Liberté d’in-expression : quand les États de l’Union européenne souhaitent sous-traiter la censure aux géants du web !

 Truthout.org/Flickr, CC BY-NC-SA

Truthout.org/Flickr, CC BY-NC-SA

Le texte européen le plus liberticide de cette décennie est en approche

Hors un certain nombre de pays qui se sont opposés à ce texte, le Conseil de l’Union européenne vient d’acter un projet de loi au parfum pour le moins désagréable pour ce qui concerne les libertés publiques. Poussé par la gouvernance actuelle française, ce texte – peu médiatisé – pourrait s’avérer l’un des coups les plus violents jamais portés à la liberté d’expression dans les pays « démocratiques » de l’Union européenne. Le débat autour de ce texte va maintenant se poursuivre au parlement européen.

Il convient de préciser que le 12 décembre 2018 un premier rapport sur la lutte antiterroriste a été adopté à une très large majorité : sur 661 votants, 474 ont voté en faveur de ce dernier tel qu’il a été amendé, 112 voix contre, 75 votants se sont abstenus. Cette adoption était prévisible. Il faut toutefois noter qu’elle s’est déroulée dans un contexte très particulier : au lendemain du terrible drame de Strasbourg à proximité du marché de Noël. Ce rapport sur « les observations et les recommandations de la commission spéciale sur le terrorisme » est dans la même ligne. Ce rapport désormais adopté est un marchepied qui vient appuyer le texte à venir, texte qui recommandera entre autres mesures la sous-traitance de la censure aux géants de l’Internet.

De quoi s’agit-il ?

Usant toujours de la même argumentation – a priori- louable : la lutte contre le terrorisme, ce texte – que vous retrouverez sous l’intitulé : « Règlement du Parlement Européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne » obligera tous les acteurs du Web à se soumettre aux outils de surveillance et de censure automatisés fournis par Facebook et Google. Quand la Quadrature du Net qui soulève le problème s’interroge : « Une loi européenne pour censurer les mouvements sociaux sur Internet ? » La réponse apparaît tristement contenue dans la question au regard des éléments exposés ci-après et des mouvements sociaux qui se déroulent en France depuis quelques semaines.

Nonobstant un projet réalisé dans un timing empêchant tout débat public, ces alliances contre-nature associant des géants du Net à des États dans l’exercice de la censure sont préoccupantes.

Pourquoi est-ce une dérive dangereuse ?

Si le règlement européen franchit ici un nouveau cap, c’est qu’au-delà d’une exigence de retrait dans l’heure sous peine de sanctions financières des prestataires, ce projet de loi prévoit d’intégrer également des « mesures proactives ».

Il s’agit donc d’avoir recours à de la censure automatique préventive ! Pour faire simple, cette censure serait alors paramétrée par les autorités concernées et les géants du web.

Voici ci-dessous quelques extraits de ce que propose ce projet de règlement en terme de mesures proactives (article 6). Un règlement que je vous encourage à lire attentivement et dans son ensemble (Bruxelles,le 7 décembre 2018 : Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne).

Mesures proactives 

  • Les fournisseurs de services d’hébergement prennent, selon le risque et le niveau d’exposition aux contenus à caractère terroriste, des mesures proactives pour protéger leurs services contre la diffusion de contenus à caractère terroriste. Ces mesures sont efficaces et proportionnées, compte tenu du risque et du niveau d’exposition aux contenus à caractère terroriste, des droits fondamentaux des utilisateurs et de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information dans une société ouverte et démocratique.
  • Lorsqu’elle a été informée conformément à l’article 4, paragraphe 9, l’autorité compétente* visée à l’article 17, paragraphe 1, point (c), demande au fournisseur de services d’hébergement de soumettre, dans les trois mois suivant la réception de la demande, et ensuite au moins une fois par an, un rapport sur les mesures proactives spécifiques qu’il a prises, y compris au moyen d’outils automatisés.

Lorsque il est évoqué la notion « d’autorité compétentes » qui seront habilitées à superviser ces mesures proactives elles sont « précisées » dans le point (37) :

« (37) Aux fins du présent règlement, les États membres devraient désigner des autorités compétentes. L’obligation de désigner des autorités compétentes n’impose pas nécessairement la création de nouvelles autorités ; il peut en effet s’agir d’organismes existants chargés des fonctions prévues par le présent règlement. Celui-ci exige la désignation d’autorités compétentes chargées d’émettre les injonctions de suppression et les signalements et de superviser les mesures proactives, ainsi que d’imposer des sanctions. Il appartient aux États membres de décider du nombre d’autorités qu’ils souhaitent désigner pour remplir ces tâches ».

De la contestation à la sédition… jusqu’au terrorisme : le poids des mots, le choc de la censure !

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, quand le ministre de l’Intérieur dénonce « les séditieux » parmi les gilets jaunes, on peut s’inquiéter fortement sur l’usage futur et dévoyé qui pourrait être fait par la gouvernance actuelle (et d’autres) d’une telle loi.

Les mots ont un sens, et les mots ne sont pas innocents ! Ils le sont d’autant moins lorsque l’on est aux responsabilités. Je rappelle donc qu’une sédition « est une forme d’émeute face à un pouvoir ou une autorité établie, dont le but ne serait pas uniquement de renverser les détenteurs d’une puissance, mais de rompre définitivement tout lien avec ce système ».

La problématique est que de « sédition » à « criminel » puis à « terroriste » il n’y a qu’un pas qui pourrait être vite franchi pour justifier une censure totalement outrancière en cas de mouvement social contestataire s’exprimant demain sur Internet.

Aussi, et au regard du type de qualificatif qui a été utilisé lors du mouvement de contestation sociale massif qui se déroule actuellement en France, que ce qualificatif soit supposé désigner quelques individus ou un collectif est en définitive peu important… Le mot a été lâché ! Il laisse sous-entendre que sous une telle loi un mouvement de contestation du type des « gilets jaunes » – en France comme ailleurs – pourrait être traité comme un mouvement potentiellement séditieux et de fait être censuré au plus tôt par les autorités et leurs nouveaux alliés de la censure.

Cela entraînerait ipso facto (par exemple) une impossibilité d’usage du Net pour l’organisation de rassemblements. Que ces rassemblements soient pacifiques ou non, ils pourraient être rapidement mis « dans le même panier » ! Le couperet de la censure pourrait alors s’abattre de façon généralisée et préventive pour “tuer dans l’œuf” ce type de mouvement contestataire. Il sera nécessaire et suffisant de s’appuyer sur les comportements de quelques illuminés réellement dangereux… pour brandir le terme sédition et co-actionner la censure algorithmique adaptée ! Pour le bien de la sécurité nationale, évidemment…

Enseignant Chercheur. Head of Development.

Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)

A suivre

Source : The Conversation 14 décembre 2018,

« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple ». (Bertolt Brecht)

 

La militante espagnole de l’aide aux migrants Helena Maleno jugée au Maroc : “Un moyen d’intimider les défenseurs des droits humains”

Capture d'écran d'un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d'information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Capture d’écran d’un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d’information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Le 31 janvier, la militante des droits humains et chercheuse espagnole Helena Maleno devait comparaître en justice au Maroc pour la deuxième fois, accusée de participation à un réseau de  traite des êtres humains du fait de son activité d’aide aux migrants qui se retrouvent à la dérive en Méditerranée.

Helena Maleno fait partie de l’organisation non gouvernementale Caminando Fronteras (Marcher les Frontières), qui défend les groupes de migrants surtout en provenance d’Afrique sub-saharienne. L’accusation portée contre elle est basée sur ses appels téléphoniques aux services de sauvetage maritime pour les alerter sur la présence de canots en perdition.

Les multiples organes de médias qui l’ont interviewée ces derniers jours soulignent souvent que Maleno a toujours son téléphone à la main, et reçoit constamment des appels de personnes en danger en mer. “Mon téléphone leur est accessible. Je ne sais pas qui sont la plupart des gens qui m’appellent. Ils se donnent mon numéro les uns aux autres et m’appellent quand il y a une urgence”, a dit Maleno au quotidien espagnol El País.

Les ennuis judiciaires de Maleno ont commencé en Espagne, où un tribunal a conclu en 2017 qu’ il n’y avait aucun caractère délictuel dans le travail de Maleno. En revanche, les autorités du Maroc, pays où elle a travaillé pendant 16 ans, a rouvert l’affaire en réponse à la plainte d’un service de la police espagnole appelé Unité centrale contre les réseaux d’immigration et de faux papiers (UCRIF, en espagnol), le même qui avait saisi la justice espagnole.

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la police espagnole a envoyé au Maroc un dossier où on m’accuse de trafic d’êtres humains, alors qu’un procureur en Espagne a déjà déclaré l’affaire close. Nous ne pouvons pas établir un précédent où l’on poursuit ceux qui font un travail humanitaire.

 

Criminaliser la migration et le travail humanitaire

La même inquiétude est partagée par les divers militants et organisations qui soutiennent le travail de Maleno, comme l’équipe de direction de la Fondation porCausa, un collectif de journalistes et de chercheurs dédié à représentation du phénomène migratoire dans les médias.

[…] la personnalisation d’une offensive politique comme celle qu’exécute le Maroc contre Helena Maleno est une façon d’intimider ceux qui veulent faire quelque chose de semblable. Cela affaiblira encore plus les déjà rares réseaux de protection des migrants utilisant cette route […] La possibilité que le Ministère de l’Intérieur espagnol — ou certains de ses agents — transfère au Maroc l’attaque qui n’a pas abouti ici [en Espagne] revêt une gravité si extraordinaire qu’elle doit être clarifiée au plus tôt.

[…] La frontière sud de l’Espagne est le théâtre de nombreuses illégalités, dont aucune n’est en relation avec l’activité de Maleno : renvois immédiats (sanctionnés par la Cour de Strasbourg), violation d’autres garanties de protection internationale, détentions arbitraires, maltraitance et mépris des droits des enfants, pour ne citer que les violations les plus criantes. S’embarquer dans un harcèlement aussi féroce des défenseurs des droits humains serait franchir un point de non-retour.

Les expulsions collectives, ou renvois imméediats, mentionnés ci-dessus font référence à l’expulsion sous la contrainte de migrants arrivés sur le sol espagnol, une pratique au mépris des protections établies par le droit international.

Le cas de Maleno n’a rien d’exceptionnel. Selon des signalements d’Amnesty International, José Palazón, le président de l’ONG Pro Derechos de la Infancia (Pour les droits de l’enfance), a été attaqué injustement par plusieurs organes de médias dans la ville de Melilla, une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, ainsi que par le Conseiller au Bien-être social. Les attaques verbales prétendaient disqualifier le travail de Palazón en prétendant qu’il ne s’agissait que d’une “bataille personnelle” ne bénéficiant à personne.

Ceci coïncide avec l’attitude générale de rejet des migrants arrivant en Europe qui se banalise à travers l’Union européenne, tandis que les périls demeurent pour ceux qui y cherchent refuge en traversant la Méditerranée : depuis le début de 2014, 14.000 personnes sont mortes en mer.

#DéfendreCeuxQuiDéfendent

Maleno a reçu un soutien résolu du monde entier, et les témoignages de solidarité sont visibles sur les médias sociaux.

Une pétition, créé sur la plate-forme Intermón d’Oxfam et diffusée sous le mot-clé #DefenderAQuienDefiende (#DéfendreCeuxQuiDéfendent), exige que le gouvernement espagnol intervienne pour aider Maleno.

Dans le même temps, en Espagne, les membres de plus de 20 organisations ont manifesté leur soutien dans les rues de Grenade :

Hier, par accionenred Granada [Action sur le net Grenade], avec plus de 20 organisations sociales et partis politiques, nous avons voulu montrer notre solidarité et soutien à Helena Maleno et au travail solidaire qu’elle effectue.

 

Avec leur système d’alerte, Maleno and Caminando Fronteras ont contribué au sauvetage de centaines de personnes qui se sont embarquées dans des conditions précaires pour des traversées incroyablement périlleuses. Maleno aide aussi à donner aux migrants une meilleure qualité de vie et se bat pour la reconnaissance de leurs droits humains de base.

Son activité de militante et sa dénonciation des injustices sociales ont valu à Maleno d’être distinguée par le Conseil général des avocats espagnols en 2015.

Le fondement du travail de Maleno et de Caminando Fronteras est aussi d’humaniser ceux qui s’embarquent pour l’Europe. Une partie de cet effort se voit dans leur travail de sensibilisation pour essayer de faire comprendre aux citoyens européens les circonstances et la résilience des populations qui arrivent à leurs frontières. Elle l’explique dans la vidéo ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=5efK7gugYag

« Je ne veux pas qu’il y ait des renvois immédiats. […] Ce n’est pas parce que tu es de Guinée-Bissau, pas parce que tu es noir, mais parce que je veux un monde sans renvois immédiats. […] c’est parce que aujourd’hui c’est toi et demain ça sera nous […] Ça peut changer à tout moment. […] Nous sommes tous dans le même bateau […] s’il coule nous coulerons tous. »

Source : Global Voices 01/02/2017

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique Société citoyenneté, Justice, rubrique Politique, politique de l’immigration,

La Catalogne ensanglantée

Carte-espagne-catalunyaLe référendum de ce 1er octobre soulève alors de nombreuses questions. Il a été déclaré « illégal » par le tribunal constitutionnel espagnol. Mais, cela signifie simplement que le gouvernement de Madrid n’avait pas d’obligation de reconnaître ses résultats. Cela ne justifiait nullement l’ampleur et la brutalité de la répression

De l’autonomisme à l’indépendance

On peut se demander d’où vient cette revendication à l’indépendance. Car, au début des années 2000, les partisans de l’indépendance étaient clairement minoritaires. Il ne semble plus qu’il en soit ainsi. J’avais d’ailleurs organisé, le 19 septembre dernier, un débat dans l’émission que j’anime sur Radio-Sputnik entre Gracia Dorel-Ferré, historienne spécialiste de la Catalogne et Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne)[1]. Ce dernier insistait sur le fait que les refus répétés du gouvernement central espagnol d’accorder à la Catalogne ce que le Pays Basque, voire la région de Valence, avaient obtenus avait conduit à une radicalisation du sentiment autonomiste en un véritable sentiment indépendantiste. Les manifestations monstres de ces dernières semaines, qui ont rassemblé plus d’un million de personne sur une population totale de 7,5 millions (l’équivalent serait donc une manifestation de plus de 9 millions de personnes en France), en témoignent.

La responsabilité du gouvernement de Madrid est donc très largement engagée. Elle l’est, bien entendu, dans les violences policières de ce dimanche 1er octobre. Mais elle l’est aussi, et sinon plus, par les différentes fin de non recevoir qui ont répondu aux demandes des autorités légalement élues de Barcelone. L’indépendance de la Catalogne, si elle survient, sera largement le produit des relents de franquisme du gouvernement Rajoy, comme l’a dit Mme Gracia Dorel-Ferré. Il aura été, par sa bêtise bornée et par sa brutalité, le véritable déclencheur de ce mouvement indépendantiste.

Le poids de l’histoire

La question du régionalisme, et en particulier du régionalisme Catalan, hante l’histoire de l’Espagne moderne. La Catalogne a représenté, avec la partie industrielle du Pays Basque, le point d’entrée de la modernité industrielle en Espagne depuis le XIXème siècle. La Catalogne est, aujourd’hui encore, certainement une des régions les plus dynamiques, et les plus riches de l’Espagne. Elle représente environ 20% du PIB de l’Espagne et elle connaît, que ce soit par ses exportations ou par le développement de son industrie touristique, un véritable dynamisme qui tranche avec celui des autres régions d’Espagne. Mais, surtout, les catalans considèrent qu’ils ont été maltraités par les gouvernements espagnols, et en particuliers par les gouvernements franquistes.

Il convient ici de rappeler que la question de l’indépendance de la Catalogne s’était déjà posée à la veille de la Guerre Civile[2]. Le président de la Généralité de Catalogne, Lluis Companys, décida en 1936 de rester dans le cadre de l’Espagne, alors républicaine, car cette dernière avait reconnu les droits des catalans. Durant la Guerre Civile, la Catalogne fut à la pointe de la résistance contre le franquisme et ses alliés, l’Allemagne Hitlérienne (que l’on se souvienne de la Légion Condor) et l’Italie Mussolinienne. Exilé en France après la défaite, il fut livré au régime franquiste par la Gestapo, torturé et exécuté le 15 octobre 1940 à la forteresse de Montjuic[3]. La Catalogne a payé d’un prix terrible son opposition au franquisme et a été dévastée par une répression sanguinaire.

La reconnaissance de la spécificité catalane a été tardive et date du retour à la démocratie. Mais, cette reconnaissance est fragile. Le « Parti Populaire », qui est censé représenter la droite dite « modérée » et qui abrite, en son sein, de nombreux nostalgiques du franquisme, n’a jamais réellement accepté de reconnaître cette spécificité. D’une manière générale, l’Espagne n’a pas exactement la même histoire de pays unitaire que la France. Des provinces, la Catalogne et le Pays Basque, ont des traditions indépendantistes bien ancrées.

La constitutionnalité, la légitimité et la souveraineté

Le référendum de ce 1er octobre soulève alors de nombreuses questions. Il a été déclaré « illégal » par le tribunal constitutionnel espagnol. Mais, cela signifie simplement que le gouvernement de Madrid n’avait pas d’obligation de reconnaître ses résultats. Cela ne justifiait nullement l’ampleur et la brutalité de la répression.

Au-delà, se pose la question de sa légitimité et de ses relations avec la souveraineté populaire en Espagne. La souveraineté de l’Etat espagnol découle du compromis qui a été passé lors du processus de démocratisation, après la mort de Franco. Les Catalans sont fondés à penser que l’annulation de leur statut en 2010, une mesure qui a mis littéralement le feu aux poudres, remettait en cause ce compromis. Dès lors qu’il y a ce type de débat dans l’espace politique, la seule réponse est l’élection d’une assemblée constituante. Ce n’est certainement pas la répression, qui ne peut qu’aggraver les choses. Le refus d’une assemblée constituante, ou à tout le moins d’une commission constituante, fragilise la légitimité du pouvoir espagnol. Les violences de ce dimanche 1er octobre finissent de la détruire. Les images de ces manifestants pacifiques agressés et blessés feront, et ont d’ailleurs déjà fait, le tour de la planète.

La question de l’indépendance de la Catalogne a ainsi peu de choses à voir avec le droit constitutionnel, au point où nous en sommes. Elle est devenue une question essentiellement politique, car la souveraineté c’est aussi cela : le primat du politique sur la règle de droit. Nous sommes à l’évidence dans une situation d’extremum necessitatis. Seule une action politique peut aujourd’hui dénouer cette situation. Très clairement, on ne pourra longtemps encore refuser aux Catalans la tenue de ce référendum qu’ils exigent, et que Madrid a tout fait pour perturber. Seul un vote peut trancher la question de savoir si les catalans pensent encore avoir un avenir commun avec le reste de l’Espagne ou non. Mais, ce qui est clair, c’est que le comportement de Madrid rend aujourd’hui toujours plus difficile la constitution d’un compromis acceptable.

La question n’est donc plus, aujourd’hui, de savoir si l’on soutient ou pas l’idée d’une Catalogne indépendante. La question est aujourd’hui de défendre la base même de la démocratie. Et pour cela, il faut un véritable référendum en Catalogne, dont toutes les parties s’engagent à reconnaître les résultats. C’est le seul antidote à une montée vers une nouvelle guerre civile. Que le gouvernement français ne l’ait pas compris montre la dégénérescence de l’esprit public chez le Premier ministre et le Président.

Jacques Sapir

Notes

[1] https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201709191033122190-espagne-catalogne-independance/

[2] Alquézar, R., Esquerra Republicana de Catalunya: 70 anys d’història (1931-2001). Barcelona, Columna, 2002.

[3] Benet, J., Lluís Companys, presidente de Catalunya fusilado. Barcelona, Península, 2005

Source Les crises 01/10/2017

 Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique UE, Espagne, Un régionalisme si européen, rubrique Politique,

« The Guns of Brixton »

f0a28ff4c8b695953463b0281eda3201The Guns of Brixton

Chanson du groupe punk The Clash, écrite par le bassiste Paul Simonon , en 1979, avant les émeutes de Brixton, qui débutèrent en avril 1981.

 

Quand ils défonceront la porte
de chez toi à coups de pied
Comment est-ce que
tu leur feras face ?
 Les mains sur la tête
Ou flingue en pogne

 

Quand la « loi » débarquera
Comment est-ce que tu tireras
ta révérence ?
Abattu sur un trottoir
Ou à croire dans le couloir
de la mort

 

Vous pouvez nous écraser
Vous pouvez nous tabasser
Mais un jour ou l’autre
vous devrez répondre
de tout cela devant
Les flingues de Brixton

 

L’argent tu ne trouves
pas ça dégueu
Et ta vie tu l’aimes plutôt bien
Mais un jour ton heure viendra
Que ce soit au paradis ou en enfer

 

Tu vois sa vie ressemble
à celle d’Ivan
Né sous le soleil de Brixton
Sa vie c’est la survie
À la fin de The Harder They Come

 

Pour eux pas de pitié
Ils n’ont pas hésité à sortir
leurs flingues
Pas besoin
de panier à salade

 
Adieu au soleil de Brixton

Vous pouvez nous écraser
Vous pouvez nous tabasser
Mais un jour ou l’autre
vous devrez répondre
de tout cela devant
Les flingues de Brixton

 

Quand ils défonceront la porte
de chez toi à coups de pied
Comment est-ce que
tu leur feras face ?
Les mains sur la tête
Ou flingue en pogne

 

The Clash, The Guns of Brixton, extrait de l’album London Calling, CBS Records, 1979.

Camille Tolédo « Faire face à l’angle mort de l’histoire »

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Camille Tolédo : « Le massacre d’Utoya révèle un état politique réactionnaire en Europe ». Photo dr

L’auteur Camille Tolédo évoque son drame contemporain « Sur une île » donné au Théâtre de la Vignette. Une pièce inspirée de la tragédie d’Utoya en Norvège où le raid d’Anders Bechring Breivik s’est soldé par la mort de 69 jeunes et une dizaine de blessés

Sur une île fait suite à votre texte « L’inquiétude d’être au monde » paru chez Verdier, comment s’est opéré ce passage au théâtre ?

J’avais écrit ce texte suite au carnage d’Utoya où ce gamin, qui s’est mis à tirer sur des enfants comme dans un jeu vidéo, m’est apparu comme le marqueur d’un cycle historique qui se réveille  en Europe  sous le fantasme de la pureté des origines, comme un besoin de revenir aux fondamentaux identitaires et religieux réducteurs. Cela révèle un état politique réactionnaire en Europe. Une vague très lourde, qui m’a inspiré un chant pour prendre à rebours et inverser ce cycle de mort. Le metteur en scène Chistophe Bergon avec le Théâtre Garonne de Toulouse et le TNT qui produisent la pièce, m’ont demandé d’écrire une adaptation.

Cette adaptation, que l’on vient de découvrir à Montpellier, nous donne une nouvelle perception de cet événement plus intime et prégnante que celle véhiculée par les médias.  Est-ce à vos yeux le rôle politique et social du théâtre ?

J’aurais du mal à assigner une fonction au théâtre. Chacun s’en saisit à sa manière. Le théâtre dans sa forme classique, qui met des gens dans une assemblée, recoupe la fonction politique. Aujourd’hui on le voit avec ses formes stéréotypées de discours, l’arène politique est ruinée. J’observe dans l’art contemporain et dans la littérature une reprise de l’activité politique. L’expression artistique propose des scénarii. Pour cette pièce, je voulais aller sur ce terrain. Je souhaitais que l’assemblée réunie au théâtre se retrouve face à ces grands cortèges souverainistes  extrémistes qui défilent massivement en Europe.  Dans la pièce, on fait face à l’angle mort de l’histoire, face à une Europe putréfiée qui fait histoire.

Vous faites remonter la conscience d’un temps historique et générationnel, ce sont les premiers enfants du siècle qui sont morts à Utoya écrivez-vous. Pensez-vous que la perception de votre pièce par les jeunes diffère de celle de leurs aînés sans doute moins aptes à agir ?


Quelque chose chez moi fait appel à nos enfances. Après le virage néo-libéral, il est juste de dire que le discours dominant depuis une vingtaine d’année, s’est accommodé de ce monde sans perspective. La génération des trente glorieuses et celle qui lui succède n’ont pas les capteurs sensoriels  aiguisés. Ils n’ont pas vu venir la violence et cette violence s’est installée.  Là, on retombe sur deux enfances captées par le désir des petits soldats radicaux qui tuent pour exister, celle des Breivik et celle des islamiques et puis il y a la jeunesse  d’Utoya, la jeunesse sociale démocrate. Celle qui se réveille le lendemain du Bataclan soudainement face au loup, à la verticalité de l’Histoire et à la mort.

Sur une ïle. Production Théâtre Garonne, TNT, programmé au Théâtre La Vignette

Sur une ïle. Production Théâtre Garonne, TNT, programmé au Théâtre La Vignette

Vous pointez la soumission, l’obéissance à un monde révolu. Dans la pièce, Jonas le bon enfant de Norvège, finit par tuer Breivik devenu un décideur européen. Assumez-vous ce rapport à la violence ?

Je la mets très clairement dans la bouche de Jonas, mais son acte individuel doit questionner nos impuissances. La séquence ouverte par François Furet, qui a enterré la Révolution française dans les année 80, s’ouvre à nouveau aujourd’hui. Nous sommes dans un moment où nous devons prendre en charge la question du politique. Face à la résurgence du KKK sous sa forme trumpiste ou à l’ordre nihiliste de type islamiste, il est temps de sortir de la vision : la violence c’est mal. Je crois qu’une violence peut être plus légitime qu’une autre.

On sait qu’un ordre politique naît souvent du meurtre. Ce savoir tragique a été complètement oublié. Le pouvoir tyrannique qui règle la question de nos peurs fonde les dérives de la démocratie avec toujours plus de sécurité et d’Etat d’urgence. L’Etat reste en suspension mais la question demeure. Quel meurtre dois-je commettre pour fonder un autre monde ?

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 03/02/2017

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Littérature, De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité, rubrique Europe, L’Allemagne  face à la montée de l’extrême droiteL’extrême-droite remporte l’élection au Danemark, L’Europe, bras ballants devant la transgression de ses valeurs, rubrique Politique, rubrique Société, Mouvements sociaux, Citoyenneté, rubrique Rencontre,