Grèce. Le croque-mort de Lesbos

Dans la mythologie grecque, Charon le passeur des Enfers est le fils d’Érève (les Ténèbres) et de Nyx (La Nuit). Il a la charge de faire passer sur sa barque, moyennant un péage, les ombres errantes des morts à travers le fleuve Achéron vers le séjour des morts. Le vieil homme à l’aspect revêche, sale et peu aimable mais solide, qui ne cède pas aux prières de ceux qui n’ont pas de quoi payer.
 
Dans notre monde aveuglé par la course aux profits, la peur et le manque de courage politique, les morts sont trop nombreux pour le gardien d’Agios Panteleimon. Il n’y a même pas assez de sacs en plastique pour mettre les corps…
voir l’article de Libération
Le croque-mort de Lesbos :

Le croque-mort de Lesbos :

L’île grecque, submergée par les milliers de noyés qui tentaient de rejoindre l’Europe, manque de moyens pour s’occuper des dépouilles de migrants.

Un petit nounours en peluche, mouillé par la pluie. Un hochet pour bébé maculé de boue. Au cimetière d’Agios Panteleimon, les jouets signalent les tombes des enfants. Des carrés de ciment hâtivement scellés, voire de simples monticules de terre fraîchement retournée. Ornés trop souvent de la mention «inconnu», accompagnée d’un code, comme une bouteille à la mer : celui de l’échantillon d’ADN prélevé avant l’enterrement, qui pourrait permettre un jour d’identifier les corps. Tous sont morts noyés lors d’une odyssée qui, en l’espace d’un an, a vu plus de 850 000 migrants accoster les îles grecques.

L’Europe se déchire sur le sort à réserver aux survivants, ceux qui ont franchi tous les obstacles. Mais sur la façade orientale de la Grèce, et notamment sur l’île de Lesbos, où ont eu lieu près de 60 % des arrivées, il faut aussi penser à gérer les morts. Parmi les victimes, les enfants sont d’autant plus nombreux qu’ils représentent près de 30 % de ces désespérés qui font partie du plus important flux de réfugiés qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour la seule journée de vendredi, 45 personnes dont 20 enfants ont trouvé la mort pendant ces traversées.

 

«Rite».

Perché sur une colline, tout en haut de la capitale de l’île, le cimetière d’Agios Panteleimon a déjà accueilli plusieurs vagues de migrants malchanceux : ceux de 2008-2009, nettement moins nombreux, mais aussi ceux venus d’Asie mineure, au début du XXe siècle. «Des Grecs installés depuis toujours sur la rive d’en face et qui ont été chassés après 1922 [lors des échanges de populations entre la Turquie et la Grèce, ndlr]. 70 % des habitants de Lesbos sont en réalité des descendants de réfugiés», pointe Christos Mavridakis, le gardien d’Agios Panteleimon. Mais cette fois-ci, les morts sont trop nombreux, et le cimetière a fini par déclarer forfait début décembre : plus assez de places. Désormais, les victimes sont enterrées ailleurs, dans un champ réquisitionné par les autorités, où déjà une cinquantaine de tombes se dressent dans un paysage désolé. Christos Mavridakis ne sait pas grand-chose des morts dont il a la garde, mais il se souvient des pleurs déchirants de ce couple syrien venu enterrer ses deux jeunes enfants cet automne.

«Quand tu décides de quitter un pays en guerre et de faire tout ce périple, tu le fais d’abord pour tes enfants. Comment peux-tu survivre à leur perte ? Comment peux-tu repartir en les laissant derrière toi, sur cette terre inconnue, dans un cimetière chrétien de surcroît ?» soupire-t-il. Pour la plupart, les morts sont musulmans. «Il ne faut pas faire attention à l’orientation des tombes : sous terre, les corps, eux, regardent vers La Mecque, à la demande des survivants», explique le gardien.

«Un jour, j’ai reçu un curieux coup de fil. De l’ambassade de Syrie à Athènes, qui voulait savoir si les morts étaient enterrés selon le rite musulman», raconte dans un café du nord de l’île Alexandros Karagiorgis, surnommé «monsieur Alekos» (diminutif d’Alexandros). «Je leur ai répondu que moi, je ne les enterre pas, je me contente de les transporter», ajoute-t-il, flegmatique, en vidant d’un trait son café freddo.

Lui, c’est le croque-mort de Lesbos. A la tête des deux entreprises de pompes funèbres de l’île, l’homme âgé de 56 ans a d’abord travaillé à Athènes avant de revenir sur son île natale, en 2002. Treize ans plus tard, son «expertise» est devenue le seul recours face à l’accumulation soudaine des cadavres sur les plages : plus de 3 700 personnes ont péri noyées dans la mer Egée depuis janvier 2015.

Le portable de monsieur Alekos n’a depuis jamais cessé de sonner. «Dès qu’on trouve des morts, les autorités m’appellent. Et me voilà en train de foncer d’une plage à un récif avec ma camionnette»,raconte monsieur Alekos, qui n’a jamais été dédommagé pour ses services. «On ne me fournit même pas assez de sacs en plastique pour mettre les morts ! Je suis souvent obligé de laver ceux déjà utilisés», soupire-t-il. Car la tragédie des migrants frappe un pays ruiné, soumis à une austérité drastique qui a affaibli les services publics. Jusqu’à la mise en place de deux véhicules par Médecins sans frontières cet automne, il n’y avait qu’une seule ambulance pour cette île de 90 600 habitants et de 1 634 km2.

Faux gilets

A chaque naufrage, l’île est pourtant en état d’alerte. Et accueille les survivants, comme les nouveaux morts. «Sauf que certains corps descendent d’abord au fond de la mer avant de remonter», explique monsieur Alekos, qui a récemment ramassé la dépouille d’une femme qui «avait dû passer plus d’un mois dans l’eau», dit-il. «J’ai essayé de la soulever, mais son corps glissait comme du savon. Sa peau partait en lambeaux», se désole-t-il.

Les morts sont les seuls migrants qui restent sur l’île. Tous les autres, à peine arrivés, sont déjà pressés de repartir. Ils abandonnent derrière eux leurs morts et ces gilets de sauvetage orange qui ont envahi les plages. Achetés en Turquie, certains seraient des faux fabriqués dans des usines clandestines. «C’est pour ça que tant d’enfants se noient. La plupart ne savent pas nager, mais ils n’ont de toute façon aucune chance de flotter», explique le vieux Christos Mavridakis, dernier compagnon des petits fantômes de Lesbos.

Maria Malagardis

Source Libération 26 janvier 2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique UE, La plupart des migrants ne se réfugient pas en Europe, Grèce, rubrique Politique, De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité , Politique de l’immigrationLe camp de Grande-Synthe, enfer et contre tout,  rubrique Société,

Riverbanks. Un saut quantique près du fleuve

17135Riverbanks

Une immersion dans les mythes et symboles méditerranéens. (Photo DR)

Cinemed compétition long Métrage. « Riverbanks « du réalisateur grec Panos Karkanevatos.

En compétition pour l’Antigone d’or 2015, Riverbanks de Panos Karkanevatos aborde moins la question de l’immigration en elle-même que celle du mouvement permanent dont un des personnages principal, le fleuve Evros à la frontière gréco-turque, est un symbole vivant.

Aux abords de la rivière Chryssa, une jeune femme impliquée dans le trafic des passeurs rencontre Yanis qui démine la rive en jouant avec la mort. A cet endroit, le flux de migrants, pour la plupart des enfants, est aussi constant que celui de l’eau. Mais la terre d’espoir que foulent les clandestins dans des conditions dantesques est truffée de métal qui les font disparaître. Chryssa et Yanis le savent.

La force cinématographique de Panos Karkanevatos se situe dans la singuliarité de ses personnages hyperprésents en ce lieu de passage entre la vie et la mort. « Je me situe loin de l’actualité », confie à juste titre le réalisateur grec qui ne s’attache à aucun jugement. Seuls comptent le présent, l’amour, le désespoir et l’espoir.

En ce lieu symptomatique de la mondialisation non loin du mur de 12 km inutilement construit par les autorités grecques, la conscience des personnages au bord du gouffre s’exacerbe. Sans réelle prise sur leur destin, la sensibilité naturelle qui surgit pousse Chryssa et Yanis à s’attacher l’un à l’autre sur des valeurs qui les rapprochent plus profondément, plus intimement.

Panos Karkanevatos affleure avec ce film la « mouvance », d’un état d’esprit individuel et apatride dans lequel la mondialisation nous a intégrés. Cette rencontre d’âme au bord de l’eau collective perturbe notre psychisme en nous plongeant dans un état supérieur de cognition. Karkanevatos redessine en toile de fond le mythe d’Orphée en nous immergeant dans les rythmes méditerranéens.

JMDH

Source :  La Marseillaise 30/10/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Cinéma,  rubrique Festival, Cinemed, Grand FocusLa caméra comme un stylo, rubrique Méditerranée, rubrique Grèce, Cinéma Grec,

Majorité absolue pour les indépendantistes catalans : la désintégration de l’UE se poursuit

Le président catalan sortant, Artur Mas, a voté dimanche à Barcelone.

Le président catalan sortant, Artur Mas, a voté dimanche à Barcelone.

La liste indépendantiste catalane, Junts pel si (Ensemble pour le oui, 62 élus) du président catalan sortant Artur Mas disposera de la majorité absolue au Parlement régional en comptant les représentants de l’autre liste indépendantiste de la CUP (extrême gauche, 10 élus). Date prévue de l’émancipation catalane hors du giron espagnol : 2017 au plus tard.

Au-delà du problème intérieur espagnol, ce sont bien les fondations de l’institution européenne qui continuent d’être rongées. Car la Catalogne n’est pas la seule région européenne à être saisie par des envies de dissidence. Fort de son succès lors des dernières législatives britanniques (56 sièges sur 59), le Parti nationaliste écossais (SNP) envisage d’ores et déjà un second référendum sur la question pour fin 2016.

Et pour ne rien arranger aux affaires des européistes, le président du gouvernement du Pays basque, Iñigo Urkullu, vient de réclamer à son tour une « consultation légale » sur l’avenir de la « nation » basque en Espagne.

Parallèlement, on assiste au sein de l’UE à la montée en puissance de forces et de leaders politiques hors cadre (Syriza, Podemos, Jeremy Corbyn…).

Le signe d’un agacement populaire grandissant

On ne niera pas que ces divers mouvements de rébellion institutionnelle et politique progressent eux-mêmes à travers de forts courants contraires :

  • Les motivations des indépendantistes, qu’ils fussent catalans, écossais ou basques, ne répondent pas forcément à des considérations sociales et humanitaires ; il est clair que la Catalogne et l’Écosse ne sont pas vraiment des régions défavorisées et que le leader indépendantiste catalan Artur Mas n’est pas franchement de gauche ;
  • le retournement de veste d’Alexis Tsipras laissera sans nul doute des traces indélébiles chez les électeurs de Syriza, comme en témoigne la brusque hausse de l’abstention lors de la dernière consultation législative grecque ;
  • les atermoiements des leaders de Podemos sur la question européenne trouble fortement l’électorat de ce jeune parti, en baisse dans les derniers sondages et manifestement gêné aux entournures devant le cas catalan ;
  • enfin, le non de gauche à l’Europe n’a pas forcément grand-chose à voir avec le non de droite, encore moins d’extrême-droite. L’indépendantisme catalan n’a sans doute que peu de points communs avec le nationalisme autrichien exacerbé du FPÖ (Parti autrichien de la liberté) qui, ce même dimanche, vient de réaliser une percée spectaculaire lors d’une élection régionale partielle.

Il n’en demeure pas moins que l’émergence multipliée de forces hors cadre est le signe d’un agacement grandissant d’une grande partie des électeurs contre des institutions européennes dont chacun a désormais pu mesurer le caractère foncièrement pervers et antidémocratique, notamment lors des récents soubresauts grecs.

Avis de fortes perturbations sur le continent européen

Ne nous leurrons pas, il y a fort à parier que les autocrates bruxellois ne se laisseront pas sans réagir tondre la laine sur le dos par une poignée de braillards aussi exaspérés et résolus soient-ils, de gauche comme de droite ou d’extrême-droite. Le Parti populaire de Mariano Rajoy n’a pas tardé à monter au créneau pour faire valoir que si les indépendantistes catalans étaient majoritaires en sièges, ils ne l’étaient pas en voix. Conclusion référendaire étonnante, pour un scrutin qui ne l’était pas, de la part d’un parti qui refuse absolument toute consultation sur la question et qui en l’occurrence amalgame tous les bulletins de vote hors indépendantistes, y compris celles des électeurs de Podemos dont une grande partie, à l’inverse de sa direction, est loin d’être insensible à la thèse dissidente.

On sait la considération très relative que les technocrates européistes ont des verdicts démocratiques quels qu’ils soient, dès lors que ceux-là vont contre leur volonté et leurs intérêts. On a vu leurs éléments déchaînés lorsque Syriza a fait mine de rompre les amarres de l’austérité mémorandaire. Et un général de l’armée britannique a froidement déclaré à propos de Jeremy Corbyn que l’armée ne permettrait pas de « mettre un franc-tireur en charge de la sécurité du pays. L’armée ne le supporterait tout simplement pas et utiliserait tous les moyens possibles, bons ou mauvais, pour empêcher cela ».

On n’oubliera pas non plus la versatilité des convictions les plus enracinées qui frappe les forces supposées progressistes dès lors qu’elles sont alléchées par les sirènes de la corruption. Difficile de faire son Jacquou-le-Croquant lorsqu’on palpe soudain les émoluments plus que confortables de député. Les votes « collabos » des chambres-godillots parlent pour eux-mêmes, n’est-ce pas Mesdames et Messieurs les élus rescapés de feu Syriza ?

Il n’empêche que les ultimes défenseurs du vieil appareil néolibéral ont une sacrée épine dans le pied : la désintégration économique et financière que plus un Mario Draghi à la BCE, plus une statistique trafiquée du chômage, plus une facétie d’un Emmanuel Macron, plus une déclaration imbécile d’un président-pédalo ne sauraient faire oublier. L’avis de fortes perturbations à déferler sur l’Europe atteint un niveau d’alerte rouge critique.

Le Yeti twitter

Source Politis.fr 26/09/2015

Photo AFP

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique UE, Espagne, Grande-Bretagne,

Yanis Varoufakis déplore l’impuissance de la France en Europe

michel-sapin_yanis-varoufakis-2015_mappp_371

L’ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis a déploré lundi l’impuissance de la France en Europe, qu’il dit avoir découvert avec surprise lors des négociations sur la Grèce.

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a balayé ces remarques, expliquant qu’on ne pouvait pas à la fois souhaiter une bonne entente entre Paris et Berlin et reprocher à la France sa position lors de la crise grecque.

La veille, Yanis Varoufakis avait plaidé, aux côtés de l’ancien ministre français de l’Economie Arnaud Montebourg, pour une réorientation de la politique économique en Europe.

« J’admire beaucoup la France, or j’ai été témoin de son impuissance en Technicolor, j’ai constaté un décalage entre ce que ses représentants disaient et ce qu’ils faisaient », a dit Yanis Varoufakis sur BFM TV et RMC.

« C’était très douloureux pour quelqu’un comme moi qui pensait que la France pouvait être très influente au sein de la zone euro », a-t-il ajouté.

Yanis Varoufakis avait quitté le gouvernement d’Alexis Tsipras début juillet après avoir été le tenant d’une ligne dure dans les négociations européennes.

« Lors de mes conversations avec Messieurs Sapin et Macron, nous sommes tombés d’accord sur quasiment tout. Mais quand on se retrouvait aux réunions de l’Eurogroupe, cet accord s’évaporait », a-t-il poursuivi. « Pourquoi ? Parce que les représentants de la France ne croyaient pas disposer de l’autorité nécessaire pour décider. »

Le ministre des Finances Michel Sapin « avait de bonnes intentions », a précisé Yanis Varoufakis, mais l’influence de son prédécesseur Pierre Moscovici, devenu commissaire aux Affaires économiques, n’était pas suffisamment importante, a ajouté l’ancien ministre grec.

Interrogé sur ces déclarations, Jean-Christophe Cambadélis a répondu sur RTL : « ce n’est pas ce que dit monsieur Tsipras. »

« J’ai cru comprendre il y a quelques mois qu’on reprochait au président de la République de s’être éloigné de Madame Merkel et aujourd’hui on lui ferait le reproche de s’être aligné. Franchement, à un moment donné, il faut choisir ses angles d’attaque », a-t-il ajouté.

Jean-Baptiste Vey,

Source : Reuter 24/08/2015

Voir aussi : Actualité France Rubrique UE,  rubrique Politique, Politique Economique, Politique internationale, rubrique Grèce,

Grèce. Francis Wurtz : «Transformer l’indignation en arguments»

Francis Wurtz salue la loyauté d’Alexis Tsipras face au choix terrible qui vient de lui être imposé .

Francis Wurtz salue la loyauté d’Alexis Tsipras face au choix terrible qui vient de lui être imposé .

FRANCIS WURTZ. Personnalité politique respectée ayant siégé des décennies comme député européen, Francis Wurtz s’exprime sur les questions soulevées par l’accord signé par la Grèce. Député européen de 1973 à 2009, le communiste Francis Wurtz a présidé le groupe parlementaire de la gauche unitaire et participé à la création du parti de la gauche européenne.  

Votre analyse sur l’accord et les raisons qui ont poussé Alexis Tsipras à l’accepter ?

La principale nouveauté par rapport aux négociations qui s’étaient déroulées jusque là est que les dirigeants allemands avaient décidé de bouter la Grèce hors de la zone euro. Cela a été dit, même habillé grossièrement par une suspension provisoire. Ce qui a provoqué de fortes oppositions, pour des raisons diverses, certains étant surtout motivés par la peur des conséquences qu’un Grexit aurait sur un plan financier comme politique. Face à cette opposition, les dirigeants allemands ont cherché à obtenir cette sortie en imposant des conditions insupportables.

Un choix terrible pour Alexis Tsipras sachant que le système bancaire grec n’avait, pour seule source de financement, que les emprunts auprès de la BCE. Refuser l’accord, c’était voir couper le dernier robinet de crédit. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Alexis Tsipras a été horrifié par ce qu’il a signé, il a d’ailleurs dit avec loyauté et franchise qu’il ne croyait pas à cet accord. Mais il n’a pas voulu prendre la responsabilité historique de jeter son pays dans une catastrophe inimaginable.

A gauche, certains comme Jacques Sapir, Lordon ou encore le nobel Krugman pensent cependant que rester dans l’euro n’est pas la solution ?

Le statu quo dans la zone euro est aujourd’hui impossible. Il faut mener un combat pour changer en profondeur les règles d’un euro qui n’est pas fatalement un outil de vengeance au service des puissances. Il faut s’appuyer sur l’émotion ressentie par la population face à l’attitude des dirigeants allemands instrumentalisant l’euro dans le but politique d’en finir avec la première expérience politique alternative en Europe. Par exemple, la BCE a un formidable pouvoir : celui de créer de la monnaie à partir de rien. Elle s’en est servi à hauteur de 1140 milliards d’euros mais au service des banques. Imaginons ce que cela pourrait donner si cela se faisait au service de la Grèce ? Une union monétaire solidaire est possible, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Ce qui s’est passé montre cependant un processus antidémocratique et suscite une question : l’Europe est-elle réformable de l’intérieur ?

Il faut passer par des ruptures fondamentales, ce sont les fondements de classe qui sont dans les traités que nous devons combattre. La Grèce était malheureusement le pays le plus mal placé pour faire basculer le système, ayant un poids modeste et étant très fragilisé par son endettement. Mais ce qu’elle a fait a ouvert la voie. Ce n’est pas comme ce qui s’est passé contre le projet de constitution qui était un coup de boutoir des populations. Là, il y avait un gouvernement clairement mandaté, massivement soutenu.

Un des premiers enjeux est de rompre avec ce non-respect de la souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il faut rassembler les forces. Affirmer qu’il suffit de désobéir à Bruxelles est trop léger. Il faut établir un rapport de force, se trouver des alliés. C’est pour cela que nous avons créer le parti de la gauche européenne, pour faire du lien entre les partis politiques et les mouvements sociaux qui contestent ces règles. Il ne faut pas en rester à cette indignation, légitime, très forte dans beaucoup de pays y compris en Allemagne où un sondage vient de montrer que 62% de la population ne voulait pas d’un Grexit. On doit la transformer en argument.

Le soutien à la Grèce a-t-il été à la hauteur ?

Il y a eu de belles prises de position, y compris en Allemagne où la fédération de tous les syndicats a clairement pris partie, et dès le début, en faveur de Syriza, de beaux rassemblements comme durant le forum européen des alternatives à Paris. Mais compte-tenu de l’enjeu crucial que représente  la victoire de Syriza pour nous tous, de la férocité de ceux qui tiennent le manche, le mouvement de solidarité n’a pas été suffisant et il faudra en tirer la leçon.

Les nationalismes sont aussi présentés comme guettant une sortie de l’euro et de l’Europe ?

Si on ne se bat pas pour éviter  la destruction de l’Union européenne, le revers est effectivement le nationalisme. Crise, concurrence, absence de perspective… tous les ingrédients sont là. Ce n’est pas le moment d’aller vers le chacun pour soi, ce serait aller vers un danger mortel. Il faut une union des peuples, il faut se battre ensemble pour créer les conditions des ruptures nécessaires, rassembler pour construire des alternatives. En face, les positions sont extrêmement défensives. Ils ont compris le danger que représentait la réussite de Syriza dans une opinion publique qui s’éloigne toujours plus des institutions européennes. Il y a un divorce. Je ne vois pas comment désormais ils pourront justifier leur pouvoir avec des références mielleuses dans les traités foulées du pied chaque jour.

Cette crise grecque a aussi vu l’expression de l’opposition de peuples du nord, pauvres, pressurisés par l’austérité ?

C’est le principe absolu des réactionnaires : monter les pauvres contre les pauvres. Un syndicaliste le vit dans son combat dans son entreprise, le militant politique dans son pays, là on l’a vu à l’échelle européenne. Il faut se battre contre cela et expliquer : la solidarité avec les uns ne se construit pas contre les autres. Le problème n’est pas celui qui est un peu moins pauvre, mais celui qui monopolise le pouvoir et impose ces politiques régressives. Et au-delà des pauvres de l’Est et du Sud, la tentation est grande d’opposer plus globalement le nord et le sud. Malgré la formule d’union européenne, le danger est celui d’une désunion européenne.

Entretien réalisé par Angélique Schaller          

Source La Marseillaise 17/07/2015

Voir aussi : Rubrique UE, Grèce, Syriza « La volonté d’un nouvel équilibre politique »,