Deuxième jour d’affrontements à Istanbul

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Un « printemps turc » est-il en train de naître ? Taksim est-elle la « place Tahrir » d’Istanbul, comme certains manifestants le clament ? A coup sûr, la mobilisation qui s’est enclenchée cette semaine aux abords de la grande place centrale d’Istanbul va marquer un tournant politique en Turquie.

Lancée par une poignée de manifestants « marginaux », comme aime les qualifier le premier ministre, Tayyip Erdogan, pour la sauvegarde d’un morceau de jardin public, elle s’est transformée en un vaste mouvement d’union contre la politique du chef du gouvernement, encouragé par une violente répression policière et un usage excessif de la force.

De l’extrême gauche à la droite de l’échiquier politique, le mouvement cristallise tous les griefs accumulés contre celui qui monopolise le pouvoir depuis maintenant dix ans. Les laïques s’émeuvent, chaque jour un peu plus, de l’irruption de la religion dans l’espace public et de son instrumentalisation par M. Erdogan pour gouverner.

C’est ainsi que, en quelques jours, une loi a été votée pour restreindre la consommation d’alcool. Sevan Nisanyan, un intellectuel arménien de Turquie, a été condamné pour « blasphème » à treize mois de prison après avoir critiqué le prophète Mahomet. Et la mairie d’Ankara a appelé les citoyens « à adopter un comportement conforme aux valeurs morales ».

Les partis de gauche et d’extrême gauche, les étudiants, ainsi que les organisations syndicales, sont éreintés par la répression des manifestations et les vagues d’arrestations dont ils ont été la cible depuis des mois au nom de la lutte contre le terrorisme. Les alévis turcs, une branche minoritaire et libérale de l’islam, s’estiment victimes de discriminations de la part du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), qui ne reconnaît pas leur particularisme cultuel. La liste est longue.

Tous dénoncent, à l’unisson, la dérive autoritaire du chef du gouvernement turc, son style brutal, les projets urbains mégalomaniaques dont il affuble Istanbul et le système clanique qu’il s’est bâti dans la ville lorsqu’il en était maire, il y a près de vingt ans.

Adossé au départ au processus de négociations d’adhésion à l’Union européenne et à une dynamique réformatrice, le pouvoir de M. Erdogan était encadré. Il a été renforcé par deux élections, qui ont tourné au plébiscite, en 2007 et 2011, avec respectivement 47 % et 50 % des voix à l’AKP.

Cette mainmise électorale a permis à M. Erdogan de se débarrasser de tout contre-pouvoir en interne. L’armée, l’appareil bureaucratique et judiciaire, la presse, qui lui étaient autrefois opposés, sont devenus des instruments au service de l’AKP, le parti majoritaire, et de son chef.

Ainsi, pendant que les émeutes éclataient à Taksim, les chaînes de télévision montraient M. Erdogan tenant une conférence pour le jour de la lutte contre le tabac. Les forces de l’ordre, dont les effectifs ont triplé depuis l’arrivée de M. Erdogan au pouvoir, ont fait preuve d’une violence inouïe contre les manifestants, en toute impunité.

En 2014, c’est la présidence de la République que M. Erdogan souhaite conquérir, après avoir fait réformer la Constitution et fait évoluer la Turquie vers un régime présidentiel. Ce qui fait craindre à beaucoup un nouveau tour de vis.