de Justin Peck un travail qui nous renvoie aux fêtes scolaires de fin d’année, coloré, précieux et vraiment très joli !

JMD

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