Des milliers de personnes rassemblées sur la Puerta del Sol à Madrid ont accueilli vendredi à minuit soir par un « cri muet » l’interdiction de manifester, observant aux 12 coups de l’horloge une minute de silence symbolique, des rubans de scotch collés sur la bouche.
A minuit pile, un silence impressionnant s’est abattu pendant quelques secondes sur la grande place en plein coeur de la capitale espagnole, bondée tout comme les rues alentour. Les manifestants, qui depuis mardi occupent les lieux où ils ont planté un village de tentes et de bâches, ont ainsi accueilli la trêve qui interdit tout rassemblement politique à la veille des élections locales. Puis, très vite, les cris ont repris, sur fond de percussions: « maintenant nous sommes tous illégaux », hurlait la foule, estimée à 19.000 personnes selon un décompte établi pour l’agence espagnole Efe par une société spécialisée. La présence policière restait discrète, avec seulement quelques voitures de police garées dans les rues voisines.
Les organisateurs du mouvement, né en début de semaine pour dénoncer le chômage et les retombées de la crise économique, avaient prévenu qu’ils étaient prets à braver l’interdiction. « Nous allons rester sur la place. Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un mouvement citoyen », avait expliqué vendredi matin Juan Lopez, chômeur de 30 ans et l’un des porte-parole du mouvement.
A deux jours des élections locales qui s’annoncent désastreuses pour les socialistes au pouvoir, le gouvernement, très embarrassé, a promis d’agir avec mesure tout en « appliquant la loi », qui impose le respect de la trêve électorale. Depuis mardi, ce mouvement spontané rassemble une mosaïque de jeunes mais aussi de citoyens de tous horizons et de tous âges, chômeurs, étudiants, retraités, salariés, qui ont pris possession de la place.
Inédit, coloré et pacifiste, le mouvement, au nom du « droit à s’indigner », se veut « apolitique » et dénonce pêle-mêle la mainmise des grands partis sur la vie politique espagnole, l’injustice sociale, la « corruption des politiciens ». Mais, surtout, il trahit la frustration de millions d’Espagnols face au chômage qui atteint un taux record de 21,19% et frappe près de la moitié des moins de 25 ans, aux coupes salariales, aux retombées de la crise économique.
La détermination des manifestants, à la veille du week-end électoral, place le gouvernement en position délicate, l’obligeant à choisir entre la méthode policière, très risquée, ou une souplesse qui ne manquerait pas de lui attirer des critiques. « Nous allons appliquer la loi pour garantir les droits et la liberté de l’ensemble des citoyens », a déclaré vendredi le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba. Le chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero a lui assuré que le gouvernement ferait preuve de « compréhension ».
Tout au long de la semaine, les manifestants se sont rassemblés chaque jour plus nombreux à la Puerta del Sol. Le mouvement, dans des proportions moindres, a gagné la plupart des villes d’Espagne. Et en quelques jours, il s’est structuré. Un camp de bâches en plastique montées sur des structures en bois et de tentes de camping a surgi sur la place, avec des « stands » dédiés à la cuisine, l’accueil, les soins médicaux, et aussi à la communication où de tout nouveaux « porte-parole » tentent d’affiner le message, parfois flou, des contestataires.
Dans la file d’attente devant le stand dédié à la signature de la pétition de soutien, Maria-Jesus Garcia, une fonctionnaire de 40 ans, racontait vendredi être venue « à cause du chômage. Surtout celui des jeunes ». « Je vais lire la pétition, et je vais signer », disait-elle. « Mais ils doivent continuer après les élections. S’ils s’arrêtent, cela n’aura servi à rien ».
AFP
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