La rue égyptienne, sans la présence d’institutions étatiques solides, ne peut révoquer un élu avant la fin de son mandat sans générer l’instabilité ou risquer la manipulation, affirme l’éditorialiste.
Il y a quelques semaines, j’ai abordé la question du pouvoir et des contre-pouvoirs qui lui sont nécessaires pour garantir l’existence d’un Etat de droit et pour atténuer la tyrannie qu’une majorité politique peut exercer à l’encontre de celles et ceux qui n’ont pas voté pour elle.L’exemple à ce sujet étant la Turquie, où les victoires électorales successives de l’AKP [le parti islamiste au pouvoir] ont vraisemblablement convaincu le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qu’il est le maître absolu de son pays et de sa société. Pour résumer, il apparaît que le monde arabo-musulman n’est pas suffisamment attentif à la mise en place de contre-pouvoirs dès lors qu’il s’engage dans un processus de transition démocratique.La situation actuelle en Egypte permet de poursuivre la réflexion sur un autre plan, en abordant une autre question fondamentale pour la démocratie. Comment faire pour renvoyer celui qui a été élu sans attendre la prochaine échéance électorale ? Comment le faire sans générer de l’instabilité au sein des institutions ? Mais commençons d’abord par une mise au point.
Un président légitime
Rappelons donc que le président égyptien, Mohamed Morsi, a été démocratiquement élu par les Egyptiens au terme d’un scrutin qui, de l’avis de la majorité des observateurs, a été le plus régulier de l’histoire de l’Egypte indépendante (ce qui ne signifie pas qu’il a été parfait, loin de là). Cela n’est pas chose négligeable. Si l’on respecte la démocratie, si l’on respecte les règles du jeu que cette dernière impose, on est obligé de reconnaître la légitimité de sa présidence.Balayer cela d’un revers de manche au prétexte que l’on est un adversaire des islamistes et que l’on ne supporte pas leur présence au pouvoir, c’est adopter une attitude antidémocratique, et c’est se faire le partisan de scrutins censitaires où ne voteraient que les gens avec lesquels on serait d’accord. Des scrutins qui, par exemple, écarteraient les islamistes et leurs électeurs potentiels. C’est d’ailleurs ce dont rêvent, sans vraiment l’assumer, nombre de « démocrates » et autres « laïcs » dans le monde arabe.
Incapables de peser politiquement et électoralement face aux islamistes, ils préféreraient des élections débarrassées de ces puissants adversaires et cela sous la houlette d’un arbitre suprême, c’est-à-dire l’armée (ou, plus rarement, l’Occident). Relevons au passage cette (fausse ?) naïveté qui fait croire que l’armée égyptienne a chassé Morsi pour remettre le pouvoir à son opposition. En leur temps, les éradicateurs algériens opposés à la victoire de l’ex-Front islamique du salut (FIS) [en 1991] ont cru la même chose, persuadés qu’ils étaient que le pouvoir les récompenserait d’avoir contribué à sa propre survie. On connaît la suite…
Le “recall”, une procédure délicate
Pour autant, il doit être possible d’exiger le départ de celui qui a été élu si l’on considère qu’il a failli et si une majorité l’exige. Trop souvent, le mandat électoral est assimilé à un blanc-seing, une sorte de chèque en blanc qui interdirait la moindre remise en cause. D’ailleurs, le monde politique n’aime pas trop aborder cette question du “recall”, c’est-à-dire la procédure par laquelle les citoyens peuvent obtenir qu’un élu s’en aille avant la fin de son mandat ou, tout du moins, qu’il se présente de nouveau devant les électeurs.
Exception faite de quelques pays comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, le “recall” n’est guère ancré dans les mentalités, alors qu’il a existé dès les premiers temps de la démocratie athénienne. En France, ni la droite ni la gauche ne veulent en entendre parler, au nom de la nécessité d’éviter l’instabilité que cela peut générer. Il est vrai qu’un élu a besoin de temps pour agir, mais cela ne saurait lui garantir une impunité totale.
Il reste donc à savoir comment organiser et obtenir un tel rappel des électeurs. En investissant les places publiques et en recueillant plusieurs millions de signatures exigeant le départ de Morsi, l’opposition égyptienne a usé de deux moyens complémentaires mais aux conséquences et à l’efficacité différentes. Comme c’est le cas aux Etats-Unis, la collecte de signatures permet d’éviter le recours à des manifestations publiques et donc, in fine, à l’anarchie qu’elles pourraient provoquer.
Mais cette manière pacifique d’appréhender un “recall” est-elle possible pour des pays qui s’engagent à peine dans une transition démocratique ? En Egypte aujourd’hui, demain ailleurs, la capacité de précipiter les événements reste liée à la mobilisation de la rue, avec ce que cela peut entraîner comme dérapages et manipulations. C’est en cela que la situation égyptienne parle à la planète entière. Au monde arabe d’abord, du moins à celui qui est en mouvement, comme c’est le cas en Tunisie.
Mais aussi au monde développé, où la rupture entre électeurs et élus est manifeste. Car, au XXIe siècle, la démocratie, c’est, entre autres, permettre au peuple d’élire librement ses représentants. Mais c’est aussi lui permettre de leur signifier leur congé quand il le juge nécessaire, et cela sans avoir à attendre les habituels rendez-vous électoraux.
A Rio de Janeiro, le 20 juin, des manifestants se rassemblent après l’annulation de l’augmentation du prix des transports (Marcelo Sayao/EFE/SIPA)
Chercheur au Centre de recherche en sciences sociales de l’international (CERI, Sciences Po-CNRS), membre de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc), Eduardo Rios est spécialiste du Vénézuela et a étudié le système politique brésilien à Sao Paulo. Grâce à ses contacts sur place, qu’ils soient étudiants, chercheurs, travailleurs sociaux ou bénévoles, il suit de près la récente mobilisation au Brésil.
Loin d’y voir un « réveil brésilien », Rios retourne plutôt dans l’histoire contemporaine de la nation et dans la culture politique des Brésiliens pour donner sens aux événements qui secouent le pays.
Rue89 : Pour commencer, pouvez-vous résumer la chronologie des événements ?
Eduardo Rios : C’est d’abord la gauche syndicaliste qui a commencé à manifester en demandant la gratuité des transports publics. Leur mouvement a pris de l’ampleur lorsqu’il a été réprimé, puis encore plus lorsque les policiers ont réprimé les journalistes du quotidien Folha de Sao Paulo.
Une fois que les médias ont été pris à partie, le message a changé. On ne parlait plus de mobilisation de voyous, mais de mouvement de libre expression injustement réprimé.
La mobilisation s’est alors élargie bien au-delà des attentes des premiers manifestants. Si au début il y avait des demandes précises, ce n’est plus le cas maintenant. Le mouvement est devenu très hétérogène, a intégré des gens de la classe moyenne conservatrice, sortis de la pauvreté depuis plus d’une génération, mais aussi des intellectuels progressistes, des étudiants…
Qui sont les manifestants ?
La police de Sao Paulo a interrogé les participants pour réaliser que 70% d’entre eux manifestaient pour la première fois. La mobilisation n’est pas non plus une affaire de partis politiques : la Folha de Sao Paulo a mené une enquête et 72% des manifestants disaient ne pas s’identifier à un parti politique en particulier. Ce qui les rassemble, c’est l’hymne nationale du Brésil, pas la couleur d’un parti.
Ce que nous savons sur les manifestants, grâce à la Fohla, c’est qu’ils sont jeunes à 63% et ont fait des études supérieures à 78%. C’est un mouvement de demande sociale qui n’a pas de revendications précises, mais qui demande à ce que la progression sociale et économique des Brésiliens se poursuive.
Ce qui est certain, c’est que le spectre est très large. Jeudi [le 20 juin, ndlr], des cocktails molotov ont été lancés sur le ministère des Affaires étrangères, il y a donc aussi une minorité de casseurs, même si elle est marginale.
Il est important de rappeler qu’il n’y avait pas eu de morts dans les manifestations avant jeudi – un participant est décédé ce jour-là, renversé par une voiture qui tentait de dépasser un groupe de protestataires.
Qu’est-ce qui a mené à cette mobilisation ?
Il ne faut pas sous-estimer la culture des mouvements sociaux au Brésil, qui s’est développée historiquement avec le mouvement des sans-terre, les manifestations des ruraux et les marches contre la pauvreté et la corruption dans les rues des grandes villes.
Puis, durant les années Lula (2003-2011), le Brésil a vécu une croissance économique qui a permis, de pair avec une stabilité des prix et des programmes sociaux, à un très grand nombre de personnes de passer de la pauvreté à la classe moyenne. Dans cette ambiance, le Brésil en entier a donné un sens à la prospérité, qui est devenue la route vers l’atteinte d’un avenir meilleur pour tous.
A cela il faut ajouter la spécificité politique du Brésil, qui sort d’une longue dictature dans les années 80. De là a émergé un fort sentiment anti-partis politiques, qui se manifeste dans le fait que la plupart des partis tendent vers le centre et n’ont pas une ligne clairement définie.
Devant leurs inquiétudes face aux décisions économiques des politiques, la classe moyenne s’est sentie légitime de manifester, en lien avec la culture anti-politique partisane du peuple brésilien, pour un assainissement du système.
Y-a-t-il des précédents semblables dans l’histoire du Brésil ?
J’ai entendu l’expression « le Brésil se réveille » : il faut faire attention, car ce n’est pas une image représentative de ce qui se passe. Oui, les manifestations massives sont rares et même inédites, mais leur source n’est pas nouvelle.
Certains analystes remontent jusqu’aux années 60, où des manifestations plutôt conservatrices ont contribué au coup d’Etat de 1964. Mais je crois que le mouvement Diretas Ja (réclamant des élections présidentielles directes), dès 1983, est plus en ligne directe avec les événements actuels.
Déjà il y avait une vaste mobilisation hétérogène regroupée autour de l’idée du suffrage direct, mais dont les revendications s’étendaient largement au-delà d’une seule cause.
Au début des années 90, le mouvement contre le Président Collor de Mello, déchu pour corruption, porte aussi les traces d’une revendication qui englobe plusieurs causes sur fond d’assainissement du système politique.
Pendant les vingt années qui ont suivi la chute de Collor de Mello, il y a eu un long silence, mais le sentiment contre l’errance politique et pour une progression du Brésil est toujours resté vivant. Je préfère donc la métaphore de la boule de neige, car ce que nous voyons aujourd’hui est le cri d’espoir d’un mouvement qui ne date pas d’hier et qui s’est construit depuis des décennies.
La question des inégalités sociales est-elle présente dans le débat ?
Certains ne seront pas contents que je dise ça, mais cette question n’est pas au centre des revendications. Ne me méprenez pas : les inégalités sociales existent bel et bien au Brésil, mais ce n’est pas, à proprement parler, l’objet des revendications des manifestants.
Nous ne sommes pas en présence d’un mouvement des « damnés » de la terre, du prolétariat dépossédé ou des 99% de « Occupy ». C’est une mobilisation de la classe moyenne, qui demande de meilleures conditions de vie et qui désire que plus de Brésiliens sortent de la pauvreté pour le bien de la nation.
Y-a-t-il de la récupération politique ?
Par tout le monde. La Présidente Dilma Roussef a déclaré que les manifestations démontraient « la vivacité de la politique brésilienne », un sénateur a proposé d’abolir les partis politiques car cela le sert stratégiquement, l’opposition veut en faire un mouvement anti-Dilma, etc.
Tout le monde veut tirer la ficelle de son côté, mais à l’image de la mobilisation, personne ne réussit à récupérer le mouvement de manière cohérente et homogène.
Peut-on faire un lien avec les printemps arabes ou la situation en Turquie ?
Il faut faire très attention avec les comparaisons. Les mouvements sont comparables dans leur ampleur et dans leurs étincelles, qui s’est faite en milieu urbain, mais c’est là que s’arrêtent les liens.
Les printemps arabes arrivent dans des moments économiquement difficiles, ce qui n’est pas le cas du Brésil. Les manifestations au Brésil ne sont pas non plus dues à un rejet de l’autoritarisme, à la déception de la jeunesse ou à une volonté de radicalement changer le système politique.
En Turquie, contrairement au Brésil, la croissance économique s’est accompagnée de profonds changements de valeurs qui ont bouleversé le pays. Il y a eu un ras-le-bol, terme que je n’utiliserais pas pour qualifier l’état d’esprit brésilien. La très forte répression policière en Turquie, qui fut bien plus intense qu’au Brésil, n’est aussi en aucun cas comparable entre les deux mobilisations.
Est-ce le Mai 68 des Brésiliens ?
Il y a un peu de ce côté « petit bourgeois » dans la mobilisation, en effet. C’est l’alliance de deux groupes de personnes, qui aujourd’hui se ressemblent socialement, mais qui n’ont pas un parcours similaire. D’un côté il y a ceux qui, sans être très riches, peuvent pourvoir à tous leurs besoins depuis un certain nombre d’années. De l’autre, ceux qui connaissent cette aisance depuis peu de temps.
Mais il ne faudrait pas comparer abusivement, car ce ne sont pas des étudiants qui ont lancé le mouvement et ça ne mènera pas à une grève générale. Si elle l’a été brièvement au début, la mobilisation n’est pas non plus spécifiquement marquée à gauche.
Où cela va-t-il mener ?
Ce mouvement démontre des attentes politiques sérieuses et il aura assurément des répercussions sur le système tel qu’il est aujourd’hui. Les leaders et les partis politiques ne pourront pas ignorer ces attentes envers eux.
Mais autant les revendications sont imprécises et diverses, autant il est impossible de dire qu’elle sera la réponse et la réaction du pouvoir, au niveau local comme national. Pour l’instant, celui qui prétend savoir où tout cela va mener cache probablement des intérêts quelconques.
Un « printemps turc » est-il en train de naître ? Taksim est-elle la « place Tahrir » d’Istanbul, comme certains manifestants le clament ? A coup sûr, la mobilisation qui s’est enclenchée cette semaine aux abords de la grande place centrale d’Istanbul va marquer un tournant politique en Turquie.
Lancée par une poignée de manifestants « marginaux », comme aime les qualifier le premier ministre, Tayyip Erdogan, pour la sauvegarde d’un morceau de jardin public, elle s’est transformée en un vaste mouvement d’union contre la politique du chef du gouvernement, encouragé par une violente répression policière et un usage excessif de la force.
De l’extrême gauche à la droite de l’échiquier politique, le mouvement cristallise tous les griefs accumulés contre celui qui monopolise le pouvoir depuis maintenant dix ans. Les laïques s’émeuvent, chaque jour un peu plus, de l’irruption de la religion dans l’espace public et de son instrumentalisation par M. Erdogan pour gouverner.
C’est ainsi que, en quelques jours, une loi a été votée pour restreindre la consommation d’alcool. Sevan Nisanyan, un intellectuel arménien de Turquie, a été condamné pour « blasphème » à treize mois de prison après avoir critiqué le prophète Mahomet. Et la mairie d’Ankara a appelé les citoyens « à adopter un comportement conforme aux valeurs morales ».
Les partis de gauche et d’extrême gauche, les étudiants, ainsi que les organisations syndicales, sont éreintés par la répression des manifestations et les vagues d’arrestations dont ils ont été la cible depuis des mois au nom de la lutte contre le terrorisme. Les alévis turcs, une branche minoritaire et libérale de l’islam, s’estiment victimes de discriminations de la part du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), qui ne reconnaît pas leur particularisme cultuel. La liste est longue.
Tous dénoncent, à l’unisson, la dérive autoritaire du chef du gouvernement turc, son style brutal, les projets urbains mégalomaniaques dont il affuble Istanbul et le système clanique qu’il s’est bâti dans la ville lorsqu’il en était maire, il y a près de vingt ans.
Adossé au départ au processus de négociations d’adhésion à l’Union européenne et à une dynamique réformatrice, le pouvoir de M. Erdogan était encadré. Il a été renforcé par deux élections, qui ont tourné au plébiscite, en 2007 et 2011, avec respectivement 47 % et 50 % des voix à l’AKP.
Cette mainmise électorale a permis à M. Erdogan de se débarrasser de tout contre-pouvoir en interne. L’armée, l’appareil bureaucratique et judiciaire, la presse, qui lui étaient autrefois opposés, sont devenus des instruments au service de l’AKP, le parti majoritaire, et de son chef.
Ainsi, pendant que les émeutes éclataient à Taksim, les chaînes de télévision montraient M. Erdogan tenant une conférence pour le jour de la lutte contre le tabac. Les forces de l’ordre, dont les effectifs ont triplé depuis l’arrivée de M. Erdogan au pouvoir, ont fait preuve d’une violence inouïe contre les manifestants, en toute impunité.
En 2014, c’est la présidence de la République que M. Erdogan souhaite conquérir, après avoir fait réformer la Constitution et fait évoluer la Turquie vers un régime présidentiel. Ce qui fait craindre à beaucoup un nouveau tour de vis.
Evi Tsirigotaki : « J’ai voulu mettre en avant la mobilisation des artistes ». Photo Rédouane Anfoussi.
Expo. Collective éphémère et solidaire, Greeting From Greece. 20 artistes nous ouvrent les rues d’Athènes.
La Grèce fait la Une cette semaine. Dans une conciliante logique avec celle du couple Merkel-Sarko les médias français et allemands annoncent que le scénario catastrophe est évité, grâce à l’heureuse conduite des créanciers privés disposés à effacer une partie de l’ardoise grecque. Mais étrangement, on ne trouve que les comptables de l’addition pour s’en réjouir. On en sera un peu plus sur ce qu’en pensent, les Grecs et le peuple européen privés de banquet, en se rendant au bien nommé Luthier Gourmand* qui a ouvert, depuis hier, ses fenêtres sur Athènes.
A l’initiative de la journaliste Evi Tsirigotaki, l’exposition éphémère Greeting From Greece permet de découvrir les travaux d’une vingtaine d’artistes grecs qui inventent un autre mode de vie depuis le chaos de la réalité. « J’en ai marre de voir des images de violence sur mon pays. J’ai voulu mettre en avant la mobilisation des artistes, explique Evi. Beaucoup d’entre eux s’expriment actuellement en renouant avec le street art dans les rues d’Athènes ou à travers les collectifs qui se montent pour soutenir les victimes sociales de la crise. L’usage des nouvelles technologies permet de faire circuler des regards en contrepoint à la litanie des médias dominants. » A l’instar du patron du lieu d’accueil qui affirme avec simplicité « Je me suis senti concerné. On est tous Grec », l’initiative non subventionnée a rencontré un élan spontané très participatif.
Artistes et sphère publique
Documentaires, vidéos, photos, Djset, et concerts se succèdent jusqu’à 22h dans un lieu artistiquement désacralisé. Le temps semble en effet venu de porter un autre regard sur les créateurs grecs. L’annonce de la disparition, en janvier, du plus connu d’entre eux, le réalisateur Theo Angelopoulos décédé en raison du mauvais fonctionnement des services ambulanciers de la ville, invite à tourner la page. Comme le dit à sa manière, radicalement minimaliste, l’artiste Diohandi qui a emballé le pavillon grec de la dernière biennale de Venise dans une caisse en bois en portant à son entrée l’inscription « Sold Out », tout semble à reconstruire dans le berceau de la démocratie.
Cette expo offre l’occasion de découvrir une nouvelle génération en prise avec le vide postmodernisme, pense le metteur en scène Théodoros Terzopoulos auquel est consacré un documentaire. « Si les artistes institutionnels restent très silencieux, les jeunes sont débarrassés du décorum. Ce qui leur permet d’exprimer des commentaires politiques, de la colère. Beaucoup ont recours à l’humour noir. On assiste a un vrai renouveau, indique Evi Tsirigotaki, la photographe Stefania Mizara montre dans un Webdoc, comment les Athéniens sont sortis dans la rue qu’ils ont occupée pendant des mois pour réagir contre les mesures d’austérité. Le salaire minimum à baissé de 40% en deux ans. Les créateurs qui s’expriment ici sont en contact avec le mouvement social. »
Les artistes participants à Greeting From Greece reflètent un état de la société. Ils ne sont pas les seuls à vouloir renouveler l’écriture de leur destin…
Jean-Marie Dinh
* Place St Anne à Montpellier, rens : 06 42 61 73 46.
Christos Chryssopoulos : l’intelligence par le vide
Roman. La Destruction du Parthénon de Christos Chryssopoulos.
Un livre vivement conseillé à tous ceux que l’odieuse version des faits qui nous est donnée de la crise obsède. La lecture de La Destruction du Parthénon, dernier ouvrage du jeune et talentueux écrivain grec Christos Chryssopoulos, apaisera certainement les esprits contrariés, mais peut-être pas tous… C’est un court roman d’anticipation pourrait-on dire, si l’on se réfère à la prévisible et hallucinante exigence de Berlin de démolir le Parthénon au motif non moins attendu que le coût de l’entretien du site serait trop élevé et menacerait l’équilibre des finances publiques grecques.
Christos Chryssopoulos pose lui aussi comme nécessité vitale de s’attaquer au symbole de marbre vieux de vingt-cinq siècles, en situant l’action libératrice de son principal protagoniste dans la ligné du cercle surréaliste Les Annonciateurs du chaos. Ceux là même qui dès 1944, appelaient à faire sauter l’Acropole ! Un slogan choc et provocateur relayé à Athènes au début des années 50 par un groupe d’intellectuels affiliés au Mouvement des irresponsables.
L’action du livre a lieu soixante ans plus tard. Le jeune héros de Christos Chryssopoulos vient de passer à l’acte. Il a ruminé sur sa ville, son fonctionnement, la béatitude de ses habitants. L’absurdité de la situation lui a donné l’énergie d’agir. Il a pulvérisé le Parthénon. La ville est orpheline. Est-elle encore elle-même ?
A Athènes, c’est la consternation. L’enquête s’ouvre. On recherche le terroriste, son mobile… Sur ce point, le probable monologue de l’auteur des faits, livre quelques pistes : « Quand je me suis lancé, je n’avais pas la moindre idée de la façon dont je devais m’y prendre. Je n’avais pas de plan. Je n’avais aucun idéal. Le point de départ à été une impulsion, un élan qui m’a poussé à en arriver là. Cela aurait tout aussi bien pu m’emporter je ne sais où. »
Quel avenir, pour le pays amputé de son miroir déformant ? La beauté serait désormais à chercher dans chacun de ses habitants.
JMDH
La destruction du Parthénon, 12 euros, éditions Actes-Sud
Qui sont les Anonymous ? « Des citoyens comme vous » affirment deux jeunes participants démasqués présents au rendez-vous donné hier sur la Comédie, pour lutter contre le projet Acta. Faut-il être bon en informatique ? « Non on peut être nul. Tout le monde n’est pas hacker loin de là, il suffit de se connecter sur facebook. » Comment s’organise-t-on ? « Ce n’est pas politique, il n’y a pas de hiérarchie. C’est le peuple qui lutte pour la liberté… » Une liberté dont la force peut faire peur. Et un élan citoyen qui ne correspond pas aux intérêts économiques dominants, comme le démontre la signature de l’accord commercial anti-contrefaçon (Acta) signé Le 26 janvier 2012 à Tokyo, par l’Union européenne et 22 de ses États Membres, dont la France.
Les indignés estiment que ce nouveau cadre juridique se soustrait à la démocratie en créant son propre organisme de gouvernance, et qu’il représente une menace majeure pour la liberté d’expression. « Cela ne concerne pas qu’Internet, son application touche à la santé en réduisant l’accès aux médicaments génériques, ou encore à l’agriculture, en contraignant à l’utilisation des semences qui sont aux mains des géants de l’agroalimentaire. » Le texte a provoqué une levée de boucliers dans le monde entier avec des manifestations de milliers de personnes. « Agir avec Internet c’est instantané et radical. Les jeunes l’ont bien compris et ils ont raison. Il y en a marre de ces multinationales qui massacrent des millions de gens pour le pognon, explique un physicien de 58 ans venu avec ses trois enfants. Etre derrière son ordi où descendre dans la rue participe pour moi d’un même mouvement. Je suis malade, mais je me battrais. »
Le 26 janvier dernier les signataires du traité international ont royalement ignoré les revendications du Parlement européen concernant les atteintes aux droits individuels, et la dénonciation de manœuvres pour que le traité soit adopté avant que l’opinion publique ne soit alertée. Mais l’ampleur de la contestation de la société civile, notamment en Pologne et en Allemagne, a semble-t-il fait son chemin puisque la Commission européenne a finalement décidé de saisir la Cour européenne de Justice afin de valider sa compatibilité avec les droits et libertés fondamentales européennes. Anonymous citoyens levez-vous !