Piratage de TV5 Monde : l’enquête s’oriente vers la piste russe

 L’enquête sur le piratage de TV5 Monde s’oriente vers la piste russe. L’enquête sur le piratage de TV5 Monde s’oriente vers la piste russe. Christophe Ena / AP

L’enquête sur le piratage de TV5 Monde s’oriente vers la piste russe. Christophe Ena / AP

La revendication publiée sur le site de TV5 Monde après son piratage début avril avait d’abord laissé penser que l’attaque trouvait sa source dans l’EI.

Après le piratage de TV5 Monde, survenu le 8 avril, les yeux des enquêteurs se tournent vers la Russie. C’est en tout cas en ce sens que convergent des indices récoltés par les enquêteurs de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), chargés des investigations techniques sur cette attaque d’envergure.

Des traces du passage des pirates ont été fournies, à la fin du mois d’avril, par l’Anssi à plusieurs grands médias. Elles correspondent, au moins en partie, à des attaquants qui ont déjà sévi dans le passé, selon les informations de L’Express, que Le Monde est en mesure de confirmer.

Si l’on en croit ces éléments, l’attaque ne proviendrait pas de l’Etat islamique, contrairement à ce que la revendication, publiée sur le site et sur les réseaux sociaux de TV5 Monde, laissait penser. Le mode opératoire et certaines traces spécifiques laissées par les pirates pointent vers un groupe de pirates russes bien connu des experts en sécurité informatique. Une source judiciaire a confirmé au Monde que l’enquête préliminaire s’orientait bien, à ce stade, vers des hackers russes, mais qu’il ne s’agissait encore que d’une piste de travail.

Le groupe désormais soupçonné de s’être introduit dans les infrastructures informatiques de TV5 Monde a plusieurs noms – en fonction de l’entreprise qui l’a analysé. L’entreprise américaine FireEye l’a appelé « APT28 », les Canadiens de la société qui développe des antivirus ESET lui ont donné le nom de « Sednit » et Trend Micro l’a baptisé « Pawn Storm » (« tempête de pions », par analogie avec une stratégie du jeu d’échecs).

Les experts de ces trois entreprises estiment tous, à des degrés divers, que ces groupes sont liés à la Russie. Trend Micro affirme avoir retrouvé la signature de « Pawn Storm » dans plusieurs attaques visant des cibles militaires aux Etats-Unis, mais aussi des opposants à Vladimir Poutine, des objectifs en Pologne et en Ukraine et des journalistes aux Etats-Unis…

Dans son rapport sur « APT28 », FireEye décrit « une équipe douée de développeurs collectant des informations sur les questions de défense et de géopolitique, engagés dans des opérations d’espionnage contre des cibles politiques et militaires ».

Joan Calvet, chercheur pour ESET, note une « accumulation » d’indices – des réglages de langue, des traces de russe dans le code ou d’horaires de création de certains logiciels –, qui le conduisent à estimer avec « un grand niveau de confiance que les développeurs de ce groupe ont le russe comme langue principale » et sont basés en Europe de l’Est.

Les chercheurs de FireEye sont les plus assurés quant à l’origine de ce groupe. Selon eux, ce dernier « reçoit un financement direct d’une organisation bien installée, très probablement un gouvernement ».

Mais il faut rester prudent, tant l’attribution précise d’une cyberattaque est délicate. On trouve en tout cas parmi les principales victimes du groupe les ministres de l’intérieur et de la défense de Géorgie et plusieurs organisations gouvernementales d’Europe de l’Est.

Mode opératoire

Les enquêteurs français de l’Anssi ont acquis davantage de connaissances quant au mode opératoire des pirates. Ils savent désormais que les pirates se sont approchés de TV5 Monde en s’abritant derrière un virtual private network (VPN — « réseau privé virtuel ») grand public. Les VPN sont, entre autre, un moyen de camoufler les connexions de manière à être moins traçable.

Ils sont arrivés dans le réseau de TV5 Monde dès la fin du mois de janvier, sur l’ordinateur d’un poste de production servant à contrôler les caméras sur le plateau, auquel ils ont réussi à accéder grâce à un mot de passe peu sécurisé d’un prestataire du groupe de télévision.

Ensuite, pendant plusieurs semaines et jusqu’à la date de l’attaque, les pirates ont exploré le réseau de TV5 Monde et mis en œuvre une technique rodée, appelée « élévation de privilèges » : ils ont gravi peu à peu les échelons à l’intérieur du réseau jusqu’à s’octroyer de très larges pouvoirs sur le réseau. Les enquêteurs pointent le rôle des prestataires, des entreprises externes à TV5 Monde qui avaient la main sur des portions critiques du système informatique du groupe de télévision.

Enfin, les pirates s’en sont pris ensuite à trois cibles : les réseaux sociaux, le site Internet et, surtout, les outils de production, nécessaires à la diffusion des images. Comme nous l’écrivions précédemment, les enquêteurs ont noté la grande sophistication des pirates, qui sont parvenus à endommager des matériels Cisco en détruisant des composants logiciels indispensables à leur bonne marche. Des multiplexeurs, des encodeurs et des « switchs » ont été pris pour cible, ainsi qu’un serveur de messagerie.

Par Damien Leloup et Martin Untersinger

Le Monde de l’Economie 09.06.2015

 

 

Le piratage de TV5 Monde revendiqué par un groupe djihadiste

 La page Facebook de TV5 Monde, le compte Twitter de TV5 Afrique et les antennes du groupe ont été attaquées par des pirates se réclamant du Cyber Caliphate. La page Facebook de TV5 Monde, le compte Twitter de TV5 Afrique et les antennes du groupe ont été attaquées par des pirates se réclamant du Cyber Caliphate. Capture d'écran

La page Facebook de TV5 Monde, le compte Twitter de TV5 Afrique et les antennes du groupe ont été attaquées par des pirates se réclamant du Cyber Caliphate. Capture d’écran

La revendication publiée sur le site de TV5 Monde après son piratage début avril avait d’abord laissé penser que l’attaque trouvait sa source dans l’EI.

Des documents présentés comme des pièces d’identité et des CV de proches de militaires français impliqués dans les opérations contre l’Etat islamique ont été publiés sur le compte Facebook de TV5 Monde.

Les chaînes, le site Web et plusieurs pages Twitter et Facebook du groupe télévisé français TV5 Monde ont été victimes mercredi 8 avril vers 22 heures d’une attaque informatique revendiquée par le groupe islamiste CyberCaliphate.

 

L’attaque qu’a subie @TV5MONDE est inédite et de grande envergure. L’enquête en dira plus très bientôt et nos antennes seront rétablies.

— Hélène Zemmour (@hzemmour)

La chaîne a dû interrompre ses programmes et rendre son site Internet inaccessible pour barrer la route aux pirates. Elle a repris le contrôle de ses pages sur les réseaux sociaux pendant la nuit, mais son site Internet est resté inaccessible jusqu’à jeudi en début d’après-midi.

Des programmes pré-enregistrés, mais pas de journaux

Quant aux émissions télévisées, « nous sommes en train d’essayer de restaurer nos onze chaînes avec leurs propres programmes » précise au Monde le directeur de la chaîne, Yves Bigot, jeudi en tout début de matinée :

« Depuis l’attaque, nous n’avons réussi qu’à diffuser un seul programme unique sur toutes les chaînes. Nous ne sommes toujours pas en mesure de produire nos propres journaux télévisés, nous ne diffusons que des programmes de stock enregistrés. Nous espérons surmonter cela en fin de matinée ou en début d’après-midi. »

« Nous sommes sous le choc, l’ambiance est morose. Il n’y aura aucun journal télévisé jusqu’à nouvel ordre. Peut-être celui de 18 heures, mais ça n’est même pas sûr » précise une source au sein de la rédaction. Tous les salariés de TV5 Monde ont l’interdiction de s’exprimer sur l’attaque subie par leur chaîne.

« Nos systèmes ont été extrêmement détériorés » par cette attaque « d’une puissance inouïe » et le retour à la normale « va prendre des heures, voire des jours », explique encore M. Bigot.

« On commence à analyser avec des experts qui sont venus sur place. La cyberattaque est d’une puissance majeure : nos systèmes de production sont puissants et sophistiqués et avaient été revus récemment. »

Le directeur de TV5 a assuré qu’une plainte serait déposée, « ne serait-ce que pour marquer cette attaque et puis pour éventuellement plus tard travailler avec des assurances ».

Un « véritable acte terroriste »

Pour Manuel Valls, ce piratage est une « atteinte inacceptable à la liberté d’information et d’expression ». Le premier ministre a affiché dans le même message son « soutien total à la rédaction ». La ministre de la culture Fleur Pellerin a qualifié cette attaque de « véritable acte terroriste » :

J’exprime tout mon soutien et ma solidarité aux équipes de la chaîne @TV5MONDE, victimes d’un véritable acte terroriste @YvesBigot

— Fleur Pellerin (@fleurpellerin)

Les services d’enquête français notamment l’Anssi, l’autorité en charge de la sécurité informatique des institutions sensibles se sont rendus sur place, mais ne peuvent pas encore se prononcer sur l’authenticité des documents d’identité diffusés et de l’identité des attaquants. En fin de matinée, le ministre de l’intérieur a indiqué qu’une enquête était ouverte, et que le gouvernement était « déterminé » à combattre « des terroristes déterminés ».

Selon une source judiciaire, l’enquête, dirigée par le parquet de Paris, vise des faits présumés d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que d’accès, maintien frauduleux et entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatique de données.

Menaces contre les militaires français

Durant la durée de l’attaque, de nombreux internautes ont constaté des anomalies sur les sites du groupe : apparition de l’en-tête noire et blanche du groupe Etat islamique, mais aussi publication de vidéos de propagande ainsi que de menaces envers des militaires français. Des documents présentés comme des pièces d’identité et des CV de proches de soldats français impliqués dans les opérations contre l’Etat islamique ont été postés sur le compte Facebook de TV5 Monde.

Un message accuse également le président français François Hollande d’avoir commis « une faute impardonnable » en menant « une guerre qui ne sert à rien ». « C’est pour ça que les Français ont reçu les cadeaux de janvier à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher », ajoutent les pirates, en référence aux attentats sanglants contre l’hebdomadaire satirique et le magasin, qui avaient fait 17 morts entre le 7 et le 9 janvier à Paris.

Le groupe CyberCaliphate est apparu début janvier. Il s’est notamment signalé par le détournement du compte Twitter du CentCom, le centre de commandement américain au Moyen-Orient et en Asie Centrale, puis en prenant le contrôle durant plusieurs minutes de celui de l’hebdomadaire américain Newsweek, en février. Deux attaques bien moins sophistiquées que celle qui a touché TV5 Monde.

Chaîne internationale de télévision francophone basée à Paris, TV5 Monde est reçue dans plus de 200 pays et territoires dans le monde.

Source : Le Monde avec AFP  9/04/2015

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Coup de Balai citoyen au Burkina Faso

Non violent, animé par des jeunes, le Balai citoyen incite les Burkinabés à s’engager. En octobre 2014, il a joué un rôle décisif dans la chute du président Blaise Compaoré.

« C’est trop facile de jouer au rebelle dans les clips, mais de ne pas se mouiller quand se présente concrètement l’occasion d’améliorer la situation du pays, martèle le rappeur Serge Bambara, alias Smockey. Nous n’avions pas d’autre choix que de nous impliquer, car ce sont les gens, le public lui-même qui nous a demandé d’aller parler en son nom. » Si ce musicien de 43 ans, auteur de plusieurs tubes dénonçant la corruption politique en Afrique (1), s’exprime à la première personne du pluriel, c’est qu’il n’est pas seul. En compagnie du chanteur de reggae Sams’K Le Jah, il a fondé l’association Le Balai citoyen en 2013. Ce collectif a joué un rôle essentiel lors des manifestations qui ont abouti à la démission forcée du président du Burkina Faso, M. Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, après vingt-sept ans de règne (2).

« Notre nombre est notre force » est l’un des slogans les plus connus de l’organisation. S’il est impossible de comptabiliser précisément ses membres, Le Balai citoyen compte soixante clubs dans la capitale Ouagadougou et une quarantaine d’autres déployés sur tout le territoire national. Un club doit compter au moins dix inscrits pour être répertorié « cibal », contraction de « citoyens balayeurs ». Elue par une assemblée générale annuelle, la coordination nationale se compose de treize membres, parmi lesquels on trouve des étudiants en troisième cycle, des commerçants, trois musiciens, deux journalistes et un avocat.

Constitué pour lutter contre les abus de pouvoir de M. Compaoré, Le Balai citoyen dépose ses statuts en juin 2013. L’avocat Guy Hervé Kam, 43 ans, en a rédigé la charte. Cet ancien magistrat est bien connu des cercles militants puisqu’il a déjà, en tant que responsable du Centre pour l’éthique judiciaire (CEJ), lancé une pétition destinée à rendre inattaquable le fameux article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Sa présence aux côtés des musiciens renforce le crédit de l’association. En outre, ses compétences de négociateur se révèlent précieuses après la chute de M. Compaoré, quand Le Balai citoyen se retrouve à endosser le costume de médiateur entre les militaires (très influents dans les cercles du pouvoir), l’opposition politique et la population.

Fin octobre, après plusieurs jours de révoltes populaires, le pays se trouve au bord du chaos. « Nous avons demandé aux militaires qu’ils désignent un interlocuteur unique, capable d’assurer la transition ouverte par la démission du président. A partir du moment où cette personne ferait l’unanimité chez eux, nous nous engagions à la soutenir pour assurer la stabilité du pays, le plus important pour nous restant la sécurité des personnes et des biens », raconte M. Kam. Les militaires désignent le général Yacouba Isaac Zida, qui avait été un compagnon d’armes de l’ancien président. « Nous avons alors exigé qu’il ne prenne aucune décision sans l’accord des partis politiques et des associations. Nous voulions que tous s’asseyent à la même table pour organiser la transition, mais les partis politiques ont refusé. » Plusieurs formations organisent même des marches dans les rues, le 2 novembre, accroissant la confusion. Des affrontements éclatent et des tirs sont entendus dans la capitale, faisant deux morts parmi les civils. Finalement, un compromis est trouvé : un civil, ancien diplomate et ministre de l’intérieur, M. Michel Kafando, prend la direction temporaire du pays avec le titre de président par intérim, tandis que le général Zida devient premier ministre.

« La confusion a permis aux militaires d’occuper l’espace, estime M. Kam. Si les politiciens avaient accepté la discussion dès le 31 octobre, peut-être qu’un accord entre les partis aurait été trouvé et qu’une autre personne aurait fini au poste de premier ministre. Le Balai n’a pas installé volontairement Zida dans ce fauteuil ; c’est un choix par défaut. Avec le recul, je trouve que ce n’est pas si mal. On peut penser que ça a évité un nouveau massacre, et ça laisse aujourd’hui du temps à la société civile et aux partis politiques pour préparer les prochaines élections dans un climat calme et sécurisé. » Une sécurité relative malgré tout, puisque, depuis le mois de février 2015, un conflit ouvert entre l’armée et la vieille garde de M. Compaoré — le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) — menace d’enflammer à nouveau le pays.

Dans ce climat explosif, Le Balai citoyen tente de jouer un rôle de sentinelle veillant au bon fonctionnement de la transition et à la probité des ministres. En janvier dernier par exemple, le collectif mène campagne et obtient la démission du ministre des transports, M. Moumouni Dieguimdé, accusé par l’hebdomadaire Le Reporter de s’être attribué des diplômes imaginaires et de dissimuler une condamnation à quatre mois de prison aux Etats-Unis pour faux et usage de faux. « Nous réclamons des dirigeants à l’éthique irréprochable, insiste Smockey. Nous voulons assainir notre gouvernement, en espérant que le Burkina devienne un exemple pour d’autres pays africains. »

Sams’K Le Jah et Smockey ont déjà reçu des demandes de parrainage en provenance du Niger et du Gabon, où des mouvements plus ou moins calqués sur le leur veulent se constituer. « Il est très important de les soutenir, souligne le rappeur. Quand on a monté Le Balai, les gens ont compris tout de suite ce que l’on voulait faire, car ils connaissaient le mouvement Y en a marre au Sénégal [lire l’article ci-dessus], et ça nous a aidés. » Le Balai citoyen fait partie d’une plate-forme continentale nommée Tournons la page (3), qui se bat pour l’alternance et la démocratie en Afrique. « Au Togo, des jeunes ont même créé un Balai citoyen sans nous en parler, se réjouit Smockey. On ne peut pas cautionner sans savoir de quoi il retourne, bien sûr, mais on veut vraiment encourager les initiatives de gens qui ne viennent pas des milieux politiques et qui agissent de façon spontanée. »

« La bouche qui est pleine ne parle pas »

Le Balai citoyen burkinabé rencontre les difficultés propres à un mouvement qui a grandi trop vite : il jouit d’une forte notoriété en Afrique, alors qu’il demeure très fragile au niveau national ; des divergences d’opinions sur les méthodes à employer et la marche à suivre ralentissent ses progrès. Le responsable du club régional de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, M. Alexandre Diakité, a été suspendu parce qu’il s’est porté candidat à des fonctions au Conseil national de la transition (CNT) sans l’aval du mouvement. La question de l’engagement politique des responsables du mouvement se pose : faut-il accepter d’éventuelles propositions de postes gouvernementaux « Je pense que ce serait une erreur, estime M. Kam. Cela nous décrédibiliserait et brouillerait notre message, et nous devrions passer notre temps à nous justifier pour garder notre capital sympathie. C’est parce que nous n’étions pas dans le gouvernement que nous avons pu critiquer certaines nominations, et c’est parce que nous ne sommes pas rémunérés par l’Etat que nous pouvons dénoncer les salaires exorbitants des membres du CNT. Comme on dit chez nous, “la bouche qui est pleine ne parle pas”. »

Le défi des citoyens balayeurs est désormais d’œuvrer à l’organisation d’une élection présidentielle démocratique et transparente. Cela commence par inciter les millions de personnes qui ont manifesté en octobre et novembre à s’inscrire sur les listes électorales. Les démarches administratives nécessaires rebutent la majorité d’une population de dix-sept millions d’habitants, dont 28 % seulement sont alphabétisés (4). Ensuite, Le Balai citoyen veut s’attaquer au rôle des chefs religieux et coutumiers. Dans la culture mossi du plateau central, les représentants des autorités traditionnelles exercent souvent une influence déterminante sur le résultat du scrutin (5). L’ancien président l’avait bien compris : après avoir encouragé certains d’entre eux à siéger à l’Assemblée nationale, il a envisagé, en 2011, de leur offrir salaire et statut pour s’assurer leur soutien définitif. Le Balai citoyen voudrait au contraire réduire leur influence politique en leur interdisant par exemple de recevoir des cadeaux des responsables publics. Enfin, l’association doit veiller à ce que M. Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire, ne parvienne pas à installer un de ses proches à la tête du pays à l’issue de l’élection présidentielle d’octobre 2015. « Le Burkina Faso n’a pas les moyens de constituer un gouvernement en écartant systématiquement tous ceux qui ont travaillé avec lui, admet M.Kam, réaliste. Mais nous faisons une différence entre ceux qui ont simplement collaboré et ceux qui l’ont aidé à se maintenir au pouvoir si longtemps. »

Les citoyens balayeurs le savent, un régime qui a perduré vingt-sept ans ne se déconstruit pas en quelques mois. Mais ils continuent d’œuvrer pour tourner la page de l’ancien régime et éviter que le poste de président ne revienne à un militaire.

David Commeillas

Source : Le Monde Diplomatique Avril 2015

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Alsarrah et Nass el Ghwane

 

Alsarrah l’étoile montante entre Brooklyn et l’Afrique de l’Est.

Alsarrah l’étoile montante entre Brooklyn et l’Afrique de l’Est.

Arabesques. Un double plateau qui conjugue la musique nubienne, le Jazz et la généreuse énergie marocaine.

Arabesques se poursuit avec une floraison de propositions qui font dialoguer les arts du monde arabe.

Une judicieuse rencontre musicale aura lieu samedi 23 mai à l’Amphi d’O avec Alsarah, qualifiée comme « the new star of Nubian pop » par « The Guardian ». Elle vient tout droit de Brooklyn, et puise sa force musicale de son pays natal, le Soudan. Elle s’honore d’ un parcours musical très complet en tant qu’auteur-compositeur et interprète, mais aussi ethnomusicologue. Un parcours qu’elle complète aujourd’hui avec le groupe « The Nubatones ».

Largement influencé par la musique nubienne des années 1960 et 1970, la formation nous propose un son jazzy, très percussif et festif, véritablement contagieux. C’est un premier album que nous offre le groupe entre tradition et renouveau. Alsarah qualifie sa musique de « rétro-pop de l’Afrique de l’Est ».

On ne présente plus le groupe marocain Nass El Ghiwane né à Casa dans les années 70. Leur répertoire est puisé dans le creuset de la culture et la poésie marocaine, mais aussi dans des textes soufis issus de grande figures religieuses. Grâce à leurs paroles engagées et poétiques reflétant les malaises de la jeunesse marocaine de l’époque et à leurs rythmes puissants, joués à l’aide d’instruments traditionnels, Ils ont révolutionné la musique marocaine et maghrébine.

Voir aussi : Rubrique  Festival, Arabesques 2015, Musique, rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique Musique,

Le cœur battant d’Arabesques est ouvert

urlFestival. Musique, danse, conte, opéra, expos, action scolaire, débats… Pour ses dix ans, la manifestation montpelliéraine s’impose comme une vitrine des arts du monde arabe tout en restant populaire.

La dixième édition d’Arabesques est ouverte. Fidèle à l’esprit de la première heure, le festival met au centre de l’espace public toutes les expressions artistiques du monde arabe. Jusqu’au 24 mai vont se succéder à Montpellier des trésors de culture en provenance des quatre coins de l’hexagone et de la Méditerranée dans un esprit d’ouverture, d’échange et de rencontres.

Ce dixième anniversaire devrait donner l’occasion  de mesurer le chemin parcouru. « L’idée du festival nous est venue au retour d’une tournée dans le monde arabe où nous avions été frappés par la différence des expressions artistiques », se souvient le directeur de la manifestation, Habib Dechraoui. « L’acte de naissance du festival est issu de la richesse de cette éblouissante diversité. »

Qu’ils interprètent une tradition séculaire ou qu’ils présentent des créations contemporaines, tous les artistes invités par le festival ont toujours fait preuve d’une virtuosité et d’une richesse culturelle insoupçonnables dans un esprit éminemment populaire. La volonté d’accessibilité, comme la volonté de partage pour ambition, constituent assurément les lignes de force d’Arabesques. N’oublions pas que ce festival qui accueille les plus grandes stars du monde est géré par l’Association Uni’sons, dont le siège social est abrité dans le quartier oublié de Montpellier les Hauts de Massane.

Cela fait 15 ans que cette association s’implique avec une exigence sans commune mesure dans l’action culturelle. « On est là pour unir, casser les clichés et donner de l’amour, affirme Habib Dechraoui, Au départ on est allé chercher les femmes qui vivaient enfermées chez elles dans les tours pour discuter dans les écoles des questions d’éducation. Aujourd’hui elles viennent au festival et elles font venir leur mari. Quand je vois des femmes en djellaba danser avec des femmes en jeans, je suis content. A travers l’expression artistique et culturelle, on retrouve cette confrontation partout dans le monde sans qu’aucune partie du corps social ne soit stigmatisée. »

La quatrième pyramide

Cette année, la diva Oum Kalsoum est à l’honneur avec une grande exposition montée en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe qui sera visible sur plusieurs lieux en ville. L’hôtel Mercure Centre accueille le volet photographique de l’expo. A la médiathèque Jules-Verne de St-Jean-de-Vedas, on découvre la partie liée à sa discographie. Au théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine D’O, à Montpellier, il est question de l’héritage d’Oum Kalsoum. Enfin on retrouvera les costumes de la grande dame dans le hall de l’Opéra Comédie.

Deux concerts s’y tiendront dimanche et lundi  avec la présence exceptionnelle de l’Opéra du Caire qui maintient l’héritage en perpétuant le répertoire Oum Kalsoum tous les 1er jeudis du mois dans la capitale égyptienne. « Lors de ces concerts, Oum Kalsoum suspendait littéralement le temps dans l’ensemble du monde arabe. Tout le monde s’arrêtait pour l’écouter à la radio, explique Habib Dechraoui. Proche de Nasser, féministe de la première heure, Oum Kalsoum a incarné l’unité du monde arabe. Les plus grands poètes du monde arabe lui faisaient parvenir leurs textes. » Une table ronde animée par le journaliste Rabah Mezouane lui sera consacrée.

Que l’on soit athés, musulmans ou chrétiens, d’ici ou de là-bas, chacun peut profiter de ce grand festival. L’heure de la maturité donne l’occasion de saluer les choix politiques et culturels qui président à la pérennité de cette manifestation.

 JMDH

Jusqu’au 24 mai, Arabesques œuvre pour la mémoire et fait vibrer les aspirations artistiques d’aujourd’hui. photos dr

Source : La Marseillaise 14/.05/2015

Voir aussi : Rubrique  Festival,, Il était une fois les Chibanis, rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique ExpositionPhoto,

Sahara occidental : l’interminable guerre froide

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C’est un conflit gelé en plein coeur du Maghreb. Mardi 28 avril, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé, comme il le fait chaque année, le mandat de la Minurso, la force de l’ONU au Sahara occidental. Adoptée à l’unanimité, la résolution invite les deux camps à « s’engager dans une phase de négociations plus intensive et plus substantielle » : cela fera quarante ans cette année que le conflit, au coeur de la rivalité algéro-marocaine, empoisonne la vie de la région.

Le territoire de l’ancienne colonie espagnole, annexé (à 80 %) par le Maroc en 1975, est revendiqué depuis par le Front Polisario soutenu par l’Algérie. Depuis la signature d’un cessez-le-feu en 1991, les négociations piétinent. Rabat propose un plan d’autonomie rejeté par le Front Polisario qui exige un référendum d’autodétermination avec le soutien d’Alger. « Si rien n’avance, c’est que le statu quo semble préférable au risque d’un échec pour chacune des parties », souligne Luis Martinez, directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales.

Côté marocain, la défense de l’« intégrité territoriale » a été érigée en cause nationale directement portée par la monarchie. Depuis longtemps, les autorités ont favorisé les investissements et l’installation de Marocains du nord dans la région. La question sahraouie figure en bonne place dans les priorités de la politique étrangère du royaume : alors que le pays a quitté l’Union africaine en 1984 après qu’elle eut reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD), il développe une ambitieuse politique africaine pour rompre son isolement diplomatique et géographique (la frontière algéro-marocaine est fermée depuis 1994).

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Blocage

La fermeté est aussi de mise à Alger. Le pays souffre moins du blocage que son voisin. Il permet en revanche de freiner les ambitions régionales de son rival. Surtout, en soutenant le Front Polisario, l’Algérie se pose en défenseur du droit à l’autodétermination à l’échelle du continent.

Les Occidentaux sont peu enclins à troubler ce statu quo : le Maroc et l’Algérie sont deux partenaires clés dans la lutte contre le terrorisme. En outre, Rabat s’est depuis longtemps assuré de solides soutiens, au premier rang desquels Paris. En 2013, un projet de résolution préparé par les Etats-Unis proposait d’élargir le mandat de la Minurso à la situation des droits de l’homme. Le Maroc avait obtenu son abandon. Il n’en a plus été question depuis.

Régulièrement, des voix s’élèvent pour dénoncer les conséquences de ce blocage. Le conflit a empêché toute concrétisation de l’Union du Maghreb arabe lancée en 1989. Il entrave également la coopération sécuritaire régionale. « Il est temps de tenir compte des nouvelles dynamiques régionales : de l’émergence des sociétés civiles aux questions sécuritaires »,souligne Khadija Mohsen-Finan, enseignante à l’université Paris-I et coordinatrice d’un dossier sur les quarante ans du conflit pour le site Internet Orient XXI.

Depuis plusieurs années, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon sonne l’alarme. « La frustration croissante parmi les Sahraouis et l’expansion des réseaux criminels et extrémistes dans la région Sahel-Sahara présentent des risques accrus pour la stabilité et la sécurité de la région », a-t-il répété début avril.

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Charlotte Bozonnet

Source Le Monde.fr  08.05.2015

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