Thomas Piketty: «On a besoin de réformes fiscales et sociales de fond. Pas de cette improvisation permanente»

Thomas Piketty, vendredi, dans son bureau de l'Ecole normale supérieure, à Paris. Thomas Piketty  (Photo Jérôme Bonnet)
C’EST QUOI UNE ÉCONOMIE DE GAUCHE ?

L’économiste lance notre série d’interview et débats sur la politique économique.

 

Avec son livre le Capital au XXIe siècle (le Seuil, 2013) vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde, Thomas Piketty est devenu une star planétaire de l’économie (1). Classé à gauche, il a conseillé des candidats socialistes à la présidentielle, donne un coup de main à Podemos… Dans son petit bureau de Normale supérieure situé aux portes de Paris, il affirme qu’il existe bien, quoi qu’on en dise, une alternative à la politique menée par François Hollande. A «l’improvisation» actuelle du gouvernement, il oppose deux niveaux de réforme : la fin de l’austérité, dit-il, passe par une zone euro rénovée, au fonctionnement plus démocratique. Puis, fidèle à sa marotte théorique, qu’il défend depuis des années, il rappelle qu’une réforme fiscale en profondeur permettra de financer notre modèle social.

Les derniers chiffres sur le chômage signent-ils l’échec de la politique de l’offre menée par Hollande depuis le début de son quinquennat ?

 

Le problème de Hollande, c’est surtout qu’il n’a pas de politique. La soi-disant politique de l’offre est une blague. En arrivant au pouvoir, Hollande a commencé par supprimer – à tort – les baisses de cotisations patronales décidées par son prédécesseur. Avant de mettre en place, six mois plus tard, le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), qui est une gigantesque usine à gaz consistant à rembourser avec un an de retard une partie des cotisations patronales payées par les entreprises un an plus tôt. Avec, au passage, une énorme perte liée à l’illisibilité du dispositif. Et maintenant, on envisage de revenir d’ici à 2017 à une baisse de cotisations. On a besoin de réformes fiscales et sociales de fond, pas de cette improvisation permanente.

Et, surtout, on a besoin d’une réorientation de l’Europe. Le nouveau traité budgétaire ratifié en 2012 par Sarkozy et Hollande était une erreur, et doit être aujourd’hui dénoncé. On a voulu réduire les déficits trop vite, ce qui a tué la croissance. Même le FMI a reconnu ses erreurs sur l’austérité, mais Berlin et Paris persistent et signent. Il y a cinq ans, le taux de chômage en zone euro était le même qu’aux Etats-Unis. Il est aujourd’hui deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, qui ont su faire preuve de souplesse budgétaire pour relancer la machine. Nous avons transformé par notre seule faute une crise financière américaine privée – celle des subprimes – en une crise européenne des dettes publiques.

Une politique économique de gauche est-elle possible ?

 

Il y a toujours des politiques alternatives possibles. A condition de prendre un peu de recul et de faire un détour par l’histoire. L’idée selon laquelle il n’existe aucune alternative à la pénitence ne correspond à aucune réalité historique. On observe dans le passé des dettes publiques encore plus importantes que celles constatées actuellement, et on s’en est toujours sorti, en ayant recours à une grande diversité de méthodes, parfois lentes et parfois plus rapides.

Au XIXe siècle, le Royaume-Uni choisit la méthode lente, en réduisant par des excédents budgétaires, avec une inflation nulle, l’énorme dette publique – plus de 200 % du PIB – héritée des guerres napoléoniennes. Cela a marché, mais cela a pris un siècle, au cours duquel le pays a consacré davantage de recettes fiscales à rembourser ses propres rentiers qu’à investir dans l’éducation. C’est ce que l’on demande aujourd’hui à la Grèce, qui est censée dégager un excédent budgétaire de 4 % du PIB pendant les prochaines décennies, alors même que le budget total de tout son système d’enseignement supérieur est d’à peine 1 % du PIB.

La France et l’Allemagne souffrent d’amnésie historique : en 1945, ces deux pays avaient plus de 200 % de PIB de dette publique, et ne l’ont jamais remboursé. Ils l’ont noyé dans l’inflation et dans les annulations de dettes. C’est ce qui leur a permis d’investir dans la reconstruction, les infrastructures et la croissance. Le traité budgétaire de 2012 nous fait choisir la stratégie britannique du XIXe siècle : c’est une immense erreur historique, un acte d’amnésie extraordinaire.

Actuellement, l’Europe consacre un minuscule budget de 2 milliards d’euros par an à Erasmus, et 200 milliards d’euros par an à se repayer des intérêts de la dette à elle-même. Il faut inverser cette stratégie absurde. Il faut mettre les dettes publiques dans un fonds commun et engager une restructuration d’ensemble, pour la Grèce comme pour les autres pays.

La gauche est accusée d’avoir lâché les classes populaires, le FN serait en train de les récupérer…

 

L’Europe s’est construite sur l’idée d’une mise en concurrence généralisée entre les pays, entre les régions, entre les groupes mobiles et les groupes moins mobiles, sans contrepartie sociale ou fiscale. Cela n’a fait qu’exacerber des tendances inégalitaires liées à la mondialisation, à l’excès de dérégulation financière. Des économistes, des intellectuels, des hommes et des femmes politiques disent aujourd’hui qu’il faut sortir de l’Europe. Y compris à gauche, où l’on entend : «N’abandonnons pas la question de la sortie de l’euro, voire de l’Europe, à Marine Le Pen, il faut poser la questionCe débat est légitime et ne pourra pas être éludé indéfiniment.

Un chantage à la sortie de l’euro serait-il efficace ?

 

Il est temps que la France, et en particulier la gauche française, dise à l’Allemagne : si vous refusez la règle de la démocratie dans la zone euro, à quoi ça sert d’avoir une monnaie ensemble ? On ne peut pas avoir une monnaie unique sans faire confiance à la démocratie, qui est aujourd’hui corsetée par des critères budgétaires rigides et par la règle de l’unanimité sur les questions fiscales. La force des classes populaires, c’est d’être nombreux : il faut donc changer les institutions pour permettre à des majorités populaires de prendre le pouvoir en Europe.

Il faut arrêter de fonctionner avec cette espèce de directoire franco-allemand dans lequel Paris joue un rôle étrange. On a l’impression que la France ne peut décider de rien, alors qu’en vérité, rien ne peut se décider sans elle. Si on mettait ensemble nos parlements nationaux pour construire une véritable chambre parlementaire de la zone euro, chacun envoyant un nombre de représentants au prorata de sa population, je suis certain que nous aurions eu moins d’austérité, plus de croissance et moins de chômage. Cette Chambre parlementaire serait responsable pour décider démocratiquement du niveau de déficit et d’investissement public, ainsi que pour superviser la Banque centrale européenne, l’union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité. Bien sûr, l’Allemagne aurait peur d’être mise en minorité dans une telle instance. Mais si la France, l’Italie, la Grèce, demain l’Espagne, faisaient une telle proposition de refondation démocratique et sociale de l’Europe, l’Allemagne ne pourrait s’y opposer indéfiniment. Et si elle s’y opposait, alors le discours en faveur de la sortie de l’euro deviendrait irrésistible. Mais pour l’instant, il n’y a rien sur la table.

Pour vous, une politique de gauche passe par l’Europe, mais aussi par la France…

 

Il faut se battre pour changer l’Europe. Mais cela ne doit pas empêcher de mener en France les réformes de progrès social que nous pouvons conduire tout seuls. Nous pouvons engager en France une réforme fiscale de gauche, mais là, on a très mal commencé en votant, fin 2012, une augmentation de la TVA, alors même que le Parti socialiste n’a cessé de dire, quand il était dans l’opposition, que l’augmentation de la TVA est la pire des solutions.

Le financement de notre protection sociale repose trop fortement sur les salaires du secteur privé. Pour la droite, la bonne solution est d’augmenter indéfiniment la TVA, qui est l’impôt le plus injuste. L’alternative de gauche est de financer notre modèle social par un impôt progressif pesant sur tous les revenus (salaires du privé, salaires du public, pensions de retraites, revenus du patrimoine), avec un taux qui dépend du revenu global.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, la CSG progressive est parfaitement constitutionnelle : elle existe déjà pour les retraités, et peut être étendue dans les mêmes conditions aux salaires et aux autres revenus. Autre réforme de gauche : les retraites. Notre système est extrêmement complexe avec des dizaines de caisse de retraite qui font que les jeunes générations ne comprennent rien à ce que seront leurs droits futurs.

Une réforme de gauche, une réforme progressiste sur les retraites serait d’unifier, pour les jeunes générations, pas pour ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite, tous les régimes publics, privés, non salariés, avec une même cotisation pour toutes ces activités et des droits identiques. Une politique de gauche consisterait à refonder un régime de retraite universel où ce sont les systèmes qui s’adaptent aux trajectoires professionnelles des personnes et pas l’inverse. Dans tous ces domaines, le gouvernement est à des années-lumière d’engager la moindre réforme.

Quand est-ce que vous devenez ministre de l’Economie ?

 

Je n’ai aucun goût pour les petits fours. Ce qui me semble plus intéressant, c’est de contribuer, à la place qui est la mienne, de faire bouger l’opinion dominante en participant au débat public. C’est comme ça que les choses changent. La politique ne devrait pas être un métier. On en paie aujourd’hui les conséquences. Nous sommes gouvernés par des personnes qui confondent la rhétorique et la réalité.

(1) Il est aussi chroniqueur à Libération.

Recueilli par Cécile Daumas et Philippe Douroux
Source : Libération 
Voir aussi : Actualité France, Rubrique Finance, rubrique Economie,  rubrique  Politique, Politique économique, rubrique Société, Citoyenneté,

Israel Galvan et Akram Khan la rencontre de deux maîtres

Les deux grands chorégraphes Israel Galvan et Akram Khan.

Les deux grands chorégraphes Israel Galvan et Akram Khan.

Montpellier Danse. « Torobaka », en référence au toro et à la vache, rencontre de deux animaux sacrés et deux maîtres.

Sur le papier la rencontre Israel Galvan Akram Khan programmée sur la scène du Corum peut paraître vendeuse et elle l’est comme on l’a constaté avec l’engouement du public qui a empli la grande salle de l’Opéra Berlioz deux soirées d’affilée. Au delà de l’événement, la création Torobaka répond à une longue fidélité du festival envers ces deux artistes qu’il a contribué à faire découvrir. Elle conforte aussi la place de Montpellier en tant qu’espace de rencontre et de création. Lieu singulier en Europe où la danse contemporaine pétille, se cherche, prend des risques, innove.

Ici, ces dispositions ne sont pas que des mots. Elles concourent à la qualité du spectacle offert par les deux artistes exigeants qui ne se contentent pas de jouer sur l’effet de notoriété cumulé. C’est une vraie rencontre qui se déroule sur scène entre deux grands chorégraphes.

Chacun se livre pleinement au jeu de cette confrontation de culture avec la force et l’irrévérence créative qui les caractérise individuellement. Israel Galvan que des fées sévillanes ont trempé bébé dans l’essence du flamenco pour lui donner le don de s’émanciper de la gestuelle traditionnelle, poursuit son exploration.

Akram Khan Britannique d’origine bangladaise chorégraphe de la mondialisation inspiré par la danse kathak de l’Inde du nord semble happé par des esprits païens.

Les deux chorégraphes s’imprègnent mutuellement de leur énergie. Partagent les planches avec la complicité rythmique de leurs musiciens et chanteurs dont B.C. Manjunath, grand maître des percussions vocales et instrumentales. Chacun apporte sa langue, vibrante, sèche, et pointue chez Galvan, ronde, souple, et envoûtante chez Khan, et les deux corps conducteurs habités par une lointaine mémoire nous emportent, très loin.

JMDH

Source La Marseillaise 01/07/2015

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Dominique Pauwels. La beauté des masques

VDE9358Printemps des Comédiens. L’autre hiver, opéra fantasmagorique et dramaturgique de Dominique Pauwels.

« Il y eut un soir où contrairement aux autres soirs, les chants se mirent à se brouiller dans leurs échos. » Il y a la force du livret de Normand Chaurette. Il y a ce découpage scénographique qui laisse la part belle à la profondeur de champs comme pour rendre transparente la brume obsessionnelle emplissant les deux voyageurs. Peut-être Verlaine et Rimbaud dont la relation amoureuse fut expérimentale. Nous sommes sur le pont d’un navire errant à travers les glaces du nord.

Entre expérimentation et lyrisme L’autre hiver, nouvel opéra de Dominique Pauwels mis en scène par le duo Denis Marleau et Stéphanie Jasmin poursuit l’exploration des rapports entre théâtre et musique. La pièce conclut le Printemps des Comédiens sur une note profondément évaporée et en même temps très puissante.

Le processus de création associe la vidéo à travers un dispositif de mannequins fantômatiques incarnant le choeur. La capacité expressive de la musique associant un orchestre à cordes avec des sonorités électro se rapproche de l’art pictural. On touche à l’art total pour un spectacle qui campe les esprits.

JMDH

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Montpellier Danse : tout est mouvement dans l’espace monde

Phia Ménard «belle d’hier» photo dr

La 35e édition du festival débute ce mercredi 24 juin. Jusqu’au 9 juillet, le monde contemporain se croise pour dresser un état de la scène chorégraphique du local aux frontières lointaines.

Ouvert sur le territoire local avec une présence renforcée dans la Métropole et toujours foncièrement international, le Festival Montpellier danse qui débute aujourd’hui reçoit cette année des chorégraphes venant de treize pays différents : (Canada, Colombie, États-Unis, France, Italie, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Espagne, Pays-Bas, Israël, Maroc, Turquie). Jean-Paul Montanari, le directeur du festival, maintient depuis les premiers pas de l’événement un état de veille sur le monde de la danse qui fait du festival un moment incontournable pour la scène chorégraphique.

Comme tous les grands rendez-vous de ce type, il est aussi question de porter à la lumière la vitalité des jeunes chorégraphes. A l’instar de la jeune marocaine Bouchra Ouizguen dont la recherche permanente pose l’épineux problème du corps et plus généralement de la place de la femme dans la société marocaine. Au contact de Matilde Monnier et de Boris Charmatz, la chorégraphe qui ne craint pas de déranger s’est confrontée aux pratiques d’écriture occidentales, et bénéficie depuis plusieurs années de la fenêtre que lui ouvre Montpellier Danse sur le monde.

Autre chorégraphe porteuse de renouveau, Phia Ménard sera cette année à l’affiche avec sa création Belle d’Hier. La pièce entend travailler sur la disparition d’un mythe, par sa transformation; en l’occurrence celui du prince charmant. De formation circassienne Phia Ménard participe à la rencontre et à la redéfinition des deux arts du mouvement que sont la danse et le cirque. Elle ouvre un champs émotionnel et poétique prometteur.

Fruit d’un savant dosage, la programmation offre également l’occasion de retrouver quelques grands noms de l’histoire chorégraphique. A commencer par le spectacle de ce soir, la création Extremalism du duo italo-hollandais Emio Greco et Pieter C.Scholten tout fraîchement nommés au Ballet national de Marseille. Autre duo de taille Israel Galvan et Akram Khan, présenteront leur création Torobaka où jouteront les influences du kathak indien et la virtuosité du flamenco. On attend aussi la présence des maîtres reconnus, Anne Teresa de Keersmaeker, Ohad Naharin, et Maguy Marin dont les oeuvres ont modifié le sens conféré au concept d’espace.

A l’heure où le Festival débute sa 35e édition, il paraît peu opportun de se questionner sur l’état de la danse contemporaine. Peut être parce que le chiffre 35 parle de lui-même et que cette interrogation sur la crise de l’expression chorégraphique paraît datée.

En vertu du rapport étroit qu’elle entretient avec la notion d’immanence, la danse contemporaine a toujours été un laboratoire d’actions nouvelles. La danse est par ailleurs un puissant stimulant de l’activité réceptrice, notamment dans les arts du spectacle vivant. Que l’on constate l’apport de la danse au théâtre, à la musique ou encore au cirque, pour apprécier les bienfaits transmis dans le rapport à l’espace au mouvement et au temps.

La danse se dessine dans un mouvement qui porte son propre tracé et situe la place du corps en modifiant l’espace. Il ne faut donc pas tenir à comprendre mais inventer un nouveau sens. A ce titre, la place que Montpellier danse accorde à la création demeure un critère incontournable avec 14 créations à découvrir.

Comme le ferait dire l’auteur Jérôme Ferrari à un de ses personnages, la danse contemporaine répond, à sa façon, au principe physique de l’incertitude.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 24/06/2015

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Printemps des Comédiens 2015

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Julien Gosselin a réussi

lpe_1_gosselinhTh CDN. Les particules élémentaires du roman au théâtre en passant par le cinéma, la recette est bonne !

Revenir à Houellebecq avec Les particules élémentaires c’est un peu oublier le discours à forte connotation politique et idéologique de l’auteur autour de son dernier livre Soumission.

La pièce tirée du roman fleuve paru en 1998 est habilement mise en scène par Julien Gosselin qui joue sur le registre opéra rock. Le spectacle est prétexte à un délire musical bien rock and roll, sexuellement débridé et plein d’humour. On connaît le talent de Houellebecq pour occuper le centre de la scène littéraire française, s’attirant tous les projecteurs et pas mal de pognon…

Voilà donc une bonne occasion de s’instruire sur les recettes retenues par l’auteur à la sulfureuse réputation. Dans ce texte, plein de facilités, il s’attaque aux forces de l’univers. Et pour tout dire mieux vaut le voir au théâtre que de se taper son bouquin.

Un coup d’éclat donc pour le jeune metteur en scène dont la pièce n’a cessé de tourner depuis Avignon il y a deux ans. Les quatre heures de divertissement trompent l’ennui et ce spectacle « dédié à l’homme », qui fait songer à une forme de « littérature réalité » devrait constituer une référence,voire un nouveau modèle économique. Il suffit de changer les scénarios, les lieux, les personnages et travailler le bouche à oreille…

JMDH

Source La Marseillaise 23/06/2015

 

Go down Moses.  Choc esthétique et décollage onirique

GO-DOWN-MOSES_C_LUCA_DEL_PIA-672x359Go down Moses. Castellucci au Printemps des comédiens, un théâtre bien au-delà du réel qui nous perd et nous retrouve.

L’italien Roméo Castellucci compte avec le compositeur Dominique Pauwels, mis en scène par Denis Marleau, parmi les invités attendus et prestigieux de cette édition 2015. Ces artistes n’ont rien de commun hormis leur formidable capacité à nous vasculariser hors des grandes artères pour nous plonger dans le monde puissant de leur univers qui relève du monde du rêve.

Dans Go down Moses Roméo Castellucci fait, à sa façon, référence à Moïse. Le seul homme qui ait rencontré Dieu. On est aux antipodes de la démarche quasi patrimoniale du travail de Benjamin Lazar qui gère les ressources culturelles dans Le Dibbouk. Go down Moses parle d’une très vieille histoire débarrassée, des fausses vérités religieuses, des idées reçues et quelque part, de sa fonction nécessaire permettant l’établissement du lien social. Comme si Castellucci souhaitait nous perdre pour nous retrouver. Comme s’il souhaitait renouveler la façon dont on conçoit le rapport du langage à la réalité et au mythe.

Il résulte que le signifié sur le plateau n’est pas la réalité elle-même, mais une construction signifiante de la réalité. Il en va ainsi de la première scène où les humains se mesurent sans s’aimer, ou de la scène de la poubelle où l’enfant n’est déjà plus dans le sac en plastique. De cette machine qui turbine pour « nous exiler de notre être », du scanner, fierté de l’imagerie médicale, qui propulse bien plus loin que les pales performances scientifiques. C’est de cette construction de sens qu’on appellera le réel signifiant du monde dont l’artiste tire sa matière et sa spiritualité.

La fascination de Roméo Castellucci pour Moïse, libérateur de l’humanité, porte en germe l’ambition que cette libération pourrait aussi bien provenir de l’art.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 23/06/2015

Jean Varela : « qu’entend-on nous par culture ? »

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Après l’annulation de l’édition 2014 liée au combat des intermittents et précaires, le directeur du Printemps des Comédiens de Montpellier défend une politique culturelle émancipatrice ouverte et généreuse. A l’occasion du Festival Le Printemps des Comédiens qui se tient jusqu’au 28 juin au Domaine d’O à Montpellier son directeur artistique Jean Varela évoque les orientations théâtrales et politiques de sa mission.

Vous proposez cette année votre cinquième programmation. Vos choix artistiques et votre engagement en faveur du service public de la culture sont reconnus. Etes-vous serein ?

Cinq ans, on appelle cela un lustre. Serein n’est pas le mot. Je dirais que j’espère. Et en même temps je doute davantage. J’ai été nommé de façon provisoire, les enjeux n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Depuis, nous avons essayé de construire une politique culturelle qui soit exigeante et pas élitiste tout en gardant le cap, malgré les difficultés. Le Conseil départemental protège la culture par son engagement. C’est une longue histoire commune.

Le festival et son équipe sortent-ils renforcés ou affaiblis de la mobilisation ayant conduit à l’annulation en 2014 ?

Le noyaux de l’équipe se compose de cinq personnes, pour beaucoup présentes depuis l’origine. Il y a eu des questionnements durant la traversée de l’été 2014. Notamment sur la ligne que j’ai choisi d’adopter en me portant, non solidaire du combat mais dans le combat, en tentant d’expliquer qu’il fallait que les représentations se tiennent, puisque c’était mon rôle. Nous étions tous dans l’incertitude du lendemain. Il a fallu faire œuvre de pédagogie. Reconnaître les choses, comme savoir d’où on vient et pourquoi on se trouve là ? A la fin la grève m’a inquiété et en même temps, la non tenue d’un mouvement m’aurait aussi inquiété. Je suis reconnaissant envers André Vezinhet et sa majorité, envers le public, les artistes et les techniciens… Ce qui ne tue pas renforce. J’ai vu chez les gens une prise de conscience plus forte de l’endroit où s’inscrivent nos métiers, et ce ne sont pas que des mots…

Comment gérez-vous les contraintes d’ordre budgétaire cette année ?

Pour résoudre l’équation budgétaire qui représente -6% sur le budget 2014 et -10% cette année nous avons été contraints de réduire la voilure qui se traduit par une réduction de la durée du festival et du nombre de lieux de représentation. Il n’y a pas de lieux éphémère cette année.

Quels choix avez-vous opérés pour cette programmation ?

J’ai d’abord fait le choix, de ne rien programmer de l’édition de 2014. Ce n’est pas intéressant de refaire la même chose, nous sommes passés à un autre moment, et puis j’aurais trouvé injuste de ne programmer que certains artistes. Même si des ponts surgissent parfois entre les spectacles d’une même édition, le festival ne s’articule pas autour d’une thématique. L’accompagnement des artistes en coproduction, le soutien à la création apparaissent en revanche comme un axe de travail. Dans cette programmation nous coproduisons Nobody de Cyril Teste, Le Dibbouk de Benjamin Lazar, Go down Moses, de Roméo Castellucci, ou encore En avant, marche ! d’Alain Platel. Il est important de partager avec le public la notion essentielle du risque qui permet aussi de montrer ce qu’est le théâtre.

Qu’en est-il de l’enjeu politique : le gel du soutien de la Métropole, la place de la culture sous la présidence du nouveau président Kléber Mesquida ?

Le président de la Métropole a annoncé avant les élections qu’il voterait la participation de la Métropole, pour l’instant le versement est suspendu. J’espère et reste confiant sur les possibilités de trouver une solution. Je connais la conviction dans l’intérêt général du président Kleber Mesquida qui est le député de mon lieu de résidence. Il considère le service public de la culture comme un enjeu fort des politiques publiques. Il a souhaité souligner l’importance du Domaine de Bayssan à l’ouest du département, violemment attaqué par le FN durant la campagne.

Quelle place attribuez-vous au théâtre dans cette période de crise politique, identitaire, démocratique..?

Depuis mon enfance je vis dans la crise. Et je constate chez les jeunes générations d’artistes, qu’ils n’espèrent même plus que la crise se termine. C’est comme un état de crise permanent et non permanent car ce n’est pas la crise pour tout le monde. La place du théâtre d’art est essentielle. Le clivage qui existait jusque dans les années 80 entre la droite et la gauche s’est quasiment estompé. La culture, dit on, est une priorité, mais qu’entend-on nous par culture ? Une culture qui éveille, permet l’émancipation, le rêve partagé ou une culture du plus grand nombre ? Les forces de progrès devraient se questionner fortement sur cette problématique et affirmer leur vocation, ce que fait le Conseil départemental en soutenant le Printemps des Comédiens.

Les choix artistiques de cette nouvelle programmation oscillent sans parti pris entre l’hybridation des formes portées au plateau et l’attachement au texte…

Oui, cette année nous pouvons entendre ce que dit Falk Richter dans Nobody et ce que disait Beaumarchais. avec Le mariage de Figaro. Cyril Teste travaille sur un texte en usant des technologies actuelles de l’image. A côté de cela, on trouve le travail très digne de Benjamin Lazard qui fait revivre la langue et la musique d’un peuple dans Le Dibbouk, ou l’hommage que rend Laurent Pelly au théâtre avec L’oiseau Vert. Nous tentons d’accompagner le public en restant proche de son désir de curiosité, de verbe et de sens. On peut avoir l’image d’un théâtre figé, mais souvenons nous que le théâtre s’est toujours adapté très vite aux nouvelles technologies les Grecs ont introduit la machinerie, les Italiens les techniques de navigation. Le gaz et l’électricité sont entrés très tôt dans les théâtres qui ont toujours été et devraient demeurer des endroits très ouverts.

 Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

 

Source La Marseillaise lundi 15 juin 2015

 

Cirque Balthazar 25 piges éternelles
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 Printemps des comédiens. BiZARaZar cabaret bal Loufoque jusqu’au 13 juin.

Le centre des arts du cirque de Montpellier tient sa place au Printemps qui ouvre chaque année la possibilité aux jeunes circaciens en 1ère et seconde année de classe pro de se confronter au public. Un moment attendu de la programmation où se conjugue la culture sensiblement décalée du cirque Balthazar, et les traits de personnalité saillants des jeunes artistes.

Comme toujours, chez Balthazar c’est l’énergie du groupe qui permet la mise en valeur des individus. Les origines se mêlent et s’enrichissent sur une bande son de choix qui fait le tour du monde et des époques en explorant tous les styles de musique : salsa, jazz, techno, transe, rock, valse, reggae, chanson…

La mise en piste de Bi- ZARaZar, débute dans l’anonymat stressé des transports urbains.
Mais très vite les voyageurs du quotidien rejoignent un intérieur de type bar cabaret où vont se nouer une série d’interactions qui révéleront les caractères, talents, et, coups de nerf des personnages.

On touche du doigt la dimension poétique des sensations quand les stagiaires de la formation professionnelle exercent leur art et leur recherche en jouant à contre-sens
de l’attendu, comme si leurs performances se mettaient en oeuvre malgré eux. On savoure le côté bastringue et provocateur des artistes. On se laisse emporter dans
la magie révélatrice de l’art du cirque qui brise bien des codes et représentations.

JMDH

Source La Marseillaise 12/06/2015

 

Montpellier : quand le théâtre vole au secours de l’imaginaire

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Le rideau de tissu et de pins se lèvent aujourd’hui sur la 28e édition du Printemps des Comédiens. Un moment fort et novateur pour un public avide de rencontres et découvertes théâtrales.

Sous les feux de l’actualité l’année dernière, le Printemps des Comédiens s’est illustré à travers la parole révoltée des artistes et des techniciens du spectacle. Il a été le cœur national de la mobilisation des intermittents et précaires ne craignant pas d’engager son avenir, dans ce conflit éprouvant.

Faute de budget, la manifestation sera un peu écourtée cette année mais cette lutte brille pour souligner que la création ne se met pas toujours au service du pouvoir et rappelle que le théâtre est sans doute la forme d’expression artistique qui présente le plus souvent des sujets politiques et sociaux. Enfin le combat de 2014 n’est pas étranger à la délibération de l’Assemblée nationale, qui vient de graver dans le projet de loi sur le dialogue social et l’emploi le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle.

«Le Printemps a eu à vivre une édition 2014 singulière dans un moment complexe. J’ai soutenu sa démarche, indique Michaël Delafosse qui vient de prendre les rênes de L’Epic du Domaine D’O. Je me réjouis que l’Epic ait été un lieu de débats sur le rôle de la culture. Les artistes ont des choses à exprimer. Ce qui s’est passé a généré de la souffrance et en même temps, les gens se sont solidarisés, il y a eu un vrai dialogue avec le public. La culture ne se résume pas à des actes de gestion.»

Le choix de la qualité

C’est donc avec joie que ce beau festival reprend sa vocation aujourd’hui jusqu’au 28 juin. Le théâtre est entendu au Printemps des comédiens comme un médium qui développe l’imaginaire. Il est question de mettre en relation notre quotidien avec le fantastique, comme le spectacle Nobody qui débute ce soir. Cyril Teste met en scène de manière novatrice la vie compliquée d’une entreprise de bureaux d’après un texte de Falk Richter.

Avec une quinzaine de spectacles sur 18 jours le Printemps joue la carte de la qualité. Le directeur artistique Jean Varéla a concocté une affiche qui compte des grands noms de la scène contemporaine tels que l’Italien Romeo Castelluci qui poursuit sa quête spirituelle. Après le Christ il évoque la vie de Moïse dans Go down, Moses, pour la projeter dans notre époque. Benjamin Lazar usera des cordes baroques pour un Roméo et Juliette yiddish avec Dibbouk de Lazar.

Le jeune metteur en scène Julien Gosselin s’attaque aux Particules élémentaires de Michel Houellebecq en partenariat avec le h.T.h CDN de Montpellier. Décollage lyrique et poétique assuré, proche des rivages de Verlaine et Rimbaud avec L’autre hiver mis en scène par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin sur un opéra innovant de Dominique Pauwels. Autre sortilège à suivre la fable philosophique de Carlo Gozzi, L’oiseau Vert dans une très belle mise en scène de Laurent Pelly.

Le festival croise depuis 28 ans les expériences artistiques de tous les continents avec une connaissances singulière des univers du théâtre, du cirque et du spectacle de rue. Dans ce registre on retrouvera le Nouveau cirque du Vietnam pour A Ô Làng Phô. Les artistes nous entraînent dans leurs pulsations poétiques à travers des tableaux vivants. Avec le spectacle En avant marche, le Flamand Alain Platel s’intéresse aux artistes de fanfare, réjouissances populaires et notes en folies. Le festival est passé maître dans le mélange des techniques scéniques pour les mettre au service des personnages et de la mise en scène. Une idée du théâtre pour tous avec le souci du détail et une haute exigence artistique.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 10/06/2015

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique FestivalMontpellier,