Le rabbin Ovadia Yossef, décédé lundi à l’âge de 93 ans, est l’une des personnalités les plus influentes de la vie politique, religieuse et sociale d’Israël depuis des décennies.
Fondateur et chef spirituel du Shass, un parti ultra-orthodoxe sépharade, il a été pendant près de 30 ans « le faiseur de rois » de nombreux gouvernements.
Sur le plan religieux, ce dignitaire charismatique a redonné un sentiment de fierté aux sépharades, les juifs orientaux qui représentent environ la moitié de la population, longtemps en butte aux discriminations de la part de l’establishment ashkénaze, originaire d’Europe de l’Est, y compris dans le monde ultra-orthodoxe.
Né à Bagdad en 1920, il émigre en Palestine sous mandat britannique avec sa famille à l’âge de 4 ans. Rabbin à 20 ans, il est envoyé en 1947 au Caire où il va diriger le tribunal rabbinique jusqu’en 1950, deux ans après la création d’Israël.
Nommé grand rabbin de Tel-Aviv en 1968, il se consacre aussi à l’écriture d’ouvrages de jurisprudence religieuse, devenant l’une des plus importantes autorités contemporaines, respecté par l’ensemble des communautés juives dans le monde.
Auteur prolifique de 39 livres, il reçoit en 1970 le Prix d’Israël pour l’ensemble de son œuvre.Trois ans plus tard, il est élu pour un mandat de dix ans grand rabbin sépharade d’Israël.
Réputé pour sa mémoire phénoménale, il a une approche relativement libérale en matière religieuse. Il a ainsi autorisé à des épouses de soldats tués durant la Guerre de Kippour en 1973 et dont les corps n’ont pas été retrouvés de se remarier et a reconnu la judaïté des Juifs éthiopiens que d’autres rabbins contestaient.
En 1984, il soutient la création d’un parti politique sépharade ultra-orthodoxe, le Shass, qui réalise très vite une percée. Ce parti, dont il devient le chef spirituel, a obtenu jusqu’à 17 sièges sur 120 au Parlement. Le Shass a été associé au pouvoir quasiment sans interruption. Il a été partie prenante de toutes les grandes décisions politiques des 30 dernières années.
Langage cru
En 1993, il s’est attiré les foudres de la droite nationaliste lors de la signature des accords israélo-palestiniens d’Oslo en s’abstenant lors d’un vote au Parlement. A l’époque, le rabbin Yossef émet un avis disposant que la « vie est plus importante que les Territoires » palestiniens, autrement dit admettant l’idée de concessions territoriale en échange de la paix.
Il a ensuite eu toutefois tendance à adopter des positions de plus en plus dures, sous la pression de sa base très à droite.Personnage haut en couleur, le rabbin Yossef a souvent défrayé la chronique lors de ses prêches hebdomadaires, utilisant souvent un langage assez cru.
Il a fait scandale en soutenant que les victimes de la Shoah étaient des âmes de pécheurs réincarnées qui expiaient ainsi leurs fautes et leur éloignement de la Torah, tout en affublant ses adversaires politiques de divers noms d’oiseaux, ou en vouant les Arabes aux gémonies.
« Ils pullulent dans la Vieille ville de Jérusalem comme des fourmis, qu’ils aillent au diable et le Messie les expédiera en enfer », a-t-il lancé en allusion aux Arabes devant ses ouailles dans une synagogue de Jérusalem en 2001.
Malgré son état de santé vacillant, il continuait de recevoir chez lui les hommes politiques de tous bords, notamment le président Shimon Peres et le Premier ministre Benjamin Netanyahu – à qui il administrait une claque amicale, un traitement réservé à ceux qu’il appréciait. En 2012, il avait envoyé une lettre à l’ex-président égyptien Hosni Moubarak l’assurant qu’il priait pour sa santé.
Il était le père de 11 enfants, dont l’actuel grand rabbin sépharade d’Israël, Yitzhak Yossef.
Sa disparition risque, selon les médias, de déclencher une guerre de succession dans un parti divisé par les ambitions personnelles.
Source AFP 07/10/2013
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Le président égyptien Hosni Moubarak, 82 ans, a quitté ses fonctions et remis le pouvoir à l’armée vendredi, après 18 jours de contestation populaire, provoquant une explosion de joie dans le pays sur lequel il régnait depuis trois décennies.
« Compte tenu des conditions difficiles que traverse le pays, le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d’abandonner le poste de président de la République et chargé le conseil suprême des forces armées de gérer les affaires du pays », a déclaré le vice-président Omar Souleimane dans une brève allocution télévisée.
Cette annonce est intervenue alors que plus d’un million de personnes manifestaient contre le raïs à travers l’Egypte. Les centaines de milliers de manifestants réunis place Tahrir au Caire ont explosé de joie à l’annonce de la démission du président, au pouvoir depuis 1981, ont constaté les journalistes de l’AFP sur place.
« Le peuple a fait tomber le régime! Le peuple a fait tomber le régime! », scandait une foule en délire sur cette place devenue symbole du mouvement de contestation déclenché le 25 janvier et qui a fait au moins 300 morts, selon l’ONU et Human Rights Watch.
Les manifestants hurlaient de joie et agitaient des drapeaux égyptiens. Certaines personnes se sont évanouies sous le coup de l’émotion. « Je pleure parce que je suis heureuse », a lancé une manifestante, Loubna Darwiche, 24 ans, tout en tempérant: « il reste beaucoup à faire ». « Le peuple doit contrôler cela. Nous aimons l’armée mais c’est le peuple qui a mené cette révolution et c’est lui qui doit la contrôler ».
« Félicitations à l’Egypte, le criminel a quitté le palais », a souligné sur son compte Twitter Waël Ghonim, un cybermilitant devenu icône du soulèvement en Egypte.
Un peu plus tôt, le Parti national démocrate (PND) de M. Moubarak avait indiqué que le chef de l’Etat avait quitté Le Caire pour la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, où il dispose d’une résidence.
Au 18e jour de la mobilisation populaire, un million de personnes avaient manifesté au Caire, selon un responsable de la sécurité, tandis qu’elles étaient entre 400.000 et 500.000 à Alexandrie, selon un photographe de l’AFP.
Ailleurs dans le monde, des explosions de joie ont notamment eu lieu à Gaza et Tunis, où un mouvement de contestation similaire avait provoqué la chute le 14 janvier du président Zine El Abidine Ben Ali.
« C’est formidable! Deux dictateurs sont tombés en moins d’un mois! », exultait Nourredine, un étudiant de 23 ans, dans un concert assourdissant de klaxons, tandis que son copain Ahmed se demandait: « A qui le tour maintenant? »
Le vice-président américain Joe Biden a salué « un jour historique » en Egypte.
La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton s’est félicitée de son côté que M. Moubarak ait « écouté la voix du peuple égyptien, » ouvrant ainsi la voie à des « réformes plus rapides et plus profondes ».
Pour sa part, Israël espère que la période de transition qui s’ouvre en Egypte se fera « sans secousse », a affirmé à l’AFP un responsable gouvernemental.
La chancelière allemande Angela Merkel a dit attendre de l’Egypte qu’elle respecte son traité de paix avec Israël.
Alors que les manifestations se déroulaient le plus souvent dans le calme depuis le 3 février, une personne a été tuée et 20 blessées vendredi lors de heurts à Al-Arich, dans le Sinaï égyptien, entre manifestants et policiers, selon un responsable des services de sécurité.
Le manifestant a été tué lors d’un échange de tirs entre policiers et protestataires qui tentaient de libérer des détenus dans un poste de police. Selon des témoins, un millier de manifestants ont lancé des bombes incendiaires sur le poste de police et mis le feu à des véhicules.
Jeudi soir, M. Moubarak avait annoncé qu’il déléguait ses prérogatives au vice-président Souleimane, mais qu’il restait de droit président jusqu’à la fin de son mandat en septembre, une annonce qui avait provoqué la colère des manifestants qui réclamaient son départ immédiat.
M. Moubarak avait aussi annoncé l’amendement de cinq articles controversés de la Constitution concernant la présidentielle. Mais il conservait encore de larges pouvoirs constitutionnels, et restait le seul à pouvoir dissoudre le Parlement et limoger le gouvernement, en vertu de l’article 82. Cela n’est désormais plus le cas.
L’armée égyptienne, colonne vertébrale du régime, s’était portée « garante » dans la matinée des réformes promises par M. Moubarak, en soulignant « la nécessité d’un retour à la vie normale ».
Le conseil suprême des forces armées avait assuré qu’il garantirait « une élection présidentielle libre et transparente à la lumière des amendements constitutionnels décidés » et promis de mettre fin à l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, « dès la fin des conditions actuelles ».
La foule avait réagi avec dépit aux annonces de l’armée: « Armée il faut faire un choix, le régime ou le peuple! », criaient des protestaires.
Le Caire redevient un modèle pour le monde Arabe
Les Egyptiens ont pour habitude de surnommer leur pays — et leur capitale tout à la fois — Oum al-dounia: la mère du monde. C’est ce que l’Egypte est redevenue ce soir, en menant une révolution populaire et pacifique. Une révolution unique, il faut le préciser, dans l’histoire égyptienne. Celle de 1919 visait l’occupation britannique, celle de 1952, menée par les «officiers libres», était en fait un coup d’Etat. Il sera toujours temps demain de voir si cette révolution sera confisquée, dévoyée ou accaparée par l’armée, les islamistes ou qui que ce soit d’autre. L’heure est aux réjouissances et ne boudons pas notre plaisir…
Après trois décennies d’immobilisme, de stagnation et de répression, l’Egypte bouge à nouveau. Nul ne sait encore où cela la conduira, mais le moment n’est pas à l’inquiétude et au scepticisme. On ne peut que se réjouir de ce qui vient de se passer parce que ce que l’Egypte vivait depuis des années, c’était une implosion, c’est-à-dire une explosion silencieuse et tournée vers elle-même. Une implosion alimentée par le chômage, la pauvreté, des injustices de plus en plus insupportables, un Etat-policier sorti d’un autre âge.
A ceux qui ont peur du changement, il suffit de rappeler les conséquences du statu quo: des tensions interconfessionnelles de plus en plus graves, une radicalisation de la frange jihadiste du mouvement islamiste, une méfiance de la population envers son propre Etat, le règne du chacun pour soi et l’absence de respect des lois et du vivre-ensemble. Seuls ceux qui n’ont jamais dépassé le lobby de leur hôtel de luxe ne le voient pas. Seuls ceux qui ne parlent qu’à une élite cooptée ne le comprennent pas. L’Egypte était en danger et elle se porte mieux ce soir qu’il y a un mois.
Cet immobilisme déprimant avait gagné aussi le seul véritable atout de Hosni Moubarak: sa capacité d’intermédiaire entre Israël et les Arabes. De plus en plus traitée comme quantité négligeable par Israël, ignorée par les Etats-Unis au moment d’envahir l’Irak, l’Egypte de Moubarak est devenue, non plus un partenaire, mais un subalterne occidental au Proche-Orient, voire un garde-chiourme quand il s’agit de participer au blocus de Gaza. Cela aussi a contribué à l’exaspération — voire plus — de nombre d’Egyptiens.
Le fait que moins de trois semaines de manifestations aient complètement emporté le régime Moubarak en dit long sur son absence d’enracinement et de pérennité. Cela en dit long aussi sur l’émergence d’une nouvelle Egypte: diverse, plurielle, concernée, pacifique et décidée. Une Egypte citoyenne faite d’individus qui s’accordent sur l’essentiel tout en respectant les différences.
Il a été dit que l’Egypte n’avait pas une classe moyenne éduquée suffisante, comme c’est le cas de la Tunisie, pour pouvoir basculer dans un processus véritablement révolutionnaire: c’était faux. Par son poids démographique, la vitalité de sa société, sa production culturelle et — évidemment — sa position géostratégique, aux portes d’Israël et de Gaza, l’Egypte reprend aujourd’hui, vis-à-vis du monde arabe, valeur de modèle et de référence.
C’est une bonne nouvelle, et pour l’Egypte et pour le monde arabe. Une bonne nouvelle aussi pour Israël et les Etats-Unis, qui seront peut-être plus enclins à écouter et à tenir compte des voix qui viennent du Caire. Surtout si elles émanent d’une véritable démocratie et non plus d’une autocratie payée pour se taire.
C’est désormais l’armée qui tient entre ses mains l’avenir de l’Egypte. Descendue en force dans les rues du Caire, elle a complètement remplacé la police, honnie de la population, responsable de plus d’une centaine de morts en six jours et totalement débordée par les événements. Que vont faire les militaires, qui jouissent encore de la sympathie de la population, mais sont aussi les piliers d’un régime qui les a couverts de privilèges ? C’est désormais la question centrale des heures et jours à venir.
«Blanc-bec». Très affaibli par une contestation violente et concentrée sur sa personne, Hosni Moubarak a dû se résoudre, ce week-end, à se tourner vers la «grande muette», dont il est issu, comme tous les chefs d’Etat en Egypte depuis 1954. Il a donc pratiqué une manœuvre audacieuse bien que peut-être trop tardive : l’autocoup d’Etat. Après avoir annoncé la démission du gouvernement, vendredi soir, le raïs a nommé samedi après-midi deux haut gradés – respectivement Omar Souleiman vice-président et Ahmed Chafik Premier ministre (voir ci-dessous) – pour reprendre la situation en main. Ce faisant, il met définitivement fin aux ambitions dynastiques de son fils cadet Gamal Moubarak, un jeune homme d’affaires, poussé par sa mère Suzanne et entouré d’affairistes détestés d’une population épuisée par l’inflation et le chômage. Progressivement, Gamal Moubarak avait pris le contrôle du Parti national-démocrate (PND, au pouvoir), suscitant le mécontentement d’une partie des caciques du pouvoir. Il avait aussi fait nommer un proche au poste de Premier ministre, Ahmed Nazif, présenté comme un technocrate réformiste, qui n’a ni gouverné efficacement ni réformé. Les militaires non plus ne voyaient pas d’un bon œil l’ascension de ce «blanc-bec» n’ayant même pas terminé son service militaire. Exit Nazif et Gamal Moubarak donc, représentants d’une bourgeoisie libérale et pro-occidentale. C’est d’ailleurs cette dernière qui a lancé la contestation du régime via Facebook…
Contraint ou de son propre chef, Moubarak vient d’opérer un retour aux fondamentaux. La police discréditée, le parti attaqué par les manifestants, il ne lui restait plus que l’armée comme soutien. Reste à savoir si cela suffira à le remettre en selle. La solution de la répression massive paraît écartée. Les soldats qui se sont déployés – des militaires d’active et non pas des conscrits – ont volontiers fraternisé avec les manifestants, comme le fait remarquer l’intellectuel Mahmoud Hussein: «Le message est clair, ils ne tireront pas», assure-t-il, malgré les démonstrations de force comme le passage à basse altitude d’hélicoptères et de chasseurs F-16, probablement destiné à effrayer les habitants du Caire.
La popularité de l’armée égyptienne repose en fait sur une immense ambiguïté. Elle est perçue par l’opinion comme une institution «propre», exempte des magouilles des hommes d’affaires qui gravitent dans l’entourage de Gamal Moubarak. Dans la réalité, l’armée égyptienne est – grassement – payée pour ne pas se battre. «C’est le deal passé au moment des accords de paix de Camp David avec Israël, en 1979», explique une source diplomatique connaissant bien l’Egypte. En échange de sa passivité face à l’Etat hébreu, l’armée égyptienne reçoit, depuis trente ans, un milliard de dollars par an des Etats-Unis. Cet argent lui a permis de s’équiper et de développer un complexe militaro-industriel qui lui rapporte beaucoup d’argent et assure une aisance certaine aux officiers, qui jouissent d’avantages non négligeables. L’armée égyptienne est en effet le premier producteur de pain du pays…
La «grande muette» n’a donc aucun intérêt à une démocratisation véritable ou à un changement du système. Mais participer à la répression lui ferait perdre la légitimité et le prestige dont elle jouit. Elle marche donc sur la corde raide. D’autant que, Souleiman et Chafik, jugés tous deux trop proches de Moubarak, risquent de ne pas incarner une vraie rupture…
Mesures fortes. Malgré la diminution du nombre de manifestants, hier, Moubarak est plus que jamais l’objet du ressentiment populaire. Tel le pharaon tout-puissant, il incarne tous les maux du pays : l’absence de démocratie, de projet politique et économique, la brutalité d’une police qui recourt à la torture et l’arbitraire, l’état d’urgence en place depuis son arrivée au pouvoir il y a vingt-neuf ans… Il y a de fortes chances que les manifestations ne cessent pas tant que le raïs ne partira pas ou n’annoncera pas des mesures fortes comme la suppression de l’état d’urgence, l’annulation des législatives de novembre, entachées de fraude massive, voire une élection présidentielle anticipée et réellement ouverte. Sinon, l’armée égyptienne, qui ne voudra pas couler avec le raïs, pourrait finir par le débarquer, malgré sa tradition légitimiste.
Christophe Ayad
Ahmed Chafik, un képi Premier ministre
Le nouveau Premier ministre est l’une des rares personnalités du gouvernement sortant à pouvoir se targuer d’un bilan plutôt positif. Cet ancien général de l’armée de l’air, 69 ans, qui fut major de l’aviation entre 1996 et 2002, est une personnalité respectée y compris dans les rangs de l’opposition. De nombreux analystes avaient évoqué son nom pour éventuellement succéder au président Moubarak en cas de vacance du pouvoir. Né en 1941 dans une famille cairote il a suivi le cursus typique de nombreux officiers de l’armée de l’air et avait un moment servi sous les ordres d’Hosni Moubarak. C’est un technocrate qui dispose de très bonnes entrées à Washington, au point d’être appelé parfois le «candidat des Américains», mais aussi à Paris où il a été plusieurs années en formation. Il bénéficierait de la confiance de l’armée tout en rassurant la vieille garde du Parti national démocrate au pouvoir et pilier du régime.
Deux manifestants ont été tués lors de heurts avec la police mardi à Suez (nord de l’Egypte), et un policier est mort des suites de blessures au Caire, selon des sources médicales et sécuritaires. Les deux manifestants de Suez sont décédés après heurts marqués par des jets de pierres contre la police, qui a répliqué avec de tirs de gaz lacrymogènes, selon des sources médicales et de sécurité.
Le policier au Caire a succombé après avoir été battu par des manifestants lors d’un rassemblement dans le centre ville, selon la sécurité égyptienne. Des milliers de personnes ont défilé mardi à travers toute l’Egypte pour demander le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trois décennies, prenant exemple sur les manifestations tunisiennes qui ont provoqué le départ précipité du président Zine El Abidine Ben Ali.
«Moubarak dégage», ont scandé sans précaution de langage des milliers d’Egyptiens venus exprimer leur ras-le-bol d’un régime devenu pour eux synonyme de pauvreté et de répression. Parmi la foule sur la grande place Tahrir, au centre du Caire, Ibrahim, un juriste de 21 ans, ne mâche pas ses mots: «nous avons un régime corrompu qui veut poursuivre l’oppression sans fin».
Ahmed, un avocat de 28 ans, a lui aussi suivi avec passion la fuite sous la pression populaire du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, après 23 ans de pouvoir, contre presque 30 pour Hosni Moubarak. «Nous devons aujourd’hui nous tenir debout comme des hommes, enfin», affirme-t-il. Mohamed, un technicien informatique, renchérit; «moi aussi, je suis venu parce qu’il faut renverser ce régime», assure-t-il.
«Moubarak dégage, tu es injuste, tu nous affames, tu nous tortures dans tes commissariats, tu es un agent des Américains», lançait une mère de famille venue manifester dans le quartier de Mohandessine, dans l’ouest du Caire, un drapeau égyptien à la main. D’autres manifestants prenaient d’assaut les caméras des télévisions étrangères avec le même mot à la bouche ou sur des pancartes: «dégage». Ailleurs, ce sont les slogans tunisiens qui ont fait mouche, comme «Pain, Liberté, Dignité».
Le départ de Ben Ali alimente aussi les «nokta», les blagues politiques dont les Egyptiens sont friands, du genre: Ben Ali appelle Moubarak depuis l’avion à bord duquel il part en exil pour Djeddah, en Arabie saoudite: «Allo Hosni, regarde ce qu’ils m’ont fait. Tu peux m’héberger cette nuit»? Moubarak répond: «Bien sûr que non. Tu es cinglé? Regarde dans quel pétrin tu nous a tous mis. Vas en Arabie Saoudite, et dis-leur que je pourrais bien faire un pèlerinage anticipé cette année».
Environ 15.000 personnes ont manifesté dans plusieurs quartiers du Caire, notamment aux abords des bâtiments officiels du centre-ville, selon les services de sécurité. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour tenter de disperser les manifestants. Selon des spécialistes, ces manifestations anti-gouvernementales sont les plus importantes depuis les émeutes de 1977 provoquées par une hausse du prix du pain.
Les silences et les non-dits sont parfois plus forts que le vacarme des mots. Au-delà de sa condamnation de l’attentat d’Alexandrie, dans une allocution télévisée aussi inhabituelle que grave, le président Hosni Moubarak n’a pas jugé bon de décréter un deuil national à la mémoire des 21 victimes. Ce «détail», qui n’a pas échappé à la communauté copte (lire ci-contre), est vécu comme une preuve supplémentaire que l’Etat la traite comme un corps étranger au sein de la société. Autre motif de colère des chrétiens : le raïs, dans son allocution, s’est refusé à reconnaître toute spécificité chrétienne à l’attentat, qui aurait visé, selon lui, «le pays tout entier et non une communauté en particulier».
Un tel déni de réalité n’est pas une surprise pour tous ceux qui s’intéressent à l’Egypte, ce géant malade du monde arabe. Mais la plupart des touristes, qui découvrent souvent l’existence d’une communauté chrétienne une fois sur place, se voient servir le discours lénifiant sur l’Egypte éternelle et son indéfectible «unité nationale», défendue par un régime «modéré» adepte d’un islam «tolérant». Le plus étonnant, c’est que même les chancelleries occidentales continuent de faire semblant de croire à cette fiction, probablement au nom de la préservation des accords de paix avec Israël signés à la fin des années 70 par Anouar al-Sadate. Ce qui lui coûta la vie en octobre 1981, déjà dans un contexte de fortes tensions communautaires…
Entrave. Mais c’est ce même Sadate qui a initié une politique d’islamisation de la société afin d’en finir avec les restes de la gauche nassérienne. C’est lui qui, se faisant appeler «le président de la science et de la foi», a élargi les Frères musulmans alors en prison. Lui qui a cru bien faire en allégeant la taxe foncière des immeubles dans lesquels un local était réservé à une salle de prière. D’où l’explosion des zawiya, dirigées par des imams autoproclamés. Cette multiplication des lieux de culte musulmans se double d’une politique d’entrave draconienne à la construction d’églises. La communauté copte étant travaillée par le même mouvement de réveil religieux que les musulmans, elle vit ces limitations comme une injustice.
Après l’assassinat de Sadate – par un commando islamiste -, Moubarak a continué sur la même voie, alimentant le feu qu’il cherchait à éteindre. Pour montrer qu’il était inattaquable sur le chapitre de la bigoterie, il décréta l’interruption des programmes télévisés cinq fois par jour pour la prière. Il laissa Egyptair bannir l’alcool de ses menus, etc. Autant de petits symboles qui, mis bout à bout, ont contribué à polariser la société sur la question religieuse.
Prêches. Un nouveau coup d’accélérateur fut donné après 2006, suite à la percée électorale des Frères musulmans, la hantise du régime. Pour faire pièce à leur islamisme politique, les autorités ont encouragé le salafisme, variante ultrarigoriste de l’islam sunnite qui a l’avantage de prôner le quiétisme politique, c’est-à-dire le retrait des affaires du monde. Un calcul à courte vue car, dans sa version la plus extrême, le salafisme débouche sur le jihadisme, qui encourage la lutte armée contre les régimes impies et tous ceux considérés comme des infidèles (chrétiens, chiites, etc).
Dès lors, rien ne sert à l’Etat de tenter de contrôler les prêches dans les mosquées, alors même que l’islam d’Etat est gangrené par l’intégrisme le plus rétrograde. L’université d’Al-Azhar, dont le grand imam est nommé par décret présidentiel, n’a eu de cesse, ces dernières décennies, de vouloir s’arroger un pouvoir de censure sur la production culturelle et éducative de l’Etat.
Cette crispation touche l’ensemble de la société. Une grande partie de la presse, les journaux officiels en tête, fait ses choux gras depuis six mois sur le sort supposé de chrétiennes converties à l’islam et retenues de force dans des monastères. La communauté copte n’est pas en reste : chauffée à blanc par des chaînes satellitaires proches de la droite chrétienne américaine, elle bruisse de récits invérifiables de chrétiennes kidnappées et converties de force à l’islam.
En ciblant les coptes, les terroristes ont frappé le point le plus sensible de la société égyptienne. Ils savent qu’en cas d’affrontements interconfessionnels, les autorités sont incapables de stopper l’incendie. La police laisse faire quand elle ne prend pas cause pour la foule musulmane, comme ce fut le cas lors du pogrom antichrétien de Zawiya al-Hamra, dans la banlieue du Caire, lors de l’été 1981. Trois décennies plus tard, l’Egypte est plus que jamais un pays divisé, en crise et en proie à une interminable fin de règne…