Des milliers de personnes rassemblées sur la Puerta del Sol à Madrid ont accueilli vendredi à minuit soir par un « cri muet » l’interdiction de manifester, observant aux 12 coups de l’horloge une minute de silence symbolique, des rubans de scotch collés sur la bouche.
A minuit pile, un silence impressionnant s’est abattu pendant quelques secondes sur la grande place en plein coeur de la capitale espagnole, bondée tout comme les rues alentour. Les manifestants, qui depuis mardi occupent les lieux où ils ont planté un village de tentes et de bâches, ont ainsi accueilli la trêve qui interdit tout rassemblement politique à la veille des élections locales. Puis, très vite, les cris ont repris, sur fond de percussions: « maintenant nous sommes tous illégaux », hurlait la foule, estimée à 19.000 personnes selon un décompte établi pour l’agence espagnole Efe par une société spécialisée. La présence policière restait discrète, avec seulement quelques voitures de police garées dans les rues voisines.
Les organisateurs du mouvement, né en début de semaine pour dénoncer le chômage et les retombées de la crise économique, avaient prévenu qu’ils étaient prets à braver l’interdiction. « Nous allons rester sur la place. Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un mouvement citoyen », avait expliqué vendredi matin Juan Lopez, chômeur de 30 ans et l’un des porte-parole du mouvement.
A deux jours des élections locales qui s’annoncent désastreuses pour les socialistes au pouvoir, le gouvernement, très embarrassé, a promis d’agir avec mesure tout en « appliquant la loi », qui impose le respect de la trêve électorale. Depuis mardi, ce mouvement spontané rassemble une mosaïque de jeunes mais aussi de citoyens de tous horizons et de tous âges, chômeurs, étudiants, retraités, salariés, qui ont pris possession de la place.
Inédit, coloré et pacifiste, le mouvement, au nom du « droit à s’indigner », se veut « apolitique » et dénonce pêle-mêle la mainmise des grands partis sur la vie politique espagnole, l’injustice sociale, la « corruption des politiciens ». Mais, surtout, il trahit la frustration de millions d’Espagnols face au chômage qui atteint un taux record de 21,19% et frappe près de la moitié des moins de 25 ans, aux coupes salariales, aux retombées de la crise économique.
La détermination des manifestants, à la veille du week-end électoral, place le gouvernement en position délicate, l’obligeant à choisir entre la méthode policière, très risquée, ou une souplesse qui ne manquerait pas de lui attirer des critiques. « Nous allons appliquer la loi pour garantir les droits et la liberté de l’ensemble des citoyens », a déclaré vendredi le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba. Le chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero a lui assuré que le gouvernement ferait preuve de « compréhension ».
Tout au long de la semaine, les manifestants se sont rassemblés chaque jour plus nombreux à la Puerta del Sol. Le mouvement, dans des proportions moindres, a gagné la plupart des villes d’Espagne. Et en quelques jours, il s’est structuré. Un camp de bâches en plastique montées sur des structures en bois et de tentes de camping a surgi sur la place, avec des « stands » dédiés à la cuisine, l’accueil, les soins médicaux, et aussi à la communication où de tout nouveaux « porte-parole » tentent d’affiner le message, parfois flou, des contestataires.
Dans la file d’attente devant le stand dédié à la signature de la pétition de soutien, Maria-Jesus Garcia, une fonctionnaire de 40 ans, racontait vendredi être venue « à cause du chômage. Surtout celui des jeunes ». « Je vais lire la pétition, et je vais signer », disait-elle. « Mais ils doivent continuer après les élections. S’ils s’arrêtent, cela n’aura servi à rien ».
Les élections régionales et municipales n’ont pas mis fin aux protestations de dizaines de milliers d’Espagnols, jeunes pour la plupart, contre le chômage massif et les deux grands partis. Pour la presse, les problèmes des manifestants concernent toute la population et des mouvements semblables sont possibles dans d’autres pays européens.
La manifestation de dizaines de milliers d' »indignés » dimanche soir à Athènes et ailleurs en Grèce « montre l’angoisse du peuple devant la situation » de crise traversée par le pays, a jugé lundi le porte-parole du gouvernement, Georges Pétalotis. « Dans la mesure où il s’agit d’un rassemblement spontané (…), je crois que c’est un signe positif d’exprimer notre angoisse devant la situation », a affirmé M. Pétalotis sur la station de radio Flash. Plusieurs dizaines de milliers de personnes, selon la police, se sont rassemblées dimanche soir sur Syntagma, la place centrale d’Athènes, et dans d’autres villes du pays à l’appel paneuropéen des « indignés », qui ont manifesté dans plusieurs villes du continent, à l’instar de ceux réunis à Madrid, sur la place de la Puerta del Sol.
Pour sa part le ministre grec des Finances, Georges Papaconstantinou, a estimé lundi à la chaîne de télévision publique Net que « la majorité écrasante » des manifestants éprouvaient « des angoisses réelles » et « s’inquiétaient de leur avenir et de celui de leurs enfants ». Le vice-président du gouvernement et vétéran socialiste Théodore Pangalos s’en était pris aux « indignés » dans un entretien publié dimanche par un journal grec, qualifiant le mouvement de « mode des nouvelles technologies sans idéologie ».
« Même la mode des nouvelles technologies est une idéologie », a rétorqué M. Pétalotis sur la chaîne TV Antenna, rapportait lundi la presse grecque. M. Pétalotis a toutefois jugé que le seul refus « ne menait nulle part » et mis en garde contre « les mouvements qui ne reposent que sur l’émotion ou la colère ». « Ils offrent soit une sorte de défoulement sans résultat (…) soit ouvrent la voie à une prise du pouvoir par des méthodes antidémocratiques ».
Organisés via les réseaux sociaux, les « indignés » grecs ont installé un campement sur la place Syntagma, devant le Parlement, où depuis une semaine affluent tous les soirs des milliers de personnes protestant contre une vague de privatisations et de nouvelles mesures d’austérité que le gouvernement s’apprête à adopter sous la pression de ses créanciers, l’Union européenne et le Fonds monétaire international.
AFP 30/05/11
L’UE pousse les citoyens à protester
Le mouvement de protestation espagnol pourrait s’étendre à d’autres pays européens, estime le quotidien de centre-gauche libération : « La démocratie est née sur des places publiques. C’est-à-dire des espaces où, dans les cités antiques et les villes, les citoyens pouvaient se tenir assemblés pour débattre de questions qui dépassaient les individus et concernaient la communauté dans son ensemble. Les ‘Indignés’ de la Puerta del Sol rejouent à Madrid cette scène fondatrice. … Les ‘Indignés’ de la Puerta del Sol ne se font aucune illusion quant à leur prochaine évacuation par la police. Les tentes des manifestants et leurs cuisines en plein air risquent en effet de disparaître. On fera place nette. Mais la cause de ce mouvement spontané, inédit, elle, restera intacte. Et pourrait rapidement se trouver traduite dans de nombreuses langues européennes si les gouvernements de l’Union, de droite comme de gauche, n’ont à offrir à leurs citoyens que la perspective infinie de la rigueur économique. » (24.05.2011)
Le mouvement des indignés qui descendent sur les places d’Espagne pour protester depuis le 15 mai continuera à exister et à s’engager pour les changements sociaux même après les élections de dimanche dernier, estime le quotidien de centre-gauche El Periódico de Catalunya : « Aucun mouvement de jeunes n’a jusqu’à maintenant destitué un gouvernement ou renversé un système économique. Mais ils sont nombreux – à commencer par les Américains qui ont protesté contre la guerre du Vietnam jusqu’aux Islandais dernièrement – à avoir réussi à propager leur rage à une grande partie de la société. Cela a alors provoqué des changements politiques de grande ampleur. Les porte-parole du mouvement du 15 mai en ont fait leur objectif. Pour cette raison, ils ne mentionnent jamais dans leurs revendications les problèmes de la jeunesse mais toujours ceux de tous les citoyens. Leur action pacifique joue probablement également un rôle, car ils ne veulent effrayer personne. » (24.05.2011)
Les Espagnols mécontents veulent un nouveau système politique, mais ils doivent faire preuve d’initiative et mettre en œuvre chez eux les connaissances souvent acquises à l’étranger, demande le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung : « L’une des principales revendications du mouvement de protestation est d’autoriser pour les élections des listes ouvertes pour les candidats indépendants. De nombreuses banderoles à la Puerta del Sol prennent l’Islande pour modèle car du crash est né un mouvement politique actif. Mais avant d’en arriver là, les personnes insatisfaites préfèrent ne pas se rendre aux urnes ou donner leur voix à des partis régionaux – en période de crise son propre clocher est encore ce qu’il y a de plus proche. C’est une erreur, car c’est bien le régionalisme déviant qui, par sa prodigalité, a provoqué en grande partie le désastre financier espagnol. … Il existe depuis longtemps une nouvelle vague d’émigration vers les entreprises allemandes, italiennes, britanniques et françaises. Seuls ces émigrés ont le pouvoir de recréer leur pays en s’appuyant sur les connaissances acquises à l’étranger. » (24.05.2011)
Les jeunes Espagnols qui manifestent par milliers à Madrid doivent se préparer à de nombreuses années de chômage massif, estime le quotidien de centre-gauche Politiken, qui rend l’UE responsable de cette situation : « Les dirigeants européens ont prescrit une cure complètement inadaptée. Au lieu de mener une politique financière tournée expansive combinée à des réformes structurelles, Merkel et consorts veulent sortir de la crise en infligeant un remède de cheval aux pays en crise, ce qui élargit encore le fossé. La Banque centrale européenne n’a le regard fixé que sur l’inflation alors que c’est actuellement un moindre mal, comparé au développement du chômage massif. De plus, elle encourage l’augmentation des intérêts, ce qui ne fait qu’aggraver la situation de l’Espagne. » (24.05.2011)
Le président égyptien Hosni Moubarak, 82 ans, a quitté ses fonctions et remis le pouvoir à l’armée vendredi, après 18 jours de contestation populaire, provoquant une explosion de joie dans le pays sur lequel il régnait depuis trois décennies.
« Compte tenu des conditions difficiles que traverse le pays, le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d’abandonner le poste de président de la République et chargé le conseil suprême des forces armées de gérer les affaires du pays », a déclaré le vice-président Omar Souleimane dans une brève allocution télévisée.
Cette annonce est intervenue alors que plus d’un million de personnes manifestaient contre le raïs à travers l’Egypte. Les centaines de milliers de manifestants réunis place Tahrir au Caire ont explosé de joie à l’annonce de la démission du président, au pouvoir depuis 1981, ont constaté les journalistes de l’AFP sur place.
« Le peuple a fait tomber le régime! Le peuple a fait tomber le régime! », scandait une foule en délire sur cette place devenue symbole du mouvement de contestation déclenché le 25 janvier et qui a fait au moins 300 morts, selon l’ONU et Human Rights Watch.
Les manifestants hurlaient de joie et agitaient des drapeaux égyptiens. Certaines personnes se sont évanouies sous le coup de l’émotion. « Je pleure parce que je suis heureuse », a lancé une manifestante, Loubna Darwiche, 24 ans, tout en tempérant: « il reste beaucoup à faire ». « Le peuple doit contrôler cela. Nous aimons l’armée mais c’est le peuple qui a mené cette révolution et c’est lui qui doit la contrôler ».
« Félicitations à l’Egypte, le criminel a quitté le palais », a souligné sur son compte Twitter Waël Ghonim, un cybermilitant devenu icône du soulèvement en Egypte.
Un peu plus tôt, le Parti national démocrate (PND) de M. Moubarak avait indiqué que le chef de l’Etat avait quitté Le Caire pour la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, où il dispose d’une résidence.
Au 18e jour de la mobilisation populaire, un million de personnes avaient manifesté au Caire, selon un responsable de la sécurité, tandis qu’elles étaient entre 400.000 et 500.000 à Alexandrie, selon un photographe de l’AFP.
Ailleurs dans le monde, des explosions de joie ont notamment eu lieu à Gaza et Tunis, où un mouvement de contestation similaire avait provoqué la chute le 14 janvier du président Zine El Abidine Ben Ali.
« C’est formidable! Deux dictateurs sont tombés en moins d’un mois! », exultait Nourredine, un étudiant de 23 ans, dans un concert assourdissant de klaxons, tandis que son copain Ahmed se demandait: « A qui le tour maintenant? »
Le vice-président américain Joe Biden a salué « un jour historique » en Egypte.
La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton s’est félicitée de son côté que M. Moubarak ait « écouté la voix du peuple égyptien, » ouvrant ainsi la voie à des « réformes plus rapides et plus profondes ».
Pour sa part, Israël espère que la période de transition qui s’ouvre en Egypte se fera « sans secousse », a affirmé à l’AFP un responsable gouvernemental.
La chancelière allemande Angela Merkel a dit attendre de l’Egypte qu’elle respecte son traité de paix avec Israël.
Alors que les manifestations se déroulaient le plus souvent dans le calme depuis le 3 février, une personne a été tuée et 20 blessées vendredi lors de heurts à Al-Arich, dans le Sinaï égyptien, entre manifestants et policiers, selon un responsable des services de sécurité.
Le manifestant a été tué lors d’un échange de tirs entre policiers et protestataires qui tentaient de libérer des détenus dans un poste de police. Selon des témoins, un millier de manifestants ont lancé des bombes incendiaires sur le poste de police et mis le feu à des véhicules.
Jeudi soir, M. Moubarak avait annoncé qu’il déléguait ses prérogatives au vice-président Souleimane, mais qu’il restait de droit président jusqu’à la fin de son mandat en septembre, une annonce qui avait provoqué la colère des manifestants qui réclamaient son départ immédiat.
M. Moubarak avait aussi annoncé l’amendement de cinq articles controversés de la Constitution concernant la présidentielle. Mais il conservait encore de larges pouvoirs constitutionnels, et restait le seul à pouvoir dissoudre le Parlement et limoger le gouvernement, en vertu de l’article 82. Cela n’est désormais plus le cas.
L’armée égyptienne, colonne vertébrale du régime, s’était portée « garante » dans la matinée des réformes promises par M. Moubarak, en soulignant « la nécessité d’un retour à la vie normale ».
Le conseil suprême des forces armées avait assuré qu’il garantirait « une élection présidentielle libre et transparente à la lumière des amendements constitutionnels décidés » et promis de mettre fin à l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, « dès la fin des conditions actuelles ».
La foule avait réagi avec dépit aux annonces de l’armée: « Armée il faut faire un choix, le régime ou le peuple! », criaient des protestaires.
Le Caire redevient un modèle pour le monde Arabe
Les Egyptiens ont pour habitude de surnommer leur pays — et leur capitale tout à la fois — Oum al-dounia: la mère du monde. C’est ce que l’Egypte est redevenue ce soir, en menant une révolution populaire et pacifique. Une révolution unique, il faut le préciser, dans l’histoire égyptienne. Celle de 1919 visait l’occupation britannique, celle de 1952, menée par les «officiers libres», était en fait un coup d’Etat. Il sera toujours temps demain de voir si cette révolution sera confisquée, dévoyée ou accaparée par l’armée, les islamistes ou qui que ce soit d’autre. L’heure est aux réjouissances et ne boudons pas notre plaisir…
Après trois décennies d’immobilisme, de stagnation et de répression, l’Egypte bouge à nouveau. Nul ne sait encore où cela la conduira, mais le moment n’est pas à l’inquiétude et au scepticisme. On ne peut que se réjouir de ce qui vient de se passer parce que ce que l’Egypte vivait depuis des années, c’était une implosion, c’est-à-dire une explosion silencieuse et tournée vers elle-même. Une implosion alimentée par le chômage, la pauvreté, des injustices de plus en plus insupportables, un Etat-policier sorti d’un autre âge.
A ceux qui ont peur du changement, il suffit de rappeler les conséquences du statu quo: des tensions interconfessionnelles de plus en plus graves, une radicalisation de la frange jihadiste du mouvement islamiste, une méfiance de la population envers son propre Etat, le règne du chacun pour soi et l’absence de respect des lois et du vivre-ensemble. Seuls ceux qui n’ont jamais dépassé le lobby de leur hôtel de luxe ne le voient pas. Seuls ceux qui ne parlent qu’à une élite cooptée ne le comprennent pas. L’Egypte était en danger et elle se porte mieux ce soir qu’il y a un mois.
Cet immobilisme déprimant avait gagné aussi le seul véritable atout de Hosni Moubarak: sa capacité d’intermédiaire entre Israël et les Arabes. De plus en plus traitée comme quantité négligeable par Israël, ignorée par les Etats-Unis au moment d’envahir l’Irak, l’Egypte de Moubarak est devenue, non plus un partenaire, mais un subalterne occidental au Proche-Orient, voire un garde-chiourme quand il s’agit de participer au blocus de Gaza. Cela aussi a contribué à l’exaspération — voire plus — de nombre d’Egyptiens.
Le fait que moins de trois semaines de manifestations aient complètement emporté le régime Moubarak en dit long sur son absence d’enracinement et de pérennité. Cela en dit long aussi sur l’émergence d’une nouvelle Egypte: diverse, plurielle, concernée, pacifique et décidée. Une Egypte citoyenne faite d’individus qui s’accordent sur l’essentiel tout en respectant les différences.
Il a été dit que l’Egypte n’avait pas une classe moyenne éduquée suffisante, comme c’est le cas de la Tunisie, pour pouvoir basculer dans un processus véritablement révolutionnaire: c’était faux. Par son poids démographique, la vitalité de sa société, sa production culturelle et — évidemment — sa position géostratégique, aux portes d’Israël et de Gaza, l’Egypte reprend aujourd’hui, vis-à-vis du monde arabe, valeur de modèle et de référence.
C’est une bonne nouvelle, et pour l’Egypte et pour le monde arabe. Une bonne nouvelle aussi pour Israël et les Etats-Unis, qui seront peut-être plus enclins à écouter et à tenir compte des voix qui viennent du Caire. Surtout si elles émanent d’une véritable démocratie et non plus d’une autocratie payée pour se taire.
Après avoir participé à la grande soirée parisienne en solidarité avec la Tunisie à l’Elysée Montmartre, le jeune percussionniste et compositeur tunisien Imed Alibi a insufflé sa volonté de débattre à Montpellier. » J’étais en Tunisie mi-décembre en tournée avec Amel Mathlouthi. Juste après un concert à Sfax je suis rentré voir ma famille à Asidi Bouzid. Il y régnait un sentiment d’injustice très fort après la tragédie Bouazizi*. C’est là que tout a commencé. A la différence des revendications de Gafsa en 2008 qui ont été étouffées par le régime, on sentait que cette fois, le peuple irait jusqu’au bout. «
Concert traditionnel
Les événements qui ont suivi ont montré la puissance de cette volonté. Et ce qui paraissait impensable est arrivé, provocant la fuite du dictateur Ben Ali face au surgissement d’une révolution démocratique et sociale. La soirée de dimanche à La Laiteriese proposait d’interroger ce que cet événement réveille en nous. Le débat très participatif a été suivi d’un concert traditionnel du trio Nainawa. » C’est une initiative spontanée, citoyenne et apolitique issue de la société civile « , explique Imed Alibi. L’info diffusée via Facebook a réuni une cinquantaine de ses compatriotes auxquels s’ajoutait un public avide de connaissances sur la transition majeure qui se profile au Maghreb et dans le monde arabe.
L’Europe endormie
Pour faire face à ce questionnement, un plateau d’universitaires de choix répond à chaud à cette invitation. Parmi lesquels, l’ex-président de l’université Paul Valéry, Jean-Marie Miossec qui tire d’entrée le constat du silence assourdissant qui pèse en France et en Europe sur cette question. Sans s’attarder sur les effets particulièrement contre-productifs de la diplomatie française, le géographe évoque le raté complet de la diplomatie de L’UE. » L’Europe semble plongée dans le sommeil des mille et une nuits. Il a fallu attendre un mois avant quela responsable des affaires étrangères de l’UE, Catherine Ashton, évoque le sujet en publiant un communiqué dont le contenu apparaît vide de sens. Alors que dès le début des événements, le président Obama s’est saisi du dossier qu’il a suivi au jour le jour en assurant clairement son soutien au peuple tunisien. « Le second constat de Jean-Marie Miossec pointe l’absence d’intervention des intellectuels, hormis les sempiternelles thèses qui prônent la nécessité d’un régime fort pour faire barrage aux Islamistes, ou les craintes exprimées que l’équilibre en faveur de certains ne soit modifié. » Un certain nombre d’intellectuels ne peuvent concevoir que le flambeau de la démocratie soit dans les mains du monde arabe. «
L’économie aux enchères
Fonctionnaire au ministère des Finances et chargé de mission auprès de l’UE, Mourad Kelnissi dresse pour sa part un panorama optimiste de l’économie tunisienne. » Le taux d’endettement du pays qui est de 47%, se situe en dessous des standards de l’UE. Le pays dispose d’un système bancaire efficace et les hauts fonctionnaires du ministère desFinances sont compétents et peu corrompus. » Selon Mourad Kelnissi, les dérives proviennent directement du pouvoir politique. « La finance publique a été détricotée par morceaux. On a maquillé les finances en créant des comptes bancaires qui échappent à tout contrôle. Le ratio de solvabilité d’une partie des banques pose des problèmes qui sont liés à des prêts à découvert effectués au profit des familles proches du clan Ben Ali. Pour s’en sortir les banques couvraient leurs risques sur les PME-PMI. » Et l’expert de conclure : « La révolution n’est pas finie.Une bonne partie de l’économie tunisienne va être mise aux enchères. On peut s’attendre au retour des investisseurs qui s’étaient éloignés à cause des dérives du pouvoir »
L’universalisation
Après le volet diplomatique et économique, le dernier éclairage de la soirée est revenu au philosophe Salim Mokaddem pour aborder ce qui s’est amorcé avec la révolte tunisienne à travers l’analyse des liens peuple/pouvoir/liberté. Le rôle majeur des réseaux sociaux venant rappeler opportunément que » la liberté n’est pas un concept national qui s’arrête aux frontières « . Dès lors, les valeurs morales qui fondent les régimes démocratiques sont également à questionner. « Est-ce que ce sont les Etats qui protègent les peuples ou les peuples qui protègent les peuples ? » interroge Salim Mokaddem qui nous invite à penser l’événement dans notre propre rapport à la démocratie. « L’acte déclencheur de Mohammed Bouazizi nous renvoie à la dignité. On ne peut plus continuer à vivre en le faisant comme des animaux (…) L’indifférence meurtrière nous plongerait dans des régressions amnésiques (…) Qu’est-ce qui se passe d’inédit qui nous concerne ici ? » Autant de questions qui doivent faire leur chemin pour rendre pertinente l’universalisation possible du fait tunisien dont l’onde de choc se poursuit…
Jean-Marie Dinh (L’Hérault du Jour)
* Mohammed Bouazizi un jeune surdiplômé qui vendait des légumes pour subvenir aux besoins des siens s’est immolé par le feu le 17 décembre pour protester contre la confiscation de sa marchandise.
De violents incidents — filmés en direct par les télévisions en continu — ont éclaté jeudi en milieu d’après-midi à Londres entre policiers et manifestants mobilisés contre la hausse des droits d’entrée à l’université, faisant plusieurs blessés de part et d’autres, selon les reporters de l’AFP et la police. Scotland Yard a annoncé dans un communiqué que deux officiers avaient été blessés, dont un grièvement au niveau de la nuque après avoir été frappé. Le deuxième homme appartenant à la police montée a été hospitalisé avec des blessures aux jambes. Selon des témoins, il est tombé de sa monture qui l’a piétiné, après une charge. Par ailleurs, plusieurs étudiants sont sortis d’échauffourées le visage ensanglanté, après une intervention des policiers armés de matraques qui tentaient d’empêcher les manifestants de gagner le Parlement où les députés débattaient d’un projet de loi sur les frais d’inscription à l’université.
« Fuck the police »
Avant d’être évacué pour subir des soins, Julyan Phillips, 23 ans, étudiant au Goldsmiths College de Londres, a déclaré à l’AFP, le crâne en sang: «J’étais sur la ligne de front, j’ai marché jusqu’au cordon de police, mains derrière le dos, pour leur expliquer que leur encerclement était amoral et inhumain». «Des types poussaient des barrières métalliques tout à côté, mais un policier a préféré me taper sur la tête», a-t-il ajouté. Des manifestants ont tenté en vain de renverser des barrières placées autour du Parlement. D’autres ont peint des slogans «policiers enc….» et «éducation pour les masses» sur la statue de l’ancien Premier ministre conservateur et chef de guerre Winston Churchill, située en face de la Chambre des Communes. Plusieurs fumigènes ont été lancés depuis les rangs des manifestants en direction de la police, qui avait du mal à contenir la foule. De nombreux étudiants brandissaient des pancartes demandant: «Supprimez les frais universitaires et les coupes budgétaires».
Mise en garde
Des milliers de personnes participaient à cette manifestation estudiantine, la quatrième organisée à Londres en un peu plus d’un mois. Les forces de l’ordre avaient mis en garde contre une répétition des violences survenues en marge de précédentes mobilisations estudiantines. Les députés doivent voter en fin d’après-midi le projet gouvernemental visant à relever le plafonnement des droits d’entrée à l’université, qui seraient portés d’ici 2012 de 3.290 livres (près de 4.000 euros) à 9.000 livres par an, «dans des circonstances exceptionnelles».
Les débats parlementaires étaient houleux, les libéraux-démocrates, partenaires clefs de la coalition gouvernementale aux côtés des conservateurs, faisant face à une rébellion de leur base.